Eglises d'Asie

Mindanao : L’accord du gouvernement avec le Front moro de libération suscite une violente opposition dans la majorité chrétienne du sud de l’archipel

Publié le 18/03/2010




Le 9 juillet 1996, le secrétariat de la présidence des Philippines a refusé sèchement une proposition de la Conférence épiscopale demandant que soit différée la signature de l’accord de paix conclu le 23 juin 1996 entre le gouvernement et le Front moro de libération nationale, accord qui devrait mettre un terme à 24 ans de rébellion musulmane dans l’île de Mindanao. La présidence des Philippines a fait valoir qu’il s’agissait non pas d’une décision du gouvernement mais d’un accord négocié entre les rebelles et le gouvernement. Dans leur lettre, les évêques avaient souligné que toute paix établie dans cette région déchirée par les conflits était nécessairement fragile. Mais elle le serait encore davantage, disaient-ils, si elle n’obtenait pas le consentement de toutes les parties de la population. En conséquence, les évêques demandaient qu’une consultation générale soit organisée au préalable sur un certain nombre de points.

La demande des évêques a été motivée par la très grande émotion qui s’est emparée de la majorité chrétienne de la région à l’annonce de l’accord signé le 23 juin 1996 à Davao entre Manille et la rébellion séparatiste musulmane. Il place pendant trois ans quatorze provinces et neuf villes de Mindanao sous l’administration d’un conseil dirigé par le Front moro de libération nationale, appelé “Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippinesjusqu’à ce qu’un référendum soit organisé pour déterminer le statut de cette région. La zone couverte par l’accord représente 70 000km², soit près du quart de la superficie des Philippines, et comporte une population de dix millions d’habitants dont quatre millions seulement sont musulmans. Plus de la moitié de la grande île de Mindanao doit faire partie de la zone autonome prévue par l’accord. De plus, le Front moro de libération nationale souhaite avoir sous son autorité une force policière de vingt mille hommes chargée d’assurer la sécurité de la région qu’il va contrôler.

Depuis l’accord du 23 juin, les manifestations de chrétiens n’ont pratiquement pas cessé. Le président Ramos et son gouvernement se sont dépensés en vain pour essayer de désamorcer la contestation. Le 2 juillet 1996, à Zamboanga, capitale de l’île de Mindanao et dont la population est très majoritairement chrétienne, plus de 10 000 manifestants ont accueilli avec des tomates pourries et des huées, le président Ramos qui entamait là “une tournée de paix” pour tenter de convaincre la population de l’île d’accepter l’accord proposé. Le lendemain, il subissait un traitement semblable dans la ville de Général Santos où 8 000 manifestants exprimaient leur mécontentement. Le 7 juillet, le ministre de l’intérieur, Robert Barbers, s’est rendu dans plusieurs villes du sud pour dissuader des élus locaux de prendre les armes et de se déclarer “en guerre” avec Manille en hissant, selon la tradition philippine, tous les drapeaux nationaux à l’envers. Enfin, le 8 juillet, le conseiller juridique du président lançait une sévère mise en garde aux chrétiens du sud: “Nous suggérons aux opposants de modérer leur langage et leurs actions afin qu’ils ne glissent pas vers le terrain dangereux de la sédition

Cependant au sein de l’Eglise catholique, un certain nombre de voix se sont élevées pour appeler les chrétiens à la bonne volonté, voire même pour approuver la création du Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippines. Dès le lendemain de l’accord de Davao du 23 juin, des religieux et des responsables laïcs de l’île de Mindanao se réunissaient pendant quatre jours et publiaient un communiqué dans lequel ils déclaraient: “Nous encourageons la population toute entière à faire preuve de bonne volonté. Chrétiens, musulmans, peuples aborigènes, voyageons ensemble sur le chemin de la paix”. Ils ajoutaient même que les chrétiens devaient accorder au Front moro de libération “le bénéfice du doute, le bénéfice de la bonne volonté”. Commentant quelques jours plus tard ce communiqué dans une lettre lue dans toutes les églises du diocèse, l’archevêque de Zamboanga laissait entendre que “le Conseil du sud des Philippines pourrait peut-être apporter la cessation des hostilités et la stabilité dans la régionIl ajoutait cependant qu’il n’y aurait pas de véritable paix sans justice pour tous, sans liberté religieuse, sans protection de la vie et de la dignité humaines et sans participation du peuple.