Eglises d'Asie

LES CATHOLIQUES INDIENS ENTRE “SECULARISME” ET “HINDUTVA” UNE MUTATION THEOLOGIQUE ?

Publié le 18/03/2010




Introduction

Depuis les années vingt, époque de l’apparition au sein du mouvement nationaliste indien de programmes dits “communalistes” (en ce qu’ils attribuent à tous les membres d’une même communauté religieuse des intérêts politiques et économiques identiques), le courant du hindutva (“hindouïté”) (1) s’est incarné dans diverses formations politiques et culturelles (2). Il a pris une nouvelle ampleur depuis une quinzaine d’années grâce aux succès politiques du Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien), fondé en 1980, en Inde du Nord. Depuis lors, le débat politique apparaît submergé par des questions religieuses et ramené aux tensions entre les hindous et les minorités musulmane et chrétienne.

La montée du “communalisme” hindou contraste avec l’adhésion relative au “sécularisme” (secularism), la forme indienne de la laïcité, qui a prévalu jusqu’à la fin des années 70. Les conflits interreligieux qu’elle suscite rappellent, en revanche, la vague de violences entre hindous et musulmans qui marqua l’indépendance et la partition du souscontinent en 1947. Ce double constat, accompagné d’un intérêt inédit pour l’hindouisme de la part des spécialistes de la scène politique et de leur prise de conscience de l’importance du facteur religieux en Inde, a pu laisser penser à un “retour religieux”. Cette formulation est inadéquate car la société indienne ne connaît pas de déclin sensible de la pratique religieuse. Cette dernière n’est pas interdite par l’Etat (comme dans d’autres pays d’Asie); au contraire, l’article 25 de la Constitution reconnaît à chaque citoyen indien le droit de pratiquer sa propre religion. L’indifférence religieuse est un phénomène bien circonscrit dans le sous-continent; les références religieuses restent présentes même dans les milieux urbains et occidentalisés.

Il n’y a donc pas lieu de parler de “réapparition” de l’hindouisme à propos du hindutva: on y observe plutôt la détermination de mobiliser les sentiments religieux à des fins politiques. S’i] ne s’agit pas en soi d’un phénomène nouveau, il n’en contribue pas moins à renouveler l’hindouisme et la perception hindoue des Indiens non hindous. Il transforme aussi ces derniers en suscitant chez eux de nombreuses interrogations sur leur propre identité. On s’est intéressé aux réactions des musulmans. Moins connues sont les réponses que le communalisme hindou génère dans la petite minorité chrétienne. Il s’agira dans ces pages de s’interroger sur celles de l’intelligentsia catholique et de montrer en quoi elles pourraient annoncer des changements dans la perception chrétienne des relations interreligieuses.

Le hindutva et les chrétiens indiens

Dans la perspective du hindutva, être hindou c’est partager avec les autres hindous une histoire, des ancêtres communs et adhérer aux institutions et symboles des traditions religieuses qui se sont développées sur le territoire de l’Inde. L’hindouisme du hindutva n’est pas une “religion”, mais la “culture indienne” ou cette culture qui a cimenté l’unité nationale depuis l’aube des temps. Dans cette perspective, l’indianité se mesure à l'”hindouïté” et celleci s’ordonne autour des valeurs qui se sont formées sur le territoire de l’Inde et appartiennent à la “race indienne”. Cette définition de l’indianité ne peut être séparée du refus de ce qui n’est pas hindou, c’estàdire, suivant cette logique, non originaire du territoire de I’lnde.

Le nonhindou contre lequel le hindutva construit en priorité son discours d’exclusion et concentre ses forces de haine est le musulman. Ces dernières années, les sentiments anti-minoritaires ont déchaîné contre les musulmans de l’Inde des violences d’un rare niveau. Elles n’ont pas eu d’équivalent pour les chrétiens qui, pour des raisons historiques, démographiques et sociologiques, ne se trouvent pas dans le même rapport de force avec la majorité hindoue. Sur le seul plan démographique, rappelons qu’il y a 12% de musulmans contre seulement 2,4% de chrétiens. Mais le fait que la question musulmane focalise à juste titre l’attention des observateurs de la scène politicoreligieuse indienne ne doit pas faire oublier que les communalistes hindous font aussi du christianisme un de leurs boucs émissaires.

