Eglises d'Asie

“LA THEOLOGIE DOIT NOURRIR LA COMMUNAUTE DES CROYANTS” Une interview de Mgr Joseph Rodericks

Publié le 18/03/2010




Vous avez été appelé à Rome en même temps que vingt autres évêques indiens. Qui a pris la décision d’organiser cette réunion et pourquoi ?

L’invitation à cette réunion est venue du cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi, en collaboration avec quatre autres dicastères romains : l’Education catholique, les Eglises orientales, l’Evangélisation des peuples, et le Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.

Une conjonction de plusieurs événements a fait que cette réunion est tombée très à propos. Tout d’abord, la visite ad limina des évêques indiens venait de se terminer, et l’on considérait que c’était le moment idoine pour considérer dans son ensemble la situation de la théologie en Inde et ses conséquences pastorales. Par ailleurs, cette réunion pouvait faire naître des idées intéressantes pour la préparation rapprochée du synode asiatique prévu pour 1998. Troisièmement, le travail des théologiens catholiques est particulièrement important dans un pays où le pluralisme religieux est si évident et où le dialogue interreligieux est un impératif.

Quel a été le critère pour choisir les évêques qui participeraient à cette réunion ?

Puisque le but de la réunion était d’examiner l’état de la théologie catholique en Inde, dans les facultés, les séminaires, les instituts de recherche et les centres de publication, il était naturel d’inviter les évêques des diocèses où ces institutions sont localisées. J’ajoute que tous les évêques participants sont docteurs dans une des disciplines ecclésiastiques.

Parmi les théologiens indiens “professionnels”, il en est quelques-uns que l’on peut considérer comme “ambigus” ou “controversés” dans leurs écrits et leur enseignement. C’est le devoir de l’évêque d’exercer sa vigilance en ce qui concerne les problèmes de doctrine et le domaine de “la théologie des frontières” qui met l’esprit à l’épreuve. Je suppose que l’idée de celui qui invitait à la réunion était de rassembler en particulier les évêques qui doivent faire face à ce genre de situation.

Quel a été le déroulement de la réunion ?

Elle s’est déroulée en deux parties. Au cours de la première, les représentants de chacun des trois rites – syro-malabar, syro-malankara, latin – ont présenté la situation de la théologie dans leurs communautés respectives, en se référant spécialement aux questions qui font problème et à la manière dont elles sont gérées. Les officiels du Vatican ont ensuite réagi à ces présentations.

Dans la deuxième partie de la réunion, les officiels des cinq dicastères romains, s’appuyant sur l’information obtenue au cours des visites ad limina, ont proposé leurs commentaires et leurs suggestions sur plusieurs questions : révélation, christologie, ecclésiologie, missiologie, salut et inculturation. Cette fois, ce fut le tour des évêques de réagir à la présentation faite par les officiels romains. Finalement, les deux derniers jours ont été consacrés à faire la liste des points d’accord et à limer les différences.

Pourquoi la théologie indienne est-elle controversée ?

Pour répondre à cette question, il est nécessaire de considérer la situation du pays. Parce que seulement trois pour cent des Indiens sont chrétiens, nos théologiens s’intéressent beaucoup à la présentation du message chrétien d’une manière intelligible et crédible pour le monde non chrétien. Au sein de ce processus, ils tendent à négliger d’autres questions importantes centrées sur la construction de la communauté de foi. Dans leurs recherches théologiques, ils doivent aller au-delà des idées établies, dans des lieux non encore explorés. Autrement, ils répéteraient les vieilles formules.

Mais la théologie n’est pas pure recherche dans l’abstrait. Elle doit aussi fournir de quoi se nourrir à la communauté des croyants. Les théologiens doivent être rappelés à leurs responsabilités dans ce domaine.

Pouvez-vous nous donner une indication sur le nombre des théologiens considérés comme “ambigus” ou “controversés” ?

Je dirai qu’il y en a une demi-douzaine, la plupart dans les facultés de théologie et les séminaires.

Quelles sont vos conclusions ?

Il y a un certain nombre d’enseignements intéressants que l’on peut tirer en guise de conclusion. Nous avons pensé, par exemple, que notre commission doctrinale doit être plus développée au niveau national. Cette commission devrait organiser des réunions annuelles entre évêques et théologiens. Quand surgit une question d’une certaine importance et que la commission nationale estime qu’elle mérite une attention particulière, une réunion spéciale entre évêques, théologiens et officiels romains pourrait être organisée.

Au vu de cette situation, nous avons aussi discuté de la possibilité d’avoir des manuels de théologie dans les séminaires, mais nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord. Cela aurait l’avantage d’offrir une théologie claire et cohérente, adaptée aux besoins des prêtres. Evidemment, les évêques sont aussi très conscients des difficultés et des limites d’un tel projet. La question est ouverte à une étude plus approfondie.

Quelle a été votre impression personnelle de la réunion ?

Disons simplement que l’Eglise universelle prend au sérieux la théologie catholique qui se développe en Inde. Il faut noter aussi que les théologiens indiens commencent à être respectés dans l’Eglise et que leurs vues sont prises au sérieux. J’ajouterais même qu’aujourd’hui leur influence semble être très étendue.