Eglises d'Asie

Etre vietnamien

Publié le 18/03/2010




SOMMAIRE

1 – Comprendre, c’estàdire s’accorder

2 – Le modèle familial

3 – La femme, l’enfant

4 – Le sacré, le ciel et la piété

5 – La fête : le Nouvel An (Têt)

A tous ceux qui ont vécu un certain temps auprès des Vietnamiens, il est arrivé de nombreuses fois de se laisser surprendre par une réponse, un geste, un comportement, une réaction inattendus. “Comment donc cela est-il possiblenous sommes-nous dit. Restés en mémoire, ces divers étonnements n’ont pas tardé à former les éléments d’une seule interrogation globale portant sur la différence d’un peuple, d’une culture et nous nous sommes surpris à formuler à notre manière la question qui faisait sourire Montesquieu: “Comment peuton être Vietnamien?” Question naïve, mais qui n’est pas dépourvue de pertinence car elle porte sur l’essentiel: c’est bien de “l’être vietnamien” qu’il s’agit. Nous savions déjà que le Vietnam était une région géographique, un ensemble de coutumes, une langue, une histoire chargée d’épreuves; nous découvrons qu’il est aussi une certaine manière d’être et il est normal que l’identité vietnamienne nous fasse problème.

A cette question, il n’est pas de réponse immédiate ou toute faite. Les personnes pressées se heurteront à la résistance d’une vieille culture dont un des proverbes suggère ainsi le long mûrissement de la connaissance des autres:

“Dans la veille, on ressent la longueur des nuits;

Seul, un long compagnonnage

Peut nous renseigner sur les hommes…” (2)

Les quelques notes qui suivent veulent respecter la lente maturation nécessaire à cette compréhension. Elles ne visent pas à présenter un compte rendu exhaustif de tout ce qui concerne la culture vietnamienne, mais seulement à créer une première familiarité, une certaine proximité avec l’univers vietnamien auquel, en fin de compte, seule l’expérience nous permettra de participer. Par le biais de quelques secteurs fondamentaux de l’expérience quotidienne, nous essayerons de faire apparaître certaines attitudes profondes, de désigner de loin ce que, traditionnellement, dans notre culture, nous appelions “l’âme d’un peupled’indiquer les chemins à parcourir pour la rejoindre.

I – COMPRENDRE, C’ ESTADIRE S’ ACCORDER

Ces premières lignes n’ont qu’un but très modeste: fournir un instrument sommaire pour une compréhension cordiale de l’univers vietnamien. Nous délaisserons ici volontairement les détails pour nous attacher à l’essentiel. Les Vietnamiens ont un terme “thông cam” qui signifie à la fois “comprendre”, “sympathiser”, “se mettre à l’unisson”, “excuser”, “compatir”, en un mot accueillir l’autre sans le juger. C’est ce type d’attitude que voudraient faire naître les réflexions qui vont suivre.

Le Vietnamien et lui-même

Les Vietnamiens lorsqu’ils parlent d’euxmêmes, affirment volontiers qu’ils vivent de sentiments (sông bang tinh cam). Les comprendre, ce sera d’abord essayer de partager cette part invisible d’euxmêmes, cette zone obscure de leur personnalité si difficile à exprimer comme un de leurs proverbes le reconnaît:

On arrive à sonder un fleuve,

On peut même mesurer la profondeur de la mer,

Mais qui a taillé la perche

Qui sondera le coeur de l’homme!” (3)

Essayons de mesurer toute l’importance de cette affectivité pour le Vietnamien. Toute situation, tout événement est toujours revêtu pour lui d’une couleur affective. Rien n’est neutre. Une fête, une réunion, une rencontre, un paysage sont toujours une occasion de joie ou de tristesse (vui, buôn). Deux personnes qui se parlent peuvent s’interroger sur leur joie ou leur tristesse respectives. Le Vietnamien est particulièrement sensible aux consonances subtiles qui existent entre la situation qu’il vit, la personne avec laquelle il est en contact et luimême. Très rapidement, va naître en lui l’impression du “kho chiu” (difficile à supporter) ou “dê chiu” (facile à supporter). Les partenaires sociaux seront classés dans la catégorie de “dê thuong” (facile à aimer) “dê ghet” (facile à détester). Ce sentiment ne reste pas subjectif; il éclaire d’une lumière particulière le monde environnant. Ce n’est pas seulement l’individu qui est triste ou joyeux, qui souffre ou éprouve du plaisir, mais le monde tout entier. Le coeur est un moyen de connaissance.

Lorsque je suis joyeux,

La montagne et le fleuve le sont aussi;

Lorsque je suis triste,

Le son du clairon et le chant de la flûte

Résonnent de la même mélancolie” (4).

Le Vietnamien découvre le reflet de son sentiment dans la nature, mais il sait que la source en est en luimême. Lorsqu’il veut désigner ce lieu secret où naissent ses sentiments profonds, le Vietnamien nous parlera de son corps: “minhIl ne s’agit pas du corps purement physique il existe d’autres mots pour le nommer mais du corps éprouvé, de l’intimité personnelle, de l’individualité profonde. C’est dans ce corps qu’il lira sa souffrance, sa tristesse et sa joie. Certaines expressions sont révélatrices, lorsqu’on les traduit mot à mot: “Il fait mal en moi”, “il fait triste en moiLa philosophie populaire attribuait à chacune des qualités humaines un siège dans un des organes du corps. Le courage se situait dans le foie, la bonté dans le ventre. Aujourd’hui encore, le langage courant affirme qu’une personne généreuse a le “ventre bon” (Tôt bung).

On comprend bien que toutes ces expressions ne sont que des métaphores par lesquelles le Vietnamien nous indique à quel niveau profond il doit être rejoint. Le comprendre véritablement signifiera que, derrière la face et le comportement qu’il nous présente, nous sachions deviner les émotions, partager une affectivité à laquelle il attache tant de prix.

Le Vietnamien devant les autres

La première expérience faite par l’enfant vietnamien est celle de sa famille. C’est en elle qu’il apprend à connaître les autres. C’est elle qui orientera plus tard le style de ses rapports sociaux. Pour un Européen, la famille est un milieu naturel. Il y est né. Il s’en détachera plus tard. Le Vietnamien vit à l’intérieur d’elle des liens qui sont de l’ordre du sacré. En effet, ce qui assure la cohésion et la continuité de la famille, c’est le culte des ancêtres. Ces derniers sont sans cesse présents au milieu des vivants. Toute interruption du culte provoquerait la cessation de la grande famille. Le père est chef de famille non parce qu’il assure les revenus de celleci, mais parce que lui seul entretient un contact permanent avec les esprits des ancêtres. Même si aujourd’hui la croyance aux ancêtres a diminué d’intensité, il n’en reste pas moins que les liens familiaux sont marqués de ce caractère religieux. Le Vietnamien met du sacré dans les rapports humains. Il faut tenir compte de cela pour comprendre l’importance que les Vietnamiens accordent à la reconnaissance, aux rites et aux devoirs sociaux.

C’est dans une telle ambiance que le jeune Vietnamien grandira. Une de ses premières tâches consistera à apprendre les mots par lesquels il doit désigner ses parents, ses grandsparents, ses frères et soeurs, tous les membres de la grande famille. Mais, en même temps, il devra savoir se nommer adéquatement par rapport à eux. Il saura que dire “pèrec’est se reconnaître fils, appeler quelqu’un “grand frèrec’est se mettre devant lui en situation de petit frère. Car il ne s’agit pas uniquement d’apprentissage de la langue. Désigner la relation qui l’unit à son parent, c’est aussi adopter une certaine attitude, éprouver certains sentiments, contracter certains devoirs. L’enfant ne dira jamais “jeil assumera des rôles.

L’expérience des autres, acquise dans sa famille, guidera le Vietnamien dans ses contacts humains ultérieurs :

“L’homme vit de sa face, l’arbre de son écorce.

La richesse n’est que du fumier, la face vaut mille livres.

Si tu rencontres un vieillard, appellele “grandpère”,

Un moins vieux, “oncle” et quelqu’un de ton âge, “frère aîné”.