En vertu de leur conception de l’indianité, les communalistes hindous reprochent aux Indiens chrétiens de troubler l’harmonie culturelle de la société en adhérant à une religion qui est suspecte du fait qu’elle n’est pas née en Inde. Les communalistes hindous condamnent pêlemêle les Eglises protestantes et l’Eglise catholique (ils attribuent souvent à l’ensemble des chrétiens des traits qui sont propres à cette dernière) dans lesquelles ils voient autant d’appareils administratifs internationaux, et ils font grief aux chrétiens de placer leur appartenance nationale en seconde position, d’être chrétiens d’abord, Indiens ensuite (3). Ainsi accusés d’avoir une allégeance supranationale, les chrétiens sont des “menaces intérieures” tout comme les communistes et les musulmans (4). Ils mettent en péril l’unité politique de l’Inde par leurs liens privilégiés avec des nationaux d’autres pays. Devenir chrétien n’est donc pas seulement changer de pratique religieuse, mais c’est inverser la priorité de ses loyautés. Par contraste, un hindou, dès lors qu’il est hindou, est un (bon) Indien. Mais, il n’y a pas d’inconvénient à ce qu’un Indien adopte l’enseignement du Christ car celuici est “tenu dans une haute révérence par les hindous“. Toutefois, suivre le Christ doit être concilié avec le respect de l’héritage culturel indien. Les communalistes hindous exhortent les chrétiens indiens à s’approprier celuici: “Reniez ce passé détestable. Sinon comment pouvezvous vous sentir en affinité psychologique avec les hindous? Il y a beaucoup de choses de l’histoire indienne dont vous pouvez être fiers et que vous pouvez posséder et chérir. C’est votre héritage, un héritage enrichi par vos aïeux dont le sang coule et s’agite dans vos nerfs [sic] et vos veines. Reconnaissezle [Own it]” (5). A cette condition, il est alors possible d’être chrétien tout en étant “hindou de nationalité“, ou encore d’être un “chrétien hindou“. Mais pour cela, le christianisme en Inde doit changer, il doit se désinternationaliser.

Aux yeux des communalistes hindous certains chrétiens sont plus criticables encore que d’autres. Ce sont les missionnaires. Depuis l’indépendance, les tenants du hindutva ont milité pour mettre un frein à l’évangélisation. Dans les années 5070, ils ont fait pression sur les gouvernements des différents Etats de l’Union indienne pour que des mesures législatives interdisent l’accès du pays à de nouveaux missionnaires étrangers, facilitent l’expulsion de ceux qui s’y trouvaient déjà et interdisent les financements étrangers des missions. Ils ont aussi régulièrement attaqué des missions chrétiennes. Ils ont remporté un certain succès même si les missionnaires étrangers ont été remplacés par des missionnaires indiens. Depuis quelques années, ils s’en prennent à ces derniers; particulièrement dans certaines zones à populations tribales (dont ils craignent la conversion) où ils multiplient les agressions contre les biens et les personnes. Le rejet du missionnaire s’explique par le refus du prosélytisme chrétien dans lequel les communalistes hindous perçoivent une menace à l’intégrité de leur propre collectivité religieuse. Ils continuent donc de militer pour la suspension du financement par l’Occident des Eglises et institutions chrétiennes (sont surtout visés les établissements scolaires et les services hospitaliers) qu’ils voient comme autant de mailles d’un réseau missionnaire organisé de l’étranger.

