Eglises d'Asie

LE NEO-PENTECOTISME EN INDERapport préliminaire remis à la Conférence épiscopale

Publié le 18/03/2010




Ces dernières années ont vu la naissance et la croissance rapide de nombreuses sectes néo-pentecôtistes en Inde comme dans le reste du monde. Nous ne dévoilerons pas un secret en disant que beaucoup de fidèles quittent l’Eglise catholique et les autres Eglises traditionnelles pour rejoindre ces sectes. Face à ce phénomène, il y a urgence à formuler une réponse pastorale, informée et constructive. Des condamnations hâtives de leur fondamentalisme ou des accusations indignées contre les “vols de brebis” ne paraissent pas pouvoir renverser le courant. Nous devons d’abord comprendre le phénomène aussi objectivement que possible, sans passion, avant de déterminer la forme de réponse, s’il en faut une, qu’il nécessite. C’est cette prise de conscience qui a amené la commission doctrinale de la conférence épiscopale indienne à commander une étude scientifique du néo-pentecôtisme en Inde.

Cette étude a été faite par le département des sciences sociales, Jnana-Deepa Vidyapeeth de Pune, avec la coopération active de la faculté de théologie et de ses étudiants de deuxième année.

Il n’est pas facile de définir le néo-pentecôtisme. Des groupes nombreux et divers sont souvent qualifiés de pentecôtistes ou néo-pentecôtistes. Pour cette étude, nous avons défini comme Eglises néo-pentecôtistes, les assemblées autonomes, séparées des Eglises chrétiennes traditionnelles et partageant certains traits communs : a- la croyance que seuls ceux qui sont “re-nés” par le baptême de l’Esprit seront sauvés; b- la reconnaissance de la Bible comme autorité unique et son interprétation fondamentaliste; c- la croyance en le retour imminent de Jésus-Christ; d- une attitude hostile vis-à-vis du monde; e-l’adoption d’une morale et d’un mode de vie très stricts.

Méthodologie

Notre enquête a mis l’accent sur les aspects suivants du phénomène : a- l’arrière-plan social et religieux des néo-pentecôtistes; b- les facteurs qui les ont poussés à rejoindre les Eglises néo-pentecôtistes; c- leur idéologie et leur morale; d- l’impact du néo-pentôtisme sur ses adhérents; e- les structures d’organisation des Eglises néo-pentecôtistes.

Des interviews structurées ont été la source principale de collection des données. A ces données s’ajoute une observation scientifique. Le questionnaire, qui comportait 160 questions, a été testé au cours d’une étude-pilote conduite à Pune au cours de laquelle 250 néo-pentecôtistes furent interrogés.

Les étudiants de deuxième année de théologie se sont ensuite formés en équipes de dix et sont allés dans huit régions de l’Inde : Ranchi, Jalpaiguri, Hyderabad, Tiruchirappali, Turuvalla, Calicut, Bangalore et Bombay.

Une fois sur le terrain, chaque équipe a commencé par identifier les lieux de concentrations importantes de néo-pentecôtistes. Utilisant ensuite la méthode de l’échantillon-boule de neige, ils ont identifié tous les néo-pentecôtistes de ces lieux et les ont interviewés. Chacune des équipes a passé douze jours pleins sur le terrain. Au total, plus de 4 500 interviews ont été amassées. La durée de chaque interview variait de une à trois heures.

Un échantillon secondaire de 1 500 catholiques de ces lieux a été aussi interviewé afin de déterminer sa perception des raisons qui font que certaines personnes se sentent attirées par les Eglises néo-pentecôtistes.

Le profil de l’échantillon

L’échantillon de cette étude comporte 4 538 répondants, provenant de 328 Eglises néo-pentecôtistes à travers le pays. 56% des répondants sont des hommes et 44% des femmes. Leur âge va de 18 à 58 ans, la moyenne étant de 37 ans. 79% sont mariés et 21% célibataires.

