Eglises d'Asie

L’EGLISE INDIENNE FACE AU COMMUNALISME HINDOU ATTITUDES ET REPONSES

Publié le 18/03/2010




Depuis le 16 mai 1996, le premier parti politique de l’Inde, la plus grande démocratie du monde, est un parti communaliste hindou, le BJP (1). Cette montée du BJP au parlement marque une étape importante dans l’histoire de l’Inde indépendante, connue pour sa neutralité bienveillante envers toutes les religions, car ce parti affirme vouloir bâtir un hindu-rashtra, une nation hindoue, fondée sur l’idéologie du hindutva (1) telle qu’elle est définie par les théoriciens du RSS (Rashtriya Swayamsevak Sangh, association des volontaires au service de la nation, que l’on l’appelle aussi le Sangh) (2). Même si Adal Bihari Vajpayee, éphémère premier ministre, est considéré comme un “modéré”, il ne peut pas efficacement appliquer une politique tolérante vis-à-vis des religions non hindoues car le BJP est contrôlé par le RSS. Il s’est avéré impossible pour le BJP, en raison de l’absence de majorité dans la Chambre basse du parlement, de former un gouvernement durable. Pourtant, étant la plus grande formation politique représentée à l’Assemblée, ses opinions auront un impact décisif dans la politique indienne de demain. Dans ce contexte, il est intéressant d’observer comment les chrétiens réagissent vis-à-vis des communalistes hindous. L’objet de cet article est de présenter les attitudes et les réponses diverses de l’Eglise vis-à-vis du RSS, noyau dur du communalisme hindou, ainsi que de ses revendications vis-à-vis des chrétiens.

En ce qui concerne les attitudes de l’Eglise vis-à-vis des communalistes hindous notre hypothèse est de dire qu’il n’ y a pas d’unanimité chez les responsables de l’Eglise ni sur leur perception de ces mouvements ni sur la manière de réagir à leur égard. Parmi les responsables ecclésiastiques, il y a une minorité qui a des comportements de nature exclusiviste, une majorité modérée importante, et une autre minorité non négligeable qui a une attitude ouverte à l’égard des militants du hindutva.

Pour comprendre les attitudes des catholiques vis-à-vis des communalistes hindous nous procéderons de la façon suivante. Dans un premier temps nous allons décrire les impressions générales que les catholiques ont du RSS. Dans un deuxième temps, nous expliquerons à la fois comment l’Eglise réagit actuellement envers les progrès du RSS et comment elle envisage d’agir face au RSS à l’avenir. Ensuite, nous analyserons les prises de positions de l’Eglise sur un certain nombre de demandes faites par le RSS envers elle : renoncer aux alliances étrangères, renoncer aux droits des minorités, s’intégrer dans la culture hindoue, ne pas convertir les hindous au christianisme. Enfin nous verrons l’impact causé par l’idéologie du hindutva chez les théologiens indiens: comment ils reformulent les concepts théologiques en prenant conscience de la montée en puissance des communalistes hindous.

Cette étude est fondée sur les nombreuses interviews que j’ai réalisées auprès de responsables de l’Eglise, sur les réactions des membres de l’Eglise publiées dans les journaux et revues d’Inde et sur les travaux faits par la Conférence épiscopale catholique indienne (Catholic Bishops’ Conference of India : CBCI). Afin de respecter l’anonymat, je ne donnerai pas le nom des personnes interviewées et je prie les lecteurs de m’en excuser. Par contre, à la fin de chaque citation d’interview, mise en italique, il y aura un code (par exemple n° 50). Ce code renvoie à une information succincte sur les personnes interviewées, à la fin de cette étude à la page 19.

I. IMPRESSIONS GENERALES DANS L’EGLISE SUR LE RSS

L’attitude d’une communauté, par rapport à une autre, se définit en partie par les concepts qu’elle formule sur l’autre. Une étude des idées que l’Eglise porte sur le RSS est révélatrice des types de réactions que l’Eglise peut avoir à l’égard RSS. Afin de comprendre comment l’Eglise perçoit le RSS, j’ai interrogé les responsables ecclésiastiques sur la question, “quelles impressions avez-vous du RSS ?” Leurs impressions du Sangh sont très variées.

Quelques responsables de l’Eglise ont donné des appréciations positives sur la discipline, l’organisation du RSS, la conviction et le patriotisme de ses membres : “Le RSS est tellement bien organisé que pendant le séisme de 1994 il est intervenu sur le terrain avant que les agences gouvernementales n’arrivent” (n° 50). “Le RSS possède quelques aspects positifs : son appel à garder les traditions, les cultures et l’intégrité du pays. Nous n’avons rien contre le RSS s’il ne travaille que pour garder les traditions de la religion hindoue” (n° 87). “C’est une organisation très disciplinée. Les militants du RSS sont des personnes convaincues et qui posèdent un grand esprit de dévouement. Il n’y a pas beaucoup de conflits interpersonnels dans le RSS” (n° 99).

La réponse de quelques autres membres de l’Eglise n’est pas aussi positive. Selon certains, c’est un mouvement dont l’Eglise doit se méfier car il comporte quelques ambiguités. Il ne fait pas ce qu’il dit : “Le RSS parle souvent de Vasudeva Kudumbakam -l’humanité entière est une famille – mais il ne pratique pas ses enseignements. S’il croit vraiment à cette théorie, il faut qu’il considère les musulmans et les chrétiens comme des membres de la famille et qu’il leur donne leur place dans la société indienne” (n° 50).

Les réponses d’autres responsables ecclésiastiques révèlent des jugements très négatifs concernant le RSS. Ainsi, l’une de ces remarques négatives est de dire que le RSS est un mouvement des hautes castes contre les basses castes hindoues, les intouchables et aborigènes. “Le hindu-rashtra sera une nation de la communauté aryenne. Les autres devront vivre en dépendance. C’est évident dans leur attitude vis-à-vis des adivasis (aborigènes). Grâce à l’influence de la culture moderne et à celle des missionnaires chrétiens, les basses castes et les aborigènes ont une certaine éducation aujourd’hui. Leurs progrès déstabilisent le système social hindou dans lequel les hautes castes jouissaient de la suprématie. C’est pour cette raison que le RSS est contre les chrétiens. Puisqu’il ne peut pas le dire, il critique les missionnaires en disant qu’ils changent la nationalité des Indiens en les convertissant. En théorie, ll ne promeut pas le système de caste mais, en pratique, il le soutient” (n° 49).

Une autre impression des membres de l’Eglise est que le RSS est un mouvement fondamentaliste ou fanatique : “C’est un groupe fondamentaliste qui essaie d’amener les Indiens sous la domination d’une culture et d’une religion monolithiques. Il identifie la culture indienne à la culture hindoue. Il pense que la religion nationale doit être l’hindouisme. Toutes ses activités montrent qu’il est contre le sécularisme, la valeur la plus sacrée de la Constitution indienne” (n° 77).

Enfin, les leaders de l’Eglise considèrent le RSS comme un mouvement anti-chrétien : “Pendant les élections, les cibles du RSS sont les missionnaires et les institutions de l’Eglise. Le RSS fonde une shakha ou un temple près d’une église et cherche ensuite à obtenir une route pour y aller en traversant le territoire de l’église. Ainsi le RSS utilise tous les moyens pour entrer en conflit avec les chrétiens” (n° 59).

Concluons ce point en disant ceci : les impressions que les responsables de l’Eglise se font du RSS révèlent des attitudes différentes. Quelques uns, tout en critiquant le RSS, apprécient ses qualités. Cela révèle une attitude ouverte. Mais la grande majorité d’entre eux ne

parlent que du côté négatif. Qu’est-ce-que cela signifie ? Sont-ils tous communalistes ? Je ne le pense pas. Ils ne parlent que du côté négatif du RSS probablement parce que leurs expériences ont été plutôt négatives. Pourtant, le fait de ne pas voir le bon côté du RSS montre qu’ils ont une perception étroite du RSS.

