Eglises d'Asie

Java oriental : à Situbondo, des émeutiers musulmans ont incendié 26 édifices religieux chrétiens et tué cinq personnes

Publié le 18/03/2010




Les autorités de la région orientale de Java poursuivent leur enquête sur les violentes émeutes survenues le 10 octobre dernier, à Situbondo, au cours desquelles une foule de 3 à 4 000 personnes de confession musulmane a incendié 26 édifices religieux et tué cinq chrétiens parmi lesquels un pasteur. Les militaires auraient aujourd’hui acquis la conviction que ces événements n’ont pas été l’effet d’un mouvement spontané, mais constituaient une opération planifiée à l’avance. Le 18 octobre dernier, le lieutenant colonel Subagyo, porte-parole des militaires, a fait publiquement état de ces soupçons. Il a appuyé ses dires sur les aveux recueillis auprès de plus de 47 émeutiers interrogés et sur un certain nombre de documents vidéo où l’on peut voir des manifestants distribuant ce qui semble être des bombes à essence et des bouteilles remplies de carburant et munies d’une mèche.

Il est vrai que les événements du 10 octobre dernier à Situbondo ont suivi un cours surprenant. A son tout début, la manifestation avait été provoquée par une condamnation à cinq ans de prison prononcée dans la matinée, par un tribunal local, contre un nommé Saleh, dirigeant d’une secte musulmane, accusé d’avoir insulté les grands dirigeants de l’islam. Réclamant contre lui la peine de mort, une foule qui, plus tard, sera estimée à 4 000 personnes s’est d’abord rassemblée devant le palais de justice où elle a cherché à arracher Saleh des mains de la police, puis a incendié les bâtiments du palais, gardés par 200 policiers impuissants. Les émeutiers s’en sont pris ensuite à des boutiques et à des locaux gouvernementaux qu’ils ont pillés et incendiés. Le bruit ayant couru que Saleh se cachait dans une église, la fureur des manifestants se tourna alors vers les édifices religieux chrétiens. Furent alors brûlées des églises de diverses confessions chrétiennes, des écoles, un orphelinat. Un pasteur de l’Eglise évangélique avec son épouse, deux enfants, une femme de ménage et un employé, bloqués à l’intérieur de leur église, ont été brûlés vifs. Leurs restes calcinés ont été trouvés dans la soirée au milieu des ruines de l’église. Dans l’après-midi, le mouvement s’est répandu dans cinq autres villes autour de Situbondo. Les troubles n’ont pris fin qu’après le déploiement de plusieurs bataillons dans la ville et la région de Situbondo.

Un communiqué commun des Eglises de la région orientale de Java, tout de suite après les événements, a fait état de l’incendie de 25 églises chrétiennes ainsi que d’un temple bouddhiste. Une commission d’enquête mise en place plus tard par la Communion des Eglises d’Indonésie a parlé de 30 églises incendiées. Les membres de cette commission, après avoir interrogé un grand nombre de témoins visuels et pris connaissance des rapports de police sur le sujet, ont, eux aussi, conclu au caractère préparé, organisé et coordonné du mouvement du 10 octobre.

Dès le lendemain, le secrétaire d’Etat Murdiono exprimait publiquement les regrets du gouvernement pour ce qui s’était passé. Il déclarait aussi que toutes les personnes impliquées dans cette émeute seraient jugées selon la loi. Quelques jours plus tard, la commission nationale des droits de l’homme a envoyé une équipe à Situbondo pour enquêter et recueillir témoignages et données qui permettront à la commission d’établir un rapport complet sur les événements.

De nombreuses personnalités et organisations musulmanes se sont élevées contre les exactions perpétrées à cette occasion et ont demandé un sévère châtiment contre les meneurs. En particulier, le président de la plus haute autorité de l’Islam en Indonésie, le conseil musulman des ulémas (théologiens), s’est déclaré choqué et atteint dans sa sensibilité religieuse par les événements du jour que l’on appelle déjà le “sombre jeudi”Le prophète Mahomet lui-même a interdit aux musulmans et même aux soldats en temps de guerre, toutes formes de cruautéa-t-il déclaré. Il a appelé les musulmans à “prendre garde à la campagne menée par certains éléments irresponsables, visant à dresser les groupes religieux, les uns contre les autres, les musulmans contre les musulmans et les musulmans contre le gouvernement”. Le responsable de l’organisation musulmane regroupant le plus d’adhérents, Abdurrachman Wahid a publiquement sollicité le pardon de Dieu et des victimes. Il s’est ainsi exprimé le 13 octobre : “Je sollicite le pardon de Dieu pour ceux qui ont accompli cela sans mesurer l’impact de leurs gestes sur la société et la nation. Supportant moi-même la responsabilité morale de ces faits, je sollicite le pardon de ceux qui ont subi de très lourdes pertes et exprime mes condoléances pour ceux qui sont morts

Du côté chrétien, les réactions stigmatisent la violence et appellent au calme. Mais l’irritation est grande, d’autant plus que les événements du 10 octobre s’ajoutent à une longue liste d’incendies d’églises et d’exactions diverses survenues au cours des mois et des années précédentes (10) : “Il est incroyable, a déclaré un fonctionnaire catholique qui veut rester anonyme, qu’un différend juridique entre musulmans se transforme en action violente menée contre des chrétiensLe communiqué, publié le 14 octobre par la Conférence épiscopale d’Indonésie, a voulu adopter un ton grave même s’il reste irénique. Selon les évêques indonésiens, les événements de Situbondo posent la question du rôle de la religion sur la formation du comportement moral des fidèles. Ils montrent aussi, dit le communiqué, que “quelques-uns d’entre nous en sont restés à un très bas niveau en ce qui concerne le respect des autres, de leurs biens et de leur religionIl est donc nécessaire de veiller à ne pas se laisser entraîner à nouveau dans de telles violences. Pour cela, il faut ôter l’hostilité des esprits et la remplacer par une authentique solidarité alliée à la collaboration et l’amour.