Les intellectuels catholiques

Le projet de société du hindutva a de quoi inquiéter les quelque 15 millions d’Indiens qui se réclament aujourd’hui du catholicisme (1,7% sur 2,4% de chrétiens). Mais on ne saurait sérieusement parler d’une réaction communautaire de leur part. Cette situation s’explique par des raisons géographiques, historiques et sociologiques. Si on les compare aux sikhs (1,9%), une autre minorité religieuse de taille équivalente, les catholiques indiens n’ont ni territoire (ils sont dispersés dans tout le pays, même si 60% d’entre eux vivent dans des Etats du sud), ni langue propres. Ils n’ont jamais eu non plus de plateforme politique commune. Il faut aussi souligner que la forte cléricalisation de l’Eglise indienne se traduit par une sous-représentation des laïcs parmi ceux qui animent la vie des fidèles. Le haut niveau d’instruction des clercs, leur maîtrise de la langue anglaise et d’autres outils intellectuels renforcent encore leur ascendant sur les laïcs et en font les guides de l’opinion catholique indienne. Tout cela explique que les réactions au communalisme hindou proviennent surtout de leurs rangs.

Les théologiens indiens

J’examinerai ici les positions d’un groupe de clercs qui sont pour la plupart professeurs de séminaires ou animateurs d’instituts de recherche catholiques. Le terme de groupe appelle quelques commentaires. Il ne faut pas imaginer ici un quelconque mouvement de pensée unitaire. Les intellectuels en question sont de fortes individualités, occupées chacune à creuser un sillon personnel. Mais ils forment un groupe aux yeux du monde extérieur dans la mesure où ils partagent malgré tout une démarche et des intérêts communs, écrivent dans les mêmes revues de théologie (notamment Vidyajyoti, Jeevadhara, Indian Theological Studies, publiées respectivement à Delhi, Allepey et Bangalore) et confrontent leurs idées dans le cadre de diverses instances dont la plus importante est la Indian Theological Association. Dans leur milieu, comme dans le reste du monde catholique (y compris donc en Occident), on les appelle les “théologiens indiens“. L’expression n’est pas sans ambiguïté. Indiens, en effet ces théologiens le sont. Mais leur caractéristique n’est pas tant d’être Indiens que de s’affirmer comme tels. Cela signifie qu’ils se veulent partie prenante de leur nation et qu’ils s’emploient à l’être en cherchant une formulation du christianisme à l’indienne. Le fait qu’ils mettent leur réflexion au service de la transformation de la société et de leur Eglise étant leur marque distinctive, on pourrait les qualifier de “théologiens (indiens) engagés“. Intellectuellement, leur “engagement” se traduit par une attitude critique visàvis des méthodes et du contenu de la théologie classique qui continue à être enseignée dans les séminaires. Ils se distinguent par là de leurs confrères (également indiens) qui se consacrent à véhiculer ce système de pensée. Si donc, aujourd’hui, à quelques rares exceptions près, tous les théologiens de l’Inde sont indiens, tous ne sont pas des théologiens (indiens) engagés.

L’émergence des “théologiens indiens” remonte aux années 70 (6). Plusieurs facteurs expliquent ce développement à cette époque. Ce sont d’abord l’institutionalisation de l’Eglise indienne et son indigénisation qui, toutes deux, ont connu des progrès rapides après l’indépendance nationale. Ainsi, le nombre des diocèses a doublé entre 1948 et 1977, en suivant l’expansion de la population catholique pendant la même période, et cette évolution s’est accompagnée d’un fort accroissement du personnel ecclésiastique: par exemple, le nombre des prêtres est passé de 4 823 en 1948 à 8 756 en 1969. Conjugué à la politique de remplacement des missionnaires (qui n’obtenaient plus de visa d’entrée du gouvernement indien, en partie du fait de l’agitation des communalistes hindous), ce développement numérique du personnel ecclésiastique explique l’augmentation parallèle du nombre de nationaux indiens aux différents échelons de la hiérarchie ecclésiale. Dès la fin des années soixante, le pourcentage moyen des Indiens était supérieur à 75%, en 1977, il avoisinait les 90% .