En ce qui concerne le niveau d’éducation, un tiers des répondants ont un niveau de troisième ou moins, un tiers a complété le secondaire, et un tiers est passé par l’université. Plus de la moitié d’entre eux viennent des classes moyennes, 19% des classes moyennes supérieures, et 28% des classe moyennes inférieures.

Plus de 80% des répondants affirment qu’ils viennent de familles “très religieuses” ou “modérément religieusesMoins de 20% ont caractérisé leurs familles comme “pas très religieusesDe même, près de trois répondants sur quatre ont affirmé qu’avant de rejoindre les Eglises néo-pentecôtistes, ils étaient “très religieux” ou “modérément religieux

41% des néo-pentecôtistes étaient auparavant membres de l’Eglise catholique. 31% appartenaient à d’autres confessions chrétiennes comme les jacobites, les marthomites, les luthériens, l’Eglise du Nord de l’Inde ou l’Eglise du Sud de l’Inde. 28% appartenaient à des religions non chrétiennes, la plupart à l’hindouisme. Les néo-pentecôtistes d’origine chrétienne sont généralement d’un niveau d’éducation et d’un statut économique plus élevés que ceux qui proviennent des religions non chrétiennes. Par exemple, 57% des anciens catholiques et 49% de ceux qui appartenaient à d’autres confessions chrétiennes ont terminé l’école secondaire ou sont allés plus loin dans leur éducation. Seuls 30% de ceux qui n’ont pas d’origine chrétienne ont un niveau similaire d’éducation.

93.5% des répondants sont des néo-pentecôtistes de la première génération. Seuls 6.5% sont de la deuxième génération, c’est-à-dire qu’ils sont nés de parents eux-mêmes néo-pentecôtistes. 63% des répondants ont indiqué que tous les membres de leur famille étaient maintenant néo-pentecôtistes.

Le premier contact et l’entrée

54% des répondants ont dit qu’ils avaient rejoint une Eglise néo-pentecôtiste depuis moins de cinq ans. En fait, 10% seulement de l’ensemble des répondants ont rejoint ces Eglises avant 1980. Ce mouvement a donc connu une croissance phénoménale dans les années 80 et celle-ci s’est encore accélérée dans les années 90.

La majorité des répondants sont entrés en contact avec des groupes néo-pentecôtistes par des amis ou des groupes de prière. Un tiers environ ont dit avoir été introduits par des membres de leur famille. Moins de 25% ont indiqué avoir été influencés par d’autres facteurs, comme la prédication, les classes de Bible, la littérature et les médias. 14% des néo-pentecôtistes étaient auparavant associés avec le mouvement charismatique catholique. En fait, 26% des anciens catholiques étaient auparavant membres actifs de groupes charismatiques catholiques.

Alors que les hommes sont plus souvent introduits dans le mouvement par des amis, les femmes le sont plus souvent par des membres de la famille. 64% de ceux qui n’ont pas d’origine chrétienne et 47% de ceux qui ont une origine chrétienne sont entrés en contact avec ces groupes à travers des réunions de prière ou des sessions de guérison. Après le contact initial, la vaste majorité (82%) ont attendu un an ou plus avant de devenir des membres à part entière.

Près de trois répondants sur quatre ont rapporté qu’avant de rejoindre leur Eglise néo-pentecôtiste, ils avaient fait l’expérience d’une crise dans leur vie personnelle : ils l’ont interprétée comme étant un signe de Dieu les guidant vers le mouvement. Plus de 50% ont dit qu’ils avaient connu des problèmes de famille. 20% ont mentionné des problèmes financiers. Des conflits avec l’Eglise d’origine et la déception à l’égard de la modernité sont aussi vus comme des signes de Dieu par quelques-uns des répondants.

Les facteurs motivants

L’objectif principal de cette étude était d’enquêter sur les raisons que donnent les croyants de quitter leur Eglise traditionnelle pour rejoindre des sectes pentecôtistes. Les raisons suggérées par les répondants ont été groupées en deux catégories : a- les facteurs de ‘rejet’, c’est-à-dire les causes de leur aliénation de l’Eglise traditionnelle; les facteurs d”attraction’, c’est-à-dire les traits prêtés aux Eglises pentecôtistes qui les ont attirés.

