Eglises d'Asie – Divers Horizons
LA MIGRATION DES FEMMES ASIATIQUES POUR LE TRAVAIL
Publié le 18/03/2010
1. Introduction
En tant que phénomène économique et social, l’un des plus frappants de l’époque récente, la féminisation de la migration internationale du travail soulève des questions et des problèmes cruciaux. En termes simples, les difficultés politiques découlent du fait que les problèmes auxquels les femmes migrantes sont soumises se compliquent par suite de leur condition de femme et de migrantes à la fois. Selon une perspective féministe, les femmes devraient avoir des chances et un traitement similaires à ceux des hommes dans la politique de l’immigration et de l’émigration et l’accès aux marchés internationaux du travail. D’autre part, leur statut de femmes, migrantes et non-citoyennes du pays, et de travailleuses sur un marché de l’emploi où règne la ségrégation féminine, rend les travailleuses migrantes internationales
particulièrement vulnérables aux différentes formes de discrimination, d’exploitation et d’abus. Elles exigent donc une protection particulière. Les problèmes politiques sont compliqués, non seulement parce qu’ils impliquent des questions d’égalité par opposition au protectionnisme, mais plus important encore, parce qu’ils englobent les politiques d’émigration et d’immigration aussi bien que les structures de l’emploi et les lois du travail des pays qui envoient comme de ceux qui reçoivent. Ils impliquent aussi des attitudes socioculturelles et des conceptions concernant le rôle et le statut des femmes dans la famille, la société et les lieux de travail. Cependant de tels partis pris contre les femmes peuvent ne pas être directement du ressort d’une intervention politique.
Ce texte illustre les gageures de la politique en traitant spécialement de la migration internationale féminine vers les pays d’Asie et du Moyen Orient. Nous ne traitons pas de la migration féminine permanente vers les pays traditionnels d’immigration. Cette polarisation sur les femmes asiatiques est particulièrement intéressante pour un certain nombre de raisons. Premièrement, c’est en Asie que la féminisation de la migration internationale du travail est le plus prononcé. Deuxièmement, les femmes asiatiques sont en train de se mettre dans une situation de migrants autonomes de plein droit, plutôt que comme dépendantes des migrants masculins. Troisièmement, la situation des femmes asiatiques migrantes reflète le dilemme des femmes qui essaient de saisir des opportunités économiques outre-mer mais ont à satisfaire à la réglementation frontalière des entrées et sorties, aux contraintes sociales, à la discrimination féminine et aux différentes formes de l’exploitation dans les pays d’origine et de destination. Quatrièmement, c’est particulièrement le sort des migrantes asiatiques, surtout celles des emplois domestiques et de la prostitution, qui a alerté l’opinion publique et suscité des appels à des efforts, aux plans national et international, à promouvoir les droits et la protection des travailleuses immigrées. Cinquièmement, les pays d’Asie, pays d’envoi et pays d’accueil, ont expérimenté quelques politiques et programmes de sélection et de sensibilisation eu égard au sexe. Sixièmement, des actions récentes de la part de migrantes asiatiques elles-mêmes et des ONG dans les pays d’envoi et d’accueil offrent des exemples intéressants et utiles d’efforts non officiels pour suppléer et compléter les politiques et programmes gouvernementaux.
La section suivante du texte décrit les caractéristiques distinctives de la migration internationale du travail des femmes asiatiques. Elle explique pourquoi les femmes asiatiques sont plus nombreuses dans les flux récents du travail international et pourquoi elles sont particulièrement vulnérables. La troisième section traite des dimensions politiques. Elle examine les intentions déclarées et les impacts réels sur les femmes de la politique d’émigration et d’immigration, avec des exemples de différents pays d’Asie et du Moyen Orient. De telles politiques ne peuvent être dissociées des politiques de l’emploi et de la réglementation du travail concernant les migrantes. Soulignant l’écart entre les objectifs de la politique et sa mise en place effective, la dernière section met en évidence la nécessité d’une protection plus efficace des migrantes internationales et suggère quelques lignes d’action.
2. Caractéristiques distinctives de la migration féminine internationale pour le travail
En 1976, les femmes constituaient moins de 15 % des 146 400 travailleurs asiatiques qui avaient laissé leur pays pour travailler outremer : en 1987, elle constituaient 27% du million ou à peu près de travailleurs asiatiques partis cette année-là pour un emploi temporaire à l’extérieur (Abella 1995 : 241). Les années 90 ont vu une plus grande féminisation de la migration asiatique pour l’emploi. Les principaux pays d’envoi ont été les Philippines, l’Indonésie, le Sri Lanka et la Thaïlande ; les principaux pays d’accueil étaient les Etats du Golfe, en particulier l’Arabie Saoudite et le Koweït, mais aussi Hongkong, le Japon, Taiwan, Singapour, la Malaisie et Brunei.
Les émigrées philippines ont surpassé en nombre les Philippins émigrés dans la proportion de 12 contre 1, pour les destinations asiatiques, bien qu’elles aient compté pour moins d’un tiers des Philippins allant travailler sous contrat dans le Moyen Orient (Lim. 1994 : 130) Dans l’ensemble, les femmes comptent pour 60 % de tous les travailleurs agricoles, ayant un contrat outremer, recensés comme ayant quitté les Philippines (Enquête du Bureau national des statistiques des Philippines sur les travailleurs émigrés, pour 1994).
Les émigrées indonésiennes sont plus nombreuses que les hommes dans la proportion de 2 contre 1 selon les chiffres officiels. Tandis que la proportion enregistrée des travailleurs émigrés de l’Indonésie était de 141 hommes pour 100 femmes en 1983/84, elle était tombée à 36 pour 100 en 1993/94 (Hugo, 1995 : Tableau 5). Une enquête à l’aéroport du Sri Lanka en 1994, révéla que 84 % des travailleurs émigrés étaient des femmes, dont la majorité des employées domestiques. Bien que les femmes n’aient été qu’un quart des travailleurs thaïlandais enregistrés comme émigrant pour le travail outre mer en 1990 (Hiranpruk, 1992 : Annexe 1.3), on sait que l’émigration féminine clandestine est considérable et le nombre de femmes thaïlandaises qui émigrent a augmenté plus rapidement que le nombre d’hommes.
Le point le plus important concernant les données ci-dessus c’est qu’elles se réfèrent à la migration ouvrière légale et seulement à cette partie officiellement enregistrée comme migrant pour l’emploi outremer. Elles ne couvrent pas les femmes qui quittent le pays légalement pour toute autre raison (très généralement pour le tourisme et les études) mais qui finissent par prendre du travail dans les pays d’accueil ; ni les femmes qui quittent de manière illégale pour travailler ailleurs, sans passer par les points de contrôle aux frontières.
Si l’on considère la circulation non enregistrée ou illégale, le nombre aussi bien que la proportion des femmes est vraisemblablement plus élevé. Par exemple, les travailleurs engagés illégalement outre mer sont plus nombreux que ceux qui le sont légalement, dans la proportion de 7 contre 1 (Hugo et Singhanetra-Renard, 1991 : 36) ; et les Srilankais qui quittent par la voie officielle sont environ 40 % du total des émigrés (Bandara, 1991).