D’autre part, grâce à une politique d’indianisation de la formation cléricale conduite par des missionnaires attentifs à la spécificité culturelle indienne (7), les séminaristes indiens formés dans les années 5070 ont découvert des éléments d’hindouisme spéculatif et certains autres produits savants de la “culture indienne” en même temps que la tradition théologique chrétienne occidentale. Les écrits des théologiens indiens, dont les plus âgés appartiennent aux générations formées dans ces annéeslà, montrent que cette rencontre de l’hindouisme fut l’occasion d’une découverte de leurs propres racines (8). Toutefois, on ne comprend pas cette attitude si on ne tient pas aussi compte de l’appartenance sociale des clercs en question. La majorité d’entre eux relèvent des milieux de “vieille chrétienté”, c’estàdire de castes qui jouissent d’une réputation de haut statut social parmi les catholiques indiens. Ce sont principalement la communauté de GoaMangalore issue de l’Eglise du Padroado (XVIe siècle), la communauté de SaintThomas du Kérala (qui remonte aux premiers siècles) et les hautes castes chrétiennes tamoules (converties à partir du XVIe siècle). Cette assise sociale de la pratique de la théologie “engagée” s’explique par le fait que la relève des missionnaires dans les postes supérieurs (comme les maisons de formation du clergé) s’est d’abord faite avec des prêtres issus de ces communautés puisque, historiquement, c’est dans leurs rangs que les missionnaires avaient encouragé les vocations cléricales afin de respecter les préjugés de caste des fidèles laïcs. Au regard de l’ancienneté des Eglises dont sont issus la plupart des théologiens indiens, il est clair que leur vision d’euxmêmes comme “héritiers de deux traditions religieuses différentes”, c’estàdire du christianisme et de l’hindouisme, relève davantage d’une construction mentale que de la réalité. Elle n’en informe pas moins leur démarche intellectuelle.

Mais les facteurs que je viens brièvement d’évoquer n’auraient pas suffi à favoriser l’essor de la nouvelle pensée théologique en Inde dans les années 70, si l’Eglise catholique n’avait alors connu un formidable renouveau grâce au concile Vatican II (19621965). Ce sont les avancées théologiques et ecclésiologiques de ce concile qui permirent à un certain nombre de clercs de prendre la parole en tant qu’Indiens au nom de l’Eglise en Inde et de se présenter aux yeux du monde comme des “théologiens indiens”.

L’audience des théologiens indiens

Les théologiens indiens ont d’abord pour audience les futurs cadres de l’institution catholique locale (prêtres, religieuses, quelques laïcs) puisque, comme je l’ai indiqué, la plupart d’entre eux exercent une activité de formateurs (théologie et autres disciplines, sciences sociales et indianisme en particulier). Par l’intermédiaire de leurs étudiants, leurs idées se propagent dans les diocèses et donc chez les fidèles. Elles remontent également aux autorités en place (de l’épiscopat à la papauté), mais leur influence précise sur ce milieu nécessiterait une étude particulière. Notons seulement que si la hiérarchie ecclésiale en Inde est dans son ensemble conservatrice, elle n’est pas complètement hermétique à la position des théologiens indiens; bien qu’ils aient souvent une attitude critique à son égard, elle les laisse s’exprimer, elle fait aussi appel à leur expertise. En revanche, le magistère romain critique ouvertement leurs thèses.

La théologie engagée indienne se répand aussi hors de l’Inde, tout particulièrement en Asie, auprès d’autres intellectuels chrétiens (pas seulement catholiques) grâce aux revues et aux réunions des associations théologiques internationales et, pour certaines, oecuméniques. Mais en Inde même, cette pensée, fort mal connue à l’extérieur du milieu chrétien, n’exerce qu’une influence minime sur les hindous. Seuls quelques hindous (communalistes ou non) sont au fait de ses thèses. Pour que ces dernières se propagent davantage, il faudrait que les théologiens indiens s’expriment dans la presse non confessionnelle, ce qu’ils ne font pas. L’influence de leur pensée estelle plus grande sur leurs coreligionnaires ? Cela reste à évaluer, mais il est sans doute encore trop tôt pour dire si elle contribue à transformer la vision de la minorité catholique sur ellemême.