Si tu cèdes un pas à autrui, toimême, tu seras au large” (5).

La langue vietnamienne n’a pas à proprement parler de pronoms personnels. (Il existe bien des termes équivalents, mais qui sont très familiers ou excessivement méprisants). C’est pourquoi, pour désigner la personne avec laquelle on rentre en dialogue, pour se situer devant elle, on devra utiliser le lexique des termes de parenté. Chaque fois qu’un Vietnamien rencontre un nouveau personnage, il doit évaluer le type de relation qu’il entretient avec lui (différence d’âge, respect, mérite, fonction sociale, etc.) et la traduire par une appellation empruntée au vocabulaire familial. Ainsi, un jeune homme parlant à une personne âgée s’appellera “neveu” et la nommera “oncleetc. Cet usage linguistique entraîne une attitude morale.

On conçoit bien alors que la communication entre personnes prend un tout autre sens pour un Vietnamien que pour un Européen. Communiquer, pour nous, c’est transmettre un message à un destinataire. L’accent est mis sur le message. On discute d’idées qui peuvent se heurter, se contredire, sans troubler l’amitié qui unit les deux interlocuteurs Pour un Vietnamien, il s’agit avant tout de réussir une relation humaine, de faire exister ensemble deux partenaires qui sont rarement sur un pied d’égalité. Le Vietnamien est attentif aux sentiments qui sont sousjacents aux paroles échangées.

Bien souvent, le dialogue, qui peut être insignifiant, n’est que le signe de quelque chose d’autre, invisible, qui se situe au niveau des relations des deux interlocuteurs :

“Les paroles ne coûtent rien.

Arrangetoi pour qu’elles soient en accord

Avec le coeur de ton partenaire” (6).

Par suite, le discours est moins une démonstration qu’un art délicat qui, en échouant, entraîne parfois une rupture qui peut être définitive :

“On peut rattraper un faux pas,

Il est difficile de rattraper un écart de langage” (7).

La violence détruit les rapports humains. On ne peut imposer ses idées à l’autre. Il faut donc suggérer plus qu’affirmer. C’est une marque de respect que l’on doit à son interlocuteur que de lui faire deviner ce qu’on a à lui dire, même s’il s’agit des sentiments les plus tendres. Témoin, cette vieille chanson populaire où l’amant ne dévoile sa pensée qu’indirectement:

“O barque, après avoir quitté le port,

Penses-tu encore à lui?

Quant au port, il s’obstine

A ne jamais t’oublier

Le discours vietnamien aime à se tenir à une certaine distance de la réalité. Il désigne de loin. La logique rigide est une sorte de violence. Elle oblige le partenaire à être d’accord. Nous sommes souvent décontenancés par ce qui nous apparaît comme une faute de logique. La démarche de notre partenaire vietnamien peut nous apparaître étrange. En réalité, il a le sens des ensembles, de la longue durée, et ce qui avait semblé, à un certain moment, une défaillance logique prendra tout son sens lorsque l’exposé sera parvenu à son terme. A ce moment-là, il nous faudra reconstituer tous les éléments épars distribués adroitement à l’intérieur du discours, tenir compte aussi de ce qui n’a pas été dit et qui peut être aussi important que ce qui a été énoncé. Toute parole doit être interprétée.

On comprendra le discours vietnamien lorsqu’on aura saisi qu’il n’a pas pour fonction essentielle de décrire le monde, d’être conforme à la réalité, mais de jeter un pont en direction de l’autre. Le Vietnamien à l’étranger essaie de recréer avec ses hôtes cette relation affective qu’il a autrefois vécue dans sa famille et dans la société de son pays. Ce qui le heurte le plus, c’est l’indifférence.

2 – LE MODELE FAMILIAL VIETNAMIEN

Généralement, l’Occident appelle “famille”, le groupe constitué par les parents et les enfants. Autour de ce centre privilégié se dessinent des cercles concentriques constitués par les grandsparents, les oncles et les tantes, les cousins du premier, deuxième degrés etc. Les liens familiaux se distendent au fur et à mesure que les cercles s’éloignent du centre.

Le “ho”, la grande famille

Certes, la société vietnamienne connaît aussi la réalité constituée par le groupe parentsenfants. Le terme qui la nomme, “nhàsignifie, à proprement parler, l’habitation, “nhà cuaIl désigne par extension tous ceux qui l’habitent, tous ceux qui sont abrités par le toit de la maison. C’est la famille au sens restreint, à laquelle il faut souvent ajouter bien du monde: une tante, un vieil oncle, les grandsparents, des enfants adoptifs. Mais ce groupe ne forme pas le centre de la famille; il n’est en réalité qu’un élément, une branche de la vraie famille, la grande famille, le “ho“. C’est en elle que réside l’essence familiale, c’est elle qui porte toutes les valeurs. C’est dans son sein que se pratique le culte des ancêtres et que se vit la solidarité parentale.

Le “ho” comprend toutes les personnes descendant d’un ancêtre commun. Traditionnellement, cette parenté s’étendait sur neuf générations et allait du trisaïeul à l’arrière-arrièrepetitfils. Toutes ces personnes, sauf les femmes nouvellement entrées dans la famille par le mariage, portent le même nom, “ho“. Ces noms de famille sont peu nombreux. On en compte deux cents pour tout le Vietnam, trente sont vraiment usités. Dix d’entre eux sont très courants. Il arrive que pour un même village, deux ou trois noms soient portés par la moitié de la population (Nguyên, Trân, Hoàng, par exemple). Le nom particulier est donc absolument nécessaire pour identifier une personne. C’est le dernier d’une série de trois noms, le premier étant le nom de famille, le deuxième un simple mot de liaison, le troisième le nom personnel. Ainsi, Nguyên Van Duc est constitué par “Nguyênnom de famille, “Vanla particule de liaison pour les hommes, “Duc” (vertu), nom personnel. Les femmes nouvellement entrées dans la famille, continuent à se rattacher à leur ancien “ho” par leur nom, qu’elles portent toute leur vie et même audelà de leur mort. Sur un tombeau de Huê, le Père Cadière avait relevé cette inscription:

“Tombeau d’une noble dame de la famille TRAN, entrée dans la porte (c’estàdire dans la famille) LUONG, mon illustre mère de l’ancien royaume du Sud” (8).

Comme nous le verrons plus loin, les liens qui unissent l’association de la grande famille sont d’ordre sacré. Mais ce caractère religieux est lié à la consanguinité. On distingue très soigneusement le côté consanguin, “Bên nôi” (le côté de l’intérieur, le côté paternel) et la parenté par alliance, “Ben Ngoài” (le côté de l’extérieur, le côté maternel) qui, lui, ne fait pas partie de l’ensemble “hoLes Vietnamiens sont extrêmement sensibles à cette consanguinité. Un proverbe affirme:

“Là où coule le même sang,

Les entrailles se ramollissent

On ne laissera jamais dans l’embarras un parent, et la promotion d’un membre de la grande famille est une source de fierté et de profit pour tout le monde.

“Pour un seul qui devient mandarin,

Toute la parenté en profite”.

On aurait tort cependant de croire que les liens qui unissent les membres de la grande famille dans un réseau serré d’obligations et de droits ne sont issus que d’une communauté d’intérêts. En réalité, c’est l’enracinement dans le monde des morts, le monde du sacré qui donne son véritable visage à la famille vietnamienne. La sagesse populaire vietnamienne déclare sans ambages à ceux qui auraient la tentation de ne voir dans la parenté qu’une association d’intérêts:

“On est parent à cause des ancêtres (Tô Tien)

Non à cause de l’argent ou du riz” (9).

La filiation charnelle est reprise en charge par le sentiment religieux. Ce qui n’était qu’une filiation naturelle va devenir un rôle, une relation réciproque. Il existe une merveilleuse phrase vietnamienne, d’apparence énigmatique, qui soutient:

“C’est le fils qui naît d’abord,

le père ne naît qu’après” (10).

