Eglises d'Asie

MGR BELO, LA MORALE ET LA FOI

Publié le 18/03/2010




Y a-t-il encore des catholiques qui osent attaquer Mgr Belo et qui continuent de crier: “Crucifiez-le! Crucifiez-le !”, alors que le ministre Hayono lui-même se montre plein de compréhension et de respect et demande à la population de se contrôler ? Avons-nous encore envie de jeter le discrédit sur un évêque qui souffre de voir ses fidèles frappés, torturés, dépouillés de leurs biens, violés, devenus stériles, mitraillés, tués, leurs cadavres jetés dans des camions ?

Allons-nous, nous qui nous disons les disciples du Christ, continuer à emboîter le pas de ceux qui attaquent Mgr Belo, lui qui, encore jeune, et dépendant directement du pape, porte sur ses épaules une tâche très lourde, qui le laisse meurtri, mais qui a su se retenir et faire preuve d’une très grande patience pendant tout ce temps? S’il vous plaît, demandez directement aux gens de Timor Oriental ce qu’ils pensent de leur évêque au fond de leur coeur.

Alors, si un bon pasteur, et non un pasteur salarié, s’emporte parfois parce qu’il ne supporte plus de voir les violences dont est victime son troupeau, et qu’il exprime ainsi sa colère, est-il fautif ? Veuillez m’excuser, chers lecteurs croyants, mais le problème de Timor Oriental et de Mgr Belo n’est pas seulement une question politique, c’est aussi une question de morale et de foi.

Etes-vous déjà allés à Timor Oriental, surtout avant 1980 ? Avez-vous pu, d’expérience, vous rendre compte personnellement de ce qu’était la vie concrète des gens ? Avez-vous entendu vous-mêmes des gens en larmes parler de leurs souffrances ; ou quelques fonctionnaires ayant un reste de conscience faire part à voix basse de brutalités ? Cris du coeur de personnes contraintes de se conduire sauvagement, mais qui, n’en pouvant plus de se taire, racontent à leur famille et leurs voisins, lors de congés dans leur village, comment ils ont dû agir contre leur conscience ? Avez-vous entendu des prêtres et des religieuses de Timor Oriental (et même ceux originaires d’ailleurs) dire combien est lourde à porter la croix du peuple de Timor : ce dont ils ont été les témoins directs, mais surtout ce qu’ils ont vu avec les yeux du coeur, un coeur encore humain? Ceci n’est pas seulement un problème politique, c’est aussi une question de morale et de foi.

Avez-vous lu parfois les rapports de la Croix-Rouge internationale et des organismes officiels des Nations Unies ? Ou le rapport d’une équipe de professeurs de l’enseignement supérieur, qui a fait une étude après le massacre du 12 Novembre 1991 dans le cimetière Santa Cruz à Dili ? Veuillez m’excuser, ceci n’est pas seulement politique, mais c’est aussi une question de morale et de foi. Une question de fidélité à l’Evangile et à Jésus-Christ.

Je crains que les informations et les commentaires dans les mass media ne se contentent de tourner autour du journal Der Spiegel, de sorte que la substance et l’essence du problème se trouvent mises à l’arrière-plan, camouflées en d’autre termes. En fait, la question centrale n’est pas de savoir qui a raison, de la mémoire de l’évêque ou de la cassette de Der Spiegel. La substance du problème et l’essence du message sont les suivants: est-il vrai que la façon dont est traité le peuple de Timor Oriental depuis 21 ans est tout à fait conforme aux règles humanitaires, ou bien va-t-elle à l’encontre des droits de l’homme et de la morale en général ? La réponse est-elle oui ou non ? Combien sont devenus infirmes à force d’être battus, ou parce qu’ils ont reçu une balle, ou stériles parce qu’ils ont été torturés trop longtemps à l’électricité, ou violés, dépouillés de leurs biens, jetés à la mer, etc, etc. ? Veuillez m’excuser, mais ceci n’est pas seulement un problème politique, d’intégration ou de référendum, c’est aussi une question de morale et de foi.