Une défense chrétienne du “sécularisme”

Confrontés à la montée en puissance du hindutva, les théologiens indiens plaident pour le sécularisme et l’intégration nationale. Je pars des arguments qu’ils ont avancés lors de la réunion de décembre 1987 de Theological Association (ITA), tant dans les conclusions de leurs cinq groupes de travail que dans leur déclaration finale. Ma lecture de ce texte tient compte également du séminaire sur “le communalisme et la responsabilité des intellectuels religieux (théologiens)”, organisé en 1990 par l’équipe (jésuite) du journal Vidyajyoti. Ces documents récapitulent la plupart des positions qu’on rencontre dans le milieu étudié en les ordonnant autour du thème de la lutte contre le communalisme. Avant de les présenter, il convient de préciser qu’elles participent d’un double débat: un débat intraecclésial d’une part, un débat indien d’autre part. C’est important, car toute la difficulté des théologiens indiens tient justement au fait qu’ils sont écartelés entre les exigences contradictoires de leurs deux groupes d’interlocuteurs.

Les théologiens indiens dans le débat national sur le sécularisme

Sur la scène nationale, le débat porte sur la place à reconnaître aux valeurs religieuses dans la société indienne et sur le degré d’intervention souhaitable de l’Etat dans les affaires religieuses. Cinquante ans après l’indépendance politique, ce débat reconduit les arguments qui présidèrent à l’élaboration de la Constitution lorsqu’il fut décidé d’opter pour un Etat laïque (secular) et de renoncer à faire de l’hindouisme la base du développement national. Selon la constitution indienne, chaque individu dispose des mêmes droits quelle que soit sa religion mais, théoriquement, l’Etat ne permet pas à la religion d’empiéter sur la vie sociale, économique et politique du pays. Or, dès lors que le sécularisme a démontré son incapacité à maîtriser les tensions religieuses, il faut s’interroger sur sa pertinence.

Face au point de vue des communalistes hindous, on retrouve aujourd’hui les positions défendues autrefois par Nehru et par Gandhi. Pour Nehru, l’Etat national devait être essentiellement laïque et intégrer des personnes de toutes religions et opinions. Personnellement, il rejetait toute référence à la religion, sa vision du monde reposant sur l’humanisme et l’esprit scientifique. Chez lui, la notion de “secular” signifiait l’autonomie des réalités temporelles suivant le principe (occidental) de séparation des domaines séculier et religieux. De son côté, Gandhi, profondément croyant dans sa vie privée, défendait la validité de toute expérience religieuse, et il voulait un Etat permettant à toutes les religions de coexister en paix. Par contraste avec Nehru, qui ne voyait pas dans la religion une composante indispensable de la vie collective, Gandhi faisait de la religion un élément décisif de l’identité personnelle et, par extension, de l’identité sociale. Parce qu’elle tend à encourager la marginalisation des identités religieuses collectives par rapport à la vie politique, la Constitution est plus conforme à la vision de Nehru qu’à celle de Gandhi.

Les théologiens indiens fondent leur vision du sécularisme sur la définition même qu’en donne la Constitution. Le sécularisme en Inde, liton dans le préambule de la déclaration finale de l’ITA, suppose théoriquement: a) le rejet de l’idée d’un Etat théocratique, b) le maintien de l’égalité de toutes les religions devant la loi, c) I’affirmation de l’unité de tous les habitants de l’Inde, d) la défense de l’égalité inaliénable de tous les citoyens, indépendamment de leur caste et de leur croyance ( 12). Les cosignataires de cette déclaration sont donc opposés à faire de leur communauté religieuse une base d’action politique (9). Ainsi, estil hors de question que l’Eglise joue en Inde un rôle comparable à celui qui est le sien dans les sociétés d’Amérique latine.

Mais en même temps, les théologiens indiens ne pensent pas que la religion doive être reléguée dans la sphère du privé. Leur interprétation du sécularisme tire celuici très loin du rationalisme de Nehru. Leur vision se situe davantage dans la ligne de Gandhi selon laquelle la religion informe toutes les activités de la vie sociale, y compris donc la vie politique. Ils font une lecture “religieuse” du sécularisme, comme il apparaîtra plus clairement plus loin.

