Eglises d'Asie

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LA SITUATION DU VIETNAM”L’Eglise se prépare à répondre aux appels des pauvres”

Publié le 18/03/2010




I – Développement économique

Les trente années perdues pour le Vietnam à cause de la guerre ont été suivies d’une nouvelle période noire au point de vue économique. Le pays a manqué son décollage: une démographie galopante s’ajoutait à l’incompétence des dirigeants. L’écart entre la classe des riches et celle des pauvres est devenu de plus en plus grand.

Voici quelques observations sur l’état économique du pays.

1 – Le développement actuel se fonde sur les aides, prêts et investissements internationaux. Ceci conduit à un nouveau grossissement de la dette internationale qui sera difficile à rembourser.

2 – La constitution d’une industrie capitaliste moderne va de pair avec l’écroulement rapide de l’industrie d’Etat. La plus grande partie de la population vit dans des conditions d’insalubrité et de promiscuité redoutables, tandis que se constitue une élite urbaine dorée qui affiche un luxe tapageur. La corruption est le moyen le plus visible de la redistribution de la manne étrangère. Elle est omniprésente et bénéficie pour l’essentiel à la caste au pouvoir et à la police. Par contre, la journée d’un maçon est payée 0,60 dollars, prix de 1,3 kg de riz.

On estime à plus de 80 % le nombre d’habitants vivant de l’agriculture. Leurs produits se vendent à un prix très bas par rapport aux produits industriels. L’artisanat est en pleine débâcle par suite de l’ouverture des frontières aux produits de l’industrie chinoise. Dans ce contexte, les régions rurales et montagneuses, surtout au nord, sont de véritables zones sinistrées. Les statistiques officielles établies par la Banque mondiale pour le gouvernement vietnamien (1) situent 51% de la population globale au-dessous du seuil de la pauvreté. Cette proportion atteint 100% pour les minorités h’mongs des montagnes du nord.

II – L’ouverture

L’ouverture dont témoignent les contacts avec l’étranger est tout à fait manifeste. Cependant les étrangers réellement “bienvenus” sont les investisseurs et les touristes fortunés. Cette ouverture a provoqué la constitution d’une colonie étrangère dont la présence est surtout marquante à Hanoi. La mise en oeuvre des projets se heurte cependant à de nombreux obstacles, notamment à l’incompétence, à l’incurie, à la cupidité ou à la mauvaise volonté des responsables. Parmi les étrangers, beaucoup de ceux qui sont venus avec un certain idéal se découragent, s’usent et finissent par désespérer du pays et de son avenir.

III -Virage idéologique

L’article 4 de la constitution de 1992 affirme: “Le Parti communiste du Vietnam, organisme d’avant-garde de la classe ouvrière, qualifié pour représenter fidèlement les intérêts de la classe ouvrière, du peuple des travailleurs et de l’ensemble du peuple vietnamien, selon la doctrine marxiste-léniniste et la pensée de Hô Chi Minh, est la force dirigeante de l’Etat et de la sociétéAujourd’hui, il reste hors de doute que le Parti est le seul lieu où s’élabore la politique de l’Etat, tous les autres organismes constitutionnels étant seulement chargés de mettre en oeuvre cette politique – cela vaut aussi pour le parlement et le gouvernement. Concrètement, sans le Parti, rien ne se fait, ni ne peut se faire. Mises à part cette omniprésence et cette mainmise du Parti, la réalité s’éloigne de plus en plus de la lettre de la constitution. Le Parti communiste reste encore une structure de pouvoir, mais s’est progressivement dessaisi de son message idéologique. La construction de la société socialiste ne représente plus qu’un vague horizon et est située dans un avenir indéterminé. L’ancien slogan exaltant “l’édification de l’homme socialiste” est remplacé par une formule plus actuelle: “Industrialisation et modernisation”, qui justifie les restructurations de tout le tissu économique: fermeture de milliers d’entreprises non rentables, privatisation progressive de l’agriculture.

