Eglises d'Asie

FEMINISTES : LES NOUVEAUX MISSIONNAIRES

Publié le 18/03/2010




Le féminisme occidental, exporté en Inde et dans beaucoup d’autres pays du tiers monde depuis quelques décennies, a amené avec lui de sérieux problèmes. Ce n’est pas tellement que nous ne savons pas qu’en faire car le sens de la féminité et la dignité des femmes ne nous sont pas étrangers. En fait, la femme indienne possède une histoire d’affirmation de soi plus ancienne que la femme occidentale, ainsi que la tradition bien établie de faire une place aux femmes que leurs aspirations portent en dehors des stéréotypes et des chemins habituels. C’est plutôt que le féminisme a agi comme un instrument de l’impérialisme culturel. Dans sa forme indienne, il a occulté un certain nombre de questions et utilisé des tactiques erronées plutôt qu’il n’a agi comme force de libération.

Beaucoup d’idéologies en provenance de l’Occident fonctionnent sous la forme du prosélytisme. Leur hypothèse de base est que tous ceux qui refusent de se convertir sont englués dans l’ignorance ou la stupidité. Les féministes occidentaux déploient un zèle que l’on peut qualifier de missionnaire : ils veulent sauver des âmes et ont tendance, sinon à montrer du mépris ou de l’hostilité, du moins à manifester une compassion condescendante à l’égard de ceux qui ne sont pas encore convertis.

Par exemple, la plupart des féministes, occidentaux et indiens, réagissent de manière hostile à mon refus d’être étiquetée comme telle. J’ai mis longtemps à en comprendre la raison : quiconque refuse d’être compté parmi les convertis semble nier le principe même du féminisme selon lequel celui-ci aurait valeur universelle, serait un état supérieur de l’existence, et seuls les féministes seraient les défenseurs des droits des femmes.

Personnellement, je trouve qu’on peut éviter le fardeau attaché à ce terme de ‘féminisme’. Il ne signifie rien pour la plupart des Indiens. Ni l’histoire du féminisme, ni son symbolisme n’éveillent quelque résonnance que ce soit chez la majorité des femmes indiennes.

Etant les produits d’une culture plus homogène, la plupart des féministes occidentaux tiennent pour acquis que les aspirations des femmes à travers le monde doivent être similaires. Pourtant, l’idée que se fait une personne d’une vie bonne et de ses aspirations est étroitement liée aux valeurs qui ont du prix dans sa société particulière. Ceci s’applique aussi au féminisme lui-même. Etant un avatar de l’individualisme et du libéralisme, le féminisme présume que chaque individu est d’abord responsable vis-à-vis de lui-même. En même temps, la plupart des féministes considèrent l’Etat comme l’agent vital de la protection de leurs droits individuels. Cette vision a servi à atomiser les sociétés occidentales, laissant les gens sous la seule autorité et le seul soutien de l’Etat (pas même celui de leur famille), pour la protection de leurs droits quand ils sont violés par les autres.

Dans des sociétés comme l’Inde, la plupart d’entre nous trouvent difficile de s’aligner sur cet individualisme extrême. Par exemple, la plupart des femmes indiennes ne veulent pas affirmer leurs droits d’une manière qui les excluerait non pas simplement de leur famille mais aussi de la communauté plus large dans laquelle elles vivent. Elle veulent s’assurer que leurs droits sont respectés et reconnus par leur famille et préfèrent éviter de les affirmer d’une manière qui les isolerait.

Il ne s’agit pas d’esclavage par rapport au milieu social. C’est plutôt que beaucoup d’entre nous croient que la vie n’a pas beaucoup de valeur si les proches que nous aimons n’honorent pas et ne célèbrent pas nos droits, si notre liberté nous coupe des autres. Dans notre culture, on enseigne aux femmes comme aux hommes à placer les intérêts de la famille au-dessus des leurs propres. La plupart des féministes considèrent que cette vision du monde est le produit d’un déficit d’estime de soi.

En dehors des questions culturelles, ma réserve la plus fondamentale par rapport au féminisme est due au fait qu’il a renforcé, dans les élites indiennes éduquées à l’occidentale, une tendance à adopter la voie autoritaire et étatique vers la réforme sociale. La réponse caractéristique des féministes à la plupart des questions sociales affectant les femmes sur les lieux de travail, dans les médias, dans les familles, est d’exiger de plus en plus de lois strictes. Dans la plupart des cas, le résultat en est que la vie des femmes ne s’en trouve pas améliorée mais qu’une législation, vicieuse et dommageable, met davantage de pouvoirs arbitraires dans les mains de la police et du gouvernement, pouvoirs qui sont habituellement utilisés de manière abusive.

La plus grande partie des énergies féministes est gaspillée en appels au gouvernement pour qu’il impose les réformes sociales qu’ils proposent. Mais des normes culturelles profondément enracinées et acceptées ne peuvent pas changer simplement en utilisant les instruments de répression de l’Etat et les sanctions légales. La réforme sociale est une chose trop complexe et importante pour être laissée à la police et aux tribunaux. Les meilleures lois sont vouées à l’échec si l’opinion publique leur est contraire. Par conséquent, la voie étatique, consistant à utiliser la législation comme substitut pour la création d’un nouveau consensus social sur les droits des femmes, est une impasse.

Le problème fondamental du féminisme du tiers monde est qu’il est largement dirigé vers l’Occident. La plupart des organisations féministes de l’Inde et d’autres pays en voie de développement dépendent d’agences de financement occidentales et doivent d’abord leur rendre des comptes plutôt qu’à la société qu’elles sont supposées servir. Leurs priorités et leur ordre du jour peuvent changer d’une année sur l’autre selon la disponibilité des fonds. Si les Nations Unies déclaraient que l’an prochain était l’année de l’enfant de sexe féminin, tout le monde s’affairerait immédiatement à organiser des séminaires, à écrire des articles, à faire de la recherche, à tourner des films sur l’enfant de sexe féminin. Si l’année suivante est déclarée année des médias, tout le monde oubliera l’enfant de sexe féminin et l’accent se déplacera vers la représentation des femmes dans les médias.

La même chose se passe dans le monde intellectuel. Du structuralisme au post-modernisme en passant par le déconstructionnisme, l’aiguille de la boussole change sans cesse de direction selon ce qui amène des finances, des emplois et de la reconnaissance. Ceci se passe au moment même où les féministes se donnent un vocabulaire tellement ésotérique que la plupart des femmes ordinaires n’y comprennent rien. Ceci conduit évidemment le féminisme à l’inadéquation.