Les facteurs de “rejet”

Les trois raisons les plus fréquemment mentionnées de leur déception à l’égard de leur Eglise traditionnelle sont les suivantes : “absence d’expérience de Dieu”le peu d’importance donné à l’Ecriture” et “l’absence de fraternitéLes raisons qui viennent juste après sont : “pastorale inadéquate” et “culte routinierUn tiers environ des répondants a cité d’autres raisons telles que “la vénération de Marie et des saints”un enseignement confus”la vie peu édifiante du clergé” et “la domination du clergéD’autres raisons moins souvent citées sont “la rigidité des structures”l’absence de participation des laïcs”l’inculturation”la discrimination” et “des conflits de langue et de riteL’ensemble des données indique que l’insatisfaction par rapport à l’ancienne Eglise est généralement plus grande chez les anciens catholiques que chez ceux qui proviennent des autres confessions chrétiennes.

Les néo-pentecôtistes d’origine catholique ont exprimé une insatisfaction plus grande par rapport à leur ancienne Eglise en ce qui concerne “la vénération de Marie et des saints”l’absence de souci pastoral“, “la vie peu édifiante du clergé” et “le peu d’importance accordé à l’Ecriture“. Ils sont un peu moins nombreux, mais majoritaires, à indiquer “la rigidité des structures” et “un enseignement confus” comme raisons de leur déception. Il faut cependant noter deux exceptions dans ce courant : les néo-pentecôtistes d’origine chrétienne mais non catholique sont plus nombreux à citer “l’absence de fraternité” et “l’absence d’une expérience de Dieu” comme raisons de quitter leur ancienne Eglise.

Les néo-pentecôtistes qui sont passés par l’université sont généralement plus critiques de leur ancienne Eglise que ceux parmi eux qui sont d’un niveau d’éducation moindre. La différence entre néo-pentecôtistes d’origine catholique et néo-pentecôtistes d’origine chrétienne différente persiste même après avoir pris en compte le niveau d’éducation. En d’autres termes, le fait que les néo-pentecôtistes d’origine catholique sont plus profondément déçus par leur ancienne Eglise ne s’explique pas seulement par leur niveau d’éducation plus élevé.

Les données rassemblées montrent aussi que ceux qui ont traversé une crise personnelle ressentent plus intensément l’absence de fraternité, l’absence d’une expérience de Dieu, et l’inadéquation de la pastorale dans leur ancienne Eglise.

L’enquête a essayé aussi de se mettre à l’écoute d’un échantillon de catholiques en leur demandant pourquoi un nombre croissant de leurs frères catholiques quittaient la communauté pour rejoindre les néo-pentecôtistes. L’enquête révèle que les perceptions des néo-pentecôtistes d’origine catholique sont très différentes de celles des catholiques. Ceux-ci mentionnent beaucoup moins souvent “l’absence d’une expérience de Dieu”la vénération de Marie et des saints”le peu d’importance accordé à l’Ecritureou “un enseignement confus” comme raisons d’aliénation de l’Eglise catholique.

Dans l’échantillon catholique, environ 60% de ceux qui ont été interrogés sont diplômés de l’université, mais leurs opinions sur ces questions ne sont pas sensiblement différentes de celles de ceux qui ont un niveau d’éducation moindre. Environ un quart de ceux qui ont été interrogés avaient un ou plusieurs membres de leur famille dans une secte néo-pentecôtiste. Il est intéressant de noter, en ce qui concerne les facteurs de “rejet”, que les réponses de ceux qui ont un membre de la famille dans une secte néo-pentecôtiste ne diffèrent guère des autres.

Les facteurs d'”attraction”

Nous nous tournons maintenant vers les facteurs d’attraction, c’est-à-dire les aspects du néo-pentecôtisme que ses adhérents trouvent attirants.

