Eglises d'Asie

CHRETIENS EN DIALOGUE AVEC LA PENSEE CONFUCEENNE ET LA SPIRITUALITE TAOISTEContributions taoïstes et confucéennes à l’harmonie en Asie de l’est

Publié le 18/03/2010




Introduction

Du 15 au 19 avril 1996, 52 personnes venant de 10 pays asiatiques se sont réunies à Lei-O, au Centre de recherche de Tienti Chiao dans le Nantou Hsien, à Taiwan, pour un séminaire sur le thème : Contributions taoistes et confucéennes à l’harmonie en Asie de l’est : chrétiens en dialogue avec la pensée confucéenne et la spiritualité taoïste. Les participants ont étudié les éléments des traditions confucéenne et taoïste qui fournissent une compréhension de l’harmonie cosmique, interpersonnelle et individuelle, et un chemin qui conduise à cette harmonie. Ils ont examiné le rôle des traditions religieuses populaires dans l’identité et la dignité de ceux qui y adhèrent, ainsi que leur représentation du monde qui unit l’être humain au ciel.

A partir de cette base conceptuelle, les participants ont réfléchi à l’harmonie dans le christianisme, dans la pensée confucéenne et dans la spiritualité taoïste. Finalement, ils ont exploré des chemins pour que les croyants modernes dans les sociétés d’Asie de l’est puissent profiter des traditions philosophiques et religieuses de la région afin de se former leurs propres synthèses personnelles.

La contribution confucéenne à l’harmonie en Asie de l’est

La contribution confucéenne à l’harmonie commence fondamentalement avec le “jenLe jen (bienveillance) est le noyau intime de l’être humain, l’origine de toutes les valeurs humaines et la perfection des vertus. Il est de nature identique avec le ciel. Le confucianisme, discipline que l’on pourrait appeler un “apprentissage de la viemet un accent spécial sur le fait de cultiver le soi. Par la réalisation du concept interne de la morale, le jen a pour but de maîtriser le soi et de revenir aux rites, pour rechercher comme fin ultime une relation d’harmonie entre les êtres humains. Par la réflexion sur soi et la réalisation du soi, on peut posséder un coeur aimant qui s’étend de soi aux autres jusqu’à ce que, finalement, tous les peuples du monde soient intégrés dans l’harmonie. Le confucianisme met aussi l’accent sur l’harmonie entre le ciel et l’être humain. Cette harmonie atteint sa plénitude ultime dans l’unification du ciel et des êtres humains.

Puisque l’harmonie est au centre du confucianisme, le maintien de la stabilité sociale est d’une très grande importance. Dans le monde idéal selon Confucius, chacun possède une identité personnelle et doit agir selon les normes définies de l’éthique et de la morale. Ce code bien défini donne une fondation ferme à la construction de liens forts entre les membres de la famille. C’est sur cette base que la stabilité sociale peut être atteinte.

La séquence de renforcement de soi qui va de la dimension personnelle à la dimension sociale est hiérarchique. Alors que le code des “Cinq relations” est réciproque, celui des “Trois liens” ne concerne que l’une des parties. Le défi contemporain consiste à réinterpréter cette idée des cinq relations pour la préserver, et en faire un moyen d’unification tout en reconnaissant la distinction entre hommes et femmes comme valide sans exploiter la différence ou se sentir menacé par elle. Alors, une véritable harmonie sera atteinte entre les sexes et dans la vie de famille. C’est un domaine qui nécessite une réflexion et un développement plus approfondis.

La contribution taoïste à l’harmonie en Asie de l’est

Tout au long de l’histoire chinoise, confucianisme et taoïsme ont joué des rôles complémentaires en soutenant la vie “dans le monde” et “au-delà du monde” du peuple chinois. Le premier a pris en charge la vie “externe” du peuple chinois en lui fournissant un système politique et familial. Le deuxième a proposé un chemin intérieur vers l’harmonie avec la nature, le Tao. Dans le taoïsme, qu’il soit philosophique ou religieux, l’harmonie est le plus important but à atteindre. Le Tao est l’harmonie la plus parfaite par lui-même et est souvent représenté sous la forme du Tai Chi. C’est le symbole le plus parfait peut-être de l’établissement de l’harmonie entre les deux forces qui génèrent l’univers, le yin et le yang.

En ce qui concerne le chemin vers l’harmonie, ce qui rend le taoïsme unique c’est l’accent qu’il met sur le spirituel alors que le confucianisme le met sur les relations interpersonnelles. En distinguant entre le taoïsme religieux et philosophique (un sujet toujours très controversé), nous trouvons une légère différence entre ces deux systèmes dans la manière dont chacun recherche l’harmonie. Les philosophes taoïstes préfèrent prendre un chemin intellectuel vers l’harmonie ultime, le Tao, alors que les taoïstes religieux privilégient le chemin physique et spirituel, en mettant l’accent sur l’action de cultiver le corps et la nature.