II. LES REACTIONS DE L’EGLISE ENVERS LE RSS

Un autre moyen d’étudier les attitudes de l’Eglise vis-à-vis du RSS est d’analyser ses diverses réactions envers le RSS. Ici, nous verrons à la fois comment elle réagit actuellement et comment elle envisage d’agir dans l’avenir. Nous nous appuyons sur les réponses données par les leaders de l’Eglise à deux questions : “qu’avez-vous fait en apprenant les progrès du RSS et “quel type de réaction doit avoir l’Eglise vis-à-vis du RSS Parmi les diverses réactions que nous constatons chez les membres de l’Eglise, voici les plus importantes. Nous omettons celle qui concerne l’inculturation dont nous traiterons plus loin.

La soumission : face à la montée en puissance des forces communalistes hindoues, il semble que quelques membres de l’Eglise ont répondu en se soumettant à leurs exigences. Des responsables de l’Eglise s’en plaignent. Ils disent que, par souci de faire plaisir au RSS, quelques missionnaires ont renoncé à leur mission de proclamation directe de l’Evangile aboutissant à la conversion : “L’une des réponses de l’Eglise est de s’adapter aux revendications du RSS. Beaucoup de missionnaires s’engagent dans les activités qui ne concernent que la promotion humaine. Ils ont perdu l’esprit missionnaire : proclamer l’Evangile. Certains se contentent de trouver refuge dans le dialogue. D’autres sont soucieux de l’adaptation. En fait, le christianisme a porté un défi à l’hindouisme et l’hindouisme a réagi. Le christianisme répond à cette réaction par la soumission” (n° 49).

La résignation (le choix de ne pas réagir) : plusieurs responsables ecclésiastiques (14 sur 40) ont remarqué que “l’Eglise continue son travail comme si le RSS n’existait pas”. Cette résignation n’est pas due au hasard, elle s’explique par plusieurs raisons. La première est que l’Eglise ne prend pas le RSS au sérieux : “Le RSS a l’intention de détruire le christianisme en Inde, mais l’Eglise n’a pas encore pris ce défi au sérieux” (n° 81). Mais il y a d’autres raisons qui me semblent plus importantes. L’une consiste à dire que l’Eglise a peur du RSS : “Nous avons peur du RSS car nous craignons qu’il paralyse la chrétienté et la détruise. Les chrétiens sont en minorité sauf au Kerala, à Goa et dans la région de Chottanagpur; le RSS peut tenter de les détruire là où ils sont minoritaires” (n° 85).

Une autre raison non négligeable est que l’Eglise n’est pas unanime dans le choix des stratégies pour faire face au RSS : “Le malheur de l’Eglise indienne c’est qu’il n’y a aucune unanimité sur ‘le comment procéder’ dans le domaine de l’évangélisation en prenant en compte les demandes du RSS” (n° 49).

Enfin, une autre raison est que l’Eglise préfère éviter les conflits et échapper aux critiques du RSS : “L’Eglise n’a jamais osé affronter le RSS et elle a évité les conflits. Le RSS essaie d’exciter les chrétiens. Parfois, pendant nos fêtes liturgiques, le RSS fait du bruit et provoque des conflits. Si nous nous opposons à eux il y aura forcément violences et morts et cela permettra au RSS de critiquer les chrétiens et de les dire anti-nationaux” (n° 43).

Ce refus de la violence est normal, dit une personne, car les valeurs évangéliques ne la permettent pas : “L’Eglise est au courant de ce que le RSS fait contre elle. Mais nous laissons l’impression que Dieu veillera sur son peuple. Les valeurs évangéliques ne permettent pas à l’Eglise de fonder une organisation paramilitaire comme celle du RSS” (n° 89).

Mais à l’avenir, les responsables de l’Eglise ne veulent pas continuer cette politique de résignation. En posant à 47 personnes la question “comment les responsables ecclésiaux pensent-ils réagir dans l’avenir vis-à-vis du RSS tous affirment la nécessité de faire face au RSS sans en avoir peur mais en étant prudent : “Les fonctionnaires gouvernementaux disent souvent qu’ils sont mal informés sur les difficultés rencontrées par les chrétiens du fait des provocations du RSS. Ils prennent leurs décisions d’après les informations reçues du RSS. Le silence n’est donc pas bon. Il faut faire connaître au public ce que nous faisons et leur dire pourquoi nous le faisons sans avoir peur des menaces du RSS” (n° 58).

Le dialogue avec les hindous et en particulier avec le RSS : la réaction actuelle de l’Eglise se traduit par l’effort fait en vue de créer des rapports d’amitié et de dialogue avec le RSS: “Nous avons essayé d’être amicaux avec les membres du RSS. Nous organisons des réunions de prières avec eux. Les hindous aussi nous invitent pour leurs fêtes. Nous avons ouvert plusieurs centres de dialogue et cela ouvre des horizons d’échanges entre chrétiens et hindous, y compris le Sangh. Il y a des publications comme ‘Dharma Bharati’, qui a été fondée par John Saccidananda à Indore, qui forment les jeunes au dialogue inter-religieux, pour la paix et l’harmonie” (n° 47).

Parmi les personnes interviewées, toutes parlent de la nécessité du dialogue comme moyen de faire face au RSS dans l’avenir. Selon quelques responsables, le RSS est une réaction aux erreurs de comportement de l’Eglise à l’égard de l’hindouisme, et donc l’initiative prise par l’Eglise de dialoguer avec lui changera son rapport avec l’Eglise : “Les chrétiens et les musulmans apportent de l’argent des pays étrangers et fondent des institutions dans le pays. Cela peut créer un sentiment de peur dans le RSS et c’est ainsi que nous avons contribué à le pousser au fanatisme. Pour notre part, nous ne devons pas avoir une attitude de condamnation et de jugement. Nous devons reconnaître ses droits et soutenir les bons côtés de ses activités. Il faut multiplier les contacts avec le RSS par le dialogue” (n° 88).

D’autres responsables pensent que la raison principale de l’animosité du RSS vis-à-vis de l’Eglise est due à des préjugés. Il s’agit donc d’éliminer ces préjugés par le dialogue. D’après Mgr Patrick D’Souza, ceux qui sont considérés comme fondamentalistes hindous sont souvent très ignorants de l’Eglise. Ils considèrent tout ce qui est différent des coutumes hindoues comme étranger. Les fêtes, les sacrements, les rituels et les lois chrétiennes du mariage sont différents de ceux des hindous. Ces différences sont vécues par les communalistes hindous comme étrangères. Le dialogue les aidera à mieux comprendre et à mieux tolérer ces différences (2).

D’autres encore veulent entamer le dialogue avec le RSS car ils souhaitent le prendre comme partenaire légitime afin de travailler dans la société indienne : “Acceptons le RSS comme partenaire religieux qui essaie de protéger la foi hindoue lorsqu’elle est menacée. Cela fait partie de la reconnaissance de l’autre dans ses différences. Si l’Eglise possède l’honnêteté, l’ouverture, l’humilité, et une perspective correcte de la vérité, elle sera capable de considérer les membres du RSS comme des frères ou des collègues et de travailler avec eux pour le pays” (n° 79). Ceux qui veulent travailler avec le RSS en tant que partenaires religieux indiquent que la façon dont le dialogue est mené par l’Eglise n’est pas idéale : “L’Eglise catholique n’a pas le droit d’utiliser le mot dialogue. C’était un mot innocent dans le passé. A présent il a perdu son sens. Le dialogue est une discussion ouverte et on ne peut pas prophétiser sur ce que sera le résultat du dialogue. On ne contrôle pas le dialogue. Les hindous ne prennent pas aujourd’hui notre dialogue au sérieux car nous ne respectons pas les règles du jeu d’un véritable dialogue” (n° 79). Dans un véritable dialogue il n’ y a pas de place pour le langage exclusif, rappelle un autre responsable de l’Eglise : “Le langage chrétien, qui vient d’une conception linéaire du temps où le Christ est le centre de l’histoire, peut gêner les hindous pour lesquels le concept de temps est cyclique. Dans ‘Redemptoris Missio’, l’article 56 dit: ‘L’Eglise seule possède la plénitude des moyens de salut’. Ce langage de l’Ouest peut paraître en Inde et en Orient comme l’expression d’un sentiment de supériorité. Nous pouvons dire que nous possédons Dieu mais aussi que Dieu nous possède. Lorsque je prie avec les hindous, j’utiliserai le langage mystique adapté à leur culture. Lorsque je prierai avec les musulmans, je nommerai Dieu comme créateur. J’utilise un langage susceptible de produire des vibrations divines dans les autres cultures. Ainsi, je ne suis pas infidèle à la doctrine de l’Eglise” (n° 80).