Les femmes des autres pays d’Asie participent aussi à la migration internationale pour l’emploi, bien que leur nombre ne soit pas aussi important. Il pourrait y avoir près de 100 000 Indiennes travaillant dans le Moyen Orient, et il y a aussi des preuves d’émigration illégale d’Indiennes comme employées de maison vers Singapour et Hongkong. Des femmes du Bangladesh travaillent comme domestiques chez les voisins de l’Inde et du Pakistan mais aussi à Hongkong et au Moyen Orient, même si l’interdiction d’une telle émigration n’a été levée qu’en 1991. Les autres pays d’Asie qui exportent la main d’oeuvre féminine, surtout comme employées domestiques, sont la Birmanie et la République populaire de Chine (Heyzer et Wee, 1993 : 11). A l’autre bout de l’échelle des compétences, les femmes d’Asie émigrent outremer comme infirmières, médecins, enseignantes, secrétaires – métiers plus ouverts aux femmes. Ces émigrées qualifiées ne vont pas seulement dans les principaux pays d’embauche d’Asie et du Moyen Orient, mais aussi dans les pays d’immigration traditionnelle d’Europe ; et elles ne viennent pas seulement des principaux pays d’envoi mais aussi de Malaisie, de Singapour et même du Japon. Par exemple, on a recensé 1 500 célibataires japonaises travaillant dans des postes administratifs et dans les professions libérales à Hongkong (Levinson, 1994 : 40).
La spécificité et la signification de l’émigration de la main d’oeuvre féminine asiatique peuvent être mises en évidence sous l’angle de nombreux traits distinctifs – distinctifs soit en comparaison de l’émigration de main d’oeuvre masculine soit en comparaison de la migration de la main d’oeuvre féminine dans d’autres parties du monde. Ces caractéristiques aident à expliquer pourquoi les femmes asiatiques sont plus nombreuses dans la circulation récente de la main d’oeuvre mais elles mettent aussi en lumière leur vulnérabilité et leur besoin de protection. Bien sûr, parmi les émigrées asiatiques elles-mêmes, il y a des différences, qui découlent spécialement des différences dans les pays et les communautés d’origine, mais nous pouvons faire quelques généralisations, en nous basant sur leurs caractéristiques prédominantes et leurs expériences.
La fourniture de la main d’oeuvre migrante de femmes asiatiques a été très flexible, si on la compare à celle des hommes de leurs propres pays ou des femmes d’autres parties du monde. Les femmes asiatiques ont montré leur désir et leur capacité à répondre assez facilement et rapidement à l’évolution de la demande sur les marchés du travail outremer. Surtout avec le ralentissement de la demande de travailleurs invités dû aux conditions prévalant dans le Moyen Orient et avec l’émergence des emplois à dominante féminine, des femmes asiatiques ont quitté famille et maison pour faire vivre la famille, contribuant de façon significative aux échanges de leurs pays avec l’étranger.
Leur mouvement, souvent stratégie de survivance pour la famille, a reçu une impulsion accrue du fait des impacts négatifs des programmes d’adaptation structurelle dans leurs pays. Leur flexibilité peut être attribuée à un certain nombre de facteurs, dont les plus importants sont le manque relatif de contraintes sociales, le taux déjà élevé de leur force de participation dans leur propre pays, le rôle actif des gouvernements et des intermédiaires privés pour promouvoir leur migration, et le soutien de réseaux sociaux.
Les attitudes socioculturelles et le niveau d’éducation relativement élevé dans les pays du sud-est asiatique et le Sri Lanka ont permis même à de jeunes femmes célibataires de partir travailler outremer. Ce sont là des attitudes plus libérales que dans d’autres pays du sud asiatique et de l’Arabie, surtout ces pays où les croyances et les pratiques religieuses influencent encore fortement le statut et la mobilité des femmes. On a aussi remarqué que dans les “pays où les femmes constituent déjà une proportion importante de la main d’oeuvre, les restrictions sur l’emploi outremer de certaines catégories de travailleuses ont été plus symboliques que réelles. Les autorités aux Philippines et en Thaïlande, par exemple, ont trouvé des moyens pour exempter certaines catégories de femmes de l’interdiction officielle d’emploi à l’étranger. D’autre part, dans des pays comme le Bangladesh et le Pakistan où la participation en main d’oeuvre féminine a été restreinte par des normes et des valeurs sociales, les restrictions formelles n’ont fait que renforcer la tendance de la société à laisser les femmes au foyer” (Abella, 1995 : 242
Le fonctionnement des réseaux sociaux a été une raison importante de la nature autonome et cumulative des vagues migratoires des femmes asiatiques. Les Asiatiques sont très connus pour maintenir des relations sociales et des réseaux d’engagement solides, et c’est par ce biais qu’on a transmis l’information, établi les contacts, créé et saisi les occasions d’emploi pour de nouveaux migrants, et fourni le soutien social. Surtout avec les communautés en expansion des femmes des Philippines, d’Indonésie, de Thaïlande dans les pays d’accueil (les rassemblements, aux jours de congé de ces femmes, à Star Ferry Terminal et Central District à Hong Kong, Orchard Road à Singapour, dans la région de Chow Kit à Kuala Lumpur, en sont des exemples frappants), il est devenu nettement plus facile pour d’autres femmes de suivre. Les femmes, surtout jeunes, sont plus susceptibles que les hommes de se déplacer comme maillons d’une chaîne d’immigration, pour suivre leurs soeurs ou autres parents qui travaillent déjà outremer. Elle comptent aussi plus que les hommes sur les réseaux sociaux informels. Par exemple, une étude graphique des aides domestiques philippines à l’extérieur, a montré que les amis et la famille représentaient la source la plus importante de l’information concernant les possibilités d’emplois domestiques à Hongkong. Des employeurs éventuels préféraient s’adresser à des employées domestiques de confiance plutôt que de passer par le recours onéreux et parfois peu fiable des agences (Vasquez et al., 1995 : 30). Une autre étude révéla que même si la plupart des émigrées srilankaises étaient placées à l’extérieur par des agences privées de recrutement, 32 % utilisaient des canaux informels, en comparaison de 16,5 % chez les hommes (Eelens, 1995 : 2 69
Un facteur important de cette prédominance des femmes asiatiques dans la migration internationale de l’emploi est le rôle actif des gouvernements des pays d’envoi pour favoriser de tels flux.
Le Centre de l’emploi outremer (AKAN) du Département de la main-d’oeuvre en Indonésie, l’Agence pour les emplois outremer des Philippines, Le Bureau de l’emploi étranger du Sri Lanka, L’Agence pour le développement outremer de Corée, l’Agence pour l’emploi et la formation de la main d’oeuvre du Bangladesh, le Bureau de l’administration de l’emploi outremer du département du travail de Thaïlande, ont tous été établis pour encourager l’exportation de la main-d’oeuvre. Dans le cas de la main-d’oeuvre féminine, les gouvernements des pays d’envoi d’Asie ont à faire face à un dilemme politique douloureux et qui sera discuté dans l’autre section de ce document.
C’est la croissance d’une “industrie de l’émigration” qui a beaucoup facilité la migration féminine, légale aussi bien qu’illégale. Sans les agents de recrutement, les promoteurs de l’emploi outre mer, les fournisseurs de main-d’oeuvre et une masse d’intermédiaires légaux ou non, la migration de la main-d’oeuvre asiatique depuis les années 70 n’aurait pas atteint une telle importance (Abella. 1992 : 270-272). Le recrutement pour l’emploi est devenu une entreprise hautement lucrative et compétitive, et les agents de recrutement se sont même organisés en associations commerciales, comme l’Association de fourniture de main-d’oeuvre indonésienne, capables de faire pression sur les gouvernements pour amener des changements de politique favorables. Aux Philippines, il y a quelque 700 agences de recrutement agréées ; rien qu’en 1991 ils se sont occupés de 701 500 travailleurs sous contrat. La plupart des agences travaillent pour une industrie ou un secteur spécifiques, par exemple 307 agences traitent uniquement avec les employées de maison ou les “hôtesses” (Stalker, 1994 : 35). Les opérations de ces agences de recrutement ont sans aucun doute permis à beaucoup de femmes asiatiques de travailler outremer, mais elles sont aussi la cause même de la vulnérabilité de ces femmes. D’abord, les honoraires exigés par ces agents sont habituellement qualifiés d’exorbitants, bien supérieurs à la somme fixée légalement, et les femmes s’endettent à long terme ou vendent des propriétés familiales pour les payer. Deuxièmement, les relations de dépendance des femmes migrantes par rapport aux agents, à la fois dans les pays d’envoi et d’accueil, peuvent mener à une série de pratiques d’exploitation. Cette relation de dépendance est due à un certain nombre de facteurs : il peut se trouver que les agents soient les seules voies d’accès aux rares emplois outremer ; que les femmes n’aient pas d’autre contact que l’agent et l’employeur dans les pays d’accueil ; que la dépendance ait été délibérément entretenue par les agissements d’agents qui retiennent les passeports des femmes.
