Eglises d'Asie

UN BILAN DE L’ANNEE 1995

Publié le 18/03/2010




Au cours de l’année écoulée, quels sont les événements que vous retenez comme dignes d’attention?

Au cours de l’année écoulée, on a beaucoup parlé des “acquis” de la République socialiste du Vietnam. Au nombre des “acquis” économiques, on peut ranger le taux de croissance qui s’est élevé à 9,5% spécialement grâce aux 7,7 millions de tonnes de pétrole brut, aux 27,5 millions de tonnes de céréales. On peut citer aussi l’inflation qui a été maintenue à 12,7 % pour l’année. L’exportation d’une valeur de 5,2 milliards de dollars a progressé de 22,8 % par rapport à l’année 1994. Durant cette même année 1995, les investissements étrangers ont atteint leur niveau le plus élevé. Le total des investissements enregistrés se monte à 7 milliards de dollars, ce qui représente un accroissement de 80 % par rapport à 1994 et constitue 40 % de la totalité des investissements depuis la publication du code des investissements étrangers.

Dans le domaine des relations étrangères, les acquis les plus remarquables sont en lien avec l’économie. Le Vietnam et les Etatsunis ont normalisé leurs relations, le 12 juillet. Le 17 juillet, le Vietnam et l’Union européenne ont signé des accords cadres concernant le développement de relations de collaboration économique et commerciale. Le 28 juillet, le Vietnam est devenu membre de l’Association des Nations de l’Asie du sud-est (ASEAN). Ainsi ce mois de juillet a été le mois des rencontres et des engagements. Il faut aussi citer ce qui s’est passé avant comme par exemple, la signature de l’accord de collaboration du 5 avril entre le Vietnam, la Thaïlande, le Laos, le Cambodge, concernant le bassin du Mékong, et ce qui s’est passé après comme l’engagement pris par le Club de Paris, le 1er décembre, de fournir au Vietnam une aide financière de 2,31 milliards de dollars, ou encore la première participation du premier ministre Vo Van Kiêt à la réunion au sommet de l’ASEAN à Bangkok, le 14 décembre 1996. Le même jour, l’équipe nationale de football triomphait de celle du Myanmar en demi finale aux jeux de l’Asie du Sud-Est 1995.

Ce n’est pas que ces acquis n’existent pas. Mais il ne s’agit là que d’une moitié de vérité.

Quelle est donc l’autre moitié ou l’autre aspect de la vérité?

En premier lieu, les acquis économiques ou diplomatiques ont été obtenus uniquement dans la mesure où ce que l’Etat appelle la gestion a su se montrer véritablement autonome. De ce point de vue, en 1995, on a pu constater un certain nombre de progrès dans la réforme de l’appareil d’Etat ainsi que dans son travail de gestion. A coup sûr, cela n’est pas dû au “bon coeur” du Parti mais plutôt aux exigences de la nouvelle situation créée par l’ouverture et l’intensification des relations internationales. Il l’y a pas un Etat au monde qui supporterait d’avoir des relations serrées avec un Etat où tout fonctionne du haut vers le bas, un Etat composé d’émissaires manipulés depuis les coulisses par un Parti jouissant du monopole du pouvoir.

Cependant, même si des progrès ont eu lieu, rien ne garantit leur maintien. Tant qu’existera un régime dictatorial ayant plein pouvoir, l’Etat sera toujours l’Etat du “Parti maître” et non pas un Etat démocratique du “citoyen maître” et ainsi, subsistera la tension entre la Parti monopolisant le pouvoir et un Etat qui a besoin pour fonctionner d’une efficacité réelle.

Quelles sont vos remarques concernant le développement économique actuel au Vietnam?

Quelle est la nature de l’économie actuelle au Vietnam? Ce n’est peut-être qu’une maison bâtie sur le sable si l’on considère, d’un côté, la croissance rapide du capital de l’étranger, et de l’autre, la production intérieure, paralysée, instable, disparate et éphémère, alors que notre production nationale subit plus que jamais une attaque de front de la part des produits importés officiellement ou en fraude, des taux d’intérêts bancaires, de la publicité ne cessant de conseiller la consommation de produits d’entreprises étrangères. La plus grande partie des investissement étrangers se porte sur des produits de consommation, en particulier sur la bière, les cigarettes et le secteur du tourisme: la construction d’hôtels continue à Hô Chi Minh-Ville bien qu’ils soient en train de devenir trop nombreux et que le nombre des touristes étrangers n’ait pas augmenté au cours de l’année dernière. Quant à l’import-export, pour 70 %, il se pratique avec les nations voisines. En dehors du Japon et de la Corée, il s’agit surtout de la Chine et des Chinois de Taïwan, de Hongkong, de Singapour et de Thaïlande. Ainsi, plus de la moitié de l’économie de marché de la République socialiste du Vietnam est l’économie de Cholon.