Mais des responsables sont inquiets face à ce type de dialogue qui, à leurs avis, refuse le travail d’annonce explicite du christianisme. Par exemple, Mgr Patrick D’Souza dit : “Quelques-uns pensent que dans un pays comme l’Inde le seul devoir de l’Eglise est le dialogue interreligieux. Cette idée rassemble ceux qui pensent que le seul devoir de l’Eglise se situe dans les services sociaux et le développement des peuples. Le dialogue interreligieux est une partie intégrante des activités de l’Eglise mais il n’en est pas la seule” (1).

Ces responsables ecclésiaux pensent qu’il existe quelque chose d’unique dans le christianisme et que cela doit être proclamé face au RSS : “Par exemple, moi j’essaie d’expliquer qu’il y a quelque chose de nouveau dans le christianisme : l’amour miséricordieux de Dieu, le pardon de Dieu. La religion hindoue ne possède rien qui ressemble à la mort rédemptrice du Christ. Je dis que chaque religion doit continuer à proclamer sa vérité sinon elle ne pourra pas survivre. Dans un pays comme l’Inde, où il y a beaucoup d’inégalités il faut dire que le système de caste est mauvais” (n° 49). Concluons ce point en disant qu’il n’y a pas d’unanimité au sein de l’Eglise sur la façon dont elle peut mener un dialogue avec le RSS : un groupe, ayant le souci de considérer le RSS comme partenaire légitime pour travailler dans le pays, refuse des idées déjà fixées sur les sujets qui ennuieraient le RSS et évite le langage exclusif en ce qui concerne l’unicité du christianisme alors qu’un autre groupe veut démontrer la singularité du christianisme face à l’hindouisme et renonce à laisser de côté le souci de la conversion.

La contre-attaque apologétique : la réponse de l’Eglise dépasse parfois le simple dialogue. Il s’agit alors de critiquer le RSS et ses activités tout en défendant les prises de position de l’Eglise dans tel ou tel domaine. Cela ne se fait ni sous forme communaliste ni sous forme dialogale. J’appelle ce type de réaction “attaque apologétiqueCe type de réaction est visible dans les discours de différents responsables ecclésiaux sur des sujets très variés. Lorsque P. Parameshvaran, l’un des théoriciens du RSS au Kerala, a publié le livre “Marxilninne MaharshiyilèkkeA. Adappoor, S.J., en a fait une critique dans un hebdomadaire chrétien en soulignant les points faibles des thèses de Parameshvaran et en défendant en même temps l’Eglise et ses activités contre ses accusations. Voici les remarques les plus importantes qu’il fait: “Parameshvaran a eu tort de présenter l’Inde comme un pays de valeurs morales et de spiritualité et les pays européens comme des pays d’immoralité et de matérialisme, car plusieurs pratiques religieuses mauvaises comme le sati, le sacrifice d’homme, le mariage d’enfants, ont été éliminées de la culture hindoue grâce à l’influence du christianisme” (3).

Joseph Kundukulam, archevêque de Thrissur au Kerala, donnant des informations sur les oeuvres de charité de son diocèse, montre bien que l’Eglise n’est pas communaliste et elle ne rend pas de services avec l’intention de convertir les hindous : “Récemment nous avons construit 3 000 maisons neuves et elles ont été distribuées aux pauvres. Parmi elles, 1 445 sont allouées aux hindous et aux musulmans. Or 95 % du budget a été collecté chez les catholiques. Leur avons-nous donné ces maisons en pensant qu’un jour tous ces gens-là se convertiraient au christianisme ? Non, pas du tout. A Mulayam, l’institut Damien accueille 300 malades. Parmi eux, il y a un tiers d’hindous et un tiers de musulmans, peut-on dire qu’on les soigne uniquement pour les convertir ? Près de Vadankkanchery, on a acheté un terrain de 10 hectares pour y reloger les lépreux dans 45 maisons bâties ici même. On a dépensé environ 45 000 roupies pour chacune de ces maisons. Or combien de chrétiens y a-t-il là-bas ? Un seul. En 44 ans de carrière, je n’ai jamais entretenu le “communalisme” entre hindous, chrétiens et musulmans” (3).

Télesphore Toppo, archevêque de Ranchi, se défend en expliquant que c’est le RSS qui considère l’Eglise comme une menace et non l’inverse. Les journaux pro-RSS décrivent le christianisme comme une religion étrangère et les chrétiens comme des chiens (3). Margaret Alva, ancien Ministre d’Etat dans le gouvernement central de Rao à Delhi, en s’adressant au parlement après la destruction de la mosquée d’Ayodhya, rappelle que les chrétiens n’ont pas besoin de devenir chrétiens-hindous pour devenir de véritables Indiens comme le réclame Advani, président du BJP. Du fait qu’ils sont citoyens de l’Inde ils sont patriotes et ils n’ont pas besoin de certificat supplémentaire de la part du BJP pour l’affirmer (4).

La résistance (création d’un contre-pouvoir) : Les réactions de l’Eglise vis-à-vis du RSS comportent également quelques initiatives visant à construire une force contre lui. L’une d’entre elles est d’informer le public sur les diverses activités de l’Eglise par le biais des médias et se défendre ainsi devant l’opinion publique contre les accusations du RSS: “Nous essayons d’informer les journalistes sur ce que nous faisons afin de nous défendre face aux propagandes mensongères diffusées dans le pays” (n° 84).

Un autre moyen est d’informer les autorités civiles et de faire pression sur elles afin qu’elles prennent des mesures contre le RSS : “Lorsqu’il arrive un incident d’agression contre les chrétiens dans le pays à cause du RSS, l’Eglise va demander justice auprès de la police et des gouvernements par le biais de pétitions sans recourir à la violence contre le RSS. Le CBCI fait pression auprès du premier ministre et du président pour que des mesures soient prises contre les agresseurs, en insistant sur la liberté religieuse” (n° 84).

Une autre manière de créer un contre-pouvoir face au RSS est d’alerter les communautés chrétiennes contre les agressions du Sangh : “Nous avons multiplié nos activités d’éducation : les crèches pour les enfants, les grahani (écoles pour les femmes aborigènes illettrées), le jagrang kisan pour les agriculteurs, les ‘Catholic Sabhas’ (associations paroissiales), mahila sankar (associations de femmes catholiques), etc. Ces associations surveillent la pénétration du RSS chez les peuples aborigènes” (n° 52). The Herald a publié un article dans lequel il est dit que l’évêque du Raigarh a envoyé des lettres aux prêtres de son diocèse leur demandant de constituer des comités afin d’alerter les villageois sur les diverses stratégies mises en place par le RSS pour éliminer les chrétiens aborigènes du Raigarh (4).

Enfin, les responsables ecclésiaux, en nouant des liens avec les forces séculières, politiques et sociales, luttent contre le RSS : “Les intellectuels chrétiens ont organisé partout dans le pays débats et discussions mettant en avant le sécularisme de la constitution. Par exemple, à Delhi, les instituts jésuites comme ‘Vidhya Joti’ et ‘Indian Social Institute’ (ISI) ont travaillé avec des associations comme ‘People’s Union of Civil Liberty'” (n° 82). Durant les élections nationales de mai 1990, le Union of India’ a publié un article rappelant aux chrétiens les critères de choix des candidats et les mettant en garde contre le BJP qui est contre le sécularisme et contre les droits des minorités (4).

Dans ces efforts pour créer un contre-pouvoir, quelques-uns indiquent que le travail déjà accompli par l’Eglise pour la libération des basses castes, intouchables et aborigènes est utile. Un sociologue, George Fernandez, remarque que le RSS n’est pas simplement un mouvement religieux, culturel et politique. Il est aussi un mouvement économique contre les basses castes, les intouchables et les aborigènes qui commencent à s’éveiller et à prendre leur place dans le pays. Après l’indépendance, les groupes sociaux qui ont fait des progrès économiques sont les hautes castes. Elles ont pillé les ressources naturelles grâce auxquelles vivaient les ‘scheduled castes’ (castes répertoriées) et les aborigènes. Grâce aux services des missionnaires, lorsque ces groupes défavorisés ont pris conscience de leurs droits et qu’ils se sont révoltés contre cette injustice, les hautes castes ont détourné leur attention en accusant les missionnaires chrétiens de désintégrer la société hindoue par le prosélytisme. Par ces accusations, les militants de essaient de cacher leurs intérêts économiques et politiques dans les régions occupées par les aborigènes (4). Dans ce contexte, si l’Eglise devient silencieuse en ayant peur d’être taxée de communaliste, le RSS peut réussir dans son ambition de maintenir sa domination socio-politique au nom de la sécurité nationale et de l’intégration. L’Eglise doit donc soutenir ces populations défavorisées dans leur lutte pour la justice. Leur développement créera naturellement un contre-pouvoir face au RSS.