Dans la plupart des pays asiatiques d’envoi ou d’accueil il y a un grand nombre d’agences non agréées ou autres intermédiaires illégaux dans les lieux d’origine ou de destination. L’augmentation du nombre de migrants illégaux, c’est clair, a été aidée par les activités étendues d’un large éventail d’intermédiaires, depuis les opérateurs à temps partiel qui font passer les frontières aux irréguliers ou pourvoient en faux documents des associations clandestines bien organisées et qui sont engagées dans l’entreprise lucrative de faire passer les gens en contrebande, et dans le trafic international des femmes pour la prostitution. La vague d’immigrées clandestines au Japon est organisée principalement par les syndicats du grand banditisme Japonais (les “Yakuzaqui utilisent les femmes comme “hôtesses”.
La prolifération de canaux illégaux peut être attribuée en partie au prix élevé et aux procédures de la migration légale qui exigent beaucoup de temps, que ce soit par le biais de recruteurs gouvernementaux ou privés. Les émigrées elles-mêmes, aussi bien que les employeurs, peuvent trouver plus pratique de recourir à des filières illégales.
Les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’utiliser de telles filières illégales du fait de leur niveau d’éducation relativement plus faible et de leurs possibilités plus réduites d’accès à l’information. Bien sûr, les recruteurs clandestins eux-mêmes peuvent rechercher plus activement les femmes, qu’ils considèrent plus faciles à duper que les hommes. Le danger évidemment, c’est que les femmes qui émigrent par ces filières illégales, et aussi les femmes qui sont tombées dans l’illégalité pour avoir dépassé la durée limite de séjour ou manqué aux conditions d’obtention du visa d’entrée, sont les plus vulnérables parce qu’elles n’ont pas de statut légal dans les pays d’accueil et sont entièrement coupées de l’aide officielle ou d’une possible régularisation de leur situation.
La migration de la main-d’oeuvre féminine est fortement caractérisée par la concentration dans un nombre limité d’occupations à dominante féminine comme employées de maison, “hôtesses” (souvent un euphémisme pour dire prostituées), aides dans les restaurants et hôtels, ouvrières de montage à la chaîne dans les manufactures à production intensive. Ces besognes sont au niveau le plus bas de la hiérarchie des emplois, généralement dédaignées par les femmes du pays parce qu’elles rapportent peu (relativement aux autres emplois des pays d’accueil mais non pas des pays d’envoi), des conditions de travail inférieures et des perspectives limitées d’emploi ou de sécurité. Ce sont des emplois considérés comme propres aux femmes parce qu’ils sont associés à la docilité, l’obéissance et la nature compatissante, traditionnellement considérées comme des attributs féminins, surtout des femmes asiatiques. Des Philippines, Thaïlandaises et Srilankaises ont aussi été envoyées en Europe, Australie, Nouvelle Zélande et même au Japon comme “épouses par correspondance
De nombreuses études ont mis en lumière le sort de migrantes dans ces emplois, surtout le service domestique et la prostitution. “L’aide ménagère s’engage dans un emploi outremer avec un contrat d’aide ménagère que l’on ne respecte pas le plus souvent ou que l’on remplace par des conditions de travail discriminatoires et injustes, surtout des salaires réduits. Les employés domestiques reçoivent habituellement des salaires en dessous des normes, et souvent retardés ou retenus, les jours de congé ne sont pas accordés, la nourriture est inadéquate, le logement peu sûr et inconfortable, les soins médicaux sont refusés, les déplacements restreints. De nombreux cas de mauvais traitements, harcèlement sexuel et viols, travaux excessifs, travail pour une maisonnée supplémentaire, sont aussi relevés(Imson.1992 : 15). “Un problème majeur des ‘hôtesses’ immigrées est ce qu’on peut appeler l’exploitation liée au salaire…la plus grande partie des salaires étant détournée vers les différents intermédiaires… En plus des abus sexuels et de la prostitution, les femmes qui travaillent outremer comme hôtesses sont exposées à la toxicomanie et aux maladies vénériennes… Parmi les hôtesses philippines ou thaïlandaises au Japon, ces dernières sont davantage prises pour victimes” du fait d’une plus grande proportion de travailleuses illégales parmi elles (Gulati, 1994 : 93-95).
On a interprété comme indiquant la nature stressante de leur situation le taux élevé de non-exécution des contrats et de retours prématurés, surtout parmi les femmes émigrant vers le Moyen Orient (United Nations, 1995 : 16). Un rapport de “Middle East Watch” estime que pour les 12 mois commençant en mai 1991, 1 400 domestiques philippines et des centaines de servantes indiennes, bangladeshi et srilankaises ont cherché refuge dans leurs ambassades. D’autres ont été ramassées par la police après s’être enfuies et ont été arrêtées ou renvoyées à leurs employeurs (United Nations, 1995a : 164).
Les femmes immigrées surtout celles des emplois domestiques ou hôtesses sont particulièrement vulnérables parce qu’elles se trouvent dans des situations d’emploi individualisées où il y a plus de solitude et moins de chance d’établir des réseaux d’information et de soutien moral, que pour les émigrés hommes qui travaillent habituellement en groupes sur des lieux de construction ou les plantations. La nature de l’emploi qui est soumis à un réseau de relations en faveur de l’employeur contribue aussi à la vulnérabilité et à l’exploitation des employées domestiques. La cause la plus importante de leur vulnérabilité est, cependant, non pas leur statut de migrantes mais le fait que les occupations où elles sont concentrées ne sont pas normalement couvertes par les lois du travail ou des mesures de sécurité sociale du pays d’accueil. C’est une forme de vulnérabilité qu’elles ont en commun avec les femmes autochtones travaillant dans ces mêmes secteurs. Même si le service domestique et le secteur du divertissement étaient couverts par les lois du travail ou les règlements de la sécurité sociale, la nature même de ces secteurs en rendrait l’application, surtout appliquée aux femmes immigrées, une entreprise redoutable. Et si la prostitution n’est pas une profession légale dans le pays d’accueil, les émigrées qui s’y sont laissé prendre ne peuvent espérer aucune protection officielle. Au contraire, elles seront soumises au harcèlement officiel, aux raids et à la déportation.
Une autre raison de préoccupation politique est la dévalorisation et le gaspillage du capital humain qui caractérise la migration internationale féminine en Asie. Une étude portant sur les femmes philippines ayant l’intention d’émigrer pour travailler comme domestiques, révéla que 36 % étaient diplômées de collège ou étudiantes (rapporté par Stalker, 1994 : 109). Pour de meilleurs salaires mais un statut social inférieur à l’extérieur, ces femmes minimisent leurs qualifications pour obtenir un emploi de domestique. Dans les pays d’accueil on ne leur permet pas de passer vers des emplois à compétences supérieures même s’ils sont vacants et si elles sont qualifiées. Celles dont le visa fait mention d’une catégorie de compétence supérieure peuvent encore finir dans des emplois moindres ou non spécialisés. Par exemple, plusieurs cas sont rapportés au Moyen Orient où on a forcé celles qui sont entrées dans le pays comme infirmières à prendre des emplois domestiques ou autres, non spécialisés. Les hôtesses qui entrent au Japon sont classées comme travailleuses “qualifiées” Cependant, la récente enquête du ministère de la Justice a découvert que 80 % de ces femmes entrant dans cette catégorie travaillent comme hôtesses et serveuses (Asahi Shimbun, July 22,1995).