Devenir un avec le Tao est le but ultime du taoïsme philosophique. Ce but ne peut être atteint que par un éveil philosophique à la vertu du “wu-wei”, qui peut être traduit par ‘non-action’ ou “non-effort”. En pratique, quand un philosophe taoïste atteint le stade du wu-wei, il est émancipé de toutes les fixations humaines du langage, des concepts et des préjugés qui sont les causes principales de l’absence d’harmonie. A ce stade, chaque action de la personne suit la voie de la nature et atteint une parfaite harmonie de vie.

Les taoïstes religieux mettent plutôt l’accent sur la pratique physique et spirituelle comme moyen d’atteindre le stade ultime de l’immortalité. En plus de la voie externe pour devenir un immortel en prenant un élixir composé de plusieurs métaux, la religion taoïste propose aussi des pratiques intérieures variées pour affiner le ch’i du corps. Quand le corps atteint la pureté du ch’i originel, l’être humain s’éveille à son moi intérieur et devient un immortel, un nouveau soi en union avec le Tao. A ce stade, les taoïstes religieux atteignent non seulement une immortalité “au-delà” du physique, mais aussi l’illumination philosophique du wu-wei.

Dans les deux approches, philosophique et religieuse, le taoïsme encourage la poursuite de la liberté intérieure et de l’immortalité. Les taoïstes contribuent à l’harmonie sociale, non pas en interférant dans les affaires “du monde”, mais en gardant le silence. Selon les taoïstes, les confucéens font trop d’efforts pour diriger le peuple, et cela rend la société plus chaotique. Laisser les gens comme ils sont et la nature comme elle est, c’est la voie taoïste pour amener l’harmonie dans la société.

Croyance populaire et harmonie

La croyance populaire incorpore beaucoup d’éléments des pensées confucéenne et taoïste, et cela a une influence considérable sur la représentation populaire du monde. Jusque très récemment, celle-ci n’était prise au sérieux que par ceux qui y adhéraient. La société moderne a eu tendance à considérer cette représentation du monde comme primitive ou superstitieuse. Au niveau théorique, on s’est opposé à ce que cette représentation du monde soit comprise dans les études sérieuses au même titre que celle des religions et des philosophies établies. Aujourd’hui, des études systématiques de la religion populaire commencent à apparaître davantage dans les séminaires et les conférences théoriques.

L’hypothèse de base de la croyance populaire est que la personne humaine est un être spirituel vivant dans un monde rempli d’esprits interdépendants et agissant les uns sur les autres. Le but sous-jacent des coutumes, du rituel et du culte est de maintenir l’harmonie entre l’humanité et le monde naturel.

Dans les discussions, deux approches pour l’étude de la croyance populaire ont émergé. L’une postule une métaphysique sous-jacente, une conscience collective transmise de génération en génération. Elle peut être détectée au niveau des attitudes et des valeurs qui indiquent le sens donné à la vie, bien que ce ne soit pas de la manière explicite que l’on trouve dans les métaphysiques des religions organisées. Ce n’est pas un système figé, mais plutôt quelque chose qui change constamment, par l’assimilation de nouveaux éléments et en manifestant une créativité collective.

L’autre approche commence au niveau de l’expérience religieuse, le sentiment d’émerveillement qui surgit de l’expérience existentielle de la destinée commune de la nature et des esprits. C’est cette expérience religieuse, et non un ensemble de concepts et de valeurs sociales, qui donne naissance et maintient l’ardeur de la croyance populaire.

En pratique, la croyance populaire pourvoit aux besoins émotionnels et religieux de la personne humaine. Les rituels et les cérémonies aident ses adhérents à trouver l’harmonie dans l’individu à l’intérieur de la communauté, entre l’individu et la nature. C’est pour cette raison, s’il n’y en a pas d’autre, que la religion populaire mérite des études plus élaborées.

La contribution chrétienne à l’harmonie en Asie de l’est

La notion d’harmonie est un thème majeur du christianisme même si le terme n’est pas utilisé. Comme le terme “paix”, elle peut exprimer la somme totale du salut proposé par Dieu en Jésus-Christ. Le christianisme enseigne l’harmonie à trois niveaux : l’harmonie avec Dieu, avec les êtres humains et avec l’univers dans son ensemble. L’union à un Dieu personnel est vue comme la source de toute harmonie authentique. Le Tao de Lao-Tzu est impersonnel. L’enseignement confucéen n’insiste pas sur une relation personnelle avec le Tien. Le christianisme présente un Dieu clairement personnel même si le concept de Dieu trouve une compréhension qui dépasse la personne dans la tradition mystique. Une relation harmonieuse avec ce Dieu personnel est la base de toutes les relations vraies entre êtres humains et avec le monde.