Le libéralisme économique triomphant permet aujourd’hui l’enrichissement éhonté de la classe dirigeante tout en enfonçant la majorité de la population dans des conditions de vie de plus en plus précaires. Les Vietnamiens ne sont plus fiers de leur indépendance car la dépendance crève les yeux : tout ce qui se construit ou se réalise est financé de l’étranger et le marché regorge de produits étrangers alors que l’industrie vietnamienne doit encore réussir sa restructuration. D’ailleurs, le consommateur vietnamien préfère le produit étranger, ayant perdu confiance dans la valeur de sa propre production. De cette attitude auto-destructive, je pourrais donner un exemple: l’importation de jus d’orange en provenance de Hollande alors que la production d’agrumes du pays n’arrive pas à s’écouler. Lors d’une réunion plénière du Parti, le secrétaire général dénonçait les deux grands obstacles sur la voie du progrès à savoir “l’incompétence et la corruption dans nos propres rangsinvitant tous les membres du Parti à unir leurs efforts pour lutter contre ces deux fléaux. Que le parti des “escrocsqui apparaît à la population entièrement livré aux mains de ces incompétents corrompus trouve en lui-même l’énergie nécessaire à sa propre régénération, personne n’y croit plus… D’ailleurs, vu la “panne idéologique” actuelle, on ne voit pas très bien où l’on pourrait puiser les idéaux ou les valeurs morales de rechange permettant cette renaissance. Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le régime ait les mêmes préoccupations que n’importe quelle dictature policière. Une des plus grandes priorités constamment affirmées, c’est la stabilité politique censée permettre, au terme de la modernisation, d’envisager, dans un avenir indéterminé, la construction de la société socialiste. mais personne n’est dupe de ce discours. Il s’agit d’assurer la pérennité du pouvoir donc de l’argent dans les mains de la caste dirigeante actuelle. Les moyens pour arriver à cette stabilité sont classiques: musellement de la presse, contrôle permanent de la population, obstacles à la circulation des idées, ferme encadrement du droit d’association à l’intérieur du Front patriotique, lui-même émanation du Parti (La Conférence épiscopale sous le contrôle du Bureau des affaires religieuses est, on peut le dire, rangée dans ce cas). Dans la situation actuelle, une question mérite d’être posée: reste-t-il aujourd’hui des communistes au Vietnam? Si l’on entend par là des personnes croyant à la valeur d’une cause juste et prêts à s’engager pour un certain idéal de justice sociale, il faut dire que ce n’est guère visible. Un intellectuel converti disait que plusieurs de ses amis anciens combattants, ont aujourd’hui peur de manifester leur pensée et ne savent plus à quel credo se raccrocher; à son avis, la seule attitude chrétienne souhaitable à leur égard est la miséricorde.

IV – Evolutions prévisibles

Les constats précédents sur la situation économique, politique et sociale du Vietnam d’aujourd’hui ne permettent guère de déterminer vers quel avenir s’oriente vraiment le pays. L’ouverture vers l’étranger, les efforts considérables réalisés par les organisations étrangères et les pays donneurs et amis (Club de Paris)(2), la reconnaissance officielle accordée par les Etats Unis, l’intégration au sein de l’Asean, tout cela donne sans conteste un regain de légitimité et un certificat de bonne conduite au régime vietnamien. Face à cela, il n’y a aucune opposition organisée digne de ce nom. Aussi, malgré une situation intérieure tendue et la conscience croissante des inégalités et des injustices, on ne voit pas comment les choses pourraient changer rapidement. Cette situation donne de l’assurance au gouvernement qui s’enorgueillit de son autonomie et de son prestige international, ce qui pourrait expliquer l’attitude dure adoptée par lui lors des négociations avec la délégation du Saint-Siège. Il s’agit en fait de la politique traditionnelle en vigueur en temps de guerre: “En prolongeant la lutte, on gagne la bataille … Quand l’adversaire avance, nous reculons … Quand il recule, nous avançons”. “Profiter d’une victoire pour entreprendre l’assaut “. Il faut donc beaucoup de ténacité.

Sur les évolutions en cours, voici quelques observations personnelles:

1 – La donnée qui pèsera le plus lourdement sur l’avenir, c’est la surpopulation des campagnes et le retard toujours plus grand de leur développement. Cela entraîne nécessairement un exode rural massif en direction des villes et par suite la création d’un sous-prolétariat urbain de plus en plus en écarté de la marche vers le progrès.