Il s’agit presque d’une devinette pour laquelle on pourrait risquer une interprétation audacieuse. C’est le fils qui fait le père. Pour que quelqu’un puisse assumer le rôle de père, il faut qu’il y ait un fils. En d’autres termes, la filiation physique va du père au fils. Mais le sentiment, le “Hiêu“, la piété filiale va du fils vers le père. Ce n’est là qu’une signification possible de cette phrase, mais, elle nous fournit une clé pour comprendre ce qu’est la relation interpersonnelle au Vietnam. Chacun transforme son prochain en quelqu’un d’autre et est, luimême, transformé par son prochain. Le fils fait le père et le père fait le fils.

LE CULTE DES ANCETRES

Le rapport de la grande famille à son passé

La famille est faite de vivants et surtout de morts. Par le culte des ancêtres, elle entretient sa propre mémoire. Elle ouvre son présent au passé familial. Chaque membre de la famille vit ainsi avec une conscience aiguë de l’histoire de la grande famille. On imagine les choix dramatiques qui furent imposés au Vietnamien, dans les temps modernes, lorsque certains impératifs idéologiques l’obligèrent parfois à prendre parti contre sa propre histoire familiale.

Le Père Cadière a décrit ainsi cette communauté des vivants et des morts:

“Les Grecs s’enorgueuillissaient d’être apparentés aux dieux. Chez les Vietnamiens, le plus misérable des paysans peut en dire autant. De même qu’il considère ses ancêtres comme des personnages élevés audessus du monde naturel, de même il a conscience que lui aussi, un jour, après sa mort, il sera considéré par ses descendants comme doté de pouvoirs surnaturels. La famille est comme un grand temple. Les membres vivants sont dans le portique. Les uns après les autres et chacun à son tour, ils franchissent le seuil redoutable, passent par la porte de la mort et pénètrent dans l’autre partie du temple. Les liens qui les unissaient pendant la vie ne sont pas dénoués par la mort; au contraire, ces liens consacrés par la religion deviennent plus forts, ils sont perpétuels, comme le culte des ancêtres. Il faut avouer que la famille ainsi comprise prend un caractère de dignité et de grandeur vraiment impressionnantes” (11).

Sorte de cellule d’éternité au milieu du temps qui passe, la famille garde soigneusement sur l’autel des ancêtres, la mémoire de son histoire récente. Cette histoire n’est point formée d’événements comme ceux que relatent les chroniques, mais de personnages, une histoire affective constituée non par des connaissances apprises, mais par le culte. On comprend que cette histoire n’est pas neutre mais toute chargée de passion. On comprendra aussi à partir de là pourquoi une des premières opérations du nouveau régime révolutionnaire en 1975 fut d’imposer à Saigon le nom de l’ancêtre (Hô Chi MinhVille) et de substituer le nom de ses propres héros aux anciens noms de rues de Saigon.

La présence des ancêtres au milieu de la famille, même si elle est mystérieuse, est bien réelle. Ce n’est ni une façon de parler, ni une figure poétique. Après l’inhumation du parent, une tablette sur laquelle est inscrit le nom du défunt est solennellement transportée au “siège de l’âme” sur l’autel des ancêtres. Là, après avoir offert l’encens, le vin, le riz, on demandera respectueusement à l’âme de bien vouloir résider dans la tablette, de retourner à la maison pour que ses fils puissent la vénérer. Cette présence sera pour ainsi dire “avivée” au moment des anniversaires et des fêtes. Durant les cérémonies qui ont lieu ces jourslà, le chef de famille, ayant derrière lui tous les membres du “horassemblés par ordre de dignité, conversera avec l’âme de l’ancêtre:

“Moi, un tel, fils aimant, me conformant aux ordres reçus, profondément ému, j’informe l’ancêtre, et, devant son siège, lui fais savoir qu’à l’occasion de son anniversaire, j’offre du vin, du bétel, des pâtisseries, du papier d’or et de l’argent” (12).

Dans la nuit qui précède le Nouvel An, on les accueille solennellement pour trois jours. On les tient soigneusement informés de tout événement qui marque la vie de la famille. Ce sera encore eux qui présideront au mariage des enfants.

La famille : relation humaine relation sacrée

Même si les bouleversements de l’histoire récente ont modifié les rites et les institutions qu’avait légués à la famille vietnamienne une tradition millénaire, il n’empêche que cette présence des ancêtres, qui forme comme la toile de fond de la vie familiale, a laissé une trace indélébile sur le comportement relationnel du Vietnamien. Il ne faudrait d’ailleurs pas se méprendre sur ce culte. Les ancêtres n’ont jamais été, pour personne, des dieux.

“Le culte des ancêtres au Vietnam est donc bien un culte du souvenir. Les parents restent des parents qu’on respecte et qu’on aime; ils ne deviennent pas des dieux. Le culte naît de l’affection et non de la peur superstitieuse des morts

Ce qui lie aux morts, c’est une affection, une religion (au sens de “ce qui lie”). Sentiments profanes et sentiments religieux sont intimement liés. Le vocabulaire à cet égard est révélateur. C’est le même mot qui sert à désigner le sentiment qu’on porte aux vivants et aux mortsTho tô tiên” (vénérer les ancêtres) et “Tho Cha Me” (vénérer servir son père et sa mère). Le sentiment est le même pour les vivants et les morts. Ce qui change, c’est la forme par laquelle on l’exprime.

L’ambiance que nous venons de décrire éclaire en profondeur les relations humaines au Vietnam. Toutes ces relations familiales et, par suite, sociales sont vécues avec une intensité que nous avons du mal à imaginer. L’affectivité, la spontanéité naturelle du Vietnamien est déjà très riche, mais cette seconde dimension qui la soustend lui donne un caractère presque religieux, en tout cas élève les sentiments au niveau de devoirs. Les proverbes nous montrent bien ce passage du charnel, du “simplement naturel” au spirituel. Tout prend sa source dans la filiation charnelle:

“Lorsqu’on n’a pas enfanté, on ne sait pas aimer.

Quand on n’est pas du même sang, on ne sait pas avoir pitié ” (13).

Mais ce qui naît ainsi est de l’ordre du “lien religieux”.

“Le mérite du père est élevé

Comme la montagne Thai Son.

L’amour de la mère inépuisable

Comme l’eau qui coule de la source.

La vénération et le respect pour le père et la mère,

La perfection dans la piété filiale,

Telle est la religion de l’enfant ” (14).

Le proverbe, pour caractériser le comportement de l’enfant, emploie le mot sinovietnamien “daola voie, la religion. Comme chez Péguy, le spirituel est indissociable du charnel. Dans la famille, les relations entre les divers membres, vivants ou morts, constituent en même temps pour l’enfant, un apprentissage religieux. Le contact avec le “sacré” ne se fait pas en rupture avec les réalités profanes puisque le lien familial et, par suite, le lien social, dès sa naissance, est religieux. C’est sans doute là une des particularités des relations humaines en milieu vietnamien. Réaction spontanée et profondeur humaine y sont mêlées indissolublement. Le quotidien baigne dans une ambiance religieuse tandis que le sacré est “familiarisé” au sens étymologique du terme.

Nous reviendrons plus loin aux divers rôles familiaux, aux relations interpersonnelles, à la communication sociale. Mais nous comprenons déjà de quel poids pourront peser dans le comportement futur du Vietnamien des modèles acquis dans une institution qui s’est aussi totalement emparé de son être tout entier.

3 – LA FEMME, L’ ENFANT

C’est un fait : chaque fois que l’on essaye de décrire une culture, on se place tout naturellement du point de vue de l’homme, de l’homme adulte. Ses rôles et ses activités sont privilégiés. Les quelques réflexions qui précèdent n’échappent pas à cette perspective et à ses limitations. C’est bien pourquoi, il est bon d’introduire ici deux êtres non pas marginaux mais différents, d’une différence que la culture vietnamienne souligne vigoureusement. Il s’agit de deux êtres plus particulièrement liés à la famille: l’enfant, parce qu’il reçoit tout son être de la cellule familiale; la femme, parce que toute son action et toute son influence passent par elle.