Une immense majorité de 80% affirment avoir rejoint l’Eglise néo-pentecôtiste parce qu’elle leur donnait une “expérience de DieuLa raison la plus souvent indiquée ensuite par trois répondants sur quatre est “la place centrale de la BiblePresque à égale importance se trouve “l’expérience de la fraternitéParmi d’autres raisons fréquemment citées on trouve “les dons de l’Esprit”un enseignement convaincant” et “une liturgie signifianteLes raisons les moins fréquemment mentionnées sont “les structures non autoritaires”l’absence de discriminationet “la simplicité et l’austérité du mode de vie

Si l’on étudie les facteurs d’attraction en fonction des affiliations religieuses précédentes on trouve des différences significatives entre les trois groupes déjà mentionnés. Les néo-pentecôtistes d’origine non chrétienne accordent davantage de valeur à “l’expérience de Dieuà “la certitude du salut” et au “soutien financierLes néo-pentecôtistes d’origine catholique apprécient davantage “la place centrale de la Bible” et “les structures non autoritairesCeux qui ont rejoint le mouvement après avoir connu une crise personnelle dans leur vie tendent à apprécier davantage les aspects positifs. Le niveau d’éducation ne semble pas jouer un rôle significatif dans l’appréciation des facteurs d’attraction, sauf en ce qui concerne “le soutien financierplus fréquemment cité par ceux qui sont les moins éduqués.

Si l’on compare les réponses des néo-pentecôtistes d’origine catholique et de ceux qui sont restés catholiques, on se rend compte que les deux privilégient “la place centrale de la Bible” et “l’expérience de fraternité” comme facteurs d’attraction importants. Cependant, les anciens catholiques attachent beaucoup plus d’importance que les catholiques à “l’expérience de Dieu” comme élément attirant du néo-pentecôtisme. Les “dons de l’Esprit”un enseignement convaincant”une liturgie signifiante” sont aussi plus fréquemment mentionnés par les anciens catholiques comme éléments d’attraction pour eux. Par contraste, les catholiques sont plus nombreux à suggérer que les bénéfices financiers sont une motivation pour ceux qui rejoignent le mouvement néo-pentecôtiste. C’est même la raison la plus fréquemment citée par ceux qui sont restés catholiques.

Il faut noter que, de manière générale, les facteurs positifs d’attraction sont plus souvent cités que les facteurs négatifs de rejet des Eglises traditionnelles par ceux qui rejoignent le mouvement néo-pentecôtiste. En d’autres termes, les facteurs d’attraction sont plus importants que les facteurs de rejet. On peut raisonnablement en conclure que les Eglises néo-pentecôtistes répondent plus efficacement aux besoins spirituels, sentimentaux et sociaux des croyants que les Eglises traditionnelles.

Idéologie et morale

Les néo-pentecôtistes sont un peuple eschatologique. La grande majorité d’entre eux croient que la seconde venue de Jésus est imminente. Quand on leur a demandé d’être plus spécifique sur l’époque exacte de cette seconde venue, 60% ont répondu que ce serait “bientôtet le reste a affirmé ne pas savoir exactement quand l’événement se produirait. Presque tous les néo-pentecôtistes (97%) croient que la montée du matérialisme, l’érosion des valeurs morales, les guerres et les catastrophes naturelles indiquent que cette seconde venue de Jésus est proche.

Les néo-pentecôtistes se disent chrétiens “re-nésTrois sur quatre répondants (72%) croient que seuls ceux qui sont “re-nés” par le baptême d’immersion seront sauvés. 62% affirment qu’ils n’accepteront de prier qu’avec des chrétiens “re-nésSur le plan social, les trois quarts de l’échantillon (74%) disent ne pas approuver le mariage ‘éventuel d’un membre de leur Eglise à quelqu’un qui ne serait pas chrétien “re-néCes données semblent confirmer l’idée largement répandue que les néo-pentecôtistes tendent à être très exclusifs dans leur idéologie et leurs relations sociales.

