Eglises d'Asie – Divers Horizons
EXCOMMUNICATION DU THEOLOGIEN SRILANKAIS TISSA BALASURIYA : Rome veut mettre un coup d’arrêt au “relativisme” religieux qui menacerait le sous-continent indien
Publié le 18/03/2010
La sévérité du verdict et la sanction pourraient faire du cas du P. Tissa Balasuriya une sorte de cause célèbre parmi les théologiens du tiers monde qui ont suivi attentivement, avec sympathie et anxiété, ses démêlés avec les autorités du Vatican. Le seul autre cas public d’excommunication de l’époque récente concernait Mgr Marcel Lefebvre en 1988, à la suite de son refus persistant des réformes de Vatican II.
Le P. Balasuriya est accusé de mettre en doute des croyances fondamentales de l’Eglise catholique, telles que le péché originel et l’immaculée conception. Contacté par téléphone à Colombo, capitale du Sri Lanka, il a déclaré que de nombreux appels et télégrammes lui arrivaient du monde entier. Une pétition de soutien a été aussi signée par ses collègues de l’Association oecuménique des théologiens du tiers monde. “Ils disent tous qu’ils continueront toujours de me traiter comme un prêtre et un catholiquedit le P. Balasuriya qui est membre de l’ordre missionnaires des Oblats de Marie immaculée depuis 51 ans. Il ajoute que sa bataille de quatre ans avec les défenseurs de l’orthodoxie catholique l’a rendu “plus catholique que jamais“.
Les idées du P. Balasuriya, qui combinent quelques éléments de la théologie de la libération et une théologie pluraliste anti-dogmatique enracinée en Inde, font écho à quelques-uns des thèmes d’une approche “relativiste” de la religion qui alarme les gardiens de la foi au Vatican.
Le “relativisme”, récemment décrit par un haut dignitaire de l’Eglise comme la menace la plus grave contre les dogmes de la foi depuis le marxisme, tient qu’aucune foi ne peut avoir de prétention unique à la vérité et qu’aucune figure spirituelle, telle que Jésus, ne peut prétendre être le seul sauveur.
La résistance du P. Balasuriya a fait de lui un cas particulier, différent d’autres cas de disputes qui ont fait s’affronter des théologiens contre le cardinal Ratzinger, redoutable chef de la congrégation pour la doctrine de la foi, et arbitre des questions de doctrine. La stricte discipline imposée par le pape Jean-Paul II s’est déjà exercée contre le théologien suisse Hans Küng, professeur de théologie à l’université de Tubingen en Allemagne; contre le P. Charles Curran, qui enseignait à l’université catholique de Washington D.C.; contre l’école des théologiens de la libération d’Amérique latine, dont les idées populistes, anti-établissement recoupaient souvent des idéaux sociaux de gauche dans les années 1970 et 1980. Mais le Vatican n’était pas allé jusqu’à excommunier le P. Küng ou le P. Curran, et s’était contenté de leur interdire d’enseigner la théologie catholique.
“Cette sanction (contre le P. Balasuriya) est beaucoup plus duredéclare Hans Küng au cours d’une interview téléphonique, peut-être parce qu’il est un théologien du tiers monde. C’est quelque chose de très sérieux pour cet homme et c’est très injuste, mais c’est la conséquence d’une logique. C’est la logique du système tel qu’il fonctionne et qu’il fonctionnera aussi longtemps que le catholicisme ne se débarrassera pas d’une doctrine qui dit que le pape a toujours raison
Dans un discours aux présidents des commissions doctrinales du monde entier, réunies à Guadalaja, au Mexique, en mai 1996, le cardinal Ratzinger, considéré comme le principal cerbère doctrinal du pape Jean-Paul II, avait mis en avant les dangers d’un mélange entre le relativisme séculier de l’Occident et “les intuitions philosophiques et religieuses de l’Asie, particulièrement celles du sous-continent indienDu mariage de ces courants, disait-il, est né le relativisme religieux qui n’est pas acceptable pour l’Eglise catholique. “Ou bien la foi, en même temps que sa pratique, nous vient du Seigneur par son Eglise et le ministère sacramentel, ou bien elle n’existe pas dans l’absoludéclarait le cardinal Ratzinger.
En excommuniant le P. Balasuriya, le Vatican a fait passer son message de manière encore plus draconienne. La procédure contre le P. Balasuriya a commencé en 1993, quand la conférence épiscopale catholique du Sri Lanka a demandé une enquête sur son dernier livre :”Marie et la libération de l’homme”. Le livre prend des positions critiques sur le culte de la Vierge Marie, en particulier sur l’image qui y est donnée d’une “Marie du premier monde de la chrétienté, capitaliste, patriarcal et colonialiste” dont “la virginité perpétuelle” fait “une figure déshydratée pas tout à fait humaineL’argument du P. Balasuriya allait encore plus loin en disant que le christianisme et le catholicisme doivent faire davantage pour reconnaître la légitimité des autres fois religieuses. En juillet 1994, la Congrégation pour la doctrine de la foi fit un document de onze pages pour critiquer les vues du P. Balasuriya que ce dernier balaya d’un revers de main en disant que ses idées y étaient représentées de manière fausse. En temps voulu, il envoya une réponse de 55 pages à laquelle il reçut une réplique en un seul mot : “insatisfaisant
Le P. Balasuriya défendait l’idée que le Vatican n’était pas en position de porter un jugement sur les chercheurs travaillant dans des cultures plurielles comme le Sri Lanka où la plus grande partie de la population (69%) est bouddhiste, 15% sont hindous, un peu moins de 8% sont chrétiens et 8% musulmans. Finalement, en mai 1996, le Vatican, apparemment exaspéré par un échange épistolaire qui n’en finissait plus, envoya au P. Balasuriya une longue “profession de foi”. Rome insista pour que le prêtre la signe “afin de vérifier que vous acceptez les vérités” enseignées par l’Eglise catholique. Etait inclus un paragraphe reconnaissant explicitement la position du Vatican contre l’ordination des femmes. Pour un certain nombre de raisons, dont celle-la, le P. Balasuriya refusa de signer et choisit au contraire de signer une autre profession de foi assez semblable mais sans la clause sur les femmes prêtres. Cette proposition fut rejetée par le Vatican et, après un appel personnel de dernière minute au pape Jean-Paul II, la congrégation mettait en branle, lentement mais inexorablement, la procédure conduisant au jugement final.