L’enfant

Naître

Le mot vietnamien qui signifie la naissance désigne aussi bien l’apparition d’un nouvel être en ce monde, “sinh ra doique la dépendance que ce nouveauné entretient avec d’autres êtres de qui il tient la vie. Le mot “sinh” en effet veut dire “engendrer” “faire naître” mais aussi “naîtreC’est le vocabulaire luimême qui nous révèle un aspect important de la signification de la naissance: elle est une dette contractée à l’égard des autres par tout être qui vient au monde.

Si “l’arbre a ses racines et le fleuve sa sourcel’homme lui aussi a ses origines et ne peut s’y soustraire.

“Un enfant a un père et une mère;

Personne ne surgit du néant” (15).

Ce qui fait la différence entre l’homme et les autres êtres, c’est le sentiment, les entrailles. Cette première dépendance physique s’épanouit en sentiment. Plus tard, l’enfant rendra à ses géniteurs un véritable culte dont nous avons déjà parlé plus haut.

La dette contractée à la naissance est triple. L’enfant doit son existence à son père qui est en quelque sorte sa cause première. Mais son développement dans le temps, sa croissance physique et morale, sont surtout attribués à la mère:

“Le père fait naître, la mère nourrit” (16).

Le Vietnamien, d’ailleurs, n’est pas loin de penser que cette naissance continuée, cette origine perpétuellement renouvelée dans la mère, est le lien le plus fort qui soit:

“Le père qui fait naître

Ne vaut pas la mère qui nourrit” (17).

Mais il existe une troisième source, cellelà beaucoup plus mystérieuse. L’enfant va se révéler différent; il va bientôt montrer les signes d’une personnalité originale, les traits d’un caractère. Ce dernier est donné par le ciel qui dépose en chaque être humain la marque de l’individualité:

“C’est le père et la mère qui engendrent,

Mais c’est le ciel qui donne le caractère” (18).

Prendre conscience

Dans ses premières années, chevauchant la hanche de sa mère, dormant dans le lit des adultes, sevré le plus tard possible, l’enfant va vivre sa dépendance dans une joyeuse insouciance. Ce n’est que plus tard, avec l’apprentissage du langage, qu’il va renouer avec sa naissance. Il va, en quelque sorte, la répéter symboliquement, prendre conscience de sa fondamentale dépendance lorsqu’il sera introduit dans le système des signes. Il verbalisera ses liens et les détaillera tout en prenant conscience de son moi. Pour se désigner, il commencera par répéter le mot par lequel le père et la mère le désignent “Bé” (le petit), “Con” (l’enfant), mots qui n’ont de sens que par rapport aux parents qui les prononcent. Il existera désormais en face d’eux comme un enfant. Son moi sera circonscrit par ce rôle.

Il répète ce que disent ses parents mais dit en même temps autre chose. Ainsi, la phrase vietnamienne: “Con noi voi malorsqu’elle est dite par la mère, signifie: “Tu me parles, mon enfant”. Lorsqu’elle est prononcée par l’enfant, elle devient: “Je te parle, maman.”

Alors que, très vite, l’enfant occidental s’identifie au “je“, indépendant et neutre, qui peut s’opposer à celui des parents, l’enfant vietnamien ne pourra jamais dire à ses parents (et cela toute sa vie) que “votre enfantIl n’échappera jamais à cette interdépendance originelle; jamais ce lien verbal, symbole du lien originel, ne pourra être rompu.

En grandissant, l’enfant pénétrera dans la société des hommes en découvrant une par une les relations qu’il entretient avec les autres. On lui apprendra vite à désigner et identifier les liens qui l’unissent aux gens qui l’entourent. Qui doitil appeler du nom de grandfrère, de soeur aînée, d’oncle, de tante, de grandpère, etc? Comment doitil se nommer luimême face à ses partenaires? Les premiers jeux auxquels il va se livrer porteront eux aussi sur l’emploi correct de ces appellations. Peu à peu, au-delà du langage, l’enfant se rendra compte de cette réalité profonde constituée par l’immense réseau des liens humains qui sont autant de “sentimentsdevoirs”.

“Tu dois faire ceci en tant que fils”, “tu dois lui obéir comme un petit frèreToutes ces relations lui sont données, offertes par le monde qui l’entoure; c’est pourquoi, elles sont autant de dettes contractées qui entraînent des devoirs correspondants.

L’affirmation de soi

Comme tout enfant, l’enfant vietnamien a ses caprices, ses révoltes, quelquefois fort violentes. Mais jamais elles ne remettront en cause le lien fondamental. Il est impensable que cet enfant, qui ne peut utiliser le “je”, puisse parler avec insolence à son père (à tous les âges de sa vie). Aucune résistance, si obstinée soitelle, ne brisera cette relation sans laquelle il n’existerait plus comme enfant et donc comme individu.

Le type d’opposition que l’enfant adopte lorsqu’il veut faire valoir sa volonté contre celle des parents est d’ailleurs extrêmement révélatrice. Ce que l’on nomme “li” est une espèce de résistance passive, d’inertie têtue que l’enfant peut maintenir longtemps. Il écoute les remontrances, accepte les punitions, ne répond pas, mais n’avoue pas son erreur et s’obstine à ne pas changer sa conduite – tout cela dans une apparente douceur. L’enfant pourra même entreprendre des grèves de la faim. Il semble qu’il faille interpréter ces mouvements de révolte comme le désir inconscient de se supprimer sans renoncer à la relation qui unit aux parents, attitude qui fait supporter toute la responsabilité par ces derniers. Généralement, ces petits accrocs se règlent sans que personne ne perde la face.

L’enfance vietnamienne reste fascinante car on y voit se dessiner clairement tous les éléments qui composeront plus tard le comportement inimitable du Vietnamien. Cette façon si originale de vivre avec les autres, cette délicatesse dans les relations humaines a été acquise à cette époque. Nous avons vu qu’il ne s’agissait pas simplement d’habitudes superficielles, mais d’une certaine conception de la vie en commun.

La femme

Si l’on peut décrire la formation de l’enfant au Vietnam sans trop tenir compte des changements apportés par les temps modernes, cela n’est guère possible quand il s’agit de la femme. Durant des millénaires, la femme a occupé une place centrale à l’intérieur de la famille. C’était en quelque sorte son lieu naturel. Toute son existence était marquée par l’emprise que cette organisation exerçait sur elle. Pour parler à la façon vietnamienne, le “dehors” (ngoài), la société, l’extérieur de la famille était réservé aux hommes; les femmes, elles, étaient à “l’intérieur” (trong). Inspiratrices, sources profondes de la cellule familiale, elles ne se risquaient pas dans la jungle sociale.

Les diverses crises sociales qui se sont succédées sans interruption au Vietnam depuis plus d’un siècle ont profondément changé cet état de choses, en particulier, les dernières, à savoir celles qui ont été provoquées par l’introduction de la société de consommation au SudVietnam entre 54 et 75, par l’apparition de l’idéologie marxisteléniniste et des transformation sociales opérées par elle, d’abord au nord et ensuite au sud après 1975, et, enfin, depuis 1986, l’ouverture progressive du pays à l’économie de marché, avec les conséquences morales de celle-ci, déplorées aujourd’hui par tout le monde. C’est pourquoi le tableau que nous dresserons ici représente davantage un archétype culturel légué par la tradition qu’un portrait concret de la femme d’aujourd’hui, dont les traits précis sont difficilement saisissables (19).

 

En dehors de certaines exceptions, la femme vietnamienne vivait dans la mouvance de la famille; son existence se justifiait par les rôles que cette dernière lui donnait à tenir. Son autorité et elle en avait souvent beaucoup était indirecte, le premier rôle étant réservé aux hommes.

Cette emprise familiale se faisait particulièrement sentir pour tout ce qui concernait son éducation. Les études poussées en caractères chinois ou en caractères “nôm” à l’extérieur de la maison lui étaient interdites. C’est à l’intérieur de la famille qu’elle devait acquérir les quelques rudiments qui lui seraient nécessaires plus tard.

