Eglises d'Asie

UNE REFLEXION SUR LES CINQUANTE ANNEES D’INDEPENDANCE DE L’INDE

Publié le 18/03/2010




Il y a cinquante ans, nous débutions dans l’espérance. Nous espérions le développement du peuple indien. La justice pour tous était notre objectif affiché et nous avions choisi un développement planifié comme moyen d’y arriver. Nous sommes arrivés à beaucoup de choses. Nous sommes restés un Etat démocratique, alors que beaucoup de pays parmi lesquels quelques-uns de nos voisins ont connu des périodes d’intervention de leurs forces armées. L’Inde est restée unie en dépit des ressentiments de beaucoup de régions. Le pays possède beaucoup de religions et, à certains moments, le fondamentalisme a menacé son unité et pourtant l’Inde a maintenu son statut laïque afin de donner à tous l’espoir de vivre en paix.

Au moment de l’indépendance, nous étions un pays complètement non industrialisé et aujourd’hui nous faisons partie des pays les plus industrialisés du monde. Nous avons amélioré l’infrastructure des systèmes de transport et de communication. Beaucoup de progrès ont été accomplis dans le domaine de l’éducation. Au moment de l’indépendance, le taux d’alphabétisation était de 15% et il dépasse aujourd’hui les 50%, en dépit d’une population nettement plus importante. La santé et la nutrition se sont aussi améliorées. La mortalité infantile, bien que toujours très élevée avec 120 décès pour mille naissances, a diminué de moitié depuis le temps de l’indépendance (250/1000). L’espérance de vie, elle aussi, s’est élevée de manière substantielle. Nous n’avons pas atteint l’auto-suffisance dans la production alimentaire, mais nous exportons du riz. 235 millions de personnes environ – le quart de la population totale – appartiennent à la classe moyenne, un groupe qui ne comptait que 10% d’une population beaucoup moins importante au moment de l’indépendance.

Nous avons beaucoup fait, mais nos échecs, eux aussi, sont nombreux. Nous avons construit une infrastructure industrielle sans son équivalent social. Selon certains études, 90% des dalits (intouchables) et des familles aborigènes vivent en-deçà du seuil de pauvreté. Des millions de personnes, dalits et aborigènes pour la plupart, connaissent le servage. Nous avons construit des écoles, mais nous n’avons pas réussi à étendre l’instruction primaire à tous. Une éducation liée à la classe et à la caste permet la mobilité vers le haut des castes moyennes et hautes, mais empêche la promotion humaine des dalits et des aborigènes. La proportion des fonds alloués à l’éducation dans les plans quinquennaux a décliné au cours des ans, et c’est l’instruction primaire qui en est le plus gravement affectée. Sur 45 millions d’enfants au travail, 85% sont dalits ou aborigènes.

L’accès aux soins de santé dépend aussi de la classe, de la caste et du sexe. La mortalité infantile est de 15/1000 environ dans la classe moyenne urbaine, mais si l’on ne considère que les filles, les chiffres sont le double de la moyenne nationale de 120/1000.

Tout en assurant un contrôle de l’environnement de la maladie, et en augmentant la production de céréales, nous n’avons pas réussi à améliorer la nutrition des pauvres, des femmes en particulier. Bien que l’Inde possède un stock de réserve de 22 millions de tonnes de céréales, plus d’un tiers de la population souffre de la faim par défaut de pouvoir d’achat.

Dans le domaine judiciaire, plus de 300 000 prisonniers demeurent en prison en attente de jugement, à cause des lenteurs inutiles de la procédure et de leur incapacité d’offrir une caution.

Plus de trente millions de personnes ont été déplacées au nom du développement national. Plus de 60% d’entre elles sont des dalits ou des aborigènes. Seuls 25% ont été replacés, puisqu’il n’existe pas de politique nationale de réhabilitation des personnes déplacées. Nous avons dénudé les forêts pour fournir des matières premières subventionnées à l’industrie et nous avons ainsi réduit le territoire boisé à 13% de l’ensemble du territoire alors qu’il était de 22% au moment de l’indépendance.

L’augmentation de la population est surtout sensible chez les pauvres. N’ayant aucun espoir d’améliorer leur situation, les pauvres ne sont pas motivés pour limiter le nombre de leurs enfants. La pauvreté amène une fécondité élevée et un taux important de mortalité infantile puisque les femmes souffrent d’analphabétisme et de malnutrition.

Nous nous prétendons un Etat laïque, mais les citoyens souffrent de discrimination religieuse. Les statistiques en provenance de plusieurs Etats (de l’Union indienne, ndlr) montrent que la plupart de ceux qui sont arrêtés au titre des lois anti-terroristes appartiennent aux groupes minoritaires et à d’autres groupes défavorisés. Une autre discrimation est le refus d’accorder aux dalits chrétiens, à cause de leur religion, les bénéfices dont jouissent les autres dalits.

L’Inde et le Pakistan sont nés dans le traumatisme de la partition, des déplacements de population et des massacres. Un demi-siècle plus tard, les deux pays gaspillent encore leurs ressources en armements au lieu de les utiliser pour le développement, et l’éradication de la pauvreté.

Comment peut-on apporter un peu d’espérance dans cette situation terrible ? Nous devons utiliser le demi-siècle de liberté qui vient, pour mettre l’accent sur ceux que nous avons ignorés depuis cinquante ans. Nous devons nous opposer au travail des enfants et nous assurer qu’en l’an 2000 tout enfant au-dessous de quatorze ans se trouve à l’école. Ceci contribuera à créer des emplois pour les adultes. Nous devons fixer une date-limite pour nous assurer qu’aucun Indien ne souffre plus de la faim. De la même manière, nous devons fixer une date-limite pour que tous les enfants soient vaccinés, même dans les villages

les plus éloignés, et que de bons soins de santé soient assurés gratuitement à tous. Ces décisions contribueront à réduire la population, comme on a pu le voir chez nos voisins du Sri Lanka. En Inde même, des Etats comme le Kerala et Goa ont démontré que la croissance de la population peut être contrôlée en se concentrant sur la santé et l’éducation.

Nous avons besoin d’une approche nouvelle en ce qui concerne l’utilisation de nos ressources naturelles et minérales. Nous devons mettre l’accent sur l’investissement dans des technologies alternatives et le développement de l’énergie non conventionnelle.

Au cours de la prochaine décennie, nous devons attirer l’attention de nos communautés sur la régénérescence de nos forêts. Ceci générera des emplois et des revenus parmi les pauvres ruraux, et assurera la croissance de nos richesses naturelles. Des technologies pour dessaler l’eau de mer, utiliser l’énergie solaire, ou pour recycler, peuvent fournir des alternatives au transfert des ressources naturelles des villages vers les villes. Nous avons besoin aussi d’une nouvelle politique de réhabilitation des personnes déplacées à cause du développement depuis le premier plan quinquennal.

Nous devons trouver les moyens de résoudre bilatéralement nos problèmes avec nos voisins et cesser de mettre en avant les problèmes difficilement solubles comme celui du Cachemire. Nous devons encourager la coopération économique régionale et créer la confiance chez les gens en libéralisant l’obtention des visas.

Tout ceci est possible si nous ranimons dans le pays une culture d’équité, de justice pour les pauvres, de développement durable et de respect pour les femmes – valeurs que l’on retrouve dans toutes les religions du pays. Cet effort peut donc être le meilleur instrument de l’intégration nationale.