Eglises d'Asie

Mindanao : l’assassinat de l’évêque de Jolo est peut-être l’oeuvre d’extrémistes musulmans du groupe Abu Sayyaf opposé aux accords de paix

Publié le 18/03/2010




Le 4 février 1997, Mgr Benjamin de Jesus, évêque de Jolo, l’une des îles Sulu au sud-ouest de la grande île de Mindanao, a été assassiné en pleine rue, devant sa cathédrale, par deux hommes qui ont réussi à se fondre ensuite dans la foule d’un marché avoisinant. Deux suspects ont été arrêtés quelques jours plus tard et reconnus par des témoins comme les auteurs de l’assassinat.

Les soupçons se sont immédiatement dirigés sur le groupe extrémiste musulman Abu Sayyaf, très actif dans cette région. Composé d’environ deux cents membres, ce groupe a déjà été impliqué dans plusieurs assassinats, enlèvements ou attentats (10). Dernièrement, en janvier 1997, des membres du groupe ont été accusés d’avoir lancé une grenade dans un bâtiment occupé par des chrétiens d’origine chinoise réunis pour une célébration. Ce groupe est violemment opposé au traité de paix que le Front moro de libération nationale, dirigé par Nur Misuari, a signé avec les autorités philippines ainsi qu’aux négociations en cours avec le Front de libération islamique. Il est possible que l’assassinat de l’évêque de Jolo soit destiné à enrayer le processus de paix en provoquant la terreur dans les communautés chrétiennes de la région. Les deux suspects arrêtés sont connus comme des fidèles de Ustadz Janjalani, chef du groupe Abu Sayyaf. Leur culpabilité est cependant loin d’être établie. Même Nur Misuari, gouverneur de la région autonome musulmane, a exprimé des doutes en déclarant que “les oiseaux qui ont été mis en cage ne sont peut-être pas les oiseaux coupables

Il n’est pas impossible en effet que l’assassinat de l’évêque soit dépourvu d’implication politique et qu’il ait été perpétré par des bandits de grand chemin : selon certains témoins, l’évêque était depuis quelque temps la cible de tentatives d’extorsion de fonds de la part de la pègre locale. C’était la thèse avancée à Manille par le secrétaire général de la conférence épiscopale philippine, Mgr Pedro Quitorio : “Il est possible qu’il y ait eu des menaces contre sa personne. Mgr De Jesus n’avait aucune idéologie politique. A sa manière, discrète, il encourageait le dialogue entre chrétiens et musulmans

Les responsables locaux de Jolo se montrent sceptiques et craignent que l’assassinat n’ait des motifs politiques. Le P. Angel Calvo, clarétin, qui travaillait avec l’évêque à Jolo, déclare : “C’est la dernière chose dont nous avions besoin à ce stade très délicat des efforts de paixDe son côté, le gouverneur musulman local, ancien membre des forces armées du Front moro de libération nationale, Tupay Loong, s’inquiète des répercussions que pourrait avoir ce qu’il qualifie “d’acte barbare contraire à l’islamIl craint en particulier que ce meurtre ne réveille les haines et les violences anciennes dans la région.

Les responsables ecclésiaux ont appelé la population chrétienne de Mindanao à rester calmes. Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, et président de la commission épiscopale philippine pour le dialogue interreligieux a déclaré : “Il est difficile d’arriver à des conclusions certaines pour le moment. Ne nous hâtons pas de lier ce meurtre à Abu Sayaff ou d’autres groupes musulmans extrémistes… Il est du devoir de l’Eglise de s’élever fermement contre cette action et, en même temps, d’offrir le pardon en dépit de tout. C’est ce que signifie notre foi chrétienne. S’il n’y avait pas de pardon, à quoi servirait le christianisme?”

Une dizaine de prêtres catholiques continuent leur ministère dans les îles Sulu. La population y est musulmane à 95%.