Les pays d’Asie exportant la main d’oeuvre ont exprimé leur désir d’envoyer davantage de main d’oeuvre qualifiée outremer. Cependant, les emplois qualifiés qui sont en demande sur les marchés de l’emploi étrangers sont en nombre relativement limité. Le personnel de santé, surtout les infirmières, semble être en grande demande. Parmi les migrantes philippines, la préférence donnée à cette catégorie a augmenté de 76 % et 14,5 % pendant le troisième trimestre de 1991 en comparaison des premier et second trimestres de la même année (POEA, 1992 : 3). Ce sont les infirmières qui sont le plus demandées outremer. Des 21 000 employées de la santé envoyées outremer par les Philippines en 1993, 79,8 % étaient infirmières. Cependant, cela pose la question de la “fuite des cerveaux”. Bien que ce soit la moyenne la plus élevée d’exportation d’infirmières, aux Philippines même il a manqué 30 % des infirmières nécessaires aux besoins du pays (POEA, 1992:4
Un autre problème est que la distinction entre migrantes “qualifiées” ou “non qualifiées” n’est pas toujours tout à fait claire. Par exemple, le gouvernement indonésien, dans son sixième plan quinquennal, comprenait comme catégorie de personnel qualifié à exporter les “baby-sitters qualifiées” (Hugo, 1995 : 30). Cependant, la distinction entre “baby-sitters” qualifiées et celles qui ne le sont pas est vague. Plus important encore, que ces “baby-sitters” soient qualifiés ou pas, le milieu de travail n’est pas nécessairement différent. L’exploitation et les mauvais traitements ne sont pas liés au niveau de qualification des migrantes mais plutôt au milieu de travail associé à certains emplois particuliers, aussi bien qu’au statut social des femmes dans les pays d’accueil. D’où, pour qualifiées – ou considérées comme “main d’oeuvre qualifiée” – que soient les baby-sitters ou domestiques, les conditions de travail misérables et l’exploitation ne sont pas près de disparaître.
Les migrantes asiatiques choisissent de travailler à l’extérieur dans des conditions éprouvantes pour le bien du groupe familial, conscientes qu’elles ne tireront elles-mêmes que peu de profit de l’expérience (United Nations, 1995 : 7). Elles ont été poussées par le désir de “gagner de bons salaires, économiser et donner à leur famille un avenir brillant” (cité par Levinson, 1994 : 40). Toutefois les sacrifices auxquels consentent ces femmes pourront ne rien donner s’il n’y a pas de canal sûr et efficace pour acheminer leurs salaires jusqu’au pays d’origine et s’il n’y a pas de moyens pour les encourager à économiser pour un éventuel retour au pays. Une situation que l’on rencontre fréquemment c’est qu’elles envoient fidèlement leurs salaires chez elles, mois après mois, dépensant ce qui reste aux nécessités immédiates. Leur contrat prenant fin, elles rentrent parfois chez elles les mains vides, pour découvrir que tout l’argent remis à leur famille a été englouti par les besoins de la famille. “Les gouvernements des pays d’envoi doivent chercher comment faire servir leurs salaires à un emploi plus productif qu’aux simples besoins de la famille” (Heyzer and Wee. 1993 : 14). Des études de cas ont démontré que, tout comme la vie des émigrées est dure à l’étranger, leur réintégration à leur retour peut être tout aussi difficile. Les migrantes ont besoin d’être aidées non seulement pour se réinsérer dans leur famille et leur communauté mais aussi pour trouver un emploi plus gratifiant et mieux payé. Malheureusement, souvent elles ne peuvent pas trouver un emploi rémunéré et la plupart d’entre elles ne font pas des économies suffisantes sur leurs salaires à l’étranger pour se mettre à leur compte.
On fait donc pression sur elles pour qu’elles émigrent à nouveau, et le résultat, c’est une masse de gens en perpétuel déplacement d’un endroit à un autre, en quête d’emploi.
3. Les dimensions politiques de la migration féminine
Il est clair à partir de ce qui a été dit dans la partie précédente que la situation des migrantes de l’emploi est affectée : (I) par les types de demandes de main d’oeuvre internationale qui sont dictées par la politique d’immigration (et en lien avec le marché de l’emploi) des pays d’accueil, et par la sélectivité et la sensibilité au problème féminin, de cette politique ; (II) par la manière dont les gouvernements s’efforcent d’équilibrer une politique d’émigration qui favorise l’exportation de la main d’oeuvre, avec la nécessité de protéger leurs ressortissantes vulnérables ; et (III) par d’autres initiatives des pays d’envoi ou d’accueil aux niveaux bilatéral ou multilatéral, par les migrantes elles-mêmes, ou par des organismes non gouvernementaux pour améliorer la protection et le bien être de ces femmes.
3.1. Sélectivité et sensibilité des politiques de l’immigration aux problèmes féminins
La sélectivité de la politique des pays accueillant les émigrées asiatiques peut être examinée en termes de quatre types principaux de régulation traitant de : la résidence permanente et la réunion des familles, l’entrée temporaire sur les critères des marchés de l’emploi, les titres d’emploi et d’aide sociale, et les conditions de l’admission et du séjour.
La résidence permanente et la réunion des familles ne sont pas les facteurs déterminants de la migration chez les femmes asiatiques, surtout que nous ne traitons pas des pays d’émigration traditionnelle. Dans ces pays et dans les pays d’Europe, la tendance pour la réglementation de l’entrée était de ne pas être trop explicitement discriminatoire par rapport au sexe : on mettait dans la même catégorie les femmes et les hommes, dans une catégorie neutre, comme “non-ressortissants” ou “conjoints ou dépendants de non-ressortissantsMais “l’exécution en était souvent influencée par les images stéréotypées du rôle des hommes et des femmes dans la société d’origine ou de destination, images qui renforçaient les inégalités et aboutissaient à une migration différentielle selon le sexe. Ainsi les femmes étaient largement admises comme dépendantes dans les pays d’immigration traditionnels comme dans ceux d’Europe, tandis que les hommes tendaient à prédominer dans les catégories de migrants de types économique.” (United Nations, 1995 : 14Les femmes admises comme dépendantes ne sont généralement pas autorisées à travailler.
Les pays qui importent la main-d’oeuvre en Asie ou dans le Moyen Orient n’autorisent généralement pas la résidence permanente : les émigrés sont admis temporairement selon les critères du marché du travail et surtout les travailleurs non qualifiés ne sont pas autorisés à amener leur famille. Une seule exception : le Koweït qui permettait la migration en famille ou la réunion des familles. L’Acte japonais sur l’immigration, de Juin 1990, accordait le droit de résidence aux étrangers de descendance japonaise, quel que soit le sexe. Bien que ces exemples n’impliquent pas de directives spécifiques quant au sexe, les conséquences n’en sont pas nécessairement neutres.
Par exemple, les règlements du Koweït concernant la réunification familiale, surtout dans les années 60 et 70, firent entrer surtout des femmes arabes et quelques femmes d’Asie (Inde, Pakistan et Iran). Initialement, les dépendants étaient autorisés à prendre un emploi, mais par la suite on s’est aperçu que des restrictions sur la force de participation au travail des dépendants avait affecté surtout les femmes (Russell, 1995: 257-258
Ce à quoi nous nous intéressons davantage c’est aux règlements d’entrée basés sur les critères du marché du travail. Les pays importateurs de main-d’oeuvre généralement ne font pas du sexe un critère d’admission. Mais pour autant que les règlements d’entrée admettent les migrants pour des emplois particuliers, et qu’il y a une ségrégation féminine dans les emplois, les conséquences tendent à être sélectives quant aux femmes. L’autorisation d’entrée pour domestiques, hôtesses et infirmières ne spécifient pas hommes ou femmes mais la nature spécifique du type d’emploi amène une sélectivité féminine. Les critères de compétence non plus ne sont pas spécifiques au sexe, mais là encore leur application tend à produire des résultats différents pour les hommes et pour les femmes, soit parce que dans les pays d’origine il y a des préjugés de sexe dans l’accès à la formation aux métiers ou parce que dans les pays d’accueil les stéréotypes féminins font que les femmes sont associées à des emplois non qualifiés et les hommes aux emplois qualifiés. Il s’est créé une situation ridicule où les femmes sont en plus grand nombre parce que quelques pays comme le Japon qualifient les “hôtesses” de travailleuses “qualifiées” qui ont droit d’entrée.