Le communalisme : les différents modes de réaction que nous avons décrits jusqu’ici n’allaient pas dans le sens de la défense des intérêts de l’Eglise avec des moyens violents. Cela ne signifie pas que l’Eglise n’a jamais réagi aggressivement face au RSS. Dans les milieux où l’Eglise est puissante, elle n’a pas hésité parfois à jouer de sa force afin d’acquérir du prestige pour elle-même. “Ce qui a fait grandir le RSS au Kerala est le problème de Nilakal (4). Dans cette affaire, l’Eglise est entrée en conflit avec les hindous sur un problème qui n’a pas beaucoup de fondement historique et ses comportements étaient plutôt d’ordre communaliste. A cela, le RSS a alors rétorqué de façon communaliste” (n° 90). “J’ai récupéré une feuille, des mains de chrétiens du Madhya Pradesh, qui détaille des stratégies qui auraient été adoptées par le RSS contre les chrétiens au mois de janvier 1986. La distribution d’une telle feuille peut conduire les chrétiens à s’engager dans des conflits avec le RSSLe 11ème congrès de Theological Association, en 1987, à Bangalore, constate que des chrétiens agissent parfois de façon fanatique et provoquent ainsi le RSS. Par exemple, des chrétiens écrivent sur les murs des maisons de membres du RSS : “Le Christ est le seul chemin de salut pour tous” en soulignant “tous” (4).

L’auto-évangélisation : si, d’un côté, le RSS a forcé parfois l’Eglise à être communaliste, il a contribué, d’un autre côté, à la transformation interne de l’Eglise. La foi des chrétiens s’est approfondie et des liens se sont noués parmi eux: “Les agressions du RSS ont également des effets bénéfiques pour l’Eglise. La foi des chrétiens est devenue plus solide. Les chrétiens pensent sérieusement à leur vocation. Comme le RSS essaie de détruire l’identité des aborigènes, les ethnies chrétiennes et non chrétiennes se rapprochent pour préserver leur identité aborigène dans le domaine culturel, linguistique et social” (n° 59). Lorsque Sr. Rani Maria (F.C.C.) a été assassinée par quelques communalistes hindous le 25 février 1995, à Udainagar, Mgr Anathil, évêque d’Indore, en a informé toutes les autorités ecclésiales et des milliers de chrétiens et de non-chrétiens se sont rassemblés pour protester contre une telle agression. Cela a développé la communion entre les chrétiens des environs et leur a donné envie de continuer leur mission auprès des pauvres avec beaucoup de courage et de zèle (4).

Avant de clore ce point faisons quelques remarques :

a) Les efforts entrepris par l’Eglise dans le domaine du dialogue, de la création d’un contre-pouvoir, des discours apologétiques, etc. indiquent que, bien que l’Eglise n’ait pas eu de stratégie unanime et officielle, plusieurs initiatives individuelles ont été prises de façon informelle dans les différentes parties du pays pour faire face au RSS.

b) Lorsqu’on analyse les approches différentes dans l’Eglise vis-à-vis du RSS, on constate des attitudes extrêmes : communalisme et soumission. Par exemple, au Kerala où l’Eglise est forte, elle a tenté une fois d’acquérir des biens de façon agressive. Par contre, dans le nord de l’Inde, beaucoup de missionnaires, sous prétexte d’intégration, ont renoncé à la proclamation directe de l’Evangile. Entre ces deux attitudes extrêmes existent d’autres attitudes positives, créatives et modérées : dialogue, contre-attaque apologétique, création d’un contre pouvoir etc.

III. LES REACTIONS DE L’EGLISE FACE AUX DEMANDES DU RSS

Un autre moyen d’étudier l’attitude de l’Eglise vis-à-vis du RSS est de comprendre ses prises de positions par rapport aux demandes du RSS. Nous analyserons ici les opinions de l’Eglise sur quatre points qui préoccupent le RSS en ce qui concerne l’Eglise : la réception par l’Eglise d’argent venu de l’étranger, les droits des minorités, l’intégration des chrétiens dans la culture hindoue, les conversions au christianisme faites par l’Eglise parmi les hindous et dans les ethnies aborigènes.

1 – L’avis des responsables ecclésiaux au sujet de la réception d’argent étranger

L’afflux d’argent étranger dans l’Eglise est un sujet de grande attention pour le RSS, non seulement parce qu’à travers cet argent les pays étrangers continuent à influencer la culture et la vie religieuse de millions d’Indiens mais aussi parce que cet argent contribue au progrès économique et politique des chrétiens dans le pays. Selon le RSS, l’Eglise travaille pour désintégrer l’identité nationale indienne avec de l’argent étranger. C’est un acte anti-patriotique et un moyen d’établir un Etat chrétien en Inde. Les responsables ecclésiaux sont conscients de l’impact de cette arrivée d’argent étranger et de l’amertume du RSS vis-à-vis de cette pratique. Etudier l’avis des responsables ecclésiaux sur ce sujet nous permettra de mieux comprendre comment ils se situent par rapport au RSS.

Il faut souligner qu’aucun responsable n’est à priori favorable à la réception permanente d’argent étranger. Pour tous, c’est un système provisoire : “L’argent étranger ne doit jouer que le rôle du démarreur dans une voiture. C’est-à-dire qu’une fois que la voiture a démarré grâce à l’argent étranger, elle doit être ravitaillée par les ressources locales. Au fur et à mesure que les communautés chrétiennes se développent, elles doivent chercher les moyens d’être autonomes dans le domaine économique” (n° 58). La vraie question est celle-ci : dans la situation actuelle, faut-il continuer ou non à accepter de l’argent ? Il y a plusieurs tendances : ceux qui l’acceptent volontiers, ceux qui l’acceptent sous certaines conditions, et ceux qui le refusent afin d’acquérir une autonomie financière totale.

Une bonne partie des personnes interviewées dans l’Eglise (17 sur 43) accepte cette pratique de réception d’argent étranger pour des raisons diverses. Selon certains, il n’y a rien de mal à recevoir de l’argent de l’étranger car l’Eglise indienne ne peut pas trouver localement les ressources financières nécessaires : “Notre région est pauvre économiquement, et la contribution des chrétiens ne serait pas suffisante pour fonder des institutions. Si nous n’avons pas d’argent, nos activités missionnaires auront moins d’impact et donc je pense que l’argent venant des pays étrangers est nécessaire” (n° 45).

D’autres légitiment une telle pratique en mettant en valeur l’interdépendance des pays dans le monde d’aujourd’hui : “Je ne suis pas contre cette pratique car l’interdépendance des différents pays du monde est une nécessité de notre époque. Les pauvres de notre pays ont le droit de recevoir de l’argent des pays étrangers” (n° 52). Selon d’autres personnes, la religion et la foi ont une dimension internationale et le partage de l’argent est donc tout à fait normal : “La religion par sa nature même est quelque chose d’international, la même foi est partagée par les peuples de différents pays. Le partage de l’argent entre les différents pays n’est qu’une expression de l’aspect international de la foi” (n° 79).

Une autre raison invoquée pour justifier la réception d’argent étranger est l’aspect de communion de la vie ecclésiale : “Si nos Eglises soeurs veulent nous aider je ne vois pas pourquoi nous devrions refuser. Les Eglises soeurs souffrent du manque de vocations et nous leur en envoyons. C’est aussi une sorte d’aide. Devons-nous les arrêter?” (n° 77).

Enfin certains responsables légitiment l’arrivée d’argent étranger en se référant à l’existence de la même pratique en dehors de l’Eglise : “Il n’y a rien de mal à recevoir de l’argent de l’étranger car le gouvernement, les ONG, les associations hindoues comme ‘Ramakrishna Mission’, y compris celles du RSS, en reçoivent” (n° 78).