Durant toute sa jeunesse, la femme vietnamienne vivait dans un milieu uniquement constitué par ses relations parentales. Elle n’avait que très rarement l’occasion de sortir seule. Dans ses visites, ses démarches et ses loisirs, elle était toujours accompagnée par un frère, une soeur, un parent âgé, un ami de la famille. Dès qu’elle atteignait un certain âge, elle était directement associée aux travaux du ménage, recevait la charge d’assurer l’éducation des enfants. Guidée par les exemples de la cellule familiale, instruite par les conseils que lui prodiguaient abondamment parents et grandsparents, elle se préparait ainsi à ce qui constituerait l’essentiel de sa vie, à savoir son rôle d’épouse, de mère et de bru.

Le mariage était simplement pour elle une façon de changer de famille. Mari et belle famille étaient choisis par ses parents. Cependant, au Vietnam, il était rare que la fille ne soit pas consultée sur ses goûts. Les parents renonçaient généralement à un projet auquel leur enfant s’opposait obstinément. Une fois entrée dans la nouvelle maison, la femme est désormais bru et dépend entièrement de sa bellefamille.

Elle est aussi épouse. En tant que telle, elle accomplit silencieusement les tâches domestiques et s’efforce de créer dans son foyer cette ambiance joyeuse si caractéristique des maisons vietnamiennes. Elle participe aussi à la subsistance économique des membres de la famille. Présente aux travaux des champs, elle s’emploie, dans ses temps de loisir, à la confection de divers objets domestiques, à des travaux de vannerie, etc.

Mais le rôle essentiel de la femme au Vietnam est celui de mère. C’est à elle que revient la charge de nourrir, d’éduquer les enfants. Cette éducation est un mélange harmonieux de soins matériels, d’exhortations puisées dans la sagesse populaire, de tendresse active. La présence de la mère dans tous les secteurs de la vie lui procure un grand prestige. Il n’est pas rare que son autorité s’étende bien audelà du domaine strictement familial. La plupart du temps, aucune affaire sérieuse ne se décide sans elle.

Ce bref aperçu de la tradition vietnamienne féminine ne rend certes pas compte de la situation actuelle des femmes, mais il peut nous donner une idée du rôle de ces dernières dans la société vietnamienne. Bien que leur comportement se soit considérablement modifié, que leur domaine d’activités se soit élargi, elles gardent toujours leur place centrale à l’intérieur de la famille, leur influence indirecte dans les grands événements qui touchent aussi bien la famille que la société vietnamienne.

4. LE SACRE, LE CIEL ET LA PIETE

Le sentiment religieux au Vietnam

Celui qui essaie de pénétrer à l’intérieur du monde culturel vietnamien s’aperçoit rapidement qu’il ne progressera pas longtemps dans cette connaissance s’il n’aborde pas le domaine religieux. Il va vite soupçonner que, seul le type de rapports que le peuple vietnamien entretient avec ce qu’il considère comme l’audelà de sa vie et de son monde est susceptible de donner un sens à toutes ces bribes de savoir qu’il a puisées dans l’observation de l’existence quotidienne au Vietnam.

Si l’importance du fait religieux saute aux yeux de n’importe quel observateur, l’embarras commence lorsqu’il s’agit de l’isoler des autres institutions culturelles pour le présenter au lecteur. Comment, en effet, aborder ce domaine? Une première solution, celle que l’on retient d’habitude, consisterait à énumérer et détailler les croyances, les rites et les morales propres aux grandes communautés religieuses qui, depuis des siècles, ont formé à leur manière la sensibilité religieuse de leurs membres. Il faudrait alors parler du bouddhisme du grand véhicule tel qu’il a été reçu au Vietnam après son passage par la Chine, de certains îlots du bouddhisme du petit véhicule, des grandes religions plus modernes comme le caodaïsme, la religion Hoa Hao, des diverses confessions chrétiennes qui peuvent se réclamer d’une tradition de quatre siècles, sans compter, pour le SudVietnam, de nombreuses sectes récentes.

Il faudrait encore ajouter à tout cela un certain nombre de sources religieuses qui, bien que n’ayant pas formé de communautés institutionnalisées, n’en constituent pas moins le fonds commun de la religiosité vietnamienne: on peut citer la croyance à un arrièremonde spirituel, formé d’esprits et de forces mystérieuses, le culte des ancêtres, ce culte familial si important pour comprendre la nature des relations sociales au Vietnam, le confucianisme qui, maintenant, fait partie intégrante de la culture vietnamienne, les influences taoïstes souvent difficilement repérables mais très agissantes. Cette simple énumération permet de comprendre qu’il est pratiquement impossible de regrouper dans un tableau général et cohérent cette profusion d’inspirations religieuses qui, comme les branches des arbres dans la forêt tropicale, sont tellement entremêlées qu’on ne peut plus discerner à quels troncs respectifs elles appartiennent.

Il faut donc essayer une autre voie d’approche et, pour cerner ce sentiment religieux dans son unité, se situer endeçà des points de vue particuliers propres aux grandes communautés religieuses institutionnalisées. Au lieu d’analyser le contenu des croyances, nous nous bornerons à éclairer les attitudes religieuses; nous nous efforcerons de les saisir dans leurs sources vives avant qu’elles soient élaborées et codifiées dans les doctrines et les textes canoniques. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la langue, les comportements populaires typiques, bref sur le fonds commun religieux qui marque la culture vietnamienne dans son ensemble. Car ce fonds commun existe: il est toujours vivant dans la pratique bouddhiste où il a été parfaitement intégré. On peut le reconnaître dans les communautés chrétiennes où il a été transposé. On pourrait même montrer que ce substrat religieux n’a pas disparu chez ceux qui, aujourd’hui, adhèrent au marxismeléninisme. Il serait facile de mettre en évidence certains traits de la sensibilité religieuse traditionnelle à l’intérieur même du parti communiste vietnamien, malgré son opposition au confucianisme longtemps considéré comme une idéologie féodale et son indifférence au culte des ancêtres. Ainsi, on ne peut s’empêcher de penser que le président Ho Chi Minh se référait à ce culte lorsque, dans son testament, il affirmait: “Je vais maintenant rejoindre mes grands ancêtres, Marx et Lénine…”

Les réflexions qui suivent seront regroupées autour de trois motsclés. Chacun d’entre eux nous introduit à une dimension religieuse particulière de l’existence quotidienne au Vietnam: le Sacré, le Ciel et la Piété.

Le sacré

Pour désigner la notion de “sacréla langue vietnamienne utilise deux mots qui ont, à peu de chose près, le même sens: “Thiêng” et “LinhCes deux vocables peuvent qualifier des choses, des êtres vivants, des périodes, des relations humaines où se manifeste la présence du surnaturel, de l’arrièremonde spirituel. Le sacré se situe aux lisières du monde quotidien où il constitue une véritable fenêtre ouverte sur l’audelà; il est une sorte de brèche dans le monde naturel par laquelle s’engouffrent des forces mystérieuses.

Les Vietnamiens sont particulièrement attentifs à l’irruption du mystère au sein du monde qui les environne. Il n’est pas rare que des Vietnamiens non chrétiens accompagnent des pèlerinages à Lourdes, à la chapelle de la Médaille miraculeuse et autres lieux saints de la chrétienté occidentale. Ils s’y rendent comme à des endroits où affleurent certaines puissances spirituelles avec lesquelles il faut entrer en contact pour rester uni à la totalité du monde qui n’est point uniquement composé de ce que l’on voit.

“La nature est un temple où de vivants piliers

Laissent parfois sortir de confuses paroles”.