On pense souvent qu’un Dieu personnel serait en conflit avec les êtres humains. Un Dieu volontaire et tout puissant exercerait un contrôle opprimant sur les êtres humains. Ce n’est pas le cas. L’anthropologie transcendantale des théologiens contemporains indique que, loin d’être opprimant, Dieu est l’accomplissement naturel des êtres humains. Le Dieu chrétien est un Dieu aimant qui a créé les êtres humains à l’image de Dieu et les a destinés à partager la vie même de Dieu de leur propre choix. Irénée, l’un des anciens Pères de l’Eglise, a affirmé que la gloire de Dieu consiste précisément à rendre les êtres humains pleinement vivants.

Afin de prouver cet immense amour de l’humanité, Dieu a donné Jésus-Christ au monde pour que hommes et femmes puissent devenir enfants de Dieu en participant de la relation filiale de Jésus avec Dieu. Cette relation filiale est l’essence de l’existence chrétienne. La relation filiale du chrétien avec Dieu implique nécessairement la relation avec les autres comme frères et soeurs. Pour cette raison, le commandement chrétien unique d’amour a deux aspects : l’amour de Dieu et l’amour du prochain. La négation de l’amour est le péché capital de la vie chrétienne. Dans un abandon total à son père et un dévouement intégral à ses frères humains, le Christ est l’exemple suprême de cet amour à deux faces et la source de l’harmonie entre Dieu et les êtres humains.

La foi chrétienne en dialogue avec la pensée confucéenne et la spiritualité taoïst en Asie de l’est

Au contact vivant de la pensée confucéenne – un système complexe d’enseignement éthique fondé sur le plan bienveillant de Dieu et exprimé dans un schéma ordonné des relations humaines – le christianisme trouve un partenaire amical et enrichissant de dialogue. Les chrétiens sont appelés à se souvenir de la valeur centrale de la famille et de l’importance de l’ordre social, qui doit être aussi partie intégrante de la vie chrétienne. De son côté, le christianisme fait une contribution en mettant l’accent explicitement sur la relation filiale à un Dieu personnel. L’option préférentielle pour les pauvres est une autre contribution du christianisme à l’ordre social des pays asiatiques.

En addition à l’enseignement biblique de l’harmonie entre Dieu et les hommes, St Paul enseigne l’harmonie avec toute la création, particulièrement sous l’idée de “récapitulation” – mettre toutes choses sous le Christ comme tête. Malheureusement, à cause de l’accent qu’ils mettent sur l’homme, les chrétiens ont longtemps négligé la dimension cosmique de la vocation chrétienne. Aujourd’hui, des théologiens contemporains ont restauré l’idée d’un Christ cosmique, et mis l’accent sur l’harmonie humaine avec l’univers.

D’une manière particulière, le confucianisme et le taoïsme contemplent l’unité de tout l’univers et de l’humanité comme faisant partie de cet univers. Lao-Tzu présente le wu-wei (non-action) comme la caractéristique fondamentale du Tao et du vrai sage. Au lieu de manipuler ou d’interférer sans raison dans le monde créé, on devrait respecter et suivre le cours naturel et le rythme de la nature. Le dialogue avec la spiritualité taoïste devrait inspirer aux chrétiens un plus grand sentiment de respect pour la nature et d’harmonie avec elle, en réduisant l’ambition de la contrôler et en invitant à adopter un mode de vie plus simple. De plus, l’idée du Tao comme wu invite aussi les chrétiens à explorer et à redécouvrir la tradition mystique profondément enracinée dans le christianisme. En même temps, le Dieu trine du christianisme, en même temps caché et manifesté, wu et yu, transcendant et immanent, peut trouver un écho dans quelques-uns des concepts clés du taoïsme et contribuer à leur élucidation.

Conclusion

Nous, participants appartenant aux traditions confucéenne, taoïste et chrétienne, avons passé quelques jours ensemble pour partager nos enseignements respectifs. Le point central de la conférence concernait les systèmes de pensée. Les contributions pratiques de chacune des traditions à l’harmonie dans la société et l’expérience fondamentale à la base des représentations du monde confucéenne et taoïste demeurera une question pour une autre fois. La citation suivante

du Tai Te Ching a été jugée la plus apte à indiquer un chemin pour l’avenir :

J’ai seulement trois choses à enseigner

la simplicité, la patience, la compassion.

Ces trois choses sont tes trésors les plus riches.

Simple dans l’action et la pensée,

tu retournes à la source de l’être

Patient avec les amis comme les ennemis

Accordé à la manière dont les choses sont

Plein de compassion envers toi-même

Tu amènes tous les êtres du monde à l’harmonie.

(Tao Te Ching, 67)