Mais il faut rappeler que cette acceptation d’argent étranger n’implique pas la volonté de devenir non-patriote ou allié des pays étrangers. Ils parlent de la nécessité d’être indépendant des pays étrangers dans les domaines non économiques : “La dépendance de l’argent étranger ne doit pas nous amener à la dépendance par rapport aux idées étrangères. Lorsque l’Amérique et les autres pays européens ont bombardé l’Irak pour défendre leurs intérêts pétroliers, les chrétiens de l’Inde n’ont pas su élever leur voix contre cette injustice car ils reçoivent de l’argent de ces pays. Si nous gardons l’habitude de dire que tout ce que les Européens et les Américains font est correct en songeant à nos liens économiques avec ces pays, il y a danger” (n° 48).

Un deuxième groupe de responsables est favorable à la réception d’argent étranger mais à condition que cet argent soit utilisé de manière appropriée : “Je ne vois rien de mal à recevoir de l’argent de l’étranger si l’Eglise est transparente dans la gestion de cet argent, si la perspective missionnaire ne dévie pas de son objectif et si notre style de vie n’imite pas celui des riches” (n° 41). Trois personnes parmi celles interviewées sont prêtes à refuser cet argent si cette pratique rend l’Eglise moins patriote ou mendiante : “Mais si ce partage d’argent est fait au détriment de la culture indigène, s’il nous rend mendiants, s’il entraîne les peuples locaux à dire toujours amen aux intérêts des pays étrangers et si les pays étrangers interviennent dans nos affaires nationales, alors il faut revoir nos pratiques de réception d’argent étranger” (n° 79).

Un troisième groupe de responsables de l’Eglise refuse l’argent venu de l’étranger et se montre favorable à l’acquisition de l’autonomie financière pour diverses raisons. La première est que cet argent venu de l’étranger amoindrit l’esprit patriotique des chrétiens: “Les pays développés envoient de l’argent aux pays qui sont en train de se développer afin de créer un groupe de personnes dans ces pays qui défendront leurs intérêts particuliers. Consciemment ou pas, les peuples qui reçoivent cet argent développent une façon de penser différente de celle de leurs concitoyens” (n° 97).

Une autre raison indiquée pour ce refus d’argent étranger est que cet argent favorise les conversions pour de mauvaises raisons : “Il faut arrêter l’afflux d’argent étranger. Les hindous pauvres sont tentés de se convertir au christianisme car ils pensent que leurs enfants auront une meilleure éducation gratuite dans les écoles chrétiennes” (64).

La mise en garde contre l’argent de l’étranger vient également du fait qu’il entâche la bonne image des missionnaires et de l’Eglise chez les hindous : “A cause de l’argent que nous possédons, les hindous et les pauvres ne nous considèrent pas comme des hommes spirituels. Ils ne demandent pas d’argent aux sadhous (renonçant) hindous qui sont leurs maîtres spirituels alors qu’ils en demandent aux prêtres et aux religieuses” (60). “La plus grande partie de nos institutions chrétiennes au Kerala a été construite avec l’argent des chrétiens locaux. Mais comme nous recevons aujourd’hui de l’argent pour les faire vivre, cela donne l’impression que nos institutions sont dirigées complètement par les pays étrangers. Pourquoi devons-nous sacrifier l’image dont nous bénéficions dans le pays pour accepter de l’argent des pays étrangers ?” (n° 94).

Quelques leaders de l’Eglise veulent devenir autonomes pour ne pas effaroucher le RSS: “En utilisant cet argent nous étendons notre influence par le biais des institutions. Notre structure incarne ainsi le pouvoir étranger et c’est à cela que le RSS s’oppose. Dans plusieurs villes du Kerala, les institutions chrétiennes trônent dans les rues principales et cela est ressenti comme une menace par les hindous” (n° 91).

D’autres optent pour l’autonomie financière car ils pensent que l’Eglise indienne est capable d’être autonome dans ce domaine : “Sans argent étranger, nous n’aurons peut-être pas de grandes institutions, reflets de notre pouvoir dans la société, mais nous serons capables de réaliser des projets plus proches des gens” (n° 83).

Certains responsables de l’Eglise pensent pouvoir trouver des ressources financières en collaborant aux projets du gouvernement pour le développement, mais les opinions sont divisées ; quelques-uns sont pour et d’autres sont contre : “A la place de l’argent étranger il faut chercher maintenant l’argent du gouvernement pour nos projets de développement. Les pauvres ont le droit d’avoir cet argent et il faut que l’Eglise s’associe aux projets gouvernementaux” (n° 58). “Les gouvernements ne nous donneront pas d’argent et, pour en avoir, il faudait donner des pots-de-vin. Or, même pour aider les pauvres, l’Eglise ne peut pas participer à la corruption” (n° 42).

Finalement, vis-à-vis de la réception d’argent étranger, l’attitude des responsables ecclésiaux est tout à fait patriotique car aucun d’entre eux ne songe à la poursuivre de façon permanente. Mais il y a des différences de degré dans ce patriotisme: quelques-uns veulent à la fois utiliser l’argent et rester patriotes, d’autres sont prêts à renoncer à l’argent si cela nuit au patriotisme, et d’autres enfin veulent absolument arrêter ces rentrées d’argent étranger.

2 – Les prises de positions de l’Eglise sur les droits des minorités

Les militants du hindutva sont unanimes pour supprimer les droits des minorités. Comment les responsables ecclésiaux réagissent-ils à cela ? C’est ce que nous allons étudier, et cela nous dévoilera davantage l’attitude de l’Eglise face au RSS.

L’assemblée du CBCI de 1989 a traité la question des droits des minorités. L’intervention de Joseph Powathil, archevêque de Changanacherry, y révèle l’une des positions de l’Eglise indienne à ce sujet. Voici sa théorie sur les droits des minorités : il est injuste de traiter de la même façon la majorité et la minorité. Si les minorités doivent dépendre de la majorité pour défendre leurs droits, elles ont toutes les chances de les perdre. De la même façon, les droits des minorités sont nécessaires pour pouvoir éduquer les enfants dans les traditions et les valeurs de leurs parents. Si cette éducation n’est pas faite, l’existence des minorités est en danger. C’est pour cela qu’on a inclus l’article 30 dans la constitution (4). Les droits des minorités ne sont donc pas des privilèges dont les minorités profitent plus que la majorité (4).

Mais certains théologiens indiens s’interrogent sur la nécessité de rester attaché aux droits des minorités car ils pensent que cela fait croître la tension entre la communauté majoritaire et les minorités dans le pays. Par exemple, Subah Anand pense que si l’Eglise refuse les droits des minorités et accepte un code civil commun, elle s’intégrera mieux dans la société indienne. Selon lui, une telle démarche ecclésiale est davantage à l’image de celle de Jésus qui, pour pouvoir sauver le monde, s’est anéanti jusqu’à la mort. Ainsi l’Eglise deviendra le sel et le ferment comme Jésus l’a demandé (Mt 5, 13) (4). Selon Powathil, une telle tendance est due à l’influence du hindutva qui présente les droits des minorités comme des privilèges et non des droits. Il regrette que certains juges commencent à minimiser l’importance de l’article 30 en indiquant les articles 14 et 29 (b) (4). Selon lui, les droits des minorités sont nécessaires non seulement pour donner les mêmes chances aux minorités mais aussi pour préserver un certain pluralisme dans le domaine de l’éducation. De plus, lorsqu’il y a des manipulations du système d’éducation par des forces antichrétiennes (par exemple, l’université de Calicut a introduit dans les livres scolaires des remarques perverses sur Jésus-Christ) qui visent à dénigrer l’image du christianisme, les chrétiens ne peuvent y répondre que s’ils font recours aux droits des minorités (4).