Le sacré est donc le lieu où le monde s’ouvre sur un ailleurs. Cette idée de passage, de communication entre deux mondes est le sujet de certains contes traditionnels. Ainsi, on raconte qu’à l’époque des Trân, un jeune mandarin nommé Tu Thuc, en visite dans le jardin d’une pagode à l’occasion de la fête des fleurs, délivra une jeune fille très belle, emprisonnée pour une peccadille. Peu de temps après, il revint dans son village natal ; sachant que cette jeune fille était originaire de cette région, il la chercha longtemps. Il arriva un jour à l’entrée d’une grotte où la reine des fées lui fit rencontrer la jeune femme qui n’était autre qu’une fée. Ils s’épousèrent. Après trois ans de bonheur parfait, Tu Thuc voulut redescendre sur terre pour voir ses vieux parents. Mais, arrivé au village, il ne reconnut ni les lieux ni les personnes. Un vieillard très âgé lui apprit enfin que trois cents ans auparavant, un certain Tu Thuc avait disparu. Désespéré, ce dernier repartit, mais ne retrouva jamais l’ouverture qui débouchait sur un autre monde (20).

Le sacré, le “thiêng” ne désigne pas à proprement parler le surnaturel, mais le lieu où il se manifeste, l’endroit où il fait signe. Il peut être attaché à un lieu: une pagode, un bosquet, une montagne, un rocher de forme curieuse. Là, une puissance invisible indépendante des lieux se manifeste par des effets merveilleux; bien souvent, on en raconte l’histoire. Autrefois, chaque village vietnamien possédait un arbre, une pierre où tel esprit bienfaisant ou malfaisant se manifestait. Dans les campagnes vietnamiennes, les esprits étaient partout, nombreux et différents selon les régions.

Ce caractère sacré peut être aussi attribué à des êtres vivants. Certains animaux sont directement en rapport avec l’audelà et sont particulièrement respectés. Dans le Centre-Vietnam, on évitait de nommer le tigre ou on l’appelait “grandpère”ông copMais l’animal qui jouissait de la plus grande considération à ce point de vue était sans conteste la baleine, du moins sur les côtes du Centre-Vietnam. Elle aussi était appelée “ca ông” (poisson grand-père) ou encore “bà ngu” (Dame poisson). Chaque fois que l’une d’entre elles s’échouait sur une plage, elle était enterrée en très grande pompe avec force cérémonies. Celui qui l’avait découverte portait le deuil comme s’il avait été son fils aîné.

Certaines périodes de l’année sont particulièrement “thiêngc’est à dire propices à cette communion avec l’au-delà. A l’époque du “Têt” (Nouvel an), le monde invisible se rapproche tellement du quotidien que la nature, les choses, les situations, les événements sont en quelque sorte “surimpressionnés” par lui. Par suite, tout devient signe adressé aux humains. Chacun se compose alors une âme d’enfant, faite de disponibilité, d’attention aux possibilités infinies que lui livre cette relation privilégiée au surnaturel. Le moindre des événements, la plus humble des rencontres devient présage et est interprété comme une indication concernant l’avenir. L’année, alors, est toute entière contenue dans ces premiers jours et celui qui sait bien observer doit pouvoir découvrir la trame de tous les autres jours.

Ainsi, l’existence et le comportement vietnamiens s’insèrent dans un monde où la composante invisible est toujours présente. Dans l’univers traditionnel, à toute réalisation matérielle était associée une fin spirituelle. S’agissaitil de construire une maison, on faisait appel à un géomancien qui fixait soigneusement l’orientation de celle-ci en tenant compte de son environnement. Il existait des rites associés à la construction des bateaux, des vêtements, à l’ouverture des boutiques, des écoles. Certains actes étaient même purement symboliques et n’avaient de sens qu’en fonction des forces magiques qu’ils essayaient de capter. Contrairement à l’Occident où l’opposition “profanesacré” est fondamentale, le Vietnam n’a jamais envisagé la religion comme une rupture avec l’univers quotidien. Le sentiment religieux au contraire s’appuie sur lui, sait que les signes du divin peuplent le monde et qu’il faut les déchiffrer patiemment.

Le ciel

Si la sphère du sacré représente cette zone de communication avec l’invisible, le Ciel, “Troi“, évoque la dimension religieuse de l’histoire, du déroulement des événements. Le mot “Ciel” désigne à la fois cette grande demisphère bleue qui est audessus de nos têtes, “bâu troi” (la calebasse du ciel) et la cause de tout ce qui survient, de tout ce qui change. La perception du Ciel est indissolublement matérielle et spirituelle: il est à la fois une grande étendue bleue et la cause de toute chose.

Ce qui frappe d’abord en lui, c’est son immensité: tout ce que l’on voit lorsqu’on lève la tête. On dit des vieillards qui se courbent vers le sol qu’ils sont “loin du ciel et prés de la terreDans le langage courant, le ciel est le symbole de l’immensité, du démesuré. D’une chose qui dépasse l’entendement, on dit qu’elle est “qua troiqu’elle dépasse le ciel. Celui qui s’agite comme un forcené “ébranle le ciel tout entier

Alors que l’expérience du “thiéng” introduisait au domaine des forces mystérieuses, quelquefois capricieuses et imprévisibles, celle du “Troi” met au contraire en relation avec une sagesse ordonnée. Le Ciel est principe de toute chose et de tout ordre. C’est à lui que sont rapportés tous les événements, qu’ils soient naturels comme le vent, la pluie ou le beau temps, ou qu’ils appartiennent aux existences individuelles. La vie, la mort dépendent de lui: “Sông chêt o troi” – mais aussi le bonheur, le malheur et la pauvreté.

Cette sagesse du Ciel n’est pas indifférente à l’humanité; elle a certains traits de la Providence. L’ordre dont le ciel est le garant est un ordre favorable aux êtres vivants:

“Le ciel a fait naître l’éléphant

Et, en même temps, l’herbe pour le nourrir”.

Il est tourné vers l’homme et reste son appui et son recours suprême. L’équivalent du français “Grâce à Dieu” se dit en vietnamien “Grâce au cielIl n’est pas inexorable et on peut l’invoquer: “Kêu Troi” “crier vers le ciel3”. Les malheureux s’adressent à lui en criant: “Troi oi(O ciel!).

On ne peut guère mettre en cause la sagesse du ciel qui est infinie. Celui qui la connaîtrait, connaîtrait l’ordre du monde. Devant un mystère, une énigme naturelle, le Vietnamien a l’habitude de dire: “Le Ciel, lui, le sait“. Une certaine tradition occidentale s’est révoltée contre Dieu à la vue des injustice de ce monde. La sagesse populaire vietnamienne connaît aussi le scandale de la mort des victimes innocentes par exemple, mais elle l’exprime sans révolte, dans une plainte adressée précisément au ciel:

“Les feuilles jaunes sont encore sur l’arbre,

Et voilà que tombent de là les feuilles vertes

Le Ciel le saitil? Le Ciel le saitil !” (21).

Ou encore dans le chef d’oeuvre de la littérature vietnamienne:

” Devant une telle injustice

On ne peut que crier vers le Ciel,

Mais le ciel est si loin !” (22).

Le dernier mot reste au Ciel. Se révolter contre lui est pure démence. Il n’y a pas d’équivalent du mythe de Prométhée dans la tradition culturelle vietnamienne. Une grande part de la mesure, de la résignation que l’on peut remarquer dans le comportement des Vietnamiens tient à cette reconnaissance de la volonté du Ciel, limite de toute action humaine:

” Votre destin est d’être pauvre!

Vous pouvez vous démener,

Vous ne serez jamais riches.

Pourquoi veiller si tard et vous lever si tôt?

Vous ne réussirez qu’à vous donner des courbatures

On aurait tort cependant de penser que cette résignation relève du fatalisme. Il s’agit bien plutôt d’une attente. Il faut guetter les signes du Ciel, le mandat du Ciel qui donnera le signal de l’action.

” Un fleuve a ses méandres, l’homme a ses occasions”.

L’occasion est ce moment où les événements empruntent tout d’un coup un autre cours. Il faut la saisir car c’est en elle que s’harmonisent le désir de l’homme et la volonté du Ciel, formant ainsi une force irrésistible. Paul Mus, dans “Sociologie d’une guerre”, a montré toute l’influence que cette attente du “mandat du Ciel” a pu avoir sur le déroulement de l’histoire contemporaine au Vietnam.

