Eglises d'Asie – Philippines
LES CHRETIENS DE MINDANAO PEUVENT-ILS FAIRE CONFIANCE AU GOUVERNEMENT ? Une interview de Mgr Fernando Capalla archevêque coadjuteur de Davao
Publié le 18/03/2010
Le texte de l’accord n’est pas clair sur la question du pluralisme religieux qui existerait dans le système d’éducation. Ramos et les fonctionnaires qui étaient présents à la réunion sont tous d’accord aujourd’hui pour dire que cela doit être clairement exposé dans le texte. Il a aussi affirmé que la commission religieuse du conseil pour la paix et le développement pourrait être oecuménique.
Qu’en est-il de la consultation de la population ?
Entre aujourd’hui et le moment où les négociations de paix reprendront à Jakarta, le texte connaîtra des améliorations et sera affiné. Le président nous a rappelé que le Congrès et le peuple auront l’occasion par référendum d’accepter ou de rejeter la structure proposée, et que les discussions qui prennent place aujourd’hui ont l’avantage d’avoir fait cesser la guerre, donnent une chance à la paix et font progresser l’économie.
Comment le président a-t-il répondu aux autres réserves faites par les évêques ?
Certains évêques mettent en doute la compétence de Misuari comme président du conseil pour la paix et le développement. Nous constatons aussi que d’autres groupes musulmans sont en train de se placer pour obtenir des positions de pouvoir dans les domaines qui seront de la compétence du conseil pour la paix et le développement.
Ramos estime que Misuari, qui jouit du soutien de l’Organisation de la conférence islamique, a les moyens de rassembler autour de lui les autres factions musulmanes. Par ailleurs, le conseil pour la paix et le développement, comme les fonctionnaires de la région autonome, resteront sous le contrôle du président des Philippines.
Qu’attend le président Ramos de la part des évêques ?
Le président Ramos demande simplement aux évêques de lui faire confiance.
Quelle est la contribution que peuvent apporter les évêques ?
Nous pouvons apporter l’information que nous possédons et nous sommes prêts à être consultés. Nous avons promis de faire de notre mieux pour expliquer à notre peuple quelques-unes des clauses ambigues du texte d’accord. Mais les chrétiens peuvent-ils faire confiance au gouvernement et au Front moro de libération nationale ? C’est, à l’heure actuelle, le problème fondamental de Mindanao. La méfiance (entre chrétiens et musulmans) est vieille de quatre siècles.
Quels sont vos sentiments personnels ?
Deux commandants militaires du Front moro de libération nationale m’ont affirmé que leurs troupes à la base sont favorables à ces initiatives pour la paix. Ils se demandent s’il n’y a pas des politiciens musulmans qui cherchent à promouvoir leurs intérêts personnels. Je crois que Misuari a la volonté de mettre un terme à ces manoeuvres. Je suis prêt quant à moi à lui donner une chance.
Comment pouvez-vous convaincre les autres de donner une chance à Misuari et à Ramos?
Je ne sais pas moi-même comment me débarrasser de mes propres craintes. J’ai habité à Lanao Del Norte (ndlr. territoire qui devrait faire partie de la future région autonome) pendant dix-sept ans. Les chrétiens y sont majoritaires. Parce qu’ils ne possèdent pas d’autre information, ils utilisent des arguments simplistes. Ils disent que si Misuari prend la direction de la province, ils n’auront pas l’autorisation de manger du porc. Ceci exprime la peur qu’ils ont d’être dirigés par des musulmans. Chrétiens et musulmans ont tous souffert : aucune des deux communautés n’accepte que l’autre prenne le pas sur la leur. C’est un peu comme Israël avec les Arabes ou les Irlandais avec les Anglais. Ils n’arrivent pas à dépasser leur haine et leur méfiance pour donner une chance à la paix.
Est-ce qu’aujourd’hui vos intuitions sont les mêmes que quand vous avez débuté votre travail?
Je ne sais pas. J’appartenais à l’ancienne commission pour l’unification nationale. Nous utilisions le réseau des évêques philippins et du Conseil national des Eglises (protestant) pour consulter la base. Nous avons créé pratiquement toutes les plateformes pour la paix qui existent aujourd’hui. En principe, je fais confiance aux négociateurs et je ne pense pas qu’ils trahiront les chrétiens de Mindanao.
Y a-t-il des questions qui restent aujourd’hui sans réponse ?
Je ne comprends pas le rôle que joue l’Organisation de la conférence islamique dans les négociations pour la paix. Elle a envoyé des observateurs aux négociations. Dans le texte de l’accord, une clause prévoit qu’elle est chargée de “surveiller” le conseil pour la paix et le développement. Je ne comprends pas non plus pourquoi on donne de l’importance dans ces négociations à la découverte récente de gisements importants de pétrole à Cotabato (ndlr. ville du nord de Mindanao). On me dit que ces gisements sont plus importants que ceux de Brunei, de Malaisie et d’Indonésie. Je ne comprends pas
davantage le rôle joué par les Etats-Unis à travers leur organisme d’aide pour le développement qui a financé l’aéroport de la ville de General Santos et qui contrôle des ports de pêche. D’importantes manifestations contre l’accord gouvernemental avec les musulmans se sont déroulées dans cette ville. On peut encore se demander ce qui arrivera quand Ramos et Misuari passeront au dernier stade du plan de paix. Qu’arrivera-t-il après 1998, date à laquelle le mandat présidentiel de Ramos expire ? Toutes ces choses restent mystérieuses et je ne connais pas la règle du jeu.
Pourquoi alors soutenir cette initiative de paix ?
Si la guerre s’arrête, le développement peut se mettre en marche. Il nous restera encore à vérifier que les bénéfices de ce développement profitent à tout le monde. Si les politiciens de Luçon et des Visayas arrivent à mettre la main sur le gâteau en collusion avec ceux du Mindanao, alors, comme d’habitude, les puissants se partageront le gâteau et les pauvres continueront d’être pauvres.
Je ne pense pas que Ramos disparaîtra de la scène, mais il n’est pas garanti que son candidat gagne les élections. Cela veut dire qu’il faudra que toutes les structures soient confirmées par la loi avant 1998.
Peut-on tirer de ces événements des leçons pour le dialogue interreligieux ?
Il est important d’apprécier à sa juste valeur l’histoire du peuple de Mindanao. Peu de gens, par exemple, comprennent pourquoi Misuari met l’accent sur l’utilisation du terme de “moro” plutôt que sur celui de “musulman”. “Moro” définit une identité culturelle mais non religieuse. Le terme peut inclure des chrétiens, il peut inclure les “lumad” (peuples aborigènes). Les gens se souviennent seulement des vingt-cinq dernières années de guerre, mais ils ne se souviennent plus de la lutte du peuple moro avant cette période. Le musulman est toujours imaginé par les chrétiens comme un criminel. Il y a pourtant aussi des héros musulmans. Ils partagent beaucoup de valeurs avec les chrétiens. Je crois que ce sera difficile mais nous devons essayer, au nom de la paix et pour obtenir un peu de stabilité.