Mais, tout en soutenant la nécessité de préserver les droits des minorités, des responsables de l’Eglise se demandent si l’Eglise n’a pas recours aux droits des minorités pour protéger exclusivement ses propres intérêts au détriment des autres communautés. Par exemple, Patrick D’Souza, évêque de Varanasi, trouve anormal que les chrétiens se réfugient derrière les droits des minorités pour échapper à leur devoir de distribution d’un salaire juste aux employés de leurs institutions (4). G. Fernandez montre que ce recours aux droits des minorités empêche parfois le changement social. En 1976, le gouvernement du Karnataka a demandé aux directeurs des écoles de son Etat de préserver un certain pourcentage de postes d’enseignants pour les “scheduled castesMais les évêques de cet Etat ont refusé une telle demande au nom des droits des minorités (1). Bosco Puthur souhaite que le combat de sauvegarde des droits des minorités ne soit pas dirigé uniquement pour les bonnes causes des chrétiens mais aussi pour celles de tous les citoyens. Cela empêcherait les chrétiens de mener une politique communaliste d’une part, et d’autre part, la lutte pour la justice et la paix serait plus efficace si on la menait en collaboration avec tous ceux qui sont opprimés même s’ils partagent d’autres croyances ou d’autres convictions (5).

En conclusion, il existe en général trois attitudes concernant les droits des minorités : un groupe qui a une vision très libérale et veut renoncer à ces droits au nom de l’intégration et du patriotisme ; un autre groupe qui veut les sauvegarder pour assurer aux minorités la possibilité d’élever leurs enfants dans leur propre identité culturelle et religieuse et pour résister aux menaces venant de la communauté majoritaire, un troisième groupe enfin qui, tout en affirmant la nécessité de protéger les droits des minorités, met en garde contre la manipulation de ces droits pour les seuls intérêts de l’Eglise.

3 – La réponse de l’Eglise à la demande d’intégration dans la culture hindoue

Intégration par patriotisme et construction d’une Inde forte : pour les responsables ecclésiaux, s’intégrer dans le pays c’est d’abord devenir patriote et indien dans la vie. Ils souhaitent que l’Eglise se transforme en communauté patriote et indienne: “Si le RSS veut, par l’intégration, que les chrétiens deviennent des fils fidèles du pays, qu’ils aient du respect pour la culture traditionnelle du ‘Bharatmata’, qui est la plus importante du pays, je suis d’accord. Nous pouvons respecter les dieux hindous et même participer aux fêtes hindoues” (n° 43). Mgr Denzil D’Souza, lors de l’assemblée de 1979 du CBCI, confirme une telle opinion, en disant qu’un patriotisme sain en vue de l’intégration nationale doit être cultivé dans les communautés chrétiennes. Elles doivent jouer un rôle unificateur en contribuant à la construction d’une Inde meilleure et celle-ci fera disparaître dans la communauté majoritaire la crainte que les chrétiens soient une menace pour l’unité et l’intégrité du pays (5).

Intégration comme inculturation : comme le patriotisme, l’inculturation est une réponse des catholiques face à l’exigence d’intégration du RSS. Une minorité seulement de personnes interviewées dans l’Eglise est absolument contre l’intégration culturelle. Par exemple, on m’a dit : “Nous, les chrétiens, avons une identité unique. Nous avons le droit de vivre dans ce pays tels que nous sommes” (n° 54). A l’exception de quelques personnes, les autres responsables ecclésiaux sont tous partisans de l’intégration dans la culture locale. Mais ils se demandent dans quelle culture il faut s’intégrer.

Un groupe de responsables ecclésiaux ne trouve pas nécessaire de s’intégrer dans la culture hindoue pour différentes raisons. Certains disent que les hindous eux-mêmes ne le font pas : “Aujourdhui la culture moderne envahit l’hindouisme et la culture hindoue est en train de se transformer. Les hindous deviennent de plus en plus européens dans leur manière de vivre. Il n’est pas bon pour nous alors de retourner à la vie hindoue” (n° 45).

D’autres disent que les chrétiens sont déjà intégrés, et que l’exigence du RSS que les chrétiens s’intègrent est donc injuste : “Si, par culture hindoue, nous désignons la culture bharatienne nous pouvons alors dire que nous, chrétiens du Kerala, vivons déjà dans la culture bharatienne. Nehru, dans son livre, ‘Discovery of India’, a dit que la culture du Kerala est la culture indigène. Avant que le ‘Sankaracharya’ (originaire de Kaladi au Kerala) ait fondé l’advaida, le christianisme existait au Kerala. Je n’ai pas besoin d’imiter un juif ou un hindou pour adorer le Christ. Quelques théologiens comme Kappen et Samuel Rayan ont enlevé la croix d’une salle de prière et y ont placé la statue de Krishna. Au NBCLC il y a la statue de Nataraja. Ce sont là des dérives absolues de l’inculturation” (n° 92).

Un autre groupe de responsables accepte seulement une intégration externe dans la culture hindoue : “Il y a des cultures fondamentales et des cultures externes dans ce pays. Les chrétiens peuvent s’adapter aux cultures populaires hindoues qui sont externes mais pas à la culture védique (culture basée sur les plus anciens textes du brahmanisme) qui est anti-sociale et fondamentaliste. Les interprétations réformistes tardives des vedas par Shankaracharya, Ramanuja, Madhuva, etc peuvent être également adoptées par les chrétiens” (n° 81). Ces responsables refusent l’intégration dans la culture hindoue du domaine religieux pour deux raisons majeures. a) D’abord ils craignent qu’elle entraîne l’hindouisation et la perte de l’identité chrétienne : “Nous ne devons pas assimiler la culture hindoue au domaine religieux car cela risque de nous faire perdre notre identité chrétienne. Il est dangereux d’utiliser le vocabulaire des prières et des rituels des sacrifices hindous. Il ne faut pas employer les citations du Gita dans notre liturgie. Si le christianisme a survécu 20 siècles en Inde malgré sa population minoritaire, c’est parce qu’il ne s’est pas fondu au style d’adoration hindou” (n° 95). b) Une deuxième raison est que toute la culture hindoue n’est pas bonne : “Je pense que les religions de ce pays ont empêché tout progrès humain à cause de leurs philosophies archaïques. Les hindous disent que le monde est samsara et qu’il n’y a donc rien à faire, qu’à subir ses conséquences. Le chrétien qui croit à la responsabilité humaine dans la construction de son avenir avec la grâce de Dieu ne peut pas être d’accord avec ce fatalisme” (n° 49). “La culture hindoue est fondée sur le système des castes que je ne peux pas accepter car c’est une culture destructrice” (n° 81).

Un autre groupe est contre l’intégration dans la seule culture hindoue. L’une des raisons invoquées est le caractère séculier de l’Etat indien: “Dans un Etat séculier comme l’Inde, le RSS n’a pas le droit d’imposer les dieux hindous aux citoyens. Les chrétiens peuvent respecter leurs dieux et le RSS doit aussi respecter toutes les religions. Le RSS dit que si l’on ne croit pas à la religion hindoue on n’est qu’un citoyen de seconde classe. Le RSS identifie le nationalisme à la religion. Mais il oublie que l’Inde moderne est un Etat séculier” (n° 58).

Des responsables ecclésiaux refusent l’intégration à la seule culture hindoue, en insistant également sur la multiplicité des cultures en Inde : “Il est injuste de la part du RSS de dire que la culture hindoue est la seule culture indienne. Nous devons admettre que les cultures mogole et tamoule sont également des cultures de l’Inde. Et cela devient évident lorsqu’on étudie les physionomies des hommes en Inde. Il y a des hommes de toutes les couleurs dans une même famille car il y a des influences aryennes, chinoises, dravidiennes chez nous. En fait, la culture de la civilisation de Harapa et Mohenja Daro qui existait avant l’arrivée des Aryens était la culture dravidienne et elle est plus bharatienne que la culture aryenne” (n° 92).

Ces responsables ecclésiaux qui s’opposent à l’intégration à la seule culture hindoue sont favorables à une intégration dans les cultures multiples (religieuses, raciales et ethniques) de l’Inde : “Grâce à la vie commune entre hindous, musulmans, dravidiens, chrétiens et aborigènes, un certain nombre de valeurs se sont développées en Inde. Ces valeurs conviennent à tous, et elles vont grandir encore davantage. L’Eglise doit entièrement intégrer ces valeurs” (n° 48). “Malheureusement, nous avons oublié l’héritage précieux du pays et il est temps pour nous de le recouvrer dans notre vie chrétienne. Nous devons être attentifs à la vie d’ashram, sannyasa, aux méthodes de méditation hindoues, et nous pouvons étudier les enseignements des oeuvres de Vivekananda et de Ramakrishna” (n° 88).