La piété

Le sentiment religieux se manifeste aussi dans un secteur tout à fait différent de ceux que nous avons étudiés jusqu’à présent: dans le monde des relations sociales. Dans la société, les hommes ne sont pas simplement juxtaposés les uns aux autres, mais liés entre eux par une solidarité originaire. Ce lien (nghia) est à la fois un réseau serré de devoirs et de droits et un sentiment de coloration fortement religieuse que nous appellerons ici “piété” (bien qu’au sens strict, la piété “hiêu” ne s’adresse qu’aux parents).

Nous avons déjà dit plus haut que la cellule familiale au Vietnam reste la matrice de toutes les autres relations intersubjectives. Nous ne reprendrons pas ici cette description de la famille sinon pour souligner sa coloration religieuse. C’est la présence des ancêtres à l’intérieur de la famille qui la fonde et assure sa continuité. Ceci n’est pas simplement une croyance abstraite, mais est vécu affectivement dans le “hiêula piété filiale. C’est le même sentiment qui est exprimé dans le culte des morts et dans les relations avec les vivants. Le “hiêu“, la piété filiale, est donc d’essence religieuse. Certes, à proprement parler, il ne concerne que les parents. Mais on peut sans exagérer affirmer qu’il va marquer toutes les relations familiales, et, par suite, tous les rapports sociaux, dans la mesure où ceuxci renouvellent à leur manière la première expérience, telle qu’elle a eu lieu à l’intérieur de la famille.

Dans le soin qu’apporte le Vietnamien à ses relations sociales, dans son effort pour déterminer exactement le lien qui l’unit à l’autre, il faut voir bien autre chose que ce qu’on appelle vaguement du nom de “politesse asiatique”. Contrairement à la conception occidentale où la société est du domaine du profane et essentiellement régie par des lois qui la surplombent, au Vietnam les hommes existent les uns par rapport aux autres grâce à toutes sortes de liens qu’on ne peut détruire. Le confucianisme avait mis en relief les plus marquants, ceux qui relient le sujet à son empereur, le fils à son père, le maître à son disciple; mais ils sont en réalité beaucoup plus nombreux; amitié, reconnaissance, pitié, etc. en sont quelques autres.

Ces liens sont religieux dans la mesure où ils ne sont pas une création de l’homme, mais font partie de l’ordre du monde, que, par eux, les vivants sont reliés aux morts, qu’en les faisant exister, on contribue à la bonne marche de l’univers. Nous comprenons alors mieux les multiples précautions et rites dont les Vietnamiens entourent leurs relations sociales, l’importance tragique que prennent certaines histoires qui nous paraissent dérisoires. Souvent, là où nous ne voyons qu’un différend, se joue un drame dont nous ne voyons pas toute la portée.

Nous avons essayé de laisser apparaître des soubassements religieux dans un certain nombre de domaines où nous ne nous attendions pas à les trouver. Ces quelques notes sont loin d’épuiser le sujet. Mais elles n’avaient pour but que d’éveiller notre attention à cette dimension cachée de l’existence quotidienne des Vietnamiens.

5 – LA FETE : LE NOUVEL AN (TET)

Dans tous les pays du SudEst asiatique, la fête la plus importante de l’année est le nouvel an. C’est le nouvel an lunaire, appelé “Têt Nguyên Dan” en vietnamien.

Cette nouvelle année 1997 est l’année du buffle qui succède à celle de la souris. Pour tous les Vietnamiens, qu’ils soient dans leur pays ou chassés par les événements politiques sur une terre étrangère, le début de l’année est un temps fort que chacun d’eux va vivre intensément. Pour l’étranger désireux de participer à l’univers culturel vietnamien, il n’y a pas de meilleure occasion pour découvrir celui-ci et approcher la configuration affective de l’âme vietnamienne. La fête du Têt nous la révélera en effet d’une manière on ne peut plus claire. Si nous sommes un peu attentifs ces jourslà, nous sentirons vibrer certains ressorts spirituels, certaines tendances profondes qui n’appartiennent en propre qu’aux Vietnamiens et que les soucis de la vie quotidienne ont pu nous cacher jusqu’alors.

Le Têt: une attitude spirituelle

“Le Têt, c’est l’occasion donnée à tout un peuple d’éprouver les mêmes sentiments” (Pham Quynh).

C’est en effet la fête de l’unanimité, unanimité qui naît non d’un accord sur une vérité idéologique, mais de l’enracinement de tous dans les mêmes réalités fondamentales. Le premier de l’an, chacun renouvelle sa participation à ces réalités.

Le nouvel an marque d’abord l’accord secret du Vietnamien au temps qui passe. C’est au premier de l’an qu’ensemble, tous les Vietnamiens vieillissent d’un an, ou plutôt acquièrent une nouvelle année. L’âge se compte pour tous à partir du premier de l’An. L’enfant qui naît le dernier jour de l’année a un an lorsqu’il naît et deux ans le jour suivant. Le souhait le plus commun en ces jours du début de l’année est le “mung tuôi” (se réjouir de l’âge). Car la joie du Têt jaillit du recommencement du temps. Ces jourslà, le temps se retrempe en son origine et tous participent à sa nouvelle naissance. Les âmes des hommes essaient de s’accorder à la montée de la nouvelle sève dans toute la nature. Tous les signes extérieurs de la nouveauté sont privilégiés. Les jours qui précèdent le Têt, les maisons sont remises à neuf, les planchers astiqués. Tous, même les plus pauvres, renouvellent leur garderobe. La rupture avec le passé devra être consommée. Il faut obligatoirement régler ses dettes avant la nouvelle année sous peine de rester indéfiniment lié au passé et de ne pas entrer avec tous dans la joie du temps nouveau. C’est à minuit que culminera cette joie lorsque surgira la nouvelle année dans son éclatante nouveauté, acclamée par le rythme saccadé qui accompagne la danse du dragon et par le crépitement des pétards. “Un Têt sans pétards est un Têt morne

Cet accueil du temps nouveau suscite chez les Vietnamiens une attitude spirituelle très particulière. On trouve chez eux ce jourlà une espèce de joie mystique. Chacun se compose une âme d’enfant faite de disponibilité et d’attention aux possibilités infinies que leur offre cette année qui vient. C’est pourquoi on scrutera les signes qui permettent d’entrevoir ce que sera l’année nouvelle. Au besoin, on essaiera d’orienter son cours. Ainsi, on choisira avec soin la personne qui fera la première visite de l’année à la maison. Il faut qu’elle soit dotée de “phuc” (bonheur) dont l’influence bénéfique imprégnera la maison pendant toute l’année. On interprétera les divers événements qui se dérouleront ce jourlà. Moins que de superstition, il s’agit là d’une certaine conception du temps. Le temps de toute l’année est pour ainsi dire concentré en son premier jour. Celui qui sait bien observer doit pouvoir y découvrir la trame de tous les autres jours.

Mais il n’y a pas de vrai renouveau sans un enracinement dans ses origines, une prise de conscience du monde auquel on se rattache. Pour le Vietnamien, ce monde est essentiellement familial, et c’est vers ses parents que ces jourslà, il se tourne. C’est aux grands-parents, au père et à la mère que les premiers voeux sont adressés. Cependant, ce sont les ancêtres qui tiennent la première place dans la célébration. Toute l’année, ils assurent la cohésion spirituelle de la famille. Le jour de l’an, ils seront là d’une présence spéciale. La veille, on les a accueillis solennellement et tous les jours que durera la fête, ils seront intimement mêlés à tous les rites. Paradoxalement, le nouvel an, fête de joie, est, en même temps une fête des morts.

Le “Têt” : un ensemble de rites

Cette attitude que nous venons de décrire s’exprime dans un ensemble de rites, de gestes que la tradition a fixés une fois pour toutes. La nouvelle année se prépare à l’avance. Dans les mois qui ont précédé, les familles ont fait des économies. Elles se sont quelquefois privées pour amasser la somme d’argent nécessaire aux frais occasionnés par cette fête. Dans les maisons, on a procédé au grand nettoyage. On a préparé de nouvelles tenues.