Des règlements récents de migration pour les postes temporaires ont amené une sélection féminine dans les résultats sinon dans une réelle spécification. Ceci surtout parce que les règlements d’entrée ont été sélectifs quant aux aides domestiques, hôtesses et autres emplois majoritairement féminins comme infirmières et employés du secteur ménager. Hongkong, par exemple, n’a pas de quota restrictif sur l’entrée d’aides domestiques non chinois.
Même si les femmes ont pu obtenir l’autorisation d’entrer dans la catégorie basée sur l’emploi, elles sont sujettes à un certain nombre d’autres conditions pour l’admission et le séjour, qui sont souvent discriminatoires, que ce soit par rapport aux émigrés hommes ou aux femmes autochtones. Il est généralement interdit aux employées domestiques de changer d’employeur, bien que des travailleurs qualifiés ou professionnels en aient le droit. Les règlements à Hongkong sont tels que les servantes étrangères ne sont pas autorisées à changer d’emploi pendant les deux premières années de leur contrat ; celles qui rompent le contrat ne sont pas autorisées à passer un nouveau contrat légal avant de quitter le pays ; et elles n’ont pas le droit de rester à Hongkong plus de deux semaines après la fin d’un contrat. Une conséquence indirecte de tels règlements c’est la dépendance outrancière des femmes à l’égard de leurs employeurs. A Singapour, les restrictions attachées à l’autorisation de travailler comme domestique, sont encore plus strictes: une émigrée n’a pas le droit d’être enceinte, doit subir des tests de grossesse tous les six mois et ne peut épouser un autochtone. Singapour exige aussi d’un employeur qui recherche les services d’une aide domestique étrangère une caution de 5 000 US$, caution plus élevée que pour d’autres types de travailleurs étrangers pour lesquels on ne demande que 2 000 US$. L’employeur perd la caution si la servante se trouve enceinte.
Aussi, tandis que les pays importateurs de main d’oeuvre accordent aux femmes asiatiques le droit d’entrée lié à l’emploi, ils ne leur accordent pas de protection pour les conditions du droit du travail ou autres clauses de sécurité sociale en vigueur. Au Koweït, par exemple, les travailleuses étrangères sont exclues du système d’assurance sociale établie pour les Koweïtiennes, et les aides domestiques étrangères n’ont pas droit aux clauses de compensation de fin de service selon la loi du travail. “En conséquence, les lois de la migration dans ces pays tendent à mettre l’accent sur les responsabilités des migrants plus que sur ceux de l’Etat, et leur dossier concernant la protection des droits des migrants est généralement médiocre” (United Nations, 1995 : 4Pour être juste envers ces pays, disons que le problème de non-protection de ceux qui travaillent dans les services domestiques ou le secteur du divertissement, n’est pas exclusif aux émigrées. Les femmes autochtones qui travaillent dans ce secteur ne sont pas non plus couvertes par une législation protectrice. Et même quand cette législation existe, il est difficile de la mettre en vigueur étant donné la nature des emplois en question. En fait, sous certains rapports les femmes immigrées peuvent être dans une meilleure situation que les autochtones. Certains pays d’accueil insistent sur un contrat-type légal et stipulent les salaires minimum à payer aux servantes étrangères (Hongkong 350 US$, Singapour 200 US$, Arabie Saoudite 213 US$, Malaisie 200 US$ par mois), tandis que les servantes autochtones ne sont généralement pas couvertes par de tels règlements. Malheureusement, la question de savoir si les contrats et salaires minimum sont respectés de fait pour les servantes étrangères ou si elles reçoivent un salaire minimum au moins égal à celui des autochtones, est une autre question.
3.2. Politiques d’émigration affectant les migrantes
La politique d’émigration des pays asiatiques exportateurs de main d’oeuvre ont trois objectifs principaux, liès entre eux. Cependant il y en aurait deux, la promotion d’exportation de main-d’oeuvre et la protection des travailleurs émigrés, qui pourraient être en conflit ou en contradiction ; et les conflits et contradictions ont particulièrement trait aux femmes migrantes. D’une part, pour répondre aux marchés de l’emploi outremer, les gouvernements des pays d’envoi doivent favoriser la sortie de tous les travailleurs dont il y a besoin, hommes ou femmes. D’autre part, comme démontré plus haut, ce sont les travailleuses émigrées qui ont le plus spécialement besoin de protection, tandis que les hommes sont plus à même de se prendre en charge. Le souci des nations pour le bien-être de ces femmes a poussé certains gouvernements à interdire ou restreindre la migration féminine. Le troisième objectif majeur est de maximiser l’impact du développement de la migration de main-d’oeuvre en facilitant l’entrée et l’emploi productif des employés étrangers et aussi le retour de ceux qui ont une qualification et une formation.
3.2.1. Faciliter la migration féminine
Les gouvernements asiatiques ont joué un rôle important dans la promotion de l’exportation de main-d’oeuvre, y compris comme décrit plus haut, mettant sur pied des agences gouvernementales spécialisées, et aussi en encourageant des organismes de recrutement privés. Certains pays incorporent spécifiquement dans leurs plans de développement, des projets pour envoyer des femmes outremer pour l’emploi. L’Indonésie, par exemple, avait, dans son quatrième plan quinquennal (1983-1988/89), l’objectif d’envoyer 225 000 femmes à l’extérieur, tandis que l’objectif du cinquième plan quinquennal (1989-1994) était de 500 000 émigrées pour l’outremer (Raj-Hashim 1994: 123). De ces femmes, 😯 % étaient des employées domestiques pour le Moyen Orient.
“Le développement du marché étranger” pour l’exportation de la main-d’oeuvre est, en fin de compte, davantage une question de demande des pays d’accueil. La migration de la main d’oeuvre est un phénomène plus orienté par la demande que par l’offre. Les pays d’envoi ne peuvent pas se tailler un ensemble de marchés outremer pour leurs travailleurs émigrés potentiels si la demande n’existe pas. Le volume et le type de demandes de travailleurs émigrés seront déterminés à l’intérieur du contexte de la division du travail internationale et sexiste, et ce sont les pays d’accueil qui expriment la demande en termes de règlement différents pour l’entrée de la main-d’oeuvre immigrée. Afin de correspondre aux critères des pays d’accueil, les pays exportateurs de main d’oeuvre, doivent promouvoir des contrats de travail outremer aussi bien pour les femmes et que pour les hommes. La demande des pays importateurs de main d’oeuvre féminine, surtout employées domestiques, infirmières ou enseignantes, est plus stable que la demande pour les ouvriers du bâtiment, si bien que la migration féminine représente souvent une source plus sûre d’échanges d’ouvriers étrangers que la migration masculine.
Mais la pression s’exerce de plus en plus sur les pays d’envoi pour qu’ils protègent leurs émigrées, par exemple par diverses restrictions de sortie. Aux Philippines par exemple, il y a deux agences gouvernementales, une pour encourager l’exportation de la main d’oeuvre (le Bureau de l’emploi outremer des Philippines) et l’autre pour les protéger des abus (le Bureau du bien-être des travailleurs outremer). Les Philippines n’interdisent pas certains types de migration féminine ; au contraire le Bureau d’emploi outremer offre des sessions de préparation au départ spécialement à l’adresse des hôtesses, employées domestiques et infirmières pour aider ces groupes potentiellement vulnérables.