Le niveau d’éducation n’a pas d’incidence sur cet exclusivisme. Cependant, on note que les néo-pentecôtistes d’origine non chrétienne sont plus ouverts à l’extérieur que les néo-pentecôtistes d’origine chrétienne.

La Bible joue un rôle central dans les croyances et la morale des néo-pentecôtistes. Les données rassemblées indiquent que leur lecture de la Bible est clairement fondamentaliste. Presque tous croient que “ce qui est dit dans la Bible est littéralement vraique “la Bible possède toutes les réponses à nos questionset que “Dieu ne parle qu’à travers la BibleSeuls quelques-uns admettent que “la Bible doit être interprétée de manière critique” et encore moins nombreux sont ceux qui reconnaissent que la vérité peut être aussi trouvée dans les Ecritures des autres religions. Le niveau d’éducation et les affiliations religieuses précédentes n’ont pas d’incidence sur la manière dont les néo-pentecôtistes considèrent la Bible.

Les néo-pentecôtistes rejettent plusieurs doctrines et pratiques catholiques. La vaste majorité d’entre eux sont opposés au baptême des enfants, aux dévotions populaires, à la vénération de Marie et à la confession individuelle. Un grand nombre d’entre eux n’admettent pas non plus la primauté du pape et la structure hiérarchique de l’Eglise. Il est intéressant de noter que les néo-pentecôtistes d’origine catholique sont plus critiques des croyances et des pratiques catholiques que les néo-pentecôtistes d’origine religieuse différente.

Les néo-pentecôtistes exigent une moralité très stricte. Presque tous maintiennent que le divorce, l’avortement, l’usage de l’alcool et du tabac sont moralement condamnables. La plupart estiment aussi qu’il est mal d’utiliser la contraception, de porter des bijoux et d’aller au cinéma. Un sur cinq environ pense même qu’il est condamnable de suivre un traitement médical.

L’impact du néo-pentecôtisme

La vaste majorité des néo-pentecôtistes interrogés assurent que l’expérience de la “re-naissance” a amené dans leur vie des changements significatifs et durables. Sur le plan personnel, 79% disent qu’ils prient davantage et 70% affirment être davantage en paix avec eux-mêmes. D’autres changements significatifs au niveau personnel incluent une plus grande proximité de Jésus (65%), davantage d’amour pour la Bible (62%). La moitié d’entre eux environ estiment qu’ils sont devenus plus ouverts à la volonté de Dieu (52%), et qu’ils ont laissé de côté de mauvaises habitudes comme la boisson et la cigarette (47%). Ces résultats, disent-ils, sont à mettre au crédit de leur expérience de “re-naissance

Au niveau familial, le changement le plus important est davantage d’amour et d’harmonie dans la famille (77%) et une plus grande ferveur dans la prière familiale (65%).

Au niveau social, trois répondants sur quatre (72%) affirment être plus engagés dans la communication de leur foi. Bien que 60% estiment être aujourd’hui plus à même de communiquer avec les autres, 25% seulement indiquent avoir un plus grand souci pour ceux qui se trouvent en dehors de leur communauté. Ceci corrobore l’opinion déjà mentionnée que les néo-pentecôtistes tendent à être exclusifs dans leurs relations sociales.

La structure de l’organisation

55% des répondants ont déclaré que leur Eglises avait été fondée par une personne seule, et 18% ont dit que leur Eglise avait été fondée par un groupe. 27% ne savent pas qui a fondé leur Eglise.

Presque la moitié des répondants (47%) ne savent pas quand leur Eglise a été fondée. Un tiers environ affirment que leur Eglise est née après 1980. Cinq pour cent seulement ont dit que leur Eglise avait une histoire remontant aux années 1950 ou au-delà.