Sans compter que cette économie est atteinte d’une hémorragie interne inguérissable. La concussion n’a diminué d’aucune manière. Le 16 janvier 1996, à l’issue d’une conférence réunie pour faire le bilan du travail de contrôle dans tout le pays en 1995, on apprenait ceci: un contrôle effectué durant l’année dans seulement 2 500 unités avait fait apparaître que mille milliards de dôngs avaient été détournés, ainsi que 3 000 taëls d’or et 8,8 millions de dollars. Mille milliards de dôngs représentent près de 100 millions de dollars; à côté de cela, les sommes en or ou en dollars ne sont que du détail. C’est à qui jettera le plus d’argent par la fenêtre au point que les Américains eux-mêmes doivent s’avouer vaincus … comme le titrait un article récent de “Thanh Niên

En examinant la situation au cours de ces dernières années, on s’aperçoit que l’un des concepts que les dirigeants du Vietnam ont mis en avant, c’est la normalisation politique. Selon vous, la normalisation politique est-elle une nécessité au Vietnam aujourd’hui?

Quel est le régime, quel est le souverain qui n’exige la “normalisation politique” ? Le protectorat français, le président Ngô Dinh Diêm, le général Nguyên Van Thiêu ont tous désiré la normalisation politique. On peut même supposer que si le Protectorat français avait bénéficié de la normalisation politique, aujourd’hui, notre pays se serait développé, au pire, comme l’île de la Réunion ou la Nouvelle Calédonie. Le train de Saigon-Hanoi roulerait à une vitesse plus rapide que les soixante kilomètres à l’heure qu’il atteignait à l’époque de mon enfance, en tout cas plus rapide que l’allure de sénateur précautionneux qu’il a adopté aujourd’hui. Parce qu’il se tient en équilibre sur la tête et les épaules de la population, tout souverain se sert de la normalisation politique comme prétexte pour “normaliser” son trône. D’ailleurs la véritable signification de la normalisation politique, c’est la normalisation du paternalisme, ou de la dictature, ou de l’arbitraire ou encore de l’inhumain, en somme, la normalisation de “tout ce qui n’est pas politique”. Lorsque ceux qui se nomment révolutionnaires ne savent plus que seriner le refrain de la “normalisation politique”, ils montrent à l’évidence qu’ils sont en train de faire tout autre chose que la révolution. Et quand on voit ces mêmes révolutionnaires pris d’épouvante devant l’“évolution pacifiqueon ne sait vraiment plus quoi dire.

Je voudrais illustrer cela par le récit d’un fait tout récent. On dirait une plaisanterie. C’est pourtant la réalité à 100 %; il a été rapporté par le journal “Le travailleurdu 2 février. Le secrétaire adjoint de la section du Parti de la ville, Trân Trong Tân, en visite à la Compagnie des eaux de Thu Duc, y a rencontré les employés. Ceux-ci se sont plaints à lui de leurs bas salaires. Alors, dit le journal, “le secrétaire adjoint a souri; mon salaire à moi se monte à 1 million de dôngs (NDLR – 500 F). Lorsque j’ai payé les 700 000 dôngs de loyer et la quittance d’eau et d’électricité, il ne me reste plus rien. Il est clair que sur ce point, il n’y a pas encore de normalisation …”

Ainsi, si le deuxième ou troisième personnage de la plus grande ville du pays, la ville qui obtient les résultats économiques les plus importants, touche un salaire lui permettant seulement de payer le loyer, l’eau et l’électricité et non pas la nourriture, qu’en est-il alors des salaires distribués aux citoyens de ce pays ? A l’évidence, ce n’est pas normal, 20 ans ont passé sans que la normalisation soit faite ! Si l’on est pas arrivé à la normalisation dans un domaine aussi fondamental que celui-là, la normalisation politique a-t-elle encore un sens et à quoi sert-elle ? Ou bien alors faudrait-il appeler normalisation politique les efforts déployés pour compléter un salaire juste suffisant pour le loyer, l’eau et l’électricité. Chaque individu, chaque famille, le pays tout entier recourent à des caisses noires. Consciencieux, vous ferez des heures supplémentaires ou du travail au noir. Relativement consciencieux, vous vous partagerez les avantages de diverses ressources collectives: si vous louez un appartement à l’Etat pour un million de dôngs, vous le sous-louerez la moitié à un étranger pour dix millions. Si vous êtes carrément malhonnêtes, alors grâce à la concussion, au trafic, à la transformation magique du bien public en bien privé, en un temps record, tout naturellement vous deviendrez un capitaliste rouge. Est-ce cela que l’on appelle la normalisation politique ?