Beaucoup d’autres pays d’envoi sont entrés sur le marché de l’exportation de main d’oeuvre et la concurrence s’est installée entre eux : les pays d’accueil, eux, ont un choix plus large et des sources de main d’oeuvre meilleur marché de sorte que maintenant ils importent de plusieurs sources plutôt que de compter sur un système opérant seulement entre deux pays. Dans la concurrence accrue pour une part du marché ou en s’efforçant de se tailler une place sur le marché, les gouvernements des pays exportateurs pourraient, toutefois, sacrifier la protection et les intérêts de leurs ressortissants. “A mesure que le gouvernement prend une part plus active dans le recrutement, la protection du travailleur tend à passer au second plan” (Vasquez et al.,1995:15). “Craignant la perte de leur part du marché, les pays asiatiques exportateurs de main d’oeuvre ont contribué à institutionnaliser encore plus les bas salaires pour les emplois ‘féminins’ en décidant que les salaires standard minima que les employeurs d’outremer sont tenus de payer aux émigrés, peuvent être inférieurs pour les femmes”. (United Nations Secretariat, 1995 : 3). Plusieurs pays ont cependant adopté d’autres manières de faire. Par exemple, on a fait ressortir que “le gouvernement indien n’est pas prêt à aller aussi loin que celui du Pakistan dans la déréglementation de l’exportation de la main d’oeuvre. On souligne que l’Inde est opposée à l’abolition l’obligation d’un salaire minimum. La libéralisation au point de supprimer tout plafond de salaire, pense-t-on, pourrait suggérer la désespérance et faire grand tort aux travailleurs. Il est considéré illusoire de penser qu’en supprimant les exigences d’un salaire minimum, les travailleurs indiens seraient plus compétitifs. Aussi les autorités indiennes sont opposées à ce qu’on encourage ce qui est décrit comme ‘une poussée sauvage de l’exportation qui créerait des problèmes sociaux aux travailleurs à l’extérieur et aux familles au pays” (Gulati, 1993 : 34).
Les problèmes de l’immigration seront largement déterminés par les pays qui importent la main d’oeuvre et les types d’emplois où les émigrés s’engagent : “La protection des travailleurs est donc d’abord et avant tout une question d’être au bon endroit et d’envoyer les gens au bon emploi” (Abella et Abrera Mangas, 1995 : 64). Les mesures qui ont été prises par les pays d’envoi afin de trouver les “bons” pays d’accueil et les “bons” emplois vont donc affecter à la fois la sélectivité sexiste de l’émigration et la protection des travailleurs.
Par exemple, quand le Sri Lanka a décidé d’entrer dans le marché de l’exportation de main d’oeuvre et d’institutionnaliser l’administration de l’emploi outremer, il a pris des mesures dont l’ouverture d’une ambassade en Arabie Saoudite et l’envoi de missions de marketing au Moyen Orient pour identifier les employeurs potentiels (Raj-Hashim, 1994). Comme le Sri Lanka est entré relativement tard sur le marché de l’exportation de main d’oeuvre, il y avait une moindre demande d’hommes, ouvriers du bâtiment, et les emplois disponibles s’adressaient davantage aux femmes employées domestiques. Malgré les difficultés connues concernant les femmes travaillant comme aides ménagères dans le Moyen Orient, surtout quand pèsent sur elles les contraintes supplémentaires ethniques et linguistiques, le Sri Lanka a favorisé l’envoi de ses femmes au Moyen Orient. Les Philippines, d’autre part, ont imposé des interdictions spécifiques de pays et d’emploi, dans un effort pour protéger leurs travailleurs émigrés. Manille interdit l’émigration d’employées domestiques vers l’Arabie Saoudite en 1982 du fait de nombreux rapports d’abus. Cependant, l’interdiction fut levée quand le gouvernement saoudien menaça de geler tout recrutement de travailleurs philippins (ce qui aurait alors affecté les migrants hommes) (Abella, 1995 : 244En 1987, les Philippines interdirent la migration d’employées domestiques vers Singapour pour les mêmes raisons. Mais les autorités de Singapour n’en ont, dit-on, tenu aucun compte, tout simplement en laissant les femmes philippines entrer avec un visa de touriste et leur fournissant plus tard des permis de travail comme servantes (Gulati, 1993 : 37).
En plus de la recherche des “bons paysles gouvernements exportateurs ont aussi essayé de trouver les “bons emplois” pour leurs travailleurs émigrés. L’Indonésie, par exemple, s’est efforcée de se faire une nouvelle place sur le marché de l’emploi pour des ouvriers plus qualifiés en lançant un projet pilote d’envoi d’infirmières outremer. Le projet, cependant, n’a pas rencontré beaucoup de succès parce que les infirmières indonésiennes manquent généralement de la compétence linguistique nécessaire. Il y a clairement une demande de plusieurs pays d’accueil pour des infirmières étrangères, mais les pays d’envoi pourraient avoir à faire face à un dilemme car la profession d’infirmière en est une où il y a insuffisance au plan national. Les Philippines, par exemple, n’autorisent les infirmières à travailler à l’extérieur que lorsqu’elles ont assuré une année de service au pays. D’autres efforts pour trouver le “bon emploi” comprennent des mesures pour décourager l’émigration de femmes “hôtesses”. Le Bangladesh et le Sri Lanka interdisent une telle émigration, et d’autres pays comme les Philippines et la Thaïlande ont lancé différentes campagnes pour décourager les femmes d’aller chercher de tels emplois outremer. Là où les gouvernements ont promu “l’exportation groupée” de main-d’oeuvre, le résultat en a été généralement une sélectivité de la migration qui a eu des conséquences pour les hommes plus que pour les femmes. Ceci parce que la migration en lien avec un projet, adoptée initialement par la République de Corée, et par la suite suivie par d’autres pays comme la Chine, la Turquie, les Philippines et l’Indonésie, a principalement visé les projets de construction, tandis que les emplois plus spécifiquement féminins ne se prêtent pas facilement à des activités de groupe.
Les pays d’envoi asiatiques ont établi leur propre recrutement public et leurs services de placement pour l’emploi outremer et ont aussi accordé des permis à des agents de recrutement privés afin de promouvoir l’exportation de la main d’oeuvre. L’efficacité des agences d’emploi subventionnées par l’Etat détermine jusqu’à un certain point la sélectivité sexiste de l’émigration de la main d’oeuvre et certainement, la protection qui est offerte aux femmes émigrées. Par exemple, en proposant des services de placement gratuits ou bon marché, l’Etat peut réduire ou abaisser les prix exigés par les services de recrutement privés. Il peut aussi éviter ainsi les abus par des agents de recrutement privés. Par exemple, à un moment, le gouvernement des Philippines a pensé à centraliser tout recrutement d’aides domestiques pour Hongkong à cause des pratiques abusives des agents de recrutement privés (Abella et Abrera Mangahas, 1995 : 74
L’utilisation d’un système de recrutement privé a nettement permis aux pays exportateurs de développer de nouveaux marchés et d’étendre largement le marché de l’exportation de main d’oeuvre. Leur recherche agressive de clientèle a pour résultat d’augmenter les offres d’emploi. En Indonésie, par exemple, l’association de recruteurs privés organise même un cours de deux semaines pour enseigner les connaissances de base et la langue arabe aux femmes sélectionnées comme employées domestiques en Arabie Saoudite. Beaucoup d’employeurs aussi préfèrent avoir affaire à ces agents privés plutôt qu’à ceux de l’Etat. Les agences privées sont responsables pour les neuf-dixièmes des placements étrangers dans la plupart des principaux pays exportateurs de main d’oeuvre d’Asie. (Abela et Abrera Mangahas, 1995 : 53). Mais leurs efforts pour tirer le plus de profit possible pousse beaucoup d’entre eux à chercher à s’approprier une large part de la différence qui existe entre les salaires du pays et ceux de l’extérieur. Il y a eu aussi plusieurs cas d’agents impliqués dans différents plans peu scrupuleux pour soustraire de l’argent aux chercheurs d’emploi, y compris l’escroquerie qui consiste à offrir à d’éventuels émigrés des postes fictifs à l’étranger. Les gouvernements exportateurs d’Asie se sont donc appliqués à établir les règles de base pour les activités des agences de recrutement privées et pour équilibrer les mesures de promotion avec des mesures régulatoires, y compris l’enregistrement de ces agences et certaines conditions imposées pour avoir droit à la licence, imposant des amendes pour les pratiques de recrutement inacceptables et offrant des primes fiscales ou autres stimulants aux agences qui répondent aux critères de bon fonctionnement.