Un tiers des répondants ont dit que leur Eglise était associée à d’autres Eglises indiennes et 46% que leur Eglise était associée à d’autres en Inde ou ailleurs dans le monde. Seuls 26% ont affirmé que leur Eglise n’était liée à aucune autre.

45% affirment que le chef actuel de leur Eglise est une personnalité charismatique, et les autres déclarent que les responsables de leurs Eglises sont nommés (42%) ou élus (13%).

Les informations rassemblées à partir des réponses semblent suggérer que les Eglises néo-pentecôtistes tendent à s’institutionnaliser progressivement. La plupart de ces Eglises n’avaient pas de gouvernement ou de responsables à leurs débuts. Mais, au fur et à mesure que le temps est passé, elles sont devenues plus institutionnelles. Même leur liturgie tend à devenir plus structurée à mesure que le temps passe.

Les contributions volontaires répondent aux besoins économiques de ces Eglises. 25% environ des répondants ont déclaré que leur Eglise recevait des subsides de l’étranger. Dans la plupart des cas, le leader et son conseil prennent les décisions dans les domaines concernant l’Eglise.

Les visites à domicile sont la méthode la plus commune (84%) pour recruter des membres. Les réunions de prière et les sessions de guérison sont une autre méthode largement utilisée (72%). On invite aussi les gens à rejoindre le mouvement par les publications et des prédications publiques.

De manière générale, les femmes jouent un rôle actif dans les Eglises pentecôtistes bien qu’elles ne soient que rarement admises comme pasteurs.

Les questions que pose l’étude

Cette enquête pose un certain nombre de questions sur les Eglises néo-pentecôtistes autant que sur les Eglises traditionnelles. La prolifération et la popularité des Eglises néo-pentecôtistes témoignent de la résurgence du fait religieux aujourd’hui. Le renouveau spirituel est en lui-même toujours une bonne nouvelle, mais une analyse critique des idées qu’il propage, des attitudes qu’il privilégie et de la forme de spiritualité qu’il met en avant reste certainement nécessaire. Cependant, plutôt que de soulever des questions sur le néo-pentecôtisme, il me paraît plus approprié que nous nous intéressions aux questions que le néo-pentecôtisme pose au catholicisme.

L’expérience de Dieu

L’enquête met clairement le doigt sur le fait que beaucoup de gens quittent l’Eglise catholique, et non pas seulement quelques unités par ci par là. Ceux qui rejoignent les néo-pentecôtistes sont des catholiques dévots et d’éducation supérieure, qui ont été élevés dans des familles traditionnellement religieuses.

La fonction première de toute religion est de fournir à la population une expérience de Dieu. Les néo-pentecôtistes sont très nombreux à parler de leur expérience de Dieu. Ils prétendent qu’elle est absente dans l’Eglise catholique alors qu’ils en font l’expérience dans leur Eglise néo-pentecôtiste. De plus, cette expérience est tellement profonde et structurante qu’elle a produit des changements radicaux et durables dans leur mode de vie, leurs attitudes et leurs engagements. C’est une expérience qui leur fait percevoir qu’ils sont “re-nés

Pour ce qui concerne l’Eglise catholique, la question qui se pose tout de suite est la suivante: comment se fait-il que notre liturgie et notre culte n’aident pas les fidèles à expérimenter Dieu plus fortement ? Quels sont les facteurs qui font que cette expérience de Dieu est possible dans les Eglises néo-pentecôtistes et quels sont ceux qui empêchent une expérience similaire dans l’Eglise catholique ? Est-ce que c’est parce que la liturgie des néo-pentecôtistes est spontanée, ouverte à la participation et chargée d’émotion, alors que la nôtre tend à être structurée, ritualiste et formelle avec peu d’espace accordé aux expressions émotionnelles ? Dans notre liturgie, aurions-nous mis l’accent de manière exagérée sur le rationnel et perdu de vue l’émotion ?