L’année dernière, on a assisté à une répression des voix dissidentes ou non orthodoxes, à l’intérieur du Parti communiste vietnamien. Au mois de juin, Mr Dô Trung Hiêu et M. Hoang Minh Chinh ont été arrêtés et, ensuite, conduits devant le tribunal. Plus tard, ce fut le tour de Thich Quang Dô et d’un certain nombre de mouvements comme le mouvement d’unification nationale et le mouvement pour la construction de la démocratie. Au mois de décembre, ce furent les arrestation de Ha Si Phu et de Lê Hông Ha. Pouvez-vous nous donner votre opinion à ce sujet?

A vrai dire, cette répression n’est que relative. Prenons par exemple le cas du procès de M. Hoang Minh Chinh et de M. Lê Hông Ha. Laissant totalement ignorer que Hoang Minh Chinh avait été interné de nombreuses années sur l’ordre du Parti sans jamais être jugé en fonction du droit, voilà qu’on le traduit avec M. Dô Trung Hiêu, devant le tribunal pour un procès où, selon le titre tout à fait bizarre du journal “Saigon Giai Phong”Hanoi a puni sévèrement ceux qui abusent de la liberté démocratiqueEn fait rien n’a été éclairé. Pour ce qui concerne le crime qui consiste à abuser de la liberté démocratique, on peut être tranquille: chaque fois qu’il est déclaré qu’il y a abus de quelque chose, sans même ouvrir les yeux, on peut être sûr que cette chose n’existe pas où qu’elle est tout à fait rare. Lorsque on accuse quelqu’un d’abuser de la liberté religieuse, c’est parce que cette liberté n’existe pas. Voilà maintenant que l’on nous parle d’abus de la liberté démocratique! A-t-on déjà entendu dire qu’en France, par exemple, quelqu’un ait été accusé d’abuser de la liberté religieuse, ou de la liberté démocratique.

En revanche, y a-t-il quelque chose de plus réel que le Parti communiste vietnamien? Y a-t-il un droit plus certain que la liberté dont seul le Parti peut bénéficier? Cette liberté est immense: elle n’est pas à côté de la loi, mais au dessus d’elle (l’autorité du Parti n’est limitée ni par la loi ni par un quelconque tribunal). Pour cela, sans doute, il n’a jamais existé de crime qui consisterait à abuser du parti Communiste, ou abuser de la liberté du Parti? Au contraire, cette liberté réservée au seul Parti est tellement vaste qu’aussi largement que l’on s’en serve, jamais on ne peut être accusé d’en avoir abusé.

Par ailleurs les deux condamnations à 15 et 12 mois de prison, pour parler franchement, ne peuvent être appelées un châtiment sévère. Cependant, quand on n’arrêterait les citoyens qu’une demi-heure, si c’est à cause d’une simple divergence d’opinion, ce serait déjà une violation de la dignité humaine. Mais ces deux condamnations témoignent de l’impasse à laquelle on est parvenu. Il n’y a désormais plus de rideau de fer, plus de rideau de bambou. Le monde entier regarde et l’on ne peut plus interner les gens indéfiniment, selon son bon plaisir. Il faut conduire les prévenus devant le tribunal. Des jugements trop sévères de la part de celui-ci ne pourraient être acceptés. La condamnation minimale reste donc la meilleure solution.

Quant à l’arrestation de Ha Si Phu et de Lê Hông Ha récemment?