“C’est souvent une tache difficile. D’une part, les agents privés sont très efficaces à susciter des demandes d’emploi et les Etats exportateurs ne voudraient pas les décourager. D’autre part, les bénéfices financiers résultant du non-respect éventuel des règlements sont importants tandis qu’il est très difficile d’imposer des amendes(Abella et Abrera Mangahas, 1995:53).
La réglementation des agences de recrutement privées ne spécifie pas le sexe des travailleurs dans sa formulation. De même, la mise sur pied d’agences publiques de main d’oeuvre étrangère est destinée aux émigrés femmes aussi bien qu’hommes. Mais les impacts tendent à être sexistes au bénéfice des émigrées femmes plutôt que des hommes parce que, d’une part, plus que les hommes, elles s’adressent à ces services afin d’avoir accès à des emplois outremer et, d’autre part, elles sont plus vulnérables à l’exploitation des pratiques de recrutement peu scrupuleuses.
3.2.2. Réglementation de la migration féminine
Pour beaucoup de pays d’envoi asiatiques, les restrictions sur l’emploi féminin outremer ont pris corps dans le cadre de leur politique d’émigration. La réglementation des sorties comprend normalement les conditions d’obtention des passeports, le permis de sortie requis (comme la possession d’un contrat ou d’un visa d’emploi, les instructions préparatoires au départ, etc.), le paiement de la taxe de déplacement, l’enregistrement auprès des autorités de l’émigration, ou l’accomplissement du service national obligatoire dans le cas de certaines occupations. L’objectif de ces règlements a été en partie de garder au pays certains ouvriers qualifiés et en partie de protéger de certains abus ou exploitations les ouvriers vulnérables, à l’étranger. Les règlements montrent une bonne dose de spécificité et sensibilité sexiste dans le sens que beaucoup visent spécialement les femmes. Touchant particulièrement les femmes, la réglementation de sortie peut prendre la forme d’une interdiction d’émigration de ressortissantes au-dessous d’un certain âge, la restriction d’émigration pour certains pays, une interdiction de prendre du travail dans certains emplois, et souvent une combinaison de tout ceci (Gulati, 1993: 243En imposant ces règlements, les pays d’envoi ont dû être attentifs à essayer de s’assurer que cela ne pousse pas les femmes (et les hommes) à recourir à des voies illégales pour émigrer.
Depuis le début de l’histoire de l’émigration chez eux, les pays du sud asiatique ont été relativement restrictifs dans l’envoi des femmes outremer. L’Inde a interdit la migration des femmes comme employées domestiques en Asie de l’Ouest depuis 1961 déjà, même si l’émigration illégale continuait de se pratiquer sur une grande échelle. L’interdiction a finalement été levée, et maintenant l’Inde permet aux femmes d’émigrer comme employées domestiques en Asie de l’Ouest et en Afrique du Nord, à condition qu’elles aient plus de trente ans. Cette restriction quant à l’âge a en fait empêché ou retenu de nombreuses femmes de partir à l’extérieur, car elles se marient et ont des enfants avant d’arriver à la trentaine. Le gouvernement pakistanais a mis la restriction d’âge à 45 ans. Même si la limite d’âge était supposée s’appliquer aux seules employées domestiques, dans la pratique le Bureau de l’émigration et de l’emploi outremer l’appliquait à toutes les femmes émigrées. Il stipulait aussi un salaire minimum bien plus élevé que celui des domestiques partant outremer. Bien que l’âge limite ait été ramené à 35 ans en 1989, cela empêche effectivement les Pakistanaises d’avoir accès au marché de l’emploi outremer comme servantes puisqu’habituellement seules les femmes de 25-35 ans sont demandées (Gulati,1993 : 33). Le Pakistan interdit aussi aux infirmières d’émigrer, quel que soit leur âge.
Mais cette interdiction prend appui sur le besoin que la nation a de ces employées, plus que comme mesure de protection. Le Bangladesh a mis un interdit en 1978 sur l’emploi outremer des femmes comme aides domestiques ; seules celles qui étaient accompagnées de leur conjoint étaient autorisées à travailler comme domestiques en Asie de l’Ouest. Cette interdiction fut levée en 1991.
Parmi les pays du sud Asiatique, le Sri Lanka a été très imprécis en fait de réglementation sur l’émigration féminine. Il n’a imposé aucune interdiction globale, bien qu’il ait interdit l’émigration des infirmières et empêché les femmes d’émigrer vers certains pays particuliers. Par exemple, il fut interdit d’émigrer au Liban à cause des plaintes reçues des employées domestiques. L’interdit fut levé après que les autorités libanaises aient accepté certaines conditions de salaire minimum, la liberté d’envoyer de l’argent à la famille, la nourriture et le voyage gratuits. Intéressant aussi : le Liban s’est aussi engagé à employer un émigré srilankais pour chaque Srilankaise émigrée et à faire passer tout recrutement par le bureau de l’emploi outremer de l’Etat et par l’ambassade (Gulati, 1993 : 35).
Les pays d’envoi du sud-est asiatique ont aussi fait l’expérience d’une série d’interdictions et de restrictions légales. Le gouvernement des Philippines, par exemple, a imposé des interdictions par rapport à des pays spécifiques, des occupations spécifiques et un mélange des deux. Certains ont été décrits plus haut. En 1988, les Philippines placèrent encore une interdiction, cette fois sur les employés domestiques, pour toutes destinations. En attendant la levée de l’interdiction temporaire, les conditions dans les pays d’accueil furent révisées, et des missions furent envoyées pour relever les faits au plus haut niveau sur les marchés d’Asie et du Moyen Orient (Imson, 1992a : 13). La visée de cette interdiction générale était de passer des accords bilatéraux avec les principaux pays pour assurer la protection des travailleuses, mais l’initiative n’a eu qu’un succès limité. L’interdit fut en fin de compte levé pour les principaux pays de destination.
Le gouvernement indonésien imposa une interdiction à l’envoi de travailleuses au Moyen Orient entre 1980-82. Cet interdit a été révoqué depuis, mais il reste encore une limite d’âge minimum (22 ans) pour les femmes allant travailler comme aides domestiques à l’extérieur. De plus, en mettant une restriction sur le quota proportionné pour les deux sexes, le gouvernement a essayé de ne pas envoyer trop de femmes seules et au contraire d’encourager les époux à émigrer ensemble pour travailler dans la même maison. La Thaïlande a interdit l’émigration féminine par des lois comme celle de 1980 (Abella, 1995 : 244) ; mais des exceptions ont été faites pour des pays et territoires désignés, comme le Japon, Singapour, Hongkong et Macao.