Le débat intraecclésial

Les circonstances qui conduisent les théologiens indiens à réfléchir à leur rôle et à repenser la place du christianisme dans la société indienne sont jusqu’à un certain point comparables à celles qui, dans les années 50, avaient contraint certains de leurs homologues occidentaux à chercher à intégrer la dimension séculière de la société moderne à la pensée catholique et à reformuler les rapports de l’Eglise avec le monde. Ce sont justement leurs réflexions qui avaient suscité la réunion du concile de Vatican II. Dans la décennie suivant la fin du concile, une nouvelle méthode d’évangélisation, appelée “inculturation” (10) naquit de cet aggiornamento du catholicisme. Les tentatives de mise en oeuvre de l’inculturation ont révélé les contradictions internes de ce programme car ses théoriciens ne s’entendent ni sur ce qui doit faire l’objet du processus d’inculturation, ni sur les modalités d’application concrètes de celuici. La réflexion des théologiens indiens est inséparable de ces débats qui animent l’ensemble du monde catholique depuis une vingtaine d’année. Ils se font d’ailleurs régulièrement l’écho des discussions en cours en les réintroduisant dans le champ de leur propre analyse. Mais ils se disent aussi confrontés à des problèmes inconnus (et donc mal compris) de leurs homologues occidentaux.

De leur point de vue, la marginalisation de l’Eglise n’est pas de même nature en Inde et en Occident. Son insertion dans le monde indien post-colonial ne peut donc s’accomplir de la même manière que son adaptation au monde moderne de l’Occident. Tandis que cette dernière s’opère dans la matrice qui a donné naissance à la civilisation chrétienne, la première engage un transfert dans un univers conceptuel étranger. L’inculturation à l’indienne suppose donc un changement de perspective culturelle. Pour cette raison, elle ne peut simplement se traduire (comme en Occident) par une insertion plus grande des gens d’Eglise dans la société contemporaine. Elle oblige aussi ces derniers à changer de cadre mental, à tenir compte des cultures et visions du monde indien. Or, selon les théologiens indiens, la réalité indienne possède deux caractéristiques: une dimension sociale spécifique (avec ses aspects économiques et politiques) et un héritage religieux et culturel propre (11). Selon qu’ils accordent la priorité à la première ou au second, les théologiens indiens donnent une orientation plutôt socio-politique, ou plutôt religioculturelle, à leurs réflexions, mais sans jamais les dissocier complètement. En somme, à la différence de leurs homologues occidentaux, il ne s’agit pas pour eux d’intégrer à leur réflexion seulement la dimension séculière de leur société mais également sa dimension religieuse. C’est dans ce but que, paradoxalement, ils défendent le sécularisme.

Le sécularisme selon les théologiens indiens

La déclaration finale de l’ITA précise comment les théologiens indiens envisagent de promouvoir l’idéal du sécularisme.