Avant de clore ce point, il est intéressant de décrire brièvement les différents types d’inculturation déjà réalisés en Inde : les efforts d’inculturation se sont traduits par des adaptations dans le domaine liturgique : “Les liturgies sont traduites dans les langues locales et les 12 points de la messe indienne (5) y ont été développés. Les rituels de mariage et de funérailles aborigènes ont été empruntés par l’Eglise. Par exemple, les chrétiens originaires de l’ethnie bhile se marient d’abord selon les traditions de leur peuple. Le couple marche sept fois autour du feu pour montrer son engagement, les chrétiens aborigènes font aussi sept fois le tour de l’autel. Les danses aborigènes sont intégrées dans leurs cérémonies de mariage. Leurs funérailles incluent la cérémonie nukta, au cours de laquelle la famille du mort mange un repas festif avec les villageois le troisième jour après la mort” (n° 42).

L’inculturation est faite par le biais des coutumes. Par exemple, trois fêtes hindoues sont aussi célébrées par les chrétiens. “Nous célébrons le rakshabandhan où les filles attachent une chaîne à leurs amis et à leur frères, et où les garçons leur font des cadeaux. C’est une fête qui consolide les relations fraternelles. Nous célébrons au mois d’août ‘hariyali’ où les hindous rendent grâce à Dieu pour la bonne récolte. Ce jour là, nous les chrétiens, remercions le Seigneur pour tout ce qu’il fait pour nous dans cet univers à travers les différentes créatures du monde. Nous célébrons aussi ‘ayouddha pooja’ où les hindous offrent à Dieu tous leurs instruments de travail et les enfants, tous leurs livres, etc. Ce jour-là les chrétiens apportent tous leurs outils et le prêtre les bénit” (n° 83).

L’inculturation est également faite dans le domaine spirituel : “Il a été fait un travail dans le domaine spirituel, celui de l’expérience, qui est le plus profond et le plus fondamental. Nous essayons de vivre des expériences spirituelles hindoues dans nos ashrams chrétiens. Des études sont faites pour savoir ce que les chrétiens peuvent apprendre du sannyasa hindou” (n° 47). Des initiatives sont prises pour repenser la théologie dans les différents contextes religieux, sociaux et politiques, pour former les responsables ecclésiaux dans les langues locales, pour développer des structures ecclésiales locales etc.

En conclusion, faisons la remarque suivante : en ce qui concerne l’inculturation dans la culture hindoue, des attitudes très variées existent parmi les responsables ecclésiaux: 1) une minorité importante s’enferme sur elle-même dans une attitude exclusive et cet exclusivisme se retrouve à différents niveaux ; ceux qui refusent toute intégration culturelle ; ceux qui refusent l’intégration sous prétexte que les chrétiens sont déjà intégrés et que les hindous eux-mêmes ne sont pas fidèles à la culture hindoue. 2) Un deuxième groupe de personnes est un peu plus ouvert : ceux qui acceptent l’intégration dans la culture externe mais qui la refusent dans le domaine religieux. 3) Le troisième groupe peut être considéré comme modéré parce qu’il refuse l’intégration dans la culture hindoue seule mais elle favorise l’intégration dans les cultures multiples sans exclure l’intégration dans la culture hindoue. 4) Un dernier petit groupe très avancé qui, comme nous l’avons déjà vu, va jusqu’à remplacer la croix par la statue de Krishna.

4 – L’attitude de l’Eglise face à la demande du RSS de ne pas convertir d’hindous

Le RSS veut absolument interdire la conversion des hindous au christianisme et c’est le sujet le plus inquiétant pour l’Eglise. En interrogeant les responsables de l’Eglise sur ce point, les réponses étaient très variées. Un groupe important d’entre eux pense que les missionnaires doivent appeler les non-chrétiens à se convertir au christianisme, pour des raisons diverses. La première, selon certains responsables, c’est la volonté de Jésus lui-même : “L’appel à la conversion est nécessaire car Jésus nous a demandé d’aller proclamer la Bonne Nouvelle et de baptiser les peuples. St Paul a dit : ‘Malheur à moi si je ne prêche pas la Bonne Nouvelle’. Il faut faire un appel direct à la conversion même si cela entraîne des difficultés. Jésus nous a dit que nous serons persécutés en son nom” (n°71). Certains pensent que s’ils ne font pas d’adeptes, leur vocation missionnaire n’est pas accomplie et que leur vie n’a pas de sens : “Sans aboutir à la conversion, sans constituer des communautés chrétiennes la vocation missionnaire de l’Eglise n’est pas accomplie” (n°64).

Dans ce groupe de personnes, ceux qui sont originaires d’une région occupée par les aborigènes, insistent sur la nécessité de la conversion comme moyen d’une véritable libération religieuse de l’homme : “Pour atteindre le salut, une véritable libération religieuse de l’homme est nécessaire. La religion hindoue maintient l’homme dans l’ignorance et dans les superstitions. L’hindouisme ne réussit pas à donner à ses fidèles une vision correcte de l’univers, de Dieu et de la vie, et beaucoup d’entre eux vivent dans des cultures non développées. Dans notre annonce évangélique, il ne suffit pas d’éduquer le peuple et de le laisser tel qu’il est. Il faut le faire entrer dans un système, dans une religion, dans une communauté. Sinon c’est la même chose que de laver un vêtement et le jeter à nouveau dans la poussière” (n° 45).

Certains affirment la nécessité de faire un appel à la conversion mais avec certaines réserves. Par exemple, ce type d’appel doit être limité à quelques régions de l’Inde : “Cela dépend des endroits. Si la population d’une localité n’a pas assez d’éducation pour discerner quelle religion est la meilleure pour son salut, l’Eglise a le devoir de l’aider à choisir sa religion. En Inde, de nombreuses classes sociales ont besoin de tels conseils” (n° 73). Ou bien, ce type d’appel peut être fait en direction de personnes qui suivent une religion dégradée qui ne peut pas être corrigée : “Je dirai que toutes les religions ont leurs valeurs spirituelles, et si une religion est dégradée on peut essayer de la corriger et de la renouveler. Mais s’il est difficile de la rectifier il vaut mieux changer de religion, et chaque individu a la liberté et le droit de le faire” (n° 52).

Un second groupe s’oppose à l’idée de faire un appel à la conversion. Là aussi les arguments sont divers. Pour certains, la conversion au christianisme n’est pas nécessaire car il y a possibilité de salut dans les autres religions: Pour eux il est difficile de croire que les hindous qui mènent une vie spirituelle parfois meilleure que celle des chrétiens n’iront pas au paradis : “Il y a des hindous qui ont une foi très grande et qui sont plus religieux que nous chrétiens. Par exemple, Gandhi n’était pas chrétien mais nous ne pouvons pas croire qu’une personne telle que lui n’a pas atteint le salut éternel” (n° 72).

Pour d’autres, il ne faut pas faire d’appel à se convertir au christianisme car ce n’est pas la conception de l’évangélisation donnée par le Christ. “Le Christ a fondé la communauté des disciples en tant qu’instance au service de la construction du Royaume dans ce monde. Ses disciples se reconnaissent par le mot Eglise. Mais ce groupe ne doit être ni un clan fermé sur lui-même, ni un club auquel tous doivent adhérer. C’est un groupe qui a pour mission de maintenir la communion entre les différentes communautés suivant les valeurs données par Dieu. Lorsque l’Eglise pense uniquement à ses membres elle bloque la construction du Royaume” (n° 48).

Selon ces personnes, la conversion est d’abord un acte de l’Esprit Saint et non pas celui d’un prédicateur, et, en outre, la volonté de conversion doit venir de l’initiative des convertis: “En fait, celui qui convertit la personne est l’Esprit Saint. C’est l’Esprit qui inspire aux personnes de demander le baptême. Nous, nous ne devons pas le faire. Ce que nous devons faire, c’est annoncer l’Evangile et le vivre. Si le peuple répond à notre annonce, acceptons le” (n° 50).

Pour ce groupe, la tâche de l’évangélisation est achevée lorsque l’on vit selon les valeurs chrétiennes. “Il y a un autre type d’appel : si nous vivons vraiment la foi chrétienne, notre vie devient elle-même un attrait pour les autres qui accepteront alors notre manière de vivre la religion. Ce n’est pas un appel violent et explicite, mais un appel implicite. Par cet appel je remplis ma mission d’évangélisation” (n° 47).