On pourrait dire que la plupart des pays d’Asie ont une attitude peu enthousiaste vis-à-vis de l’émigration de travailleuses non qualifiées. Aux Philippines, par exemple, des recommandations ont été faites pour supprimer progressivement le plan d’émigration d’employés domestiques d’ici l’an 2 000. Le Sri Lanka a aussi récemment mis en place une politique officielle pour décourager à long terme l’emploi de femmes domestiques outremer. Même l’Indonésie, qui officiellement encourage l’émigration féminine au point que 75 % des travailleurs émigrés sont actuellement des femmes, est en train de changer progressivement de politique. Le fait le plus notoire est que le sixième plan quinquennal (1994-1999) ne compte plus le travail domestique comme un des secteurs privilégiés de l’emploi outremer. Le plan projette de diminuer graduellement le nombre de travailleurs envoyés aux pays qui jusqu’alors avaient accepté un nombre significatif d’aides domestiques étrangers (Hugo,1995 : 27La Thaïlande montre une répugnance de plus en plus marquée à promouvoir la migration féminine, surtout que le manque de main d’oeuvre s’est fait jour dans le pays même. En fait le gouvernement thaïlandais a récemment ajouté quelques restrictions de plus sur l’emploi de domestiques et hôtesses.
D’autre part, cependant, les pays du sud asiatique qui restreignaient la migration féminine, ont récemment assoupli la réglementation, visiblement pour en tirer des bénéfices économiques. Comme mentionné plus haut, le Bangladesh a levé l’interdiction sur la sortie des employées domestiques en 1991, tandis que le Pakistan a réduit la moyenne d’âge requise de 45 à 35. L’Inde aussi a échangé un mémorandum d’accord avec l’Association des agences d’emploi de servantes étrangères de Singapour pour l’envoi de servantes indiennes à Singapour (Asian Migrant, Avril-Mai 1995). Cependant, les impacts de ces changements de politique ont généralement été minimes jusqu’ici, surtout au vu du flot illégal de l’immigration, et l’attitude générale en est encore à l’hésitation pour savoir s’il faut ou non promouvoir activement la migration féminine outremer.
4. La protection des travailleuses émigrées
Le problème d’une politique restrictive de la migration féminine se trouve limité dans son efficacité. Le danger d’imposer des interdictions et autres restrictions légales est que cela ne fera que provoquer une augmentation de l’émigration illégale qui, en fait, rend les femmes encore plus vulnérables. De plus, malgré les interdits et restrictions, les abus et l’exploitation des femmes émigrées sévissent encore. Il n’a pas été exercé suffisamment de pression sur les principaux pays d’accueil pour forger des accords bilatéraux avec les pays d’envoi (Imson, 1992a : 18). Prenant acte de ces limites, les pays d’envoi asiatiques ont adopté un certain nombre d’autres façons de protéger les travailleurs émigrés, surtout les femmes. Ces démarches se sont situées à trois niveaux: national, bilatéral et multilatéral.
4.1. Au niveau national
Des mesures de protection, comme partie intégrante de la politique et des programmes d’émigration, ont généralement été mises en application en deux étapes, avant et pendant l’emploi outremer.
En préalable à l’émigration, les gouvernements des Philippines, du Sri Lanka et de l’Indonésie, ont exigé des cours d’orientation avant le départ et/ou des cours de formation pour les employés domestiques. Ils ont pour but non seulement de donner aux femmes une connaissance de base des appareils électroménagers, de la langue et des traditions socioculturelles des pays de destination, mais aussi, et plus important, de les préparer psychologiquement et mentalement pour leur vie et leur travail outremer. Des modules particuliers selon les pays sont disponibles pour les aides ménagères en partance pour différentes destinations.
Les gouvernements des pays d’envoi ont aussi formulé des contrats d’emploi types, spécifiant le salaire, la pension, les vacances, le voyage etc. Dans certains cas, les contrats types prescrits par les pays d’accueil sont adoptés. Les contrats types émis par le gouvernement des Philippines pour les employés domestiques à Hongkong et Singapour sont considérés avoir amené une meilleure compréhension et une interprétation uniforme des documents (Imsom, 1992). De plus, la plupart des pays d’envoi réclament maintenant que chaque contrat d’emploi d’aide ménagère soit vérifié un à un par les agents de l’emploi et authentifié par la mission diplomatique du pays sur les lieux de l’emploi. Ces règlements ont pour but de permettre au gouvernement de passer au crible les employeurs éventuels et aussi leur faire prendre conscience des normes minima qu’ils doivent observer (Abella,1995 : 245).
Une fois que les migrants ont quitté leur patrie, la protection que leur gouvernement peut leur procurer devient bien limitée. La forme la plus courante de protection est l’affectation d’Attachés au Travail et parfois d’Agents de la sécurité sociale dans les ambassades et consulats, avec des responsabilités spécifiques pour sauvegarder les droits sociaux de leurs ressortissants. Cependant, leur nombre est minime en proportion du nombre total de travailleurs émigrés. Le Sri Lanka n’a affecté que 5 attachés au Travail dans quatre pays du Moyen Orient où 120 000 émigrés ont été envoyés en 1993. Les Philippines avaient 31 attachés au travail (y compris les assistants), 20 agents de la sécurité sociale, et 20 coordinateurs au Moyen Orient, en Asie, en Europe et en Amérique, ayant la responsabilité de 4,2 millions de travailleurs émigrés couramment employés dans 120 pays. Bien que ce soient là des mesures potentiellement efficaces, la tache et les responsabilités de ces agents souvent dépassent leur capacités et ressources administratives.
C’est une mesure importante que les pays d’émigration peuvent prendre chez eux, que d’établir un fondement légal à la protection de leurs ressortissants outremer. Les Philippines ont passé la Loi des travailleurs émigrés et des Philippins outremer en juin 1995, appelant un contrôle plus strict de la politique des pays importateurs de main d’oeuvre pour s’assurer qu’ils ont des lois adéquates pour protéger les travailleurs émigrés. Le projet resserre aussi la réglementation sur le recrutement de la main d’oeuvre dans les Philippines pour l’outremer et exige que les travailleurs soient inscrits auprès des ambassades philippines dans les pays d’accueil. Bien qu’il y ait un certain scepticisme quant à son efficacité, il semble que ce soit déjà une action significative que d’introduire une telle loi.
Pareille législation pourrait établir la responsabilité de l’Etat et lui permettre d’agir de manière plus positive dans la protection des émigrés. De clarifier la position de l’État aide à établir des bases plus solides pour la protection éventuelle des migrants.
4.2. Au plan bilatéral
Les gouvernements des pays d’envoi d’émigrés peuvent assurer protection à leurs ressortissants en coopération avec les gouvernements des pays d’accueil. Cette démarche bilatérale peut revêtir différentes formes. L’une est un “accord opérationnel” qui établit des directives pour le traitement des ouvriers émigrés, référant, par exemple à leurs salaires, aux conditions de travail, de logement, etc. Ce type d’accord est normalement conclu, étant entendu qu’il sera rendu effectif par des mesures de législation interne appropriées, dans le pays d’accueil et que, par conséquent, l’accord bilatéral a, de fait, force de loi. La conclusion d’un pareil accord, cependant, ne garantit pas nécessairement la solution des problèmes, à moins que le gouvernement du pays d’accueil ne fasse un effort pour contrôler continuellement les conditions d’emploi des travailleurs émigrés. Puisqu’il s’ensuit un engagement, les accords opérationnels sont difficiles à conclure. Toutefois, plusieurs pays d’envoi travaillent à ce type d’accord à cause de ses avantages potentiels. Le Sri Lanka en a conclu un avec le Liban et est en passe d’en conclure un autre avec les Maldives (Yapa, 1995). Les Philippines ont conclu des accords bilatéraux avec l’Iran, l’Irac et La Papouasie-Nouvelle Guinée couvrant les conditions d’emploi des travailleurs émigrés ; avec l’Espagne, l’Italie et la France, couvrant la sécurité sociale.
Une autre démarche bilatérale est ce qu’on appelle “l’accord cadre