Eglises d'Asie

La Cour suprême s’est prononcée pour une nette séparation entre la religion et l’Etat

Publié le 18/03/2010




Les observateurs pensent que la Cour suprême a pris une décision qui fera date en déclarant interdite, parce qu’inconstitutionnelle, l’utilisation de l’argent des contribuables pour des donations en faveur d’un temple shintoïste. Le jugement, prononcé le 2 avril 1997, concernait le célèbre temple de Yasukuni à Tôkyô, dédié aux 2,6 millions de morts de la dernière guerre. C’est là que sont rassemblés et vénérés, à l’instar de divinités shintoïstes, les restes d’un grand nombre de militaires de haut rang, parmi lesquels ceux de criminels de guerre de la classe A, comme le général Hideki Tojo. Durant la guerre, le temple de Yasukuni et le shintoïsme avaient été utilisés par les militaires pour promouvoir dans le pays le nationalisme exacerbé que l’on sait.

En 1982, 24 contribuables de la préfecture de Ehime, à 720 km au sud-ouest de Tôkyô, avaient porté plainte pour viol de la constitution contre les autorités locales. Celles-ci avaient offert, entre 1981 et 1986, près de 166 000 yens (1 360 dollars) au temple de Yasukuni, selon une tradition shintoïste populaire qui veut qu’à chaque visite, une offrande en argent liquide, souvent une simple pièce de monnaie, soit faite aux divinités du temple. A cette époque, le tribunal de Ehime avait estimé que l’argent devait être restitué. Mais trois ans plus tard, le tribunal de grande instance de Takamatsu, considérant que cette donation n’était qu’un acte habituel de la vie sociale sans aucune connotation vraiment religieuse, avait annulé la décision.

Le 2 avril dernier, la Cour suprême a adopté un point de vue totalement différent. Elle a d’abord rejeté l’argumentation des anciennes autorités préfectorales de Ehime, affirmant que ces dons exprimaient leur soutien moral aux familles des disparus et étaient davantage un signe de déférence qu’un support officiel à la religion shintoïste. Puis, dans les attendus de son jugement, elle a estimé que les offrandes sont des actes religieux et que les autorités de Ehime les avaient présentées en violation de l’article 20 de la Constitution “qui impose la séparation de la religion et de l’Etat, en raison des abus qui avaient résulté d’une trop étroite osmose entre l’Etat et le shintoïsme, dans le passé”. La Cour a conclu : “Les dons faits par la préfecture à ce temple doivent être regardés comme une aide à la promotion d’une religion donnée et violent ainsi la Constitution Jusqu’à ce dernier jugement, le problème des relations entre la religion et l’Etat était traité sur les bases d’un autre jugement de la Cour suprême, datant de 1977 et déclarant que il était impossible de séparer clairement la religion et l’Etat.

Réagissant au jugement de la Cour suprême, le secrétaire général du Conseil des ministres, Seiroku Kajiyama, a cru devoir déclarer que cette décision de la Cour suprême n’empêcherait pas les membres du gouvernement de rendre les honneurs aux morts de la guerre. “L’Etat n’est en rien concerné par ce jugement et les marques de respect des membres du gouvernement ne sont pas visésAu contraire, Yoshiya Soeda, un professeur de sociologie de l’Université de Tsukuba, s’est réjoui de cette décision historique. Les évêques catholiques, dans un communiqué daté du jour du jugement, ont demandé, une fois de plus, que soit respectée la séparation de la religion et des affaires politiques dans l’esprit de la constitution. Quant à Kenji Anzai, le chef de file des plaignants de Ehime qui ont poursuivi leur lutte pendant 15 ans, il espère que ce jugement fera du Japon une communauté mieux armée pour affronter le XXIe siècle.

Mardi 22 avril, vingt jours après la décision de la Cour suprême, 228 parlementaires dont deux membres du gouvernement, sont venus à Yasukuni rendre les honneurs aux morts de la guerre. Jeudi 24 avril, le très officiel journal chinois “China Daily” a ainsi réagi : “Cette visite est inacceptable. Une telle démarche de groupe, programmée par des politiques, est d’un très mauvais présage… C’est une manifestation très dangereuse qui exige d’être condamnée par tous les pays voisins du Japon, surtout par ceux qui ont été les victimes des atrocités commises par lui pendant la deuxième guerre mondiale…”