Une autre raison de s’opposer à la conversion des hindous est que les conversions faites par les missionnaires sont perçues comme du prosélytisme par les hindous, et de tels actes créent des tensions interreligieuses entre chrétiens et RSS : “A notre époque où l’on parle de pluralisme religieux, ceux qui travaillent pour la conversion des personnes sont perçues comme ayant une vision fondamentaliste de la religion. Le peuple en Inde rejette de tels missionnaires car leur action n’est pas cohérente avec l’esprit de tolérance du pays. Le Christ est venu pour unifier le monde et l’Eglise ne doit pas diviser la société au nom de la religion” (n° 67).

La troisième série de réponses consiste à mettre l’accent plus sur le mot ‘appel’ que sur le mot ‘conversion’. Ces personnes ne croient pas à la nécessité de faire un appel, mais pourtant elles sont d’accord pour annoncer explicitement l’Evangile, en soulignant la possibilité de rejoindre l’Eglise si quelques-uns le veulent : “Il ne faut pas faire un appel à la conversion. Mais il faut proclamer l’Evangile par nos activités et par nos paroles. Si nous ne révélons pas aux non-chrétiens que la source d’inspiration de nos services est Jésus-Christ, notre mission n’a pas de sens. Il faut le proclamer explicitement et leur dire que s’ils sont intéressés ils peuvent rejoindre la communauté chrétienne. Mais il ne faut pas rendre des services pour convertir les gens” (n° 42). Ceux qui partagent cette position critiquent la tendance qui décourage la proclamation de la Bonne Nouvelle et refuse le baptême des non-chrétiens : “J’ai un ami du RSS qui garde la photo du Sacré-Coeur chez lui. Il dit qu’il y a la paix chez lui depuis qu’il y a mis cette photo. Le peuple a soif de connaître le Christ. C’est une erreur de décourager nos prêtres et nos religieuses d’annoncer la Bonne Nouvelle. Tous les peuples et, en particulier, les pauvres ont le droit d’entendre le message salvateur de Jésus-Christ. Jésus nous a demandé d’aller chez les pauvres. Il est de notre devoir de leur faire connaître le Christ et, si nous ne le faisons pas, les pauvres nous accuseront de leur avoir refusé la Bonne Nouvelle” (n° 43).

En conclusion, remarquons qu’au sujet de l’appel à la conversion, les attitudes des responsables ecclésiaux peuvent être considérées comme conservatrices (ceux qui veulent faire un appel direct à la conversion), modérées (ceux qui ne favorisent pas l’appel direct à la conversion mais qui veulent annoncer explicitement l’Evangile) ou progressistes (ceux qui renoncent à l’appel ou à l’annonce explicite destinée à la conversion). Parmi les 51 personnes interviewées, seules 18 optent pour l’appel explicite à se convertir au christianisme alors que 29 personnes s’y opposent clairement. C’est-à-dire que la grande tendance est à ne pas faire d’appel direct. Ce refus de

l’appel direct à la conversion ne s’explique pas simplement par le souci de ces responsables de répondre d’une manière appropriée au RSS. Comme nous venons de le voir, ce qui est en jeu derrière ces divergences, ce sont les conceptions différentes des responsables ecclésiaux sur l’évangélisation, l’Eglise et la conversion. Nous ne pouvons nous y attarder car cela dépasse l’objet de cet article.

IV. LA REPONSE THEOLOGIQUE DE L’EGLISE AUX COMMUNALISTES HINDOUS

Les responsables ecclésiaux pensent que si le RSS réagit de façon communaliste face aux chrétiens c’est parce que les chrétiens ont aussi des tendances communalistes dans leur doctrine et dans leurs activités. Il faut donc mettre de l’ordre d’abord dans sa propre maison. Il s’agit de revoir les concepts théologiques et les pratiques missionnaires. Le travail d’examen de conscience conduit les responsables ecclésiaux à exiger plus de tolérance de la part de l’Eglise : “Il est vrai que le RSS a des attitudes, des méthodes et des idéologies agressives et militantes. Mais je ne vois pas comment l’Eglise est différente du RSS en ce qui concerne le communalisme : dans sa structure, dans ses écrits, etc., est-ce qu’elle a le pouvoir moral de critiquer et de juger le RSS ? Quelle tolérance avons-nous vis-à-vis des autres religions et cultures ? Gardons d’abord notre maison propre“(n° 79). L’Eglise ne peut être tolérante dans ses pratiques que si elle est animée par des concepts théologiques ouverts. Les théologiens indiens pensent qu’il faut purifier les concepts christologiques, ecclésiologiques et missionnaires pour se battre contre les comportements d’intolérance dans l’Eglise.

1 – Adopter des perspectives christologiques et ecclésiologiques ouvertes afin de se battre contre le communalisme chrétien : d’après des théologiens indiens, les racines du communalisme dans le catholicisme reposent sur les concepts de Dieu. Selon Illikamury, l’exclusivisme chrétien a son origine dans la tradition judéo-chrétienne. La conscience d’être le peuple choisi par Yahweh a fait que les Israëlites se considèrent comme le peuple qui seul adore le vrai Dieu. Pour eux, les autres dieux étaient des idoles et leurs adorateurs étaient victimes d’illusions. Une telle attitude s’explique également par la situation sociale dans laquelle vivaient les Israëlites. Ils formaient un groupe minoritaire opprimé et exploité par la majorité non juive. Par conséquent, ils regardaient avec soupçon tout ce qui contrevenait à leur existence. Pour faire face à la majorité menaçante, ils devaient découvrir une idéologie qui leur donnerait plus de dignité et d’identité par rapport aux autres. La notion de peuple choisi, même si elle est perçue comme une donnée révélée par Yahweh, sociologiquement parlant, correspondait à la recherche identitaire d’un peuple. Elle lui a fait prendre conscience qu’il était un peuple différent des autres et meilleur que les autres (Is 13-21 ; Jr 46-51; Ez 25-32) (5).

Malgré la Bonne Nouvelle de l’amour et du pardon, ces tendances exclusivistes sont entrées dans l’Eglise. Avec la conversion de l’empereur Constantin, le christianisme est devenu religion d’Etat. Les chrétiens ont identifié le christianisme à la culture civilisée et les autres religions sont devenues barbares. En s’appuyant sur des textes bibliques comme Mc 16, 16 ; Mt 12, 30 et Ac 4, 12 ; Rm 1, 18-32 ; 1 Co 10, 19-22 ; 1 Co 12, 2 ; 1Th 4, 5 etc. Des Pères de l’Eglise ont expliqué que l’Eglise seule peut donner le salut et qu’en dehors d’elle il n’y a que damnation. Au Moyen-âge, le pape Boniface a publié la bulle Unam Sanctam (1302) selon laquelle on devait se soumettre au pontife romain pour atteindre le salut. Une telle attitude a poussé l’Eglise à la croisades, à la persécution des juifs, à la pratique de l’inquisition etc. Les missionnaires ont converti les peuples dans les pays asiatiques, en Amérique et en Afrique sans respecter les cultures et les religions locales (5).

Mais si on étudie les paroles et les actes de Jésus, on sait que le message évangélique n’a rien à voir avec le communalisme, souligne Soares-Prabhu. A l’époque de Jésus, alors que les règles de pureté ont été déterminées d’après la proximité du temple de Jérusalem, la normalité (normality) et la perfection (wholeness) des personnes, Jésus a instauré une attitude “séculière” dans la société puisqu’il a transgressé les règles de pureté : il a remis en question le sabbat (Mk 2, 23-28), il a touché les lépreux (Mk 1, 41), et il a dîné avec les marginaux (Mk 2, &5-17). Son expérience fondamentale de Dieu comme abba lui permettait de considérer tous les hommes comme frères et soeurs. Dans la communauté de Jésus il n’y avait pas de règles de pureté. Il n’ y avait même pas de rite d’entrée. Le seul critère était l’amour. Pour Soares-Prabhu, l’Eglise doit sauvegarder le charisme de cette expérience fondatrice de Jésus. Lorsqu’elle déradicalise les enseignements de Jésus et crée des règles de pureté, elle perd sa communion avec Jésus. D’après S. Prabhu, dans l’Eglise d’aujourd’hui existe un dilemme : d’un côté l’Eglise proclame un Dieu q