Le 23ème jour du 12ème mois, se déroule la première cérémonie cultuelle. C’est la célébration du départ au ciel de “Monsieur Taogénie domestique, qu’on appelle aussi “ông vua bêp” (le roi de la cuisine). Il s’en va pour sept jours auprès du “Souverain du Ciel” pour lui remettre un rapport détaillé des faits et gestes de l’année. Pour le voyage, on lui offre des provisions, on lui confectionne des vêtements en papier, mais pas de pantalon. Il reviendra au soir du 30ème jour. Son départ signifie la mort de la nature et sa renaissance. C’est aussi à cette époque que l’on plante devant la maison une grande perche de bambou, “Cây nêuoù sont attachées des feuilles dorées, des carpes en papier.

Dans les trois derniers jours qui précèdent le nouvel an, les préparatifs s’intensifient. On achève de décorer la maison avec des branches fleuries de “Mai“. On accroche au mur des tableaux où sont inscrits les trois caractères traditionnels: “bonheur, longévité, prospéritéPendant les trois jours de fête qui suivront le premier de l’an, toutes les activités seront scrupuleusement suspendues. C’est pourquoi, les ménagères se pressent aux marchés qui sont les plus animés de l’année. On prépare aussi la nourriture de réserve, en particulier le “banh chunggâteau traditionnel, pour les fêtes de la nouvelle année.

Puis vient la nuit du premier de l’an. Tous doivent demeurer éveillés, l’esprit fixé sur l’année qui vient. Peu avant minuit, a lieu la cérémonie de la réception des mânes des ancêtres. Un repas de fête leur est offert. Puis tous vont se prosterner et brûler de l’encens devant l’autel. On répétera cette cérémonie chaque jour aux heures des repas durant toute la durée du Têt.

A minuit est célébré le rite le plus important, le “Giao Thua“, le renvoi de la vieille année, la réception de la nouvelle. Le père de famille, en grand costume, salue l’année écoulée et souhaite la bienvenue à celle qui est en train de naître. Chaque membre de la famille échange ses voeux. On sort alors pour contempler la nuit où déjà scintillent les feux de Bengale et éclatent les pétards.

Le premier jour de l’année sera strictement réservé à la famille. Généralement, ce jourlà, aucun étranger ne passe le seuil de la maison. Les membres de la famille se présentent mutuellement voeux et souhaits rituels. Les enfants reçoivent de petits cadeaux, de l’argent dans une enveloppe rouge. La somme d’argent doit être de préférence impaire. La personne qui la reçoit fera ainsi de grands bénéfices durant l’année. Les autres jours sont réservés aux visites des amis et des relations, aux visites des pagodes et aux réjouissances de toute sorte: théâtre, cinéma, jeu de cartes.

N O T E S

(1)Edité par “Echange France-Asie”, Dossier n° 63, janvier 1981, Paris.

(2)Vu Ngoc Phan, “Tuc Ngu Ca Dao Dân Ca Viêt Nam”, Hanoi, 1978, p. 116, Cité désormais sous le sigle VNP. Toutes les proverbes et phrases vietnamiennes cités sont traduits en français par l’auteur.

(3)Nguyên Van Ngoc, “Tuc Ngu Ca Dao”, p. 124, cité désormais sous le sigle NVN.

(4)VNP, p. 120

(5)Huard, Durand, Connaissance du Vietnam, Librairie Maisonneuve.

(6)VNP, p. 134

(7)VNP, p. 126

(8)Cadière, Croyances et pratiques religieuses des Vietnamiens.

(9)VNP, p. 420

(10)VNP, p. 415

(11)Cadière, op. cit.

(12)Cadière, op. cit.

(13)VNP, p. 410

(14)VNP, p. 417

(15)NVN, p. 65

(16)NVN, p. 165

(17)NVN, p. 90

(18)NVN, p. 90

(19)Ce développement doit presque tout à Nguyên Chi Huong, “La femme au Vietnam dans l’oeuvre de Thuy Vu”, 1979.

(20)Nguyen Dông Chi, “Kho Tang Truyên Cô Tich Viêt Nam”, t. IV, Hanoi, 1975

(21)NVN, p. 345

(22)NVN, p. 202

ANNEXE I: DONNEES STATISTIQUES SOMMAIRES

GEOGRAPHIE:

Superficie: 331 041 km . Le littoral s’étend sur 3 260 km. Les frontières avec la Chine, le Laos et le Cambodge sont longues de 3 730 km.

Principales villes: Hanoi (capitale) avec 3,5 millions d’habitants, Hô Chi Minh-Ville (sans doute plus de 5 millions d’habitants) Hai Phong, Da Nang, Huê, Can Tho.

POLITIQUE

Régime: République socialiste du Vietnam

Dirigeants: Lê Duc Anh (Président), Vo Van Kiêt (Président du conseil des ministres), Do Muoi, secrétaire général du parti dirigeant, le parti communiste.

DEMOGRAPHIE

Population: 77 millions d’habitants (estimation de 1997). Il y avait 52 741 000 habitants au recensement de 1980 et 64 410 000 au recensement de 1989. La population devrait atteindre 100 millions d’habitants en l’an 2015.

Densité de la population: 217 habitants au km

Partage ville-campagne : 79% de ruraux pour 21 % de citadins.

Croissance démographique annuelle: 2,1 % par an.

Indice de fécondité: 3,1

Taux de natalité: 29 pour mille

Taux de mortalité enfantine: 36 décès pour mille naissances

Espérance de vie: 64,9 ans pour les hommes, 69,6 ans pour les femmes.

SOCIETE:

Population active: 31 millions de personnes dont 72,5% dans l’agriculture

Taux de chômage: 20 % de la population active (estimation). Sous-emploi: 40 % (estimation)

Taux d’alphabétisation : 88 %

Illettrés: 1,5 millions

Sida: 4 561 séropositifs en fin novembre 1996, 360 Vietnamiens sont morts du sida depuis le début de l’épidémie.

AGRICULTURE

Production céréalière: 26 millions de tonnes (22 millions de tonnes de paddy) (1995). Sans doute 27 millions de tonnes en 1996.

Exportation de riz: 2,3 millions de tonnes (1995).(4ème exportateur mondial de riz).

PRINCIPALES DONNEES ECONOMIQUES

Inflation: 4,5 % en 1996 (chiffre officiel), 12,78 % en 1995, 14,48 % en 1994

Taux de change: 1 dollar USA = 11 080 dôngs.

Produit intérieur brut par habitant: 220 dollar (1994). Taux de croissance: 8,5 % (94)

Solde de la balance commerciale (1996): – 4 milliards de dollars

Exportations, 7,1 milliards de dollars (1996): pétrole brut (8,6 millions de tonnes (1996)), charbon, étain, riz, produits agricoles, chaussures, textiles, caoutchouc, café, produits maritimes.

Montant des investissements étrangers: 7,4 milliards de dollars en 1995. Principaux investisseurs, Taiwan, Hongkong, Japon, Singapour, Corée du Sud, Malaisie, etc.

ANNEXE II: DONNEES HISTORIQUES ET RELIGIEUSES SOMMAIRES

HISTOIRE PROFANE

208 avant J.C.: Triêu Da fonde la Nam Viêt, succèdant aux dynasties des rois Hung

111 avant J.C.: Le Nam Viêt est annexé à la Chine.

939 : Reconquête de l’indépendance par Ngô Quyên, fondateur du Dai Viêt.

1407: Domination chinoise

1418: Soulèvement de Lê Loi et reconquête de l’indépendance (1427).

Rivalité des Trinh (Hanoi et des Nguyên (Huê)

1711 : soulèvement des Tây Son, réunification du Vietnam, puis avènement de l’empereur Gia Long.

1859-1945: Colonisation française suivie de l’occupation japonaise.

19/08/45: Proclamation de l’indépendance par Hô Chi Minh.

1946-1954: Première guerre du Vietnam, suivie des accords de Genève et de la séparation du Nord et du Sud. République démocratique au Nord Vietnam, présidée par Hô Chi Minh. République au Sud, présidée par Ngô Dinh Diêm.

1960-1975: Deuxième guerre du Vietnam, achevée