La fraternité

Les données que nous avons rassemblées révèlent aussi la profonde valeur que les néo-pentecôtistes donnent à la fraternité dont ils font l’expérience dans leurs Eglises. Un fort sentiment de communauté est clairement avéré dans toutes les Eglises néo-pentecôtistes qui ont participé à l’enquête. Ils ont un grand souci des leurs et reçoivent chaleureusement ceux qui viennent se joindre à eux. Parce qu’ils forment de petites communautés, les contacts entre eux sont très fréquents. A l’intérieur du groupe, chaque membre a un sentiment d’identité et d’appartenance. L’individu est dans un contexte qui facilite l’expression de soi et dans lequel il peut développer ses talents et contribuer au bien de la communauté. Le pasteur et le groupe constituent un groupe de soutien pour l’individu, particulièrement en période de besoin ou de détresse.

Comme l’a indiqué le sociologue Peter Berger, la modernisation a sérieusement érodé les repères traditionnels des individus et des communautés. Déraciné culturellement et socialement, l’homme moderne se trouve dans une situation que Peter Berger qualifie de “sans domicile fixeDans ce contexte, il n’est pas difficile de comprendre pourquoi les petites communautés des Eglises néo-pentecôtistes sont en train de devenir le “domicile” d’un nombre croissant de croyants.

Les Eglises pentecôtistes pointent le doigt sur le besoin ressenti par tous les fidèles d’être en communion les uns avec les autres. Les données que nous avons rassemblées suggèrent que les Eglises traditionnelles ne répondent pas à ce besoin. A cause de la grande taille de nos paroisses, nos paroissiens tendent à rester anonymes et sans relation entre eux. Leurs talents et leur bonne volonté ne contribuent que rarement à la vie de la paroisse. Par conséquent, l’expérience de la fraternité reste superficielle ou accidentelle. Même dans nos assemblées liturgiques, aussi grandes qu’elles soient, les fidèles se sentent davantage spectateurs que participants. Ils sont présents avec d’autres mais il y a peu de communication interpersonnelle.

Ceci pose la question de savoir si nos structures paroissiales actuelles sont propices à la construction de petites communautés vivantes dans lesquelles chacun connaît, accepte et reçoit l’autre dans son existence personnelle. Peut-être avons-nous besoin d’imaginer des alternatives à l’organisation de la paroisse, afin de promouvoir l’expérience de la fraternité. Les communautés chrétiennes de base pourraient-elles être une réponse ?

Gérer le changement

Une fonction très ancienne de la religion est de répondre au problème du sens, qui est toujours présent dans la condition humaine. Au-delà de la frontière du connu se profile l’inconnu. Cet inconnu place l’expérience humaine ordinaire dans le contexte permanent de ce que Clifford Geertz appelle “l’angoisse métaphysiquele soupçon effrayant que l’on pourrait être à la dérive dans un monde absurde et insensé. Pour la plus grande part de l’histoire humaine, la religion a aidé l’homme à gérer cette angoisse en donnant du sens et en orientant sa vie par la formulation de représentations du monde, et cela rendait compte et même célèbrait les ambiguités, les puzzles et les paradoxes de l’expérience humaine. La modernité et ses satellites – le pluralisme, l’explosion de la connaissance, la globalisation, pour n’en nommer que quelques-uns – ont sévèrement ébranlé la crédibilité des définitions religieuses traditionnelles qui, jusque-là, donnaient un sens aux expériences humaines même les plus pénibles. Cette évolution produit de l’angoisse et laisse l’homme moderne désorienté et incertain. Dans l’Eglise catholique, le problème a été exacerbé par les changements profonds introduits par le concile Vatican II. Aujourd’hui, beaucoup de catholiques sont intellectuellement déstabilisés. Ils ne sont plus sûrs de leurs croyances et de leurs pratiques.

Le néo-pentecôtisme peut être analysé comme un produit de cette incertitude. L’exode des croyants des Eglises traditionnelles vers les sectes fondamentalistes est, en un sens, une fuite de l’incertitude vers la certitude. En affirmant sans équivoque que Dieu parle seulement par la Bible, et que la Bible possède toutes les réponses aux problèmes de la vie, les Eglises néo-pentecôtistes répondent avec succès au besoin de certitude et de sécurité de l’homme moderne.