2 – Le phénomène de la paupérisation des régions montagneuses continue, voire s’accentue. La situation sanitaire déplorable y perdure, sans doute pour longtemps. Les conditions ne semblent pas encore réunies pour y vaincre la lèpre, la malnutrition enfantine. De façon générale, beaucoup de chemin reste à parcourir pour doter le pays d’une infrastructure sanitaire suffisante.

3 – La situation de tout le système d’éducation est alarmante. L’introduction de l’économie de marché a marqué pour le Vietnam la fin de la scolarité gratuite. Au delà de l’enseignement primaire, les frais d’études sont une charge insupportable pour un nombre croissant de familles. Depuis dix ans, l’effectif du primaire se maintient à peine alors que le nombre des enfants en âge scolaire est en augmentation rapide. Quant aux effectifs du secondaire et du supérieur, enseignement professionnel compris, ils ont chuté de près de 50 %. A l’abandon des élèves sans ressources s’ajoute celui du corps enseignant. C’est la profession la plus mal payée, un salaire étant totalement insuffisant pour vivre même à deux époux et sans enfants à charge. Les professeurs sont ouvertement encouragés à chercher un gagne-pain complémentaire. Cela signifie que les plus chanceux vont se recycler ailleurs, que d’autres s’absentent le plus souvent des cours. La plupart des enseignants organisent pour leurs propres élèves des cours privés payants, en pratique obligatoires, qui constituent en fait le véritable enseignement. Les étudiants, eux aussi, doivent presque tous trouver un travail pour pouvoir vivre et étudier.

D’autres phénomènes viennent aggraver cette situation de l’Education nationale : inadaptation des programmes et des filières, manque de manuels et de bibliothèques, manque critique de formation des enseignants dans les nouvelles matières… Dans l’ambiance de corruption généralisée, ceux qui en ont les moyens ont de plus en plus tendance à s’acheter examens et diplômes, venant ainsi grossir le nombre des incompétents et des corrompus qui sévissent déjà un peu partout. Les réformes promises dans le domaine de l’enseignement se font attendre, laissant mal augurer des capacités du pays à reprendre en mains sa destinée dans le court terme.

4 – Le pays compte sur le tourisme, secteur où

l’étranger a investi le plus de capitaux. Grâce à un phénomène de mode, le nombre de visiteurs étrangers a rapidement augmenté (3). Cependant les investissements dûs au tourisme sont fragiles et leur rentabilité reste aléatoire. Par ailleurs, le tourisme a des retombées perverses. la prostitution se développe rapidement avec ses conséquences sociales et sanitaires.

5 – Le plus grave danger dans la situation actuelle est, sans doute, représenté par la perte de tout idéal et objectif susceptibles de mobiliser notamment la jeunesse. La consommation à l’occidentale est désormais le miroir aux alouettes où beaucoup se laissent prendre. La course à l’argent est devenue la motivation la plus visible de l’existence. Les plus chanceux y réussissent sans s’embarrasser d’impératifs moraux, en s’appuyant sur un système injuste et malhonnête où règne la corruption. D’autres échouent et sont peu récompensés des efforts démesurés accomplis pour devenir riches. Le désenchantement actuel des jeunes, leur éloignement progressif des valeurs morales traditionnelles, y compris celles du communisme, autant d’éléments peu encourageants pour l’avenir du pays.

V – Le rôle de l’Eglise

Il est clair que dans la situation actuelle du pays, l’Eglise a un très grand rôle à jouer devant des situations d’exclusion, de manque de sens. Elle ne peut pas actuellement le faire, étant donné la situation où elle se trouve. Mais la fidélité dans la foi, la constance dans les épreuves dont ont fait preuve et font preuve la majorité des catholiques sont un potentiel et un capital bien réels. De même, le souci d’une formation prioritaire pour ceux qui s’engagent dans un service d’Eglise, avec la conscience de devoir rattraper le temps perdu est la garantie du sérieux avec lequel l’Eglise se prépare à répondre aux appels des pauvres. Le catéchuménat d’adultes est déjà développé dans le sud chez les montagnards. Dans le nord, ce n’est pas encore le cas, mais il est certain que les catholiques jouissent d’un a priori favorable dans la population. L’Evangile pourra être demain une force mobilisatrice, une réalité vivante pour beaucoup: les ouvriers seront-ils assez nombreux pour cette future moisson?