Et puis, à supposer que Mgr Belo ait bien parlé comme l’écrit Der Spiegel, et alors ? Cela veut-il dire que le bon pasteur de Dili est en tort ? N’a-t-il pas le droit, de temps en temps, de parler franchement dans la langue du peuple, qui n’est pas le langage diplomatique ? Doit-on, aussitôt, le taxer de traître à l’honneur du peuple indonésien? N’avons-nous pas entendu, pas seulement à Timor Oriental, mais aussi près de chez nous, à Surabaya, à Java Central, à Bantul Yogyakarta, et même à Jakarta, des noms comme Marsinah, Kedungombo, Udin, Tjetje, et des milliers d’autres qui connaissent le même sort, auxquels s’ajoutent des dizaines de milliers de personnes qu’on exproprie, mais dont les journaux ne parlent pas. Veuillez me pardonner, chers lecteurs croyants, le problème de Timor Oriental (ne faites pas non plus semblant d’oublier les autres régions: Tanjung Priok, le Lampung Sud, Aceh, Irian Jaya, rappelez-vous !) n’est pas seulement un problème politique, c’est aussi une question de morale et de foi, de fidélité à la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ. C’est aussi une question de vie et de mort pour le Pancasila, que nous tenons en haute estime, surtout le principe d’une humanité juste et civilisée. Nombreux sont les catholiques qui, à cause du cas de Mgr Belo, ont peur d’être réprimés par leur entourage. Ou qui pensent que, par politique, Mgr Belo doit être déclaré fautif, pour sauver l’existence de l’Eglise au milieu d’une majorité différente et d’une constellation de forces nationales et internationales chancelantes.

Quand Jésus a-t-il été protégé par Ponce-Pilate, et à plus forte raison par Hérode ? Quand et dans quelle situation Jésus s’est-il trouvé face à ces deux symboles du monde : César tout-puissant et Mammon riche et pourvoyeur de plaisirs ? Et bien que les Pharisiens aient été nombreux, n’avez-vous jamais lu qu’il y en avait un du nom de Nicodème, lequel, au moment critique, a été plus audacieux que la plupart des apôtres pour donner son tombeau afin d’y ensevelir la dépouille sainte de Jésus, devenant ainsi un lieu sacré parce qu’il a été le témoin de la résurrection de Jésus d’entre les morts ? Avez-vous oublié ?

Le prix Nobel fait problème ? Sachez qu’il n’y a que deux sortes de régime qui n’aiment pas les

décisions du comité du prix Nobel et qui s’y opposent. Vous voulez savoir lesquelles ? Les régimes de type fasciste, comme l’Allemagne du temps du nazi Hitler (Einstein, Heisenberg) ou l’Afrique du Sud de l’Apartheid (Mandela, Tutu); et la Russie communiste du temps de Staline (Zakharov, Boris Pasternak) ou la Pologne communiste (Walesa). Ces deux types de régime sont morts… Et on voudrait qu’ils reprennent vie en Indonésie ? N’aurions-nous donc aucune pudeur ? S’opposer au comité du prix Nobel revient à s’opposer à toute la communauté internationale, qui fait preuve d’intelligence, de bon sens, de civilisation ; qui est anti-fasciste, anti-communiste, qui est contre la violence, la torture, l’exploitation, le colonialisme, qui est pour la démocratie et pour le droit à l’autodétermination, le combat pour la liberté. L’autodétermination est une question politique ? D’accord, mais aussi une question de morale. Mgr Albertus Sugiyopranoto autrefois a appuyé le combat pour l’autodétermination de la nation indonésienne contre les Hollandais. Lui que le premier président de la république indonésienne a déclaré héros national, est-il sorti de son rôle de clerc et de pasteur spirituel ?

Il est possible que Mgr Belo soit tellement triste, triste et écoeuré de voir son peuple traité de façon criminelle, qu’il lui est arrivé, une fois, de sortir de sa réserve et de parler comme le peuple, sans détour. Le sort a voulu que ce fut à Der Spiegel. A-t-il eu tort ? Pas du tout. C’est le fait d’une personne normale. Mgr Belo a été en fait suffisamment patient et s’est retenu très longtemps.

Ce qui est clair, c’est que comme citoyen indonésien, comme personnage très respecté de la communauté internationale, comme évêque de l’Eglise catholique, Mgr Belo est pleinement fidèle à l’enseignement des Pères du Concile Vatican II, tel qu’il est exprimé dans le décret Gaudium et Spes.

Ainsi donc, chers lecteurs, le problème de Timor Oriental et de Mgr Felipe Ximenes Belo comme ferme représentant de son peuple qu’on a tant torturé et tué, n’est pas seulement un problème politique, mais encore plus une question de morale, d’éthique, de Pancasila, de fidélité à l’enseignement des Pères du Concile Vatican II, et aussi de foi, d’espérance et de charité.