Eglises d'Asie

L’INNOCENCE PERDUE DES ENFANTS-SOLDATS D’ASIE

Publié le 18/03/2010




Un marché bruyant, des rues encombrées, des consoles de télévision dans tous les coins, une odeur de friture provenant des vendeurs de soupe sur les trottoirs font de Rangoun, une ville qui ressemble à bien d’autres dans le sud-est asiatique. Ce qui distingue cependant la capitale birmane, ce sont les convois de véhicules de l’armée et l’omniprésence des soldats. Rien d’étonnant pourtant à cela puisque la Birmanie est gouvernée par une junte militaire. On remarque tout de même les visages juvéniles de beaucoup de ces soldats. Les enfants-soldats de Birmanie font partie des centaines de milliers d’enfants qui, en Asie, non seulement font la guerre mais en sont les victimes principales.

Les enfants au dessous de l’âge de quinze ans sont normalement interdits d’activité militaire, mais on sait qu’ils sont utilisés par les gouvernements ou les forces d’opposition dans au moins vingt-cinq zones de conflits à travers le monde, si l’on en croit le rapport 1996 de l’Unicef. En Asie, les enfants-soldats sont des acteurs majeurs de la guerre dans des lieux comme l’Afghanistan, le Cambodge et le Sri Lanka. Le rapport de l’Unicef, intitulé “Impact des conflits armés sur les enfants”, estime que 20% environ des recrues des forces gouvernementales cambodgiennes ont entre 10 et 14 ans. Au Sri Lanka, où les Tigres tamouls sont en rébellion contre le gouvernement central depuis une décennie, près de 50% des combattants pourraient être des enfants. Beaucoup sont des filles.

Parce que les enfants forment une bonne partie des soldats d’aujourd’hui, la mortalité des jeunes a augmenté de manière significative. Au cours de la dernière décennie, deux millions d’enfants ont été tués dans le cours de conflits armés, six millions ont été sérieusement blessés ou handicapés, selon les Nations Unies. Dix millions d’enfants au moins ont été traumatisés par la violence, ont souffert des déplacements forcés ou ont perdu des membres de leur famille. La proportion des civils parmi les victimes de guerre est montée de cinq pour cent à 90% en quelques années et la moitié de celles-ci sont des enfants.

Dans les zones frontalières de la Birmanie, foyers de rébellion armée depuis l’indépendance du pays en 1948, des jeunes sont recrutés en grand nombre avant même d’atteindre l’âge de dix ans. Très peu de ces enfants jouissent d’une enfance normale puisqu’ils sont envoyés dans des postes avancés de jungle pour accompagner les forces armées birmanes comme porteurs, pour poser des mines, surveiller le travail forcé ou même pour devenir espions ou informateurs. “Dans la guerre civile, les enfants sont devenus victimes ou participants du conflit armé”, dit un rapport de l’Unicef intitulé, “Initiative d’intégration de la paix et du développement au Myanmar”. Des chiffres fiables sont difficiles à trouver pour la Birmanie, mais certaines estimations font état de bataillons dans lesquels la moitié des soldats ont moins de dix-huit ans.

L’utilisation des enfants pour la guerre a amené des groupes de défense des droits de l’homme et des organisations comme l’Unicef à lancer une campagne mondiale pour élever l’âge minimum de recrutement militaire à dix-huit ans. La convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant interdit tout recrutement de personnes âgées de moins de quinze ans. En dépit de cela, les enfants-soldats sont engagés non seulement dans des guerres mais aussi dans des conflits internes. En d’autres termes, on oblige des enfants à tuer les leurs.

En Birmanie, la junte au pouvoir connue sous le nom de “Conseil pour la restauration de la loi et de l’ordre de l’Etat” consacre la moitié du budget national à l’achat d’armes pour se battre contre des douzaines de groupes ethniques en rébellion et pour réprimer les membres de groupes d’opposition tels que la Ligue nationale pour la démocratie de Mme Aung San Suu Kyi. Au Cambodge, tant le gouvernement que ce qui reste des Khmers rouges, qui se battent pour le contrôle de territoires riches en bois et en pierres précieuses de la frontière thaïlandaise, sont connus pour recruter des enfants-soldats. Les histoires sont souvent les mêmes, seuls les champs de bataille changent.

Depuis quelques années, l’apparition d’armements sophistiqués a facilité le recrutement volontaire ou forcé des enfants. Les armes plus légères et plus faciles à manipuler sont mieux adaptées aux possibilités physiques des enfants. La pauvreté et la répression, en Birmanie comme au Cambodge, ont amené aussi des enfants à rejoindre les rangs des armées gouvernementales ou des forces d’opposition.

Un revenu annuel par tête de 200 à 300 dollars fait de la Birmanie l’un des pays les plus pauvres du monde, où les enfants ont peu d’options devant eux en dehors de l’engagement dans l’armée. Mais beaucoup de jeunes recrues sont aussi forcées de servir l’armée ou les groupes rebelles: “Chaque mois, notre ville doit envoyer 300 recrues pour l’armée. S’ils n’ont pas suffisamment de recrues pour le mois ils se saisissent de n’importe qui”, déclare Zaw Myint, un ancien soldat de la junte birmane originaire de la ville de Waw. Zaw Myint avait été forcé de rejoindre l’armée à l’âge de seize ans. Il a ensuite déserté et il a été interrogé récemment par une organisation non gouvernementale thaïlandaise “Images Asia” pour son rapport intitulé “”Enfants-soldats en Birmanie”.

Le rapport des Nations Unies sur les enfants-soldats ajoute qu’en certaines occasions, “les enfants sont délibérément brutalisés pour les endurcir et en faire des guerriers féroces”, ou bien encore “on leur donne des amphétamines et des tranquilisants pour les insensibiliser à la douleur”. Les enfants sont aussi les cibles des recruteurs militaires à cause de leur “obéissance” et de leur capacité à mener à bout les tâches les plus écoeurantes, une fois mis sous pression. “Images Asia” dit que, dans l’armée de la junte birmane, ces tâches incluent l’exécution des rebelles, la pose de mines, la surveillance du travail forcé et les activités d’espionnage. Ces jeunes soldats sont souvent maltraités. Surchargés de travail, mal rémunérés, souvent battus par les officiers, mal nourris et mal soignés, des centaines d’entre eux désertent et s’enfuient dans la jungle, comme Zaw Myint. A cause de leur jeunesse et de leur ignorance des conventions internationales de la guerre, ceux qui restent peuvent être encore plus dangereux que les soldats plus âgés. Selon les experts, la cause en est qu’ils ont déjà perdu tout ce qui fait leur dignité, leur humanité et leur innocence d’enfants. “Quand les enfants prennent part à un conflit armé, écrivent Ilène Cohn et Guy Goodwin-Gill dans un livre sur les enfants-soldats, Ce ne sont pas seulement leurs vies qui sont mises en danger, mais aussi celles de leurs cibles potentielles à cause de leur comportement souvent passionné et immature”.