En arrêtant Ha Si Phu et Lê Hông Ha, les autorités ont inconsciemment reconnu et mis en valeur un fait. L’année 1995 représente un saut qualitatif dans le processus de lutte pour la liberté démocratique. Pour la journée mondiale de la liberté de la presse, j’avais commenté les paroles du secrétaire général Dô Muoi, qui se plaignait ainsi: Pourquoi restons nous tranquilles et passifs devant les coups qui s’abattent sur nous depuis plusieurs annéesJ’avais décrit la situation qui faisait geindre notre secrétaire: “Il ne s’agit seulement que de quelques intellectuels: “Phan Dinh Diêu, Ha Si Phu, Lu Phuong, Hô Hiêu, Thanh Giang” (1). Mais pour l’année 1995, il n’est plus seulement question de quelques intellectuels, ce n’est plus seulement Nguyên Hô ou Hoang Minh Chinh comme les années prédentes. Au mois de décembre 1994, il y a eu M. Ngô Thuc avec son intervention au cours d’une réunion convoquée par le secrétariat du Parti, M. Lê Gian avec sa lettre envoyée au Bureau politique. Le 3 janvier 1995, c’était le tour du général Trân Dô qui lui aussi envoyait une lettre au Bureau politique et au bureau exécutif du Comité central. Le 3 février 1995, c’était la lettre de M. Nguyên Trung Thanh, ancien responsable de la sécurité du Parti, exigeant que soit révisée la condamnation des révisionnistes. Tout de suite après, à propos de la même affaire, ont été connues les lettres de Phan Quê Duong, de Lê Giang, de Phung Van My, Nguyên Tiên Duc … sans parler des exposés critiques de Nguyên Thanh Giang, Nguyên Kiên Giang, Doan Quôc Dang Long. L’un après l’autre, tous ces vénérables membres du Parti, abandonnent leur cannes, ne supportant pas une vieillesse “normalisée”, acceptent d’évoluer pacifiquement eux-mêmes, pou avoir ainsi l’occasion de redonner une nouvelle jeunesse à leur peuple et à eux mêmes. Leur liste ne cesse de s’allonger.

On voit donc que la répression ne mène à rien. (Dans ma cour, un pêcher vient de se dépouiller de toutes ses feuilles, mais il ne mourra pas. Il fleurira à nouveau pour accueillir le nouvel an. C’est ainsi que font tous les arbres fruitiers. Un branche coupée donne naissance à une dizaine de jeunes branches et à des centaines de feuilles).

L’arrestation de Ha Si Phu et de Lê Hông Ha témoigne d’une capitulation dans le combat idéologique pour lequel Do Muoi voulait mobiliser les consciences. En réalité, dans son intervention du début du mois de février 1993 (2), le secrétaire général se contentait d’appeler les cadres de la recherche, les politiciens, les hommes de lettres à prendre l’attitude qui convenait, à élever la voix pour faire face à quelques hommes, quelques citoyens qui ne possédaient rien d’autre que leur réflexion, leur voix et leur signature. Voilà qui était clair (relativement) et correct. Mais deux ans plus tard, parmi les dizaines de milliers de cadres de la recherche, de politiciens, d’hommes de lettres recevant leurs émoluments de l’Etat, aucune voix ne s’est élevée, aucune attitude convenable ne s’est dessinée. Il a fallu employer la violence à la place de la discussion, les menottes n° 8 (3) à la place de la littérature. C’est pitoyable, mais pas pour Ha Si Phu, Lê Hong Ha et tous ceux qui leur ressemblent.

Les voix de la juste cause et de la générosité ne se sont pas éteintes pour cela. Le livre “Ecrits pour ma mère et pour l’Assemblée nationale” du vénérable membre du Parti Nguyên Van Train est véritablement représentatif de ce moment de notre histoire. Au Vietnam, tout le monde cherche à le lire après l’arrestation de Ha Si Phu et de Lê Hông Ha. A l’étranger, dit-on, on s’est arraché 2 000 exemplaires de ce livre de plus de 500 pages. Un certain groupe de travail du Parti a écrit des dizaines de pages de critique du livre, ce qui constitue pour lui une publicité des plus efficaces.

Nous voudrions vous interroger sur un événement important, la lettre envoyée à la fin de l’année dernière par le premier ministre Vo Van Kiêt au bureau politique. Elle a été diffusée largement ..; aussi bien au Vietnam qu’à l’étranger. Quelle est votre appréciation à ce sujet et comment jugez vous les idées qui se dégagent de cette lettre?