L’Eglise catholique et les autres Eglises traditionnelles semblent avoir échoué dans ce domaine. L’allure rapide des changements dans l’Eglise et dans le monde a fait que beaucoup de catholiques ont perdu leurs repères traditionnels. Il est urgent que l’Eglise s’interroge pour savoir comment aider ces catholiques à gérer leur sentiment d’incertitude et de désorientation, sans tomber dans la tentation fondamentaliste de répétition de l’évangile avec une certitude sectaire.

Le souci pastoral

Nous avons vu que la grande majorité ont quitté l’Eglise et rejoint les néo-pentecôtistes en temps de crise ou de besoin. Ceci semble indiquer qu’ils n’ont pas bénéficié dans l’Eglise catholique, d’un souci pastoral adéquat. Etant donné la taille de nos paroisses et le peu de prêtres, il est improbable que nous puissions mettre en oeuvre une pastorale adéquate pour les fidèles aussi longtemps que le ministère pastoral restera la responsabilité exclusive du prêtre. Il me semble que le temps est venu d’introduire massivement des religieuses et des laïcs comme agents pastoraux afin que l’Eglise puisse mettre en oeuvre une pastorale au niveau des personnes.

Conclusion

En conclusion, j’aimerais partager avec vous quelques expériences des étudiants qui sont partis de Pune vers les différentes régions du pays et ont parlé à plus de quatre mille néo-pentecôtistes. Quand ils sont partis, ils avaient peur, ne sachant pas comment ils seraient reçus et si les néo-pentecôtistes collaboreraient à une enquête comme celle-ci, d’autant plus qu’elle était conduite par l’Eglise catholique. Une fois sur le terrain, ils ont rapidement découvert que leurs peurs étaient sans objet. Quand nos étudiants ont frappé aux portes, souvent sans préalable, la plupart des néo-pentecôtistes les ont reçus chaleureusement et ont montré une grande hospitalité. Quelques-uns étaient méfiants au début sur les intentions de ces visiteurs de Pune, mais à mesure que l’interview progressait, ils ont parlé ouvertement et en confiance. Nos étudiants ont été inspirés par l’enthousiasme et la

conviction avec lesquelles les néo-pentecôtistes ont exprimé leurs engagements chrétiens.

La grande majorité des néo-pentecôtistes n’a manifesté aucun préjugé à l’encontre des catholiques, mais quelques-uns sont devenus défensifs quand ils ont appris que les enquêteurs étaient catholiques. Paradoxalement, les anciens catholiques se sont montrés plus inamicaux à leur égard que les autres néo-pentecôtistes. La plupart des étudiants ont eu l’occasion de participer à leurs réunions de prière. Ce furent des expériences émouvantes parce que les participants partageaient librement sur leur rencontre personnelle avec Jésus-Christ. La liturgie n’est pas ritualisée et l’accent est mis sur la spontanéité avec un certain sentimentalisme. Aucun des étudiants ne s’est converti au néo-pentecôtisme, mais tous ont été impressionnés par la force de conviction et la sincérité d’engagement des néo-pentecôtistes.

Ronald Knox débat de la montée et du déclin des mouvements charismatiques au sein de l’Eglise dans son livre “EnthusiasmIl conclut le livre en lançant ce défi : “L’Eglise conserve dans son coffre fort des choses nouvelles comme des choses anciennes… Mais il y a un risque dans sa position… Là où la richesse abonde, il est facile de prendre l’ombre pour la substance; la flamme de la spiritualité peut brûler à feu doux et nous continuons, inconscients, éblouis par les lumières artificielles… Si nous nous satisfaisons de nos routines, nous ne serons pas pardonnésLa montée du néo-pentecôtisme nous rappelle qu’il ne faudrait pas prendre l’ombre pour la substance.