Eglises d'Asie

« LE PRIX NOBEL EST POUR TOUS, TIMORAIS ET INDONESIENS » Une interview de Mgr Carlos Ximenes Belo administrateur apostolique de Dili

Publié le 18/03/2010




Quand avez-vous appris qu’on vous avait décerné le prix Nobel de la paix pour 1996 ?

La nouvelle m’est arrivée le 11 octobre, alors que je célébrais la messe. Pendant la prière universelle, le frère Efrem m’a fait passer une note qui disait : « Votre excellence Dom Carlos vient de recevoir le prix Nobel de la paix 1996 ». J’ai été surpris, mais je me suis contrôlé et j’ai rangé la note. Après la communion, le vicaire général, le P. Jose Antonio da Costa, m’a demandé la permission d’annoncer la nouvelle lui-même à la communauté, mais j’ai refusé. Quand je suis rentré chez moi après la messe, j’ai trouvé des dizaines de télécopies provenant de tous les coins du monde et me félicitant pour le prix.

Quelle a été votre première réaction après avoir reçu le prix ?

Mes sentiments étaient assez partagés. C’était une grande surprise, mais aussi un fardeau supplémentaire. Pendant un certain temps, je me suis dit qu’il aurait été préférable que je n’aie pas reçu le prix. La communauté internationale me regarde maintenant non plus comme un évêque mais comme un lauréat du prix Nobel de la paix. J’ai fini par accepter la décision du comité Nobel.

Cependant, je considère que cette récompense n’est pas seulement pour moi, elle est pour tout le peuple de Timor Oriental qui lutte et qui a soif de justice et de paix dans son coeur. Cette récompense est aussi pour tous les Indonésiens, individus ou groupes qui luttent pour la justice, la paix et la démocratie en Indonésie.

Beaucoup de chefs politiques de Jakarta et de Dili ont critiqué le comité Nobel pour vous avoir choisi en même temps que Jose Ramos-Horta. Qu’en dites-vous ?

Je crois qu’il faut poser la question aux membres du comité à Oslo. Si vous voulez mettre en avant vos propres critères, alors vous devez aussi créer votre propre version du prix Nobel.

Antonio Freitas Paradas, président de l’assemblée législative provinciale de Timor Oriental, dit que vous ne méritez pas le prix. Il dit aussi que votre prédécesseur, Mgr Jose Martins, le méritait davantage parce qu’il avait le courage de s’élever contre le gouvernement colonial du Portugal. Que répondez-vous à cela ?

Paradas devrait savoir que les critères de choix du prix Nobel ne font pas partie de ses attributions pas plus que de celles de l’assemblée législative provinciale de Timor Oriental. En ce qui me concerne, Paradas parle comme un politicien qui songe à ses intérêts chaque fois qu’il ouvre la bouche. En ce qui concerne Mgr Martins, il a été un évêque extraordinaire et j’ai beaucoup de respect pour lui. Néammoins, si Paradas voulait qu’on lui attribue le prix Nobel de la paix, il aurait dû écrire aux membres du comité Nobel.

A votre avis, quel est le message relayé par cette attribution du prix Nobel à deux Timorais ?

Je crois que le prix Nobel de la paix signifie la reconnaissance de la communauté internationale pour les efforts qui sont faits en faveur de la paix et de la justice à Timor Oriental.

Pour quelle paix et quelle justice luttez-vous ?

Justice et paix pour la société de Timor Oriental signifient que tous les membres du peuple sont traités avec justice, quelles que soient leur appartenance politique et leurs idées, afin que chacun puisse vivre en paix.

Cela veut-il dire que vous ne luttez pas pour l’indépendance du territoire par rapport à l’Indonésie ?

Excusez-moi, mais c’est là l’affaire des hommes politiques. Ce que je poursuis, moi, c’est la reconnaissance et le respect des valeurs de justice et de paix pour Timor Oriental. Indépendance ou intégration sont des mots vides de sens tant qu’il n’y a pas de justice et de paix. La lutte pour la justice et la paix dépasse les frontières nationales et est devenue la tâche universelle de toute l’humanité civilisée.

Jusqu’à présent, les Nations Unies n’ont pas reconnu l’intégration de Timor Oriental dans l’Indonésie. Quelle est votre position à ce sujet ?

En tant que Timorais, je veux dire que la question paraît simple mais elle est aussi très compliquée. Toutes les parties concernées, le peuple de Timor Oriental, les gouvernements de l’Indonésie et du Portugal, la communauté internationale doivent travailler ensemble afin de trouver la meilleure solution.

Je voudrais seulement mettre l’accent sur un seul point : le peuple de Timor Oriental doit être libre et responsable dans l’expression de ses idées, particulièrement en ce qui concerne le statut éventuel de cette terre. Cependant, à supposer qu’il soit libre et responsable, il doit aussi accepter les risques que comporte ce genre de décision. J’aimerais par conséquent que l’on permette au peuple de Timor Oriental de parler pour lui-même.

Qu’attendez-vous du peuple de Timor Oriental ?

Chacun doit faire de son mieux pour maintenir la paix et la justice. Paix et justice dans son coeur, dans sa famille, dans les villages, les villes et toute

la région. C’est la condition première pour que l’on puisse coexister ensemble. Tant qu’il n’y aura ni justice ni paix parmi nous, la situation ne changera pas.

Dans l’une de vos lettres pastorales, vous avez indiqué que l’organisation d’un référendum serait la meilleure solution pour Timor Oriental. Etes-vous toujours du même avis ?

Dans une note pastorale du 31 juillet 1994, j’ai en effet écrit que l’Eglise considère qu’un référendum est la meilleure solution pour résoudre la question de Timor Oriental parce qu’il engage la population pour décider de la situation dans laquelle elle veut vivre. Un référendum permet aux gens d’utiliser leurs droits démocratiques et à toute la population d’exprimer ses aspirations en conscience. Cependant, si un référendum s’avérait difficile à organiser par crainte d’une autre guerre civile, l’Eglise de Timor Oriental suggérerait que le gouvernement indonésien envisage d’accorder un statut spécial d’autonomie à Timor Oriental.

Comment allez-vous utiliser l’argent du prix Nobel de la paix ?

Comme je vous l’ai dit, le prix Nobel de la paix n’est pas seulement pour moi mais pour tout le peuple de Timor Oriental. J’utiliserai cet argent dans l’intérêt public, particulièrement dans les domaines liés à la justice, la paix, l’éducation et la défense des droits. Je l’utiliserai aussi pour soutenir la commission diocésaine Justice et paix, pour construire un grand séminaire diocésain et pour fournir des bourses d’études aux étudiants qui ont des difficultés financières.