En premier lieu, je réponds que je m’abstiendrai d’exprimer mon opinion au sujet des conceptions exprimées dans cette lettre. La seule chose importante à affirmer à son sujet, est que l’on n’a jamais diffusé un quelconque texte qui puisse être appelé un document secret de l’Etat (4). Ainsi, sur l’ordre d’arrestation de Ha Si Phu, celui que l’on a transmis à son épouse, il lui était fait grief de s’être approprié un document secret d’Etat. Ha Si Phu ne disposait ni de l’autorité d’un souverain, ni du pouvoir magique de Tôn Ngô Không pour s’en emparer. De plus, en fin de compte, chacun a pu s’apercevoir que le document en question était en fait une intervention de Vo Van Kiêt devant le bureau politique du Parti communiste vietnamien. Il y a parlé en qualité de membre du Parti. Il ne s’agit donc pas d’un rapport du chef du gouvernement devant un organe dirigeant de l’Etat. Il s’agit tout au plus d’un document secret du Parti! Pourquoi l’appeler document secret de l’Etat. Ayant tellement l’habitude de s’assimiler à l’Etat, le Parti communiste vietnamien considère ses secrets particuliers comme des secrets d’Etat.

Il n’existe aucune loi pour protéger les secrets des partis politiques sinon celles qui protègent les secrets des individus ou des personnes morales. Ecouter en cachette, comme le fit Nixon autrefois, est illégal. Révéler un secret professionnel comme vient de le faire le médecin de feu le président Mitterrand s’oppose à la fois à la loi et à la morale. Quel est le parti de gauche, en France par exemple, qui a été accusé d’avoir livré à la connaissance du public, les secrets de cuisine … de la politique intérieure d’un parti de droite!

On peut même remarquer qu’en ce domaine, le Parti communiste vietnamien est plus lent que l’Eglise catholique qui a compris depuis trente ans. A la fin du siècle dernier, le premier concile du Vatican observait encore le secret. Dès la première session du concile Vatican II, les seules attaques du journaliste Henri Fesquet ont fait en sorte que le Saint-Siège a rapidement compris que, à l’époque des moyens de communication de masse, il n’était plus possible de faire débatte ensemble plus de 2 000 personnes en gardant le secret. Depuis, personne n’a plus parlé de secret du Concile, impossible à tenir même en menaçant de l’enfer les évêques participants. Or, un Parti de deux millions de membres utilise encore de grands mots pour qualifier les documents secrets du parti! Il s’agit tout au plus de ce que les Français appellent le secret de Polichinelle (5).

Finalement, il ne sert à rien de lire la plupart des documents de ce type que l’on nous invite à lire. (NDLR -L’auteur ajoute que ces projets de rapports ne diffèrent guère de ceux qui seront donnés à lire aux délégués lors du congrès. Personne ne les lit vraiment, c’est pourquoi on les abandonne n’importe où).

Dans seulement quelques mois, le Parti communiste vietnamien organisera son huitième Congrès. Pour quelqu’un dont la pensée est aussi indépendante que la vôtre, qu’attendre de ce congrès?

Chaque nouveau Congrès du parti est une nouvelle occasion de faire progresser d’un pas le processus d’évolution pacifique au sein même du Parti. Qu’on le veuille ou non, on ne peut l’éviter. Qu’on le veuille ou non, cette évolution est liée au processus général de libéralisation et de démocratisation. Pour parler comme la secte des marxistes-léninistes, il s’agit là d’une loi historique.

Cela peut être vérifié dans l’histoire du Parti communiste soviétique. Du temps de Lénine, les Congrès du Parti étaient convoqués tous les ans. Sous le règne de Staline, il en était tout autrement. Ensuite, entre le 14ème Congrès de 1925 et le 15ème, l’intervalle fut de deux ans. Il fut ensuite de trois, de quatre, cinq ans, puis de 13 ans entre le 18ème en 1939 et le 19ème en 1952. Le nombre des “plenum” diminua lui aussi peu à peu. Mais, seulement trois ans après la mort de Staline en 1956 eut lieu le 20ème congrès au cours duquel éclata d’une façon inattendue et à la dernière minute, la bombe du rapport Kroutchev sur “le culte de la personnalité”. Ensuite, les congrès, les “plenum” réguliers ou extraordinaires se succédèrent sans discontinuer, permettant aux dirigeants suprêmes de se pousser les uns les autres à leur guise, de s’associer en bandes et en tendances pour s’écarter les uns les autres ou tout simplement s’éliminer comme ce fut le cas pour Béria. L’époque glaciaire de Staline était pour toujours rentrée dans le passé. Brejnev retarda le mouvement quelques années à la fin des années 70. Mais cela ne représenta rien à côté des trente années où se succédèrent les Malenkov, Molotov, Béria, Kroutchev, Kaganovitch, Kossyguine, Posgornyi, Souslov. Malenkov l’avait déclaré: “Le successeur de Staline, ce ne peut être qu’un collectif uni et unanimeMais en réalité, après Staline il n’y a guère eu qu’une énorme pince de crabe .. Maintenant, avec le recul du temps, nous pouvons voir que Gorbatchev n’a pas été un dirigeant d’un type inconnu jusqu’à présent et que la liquidation du Parti communiste en 1991 n’a pas été un événement survenu sans préparation. Tout un processus s’était déjà mis en marche.

Vous venez d’évoquer un processus en marche dans l’ancienne Union Soviétique … qu’en est-il pour le Vietnam?

On peut dire, que, la situation historique aidant, le Parti communiste vietnamien a gardé sa cohésion jusqu’au décès de Lê Duân. Son appareil est resté jusque là intact, conforme à ce qu’il était à l’origine, malgré la rivalité existant entre Lê Duân et Truong Chinh durant les années cinquante, malgré les différends entre les deux “Lê” (Lê Duân et Lê Duc Tho) qui donnèrent lieu à de calomnies très privées à l’intérieur du bureau politique, calomnies qui se répandirent dans l’opinion publique sur la fin de la vie de Lê Duân. Après son règne, il n’y eut plus de grandiose dirigeant. Commença alors une période de transition avec le gouvernement bicéphale de Nguyên Van Linh, secrétaire permanent et sa majesté, Truong Chinh, secrétaire général. Au sixième congrès, le triumvirat régnant se mit lui-même à la retraite: Truong Chinh, Pham van Dông et Lê Duc Tho. On peut dire que l’appareil primitif avait été plusieurs fois monté et démonté. Il n’était plus conforme à l’origine. Le 7ème congrès dut encore une fois démonter l’appareil. Un nouveau triumvirat conjugua le verbe “Je m’en vais, tu t’en vas, il s’en va, nous nous en allons ensemble”, à savoir Nguyên Van Linh, Vo Chi Công, Mai Chi Tho. Qui ose parier avec moi que ce huitième congrès n’aura pas lui aussi sa séance de démontage et de remontage de l’appareil (sauf, si l’on s’aperçoit que l’appareil est totalement détraqué; il ne restera plus alors qu’à conjuguer le verbe: “Je reste, tu restes, il reste, nous restons!).

A vrai dire, il n’est pas sûr que refaire à neuf l’appareil ne soit pas une bonne chose.Pour un parti politique ordinaire, cela peut lui apporter des forces nouvelles. Mais les Partis communistes dans le monde n’ont jamais été semblables aux autres; leur majesté et leur grandeur sont inégalables; Ainsi il n’y a eu personne d’assez grandiose pour remplacer le grandiose Staline ou le grandiose Mao Tse Tung. C’est parce que Kim Il Sung a préparé avec beaucoup de soin sa succession, qu’on a pu voir son fils devenir lui aussi dès maintenant un être grandiose comme son père.

Le citoyen vietnamien, lui qui a l’honneur d’être gouverné sans qu’il lui soit imposé de faire aucun choix, n’a pas d’autre ambition en ce qui concerne le 8ème congrès. Certes, personne n’espère vraiment qu’il sortira du congrès quelque chose comme la déclaration fondamentale du 28ème congrès du parti communiste soviétique de 1990. Cette déclaration affirmait: “Le Parti communiste soviétique décide de renoncer au monopole du pouvoir politique et idéologique … Les changements actuels exigent que nous accélérions la transformation du Parti communiste soviétique en Parti politique ordinaire

Quoi qu’il en soit, il n’existe pas de force politique qui puisse camoufler ou neutraliser la réalité

historique. Si l’on ne se plie pas à elle et que l’on s’efforce de s’y opposer, tôt ou tard, celle-ci vous déposera en marge de l’histoire. A voir le rythme accéléré de l’histoire ces temps-ci, il est probable que ce sera de bonne heure. Le déroulement du 28ème congrès soviétique qui avait pourtant préparé la déclaration fondamentale citée plus haut, a cependant été guidé par des idées et une approche conservatrices. En fin de compte, ce congrès n’a pas reconnu les réalités nouvelles apparues dans la société et a poursuivi la tradition bolchevique consistant à ne considérer les processus sociaux qu’à travers la vision idéologique et non pas dans la lumière propre de ces processus. Cela n’a pas empêché les réalités sociales nouvellement apparues de poursuivre leurs développement: nous savons tous ce qui s’est passé l’année qui a suivi le congrès, en 1991.