En premier vient “un examen de soi honnête“. Celuici est destiné à reconnaître ses propres tendances au communalisme; à prendre conscience de la disposition chrétienne au particularisme, à l’exclusivisme (hérités du judaïsme, estil précisé [sic]), au triomphalisme (hérité de l’Empire romain, 14). Toutes ces attitudes ont conduit, par le passé, “à condamner, à rejeter et à détruire” les autres traditions religieuses ( 15) et le présent en porte encore trace: “Notre position n’est pas très différente aujourd’hui quand nous proclamons que le christianisme possède la pleine vérité tandis que les autres religions n’ont que des “germes” ou des “rayons” de vérité” ( 16). L’examen de conscience doit aussi porter sur le “communalisme intraecclésial”, sur les divisions du christianisme en Inde et sur celles qui existent au sein de l’Eglise catholique ( 1718); et, finalement, sur le caractère étranger du christianisme. Celuici fait l’objet de plusieurs sections ( 1926): on y déplore successivement l’aliénation du christianisme en Inde dans les domaines de la liturgie et de l’expression doctrinale, les faibles progrès de l'”inculturation” et “la dépendance [de Rome] abjecte de l’Eglise indienne“. Ensuite, le document énonce les moyens théoriques ( 2735) et pratiques ( 3645) pour combattre le communalisme. Sur le plan théorique (théologique), il faut une “reformulation des suppositions christologiques traditionnelles dans le contexte du pluralisme religieux“. Sur le plan pratique, cette reformulation demande de repenser l’évangélisation, la catéchèse et d’encourager le dialogue interreligieux. L’évangélisation devrait consister à faire respecter “toutes les valeurs humaines“: “Tout ce qui sonne comme du triomphalisme exclusif et de l’agressivité ne peut être appelé évangélisation et devrait être considéré comme contraire à cette mission qui nous a été confiée par le Christ“, “il est regrettable que l’évangélisation [soit] encore conduite sur le modèle du prosélytisme” ( 3738). La catéchèse devrait favoriser “I’incarnation de la foi chrétienne dans le sol indien” ( 39), spécialement dans le domaine liturgique ( 40). Quant au dialogue avec les autres religions, il devrait être l’affaire de tous les catholiques et non de quelques experts; il faudrait qu’il débouche sur une collaboration entre les différentes religions et les organisations laïques pour assurer une plus grande justice sociale ( 3941 et 45).

Examinons à présent les principaux arguments qui étayent cette défense chrétienne du sécularisme: la nécessité pour les catholiques de l’Inde de reconnaître la part de responsabilité de l’Eglise dans la crise communaliste actuelle, la nécessité de collaborer avec les autres religions présentes dans le pays, la nécessité de définir une théologie du pluralisme religieux.

Une Eglise pour l’Inde

La déclaration finale de l’ITA dessine le visage que les théologiens signataires aimeraient voir leur Eglise prendre en Inde: une Eglise pour l’Inde, c’estàdire débarrassée de tout ce qui jure avec l’environnement indien et, de ce fait, suscite des réactions de rejet de la part des hindous communalistes. Ces traits négatifs sont les particularismes de la communauté chrétienne ( 24); son caractère étranger ( 19); son faible respect de l’héritage culturel indien; son manque de critique à l’égard du passé de l’Eglise et de ce qui dans son organisation rappelle ses liens avec les puissances coloniales ( 22). En somme, la part de responsabilité de l’Eglise catholique dans la crise actuelle incombe à tout ce qui dans cette institution manifeste son caractère non indien: que cela soit par ses héritages judaïque et romain, ou par les liens qu’elle a entretenus avec les colonisateurs occidentaux.

Cette analyse témoigne, à n’en pas douter, d’une certaine réceptivité aux griefs des communalistes hindous, y compris sur le plan théologique: les accusations d’arrogance et de condescendance du christianisme (même sous sa forme postVatican Il) à l’égard de l’hindouisme abondent dans les écrits des tenants du hindutva (12). Les théologiens indiens ne le nient pas, ils affirment d’ailleurs la nécessité de dialoguer avec leurs adversaires car, “avec leur sens critique aigu, ils font voir aux chrétiens certaines vérités sur euxmêmes et les amènent à découvrir leur place et leur rôle dans le contexte asiatique” (13). Mais dès lors, une question se pose: le désir de s’assimiler des théologiens indiens, leur quête de racines indiennes, leur rejet du passé (qui s’accompagne d’une certaine caricature de l’histoire de l’Eglise), leur idéalisation de l’héritage hindou enfin, tout cela ne permetil pas de parler du chevauchement idéologique de leur pensée avec celle des communalistes hindous?

On ne peut nier que les théologiens indiens partagent avec les tenants du hindutva des préoccupations communes. Les uns et les autres rejettent un passé de domination par des systèmes politiques et institutionnels qui empruntent leurs principes à des valeurs non indigènes. Tous sont en quête de leurs racines indiennes. Les uns cherchent à définir ce qu’est un “bon Indien”, les autres “un chrétien authentiquement indien”. Et tous deux attribuent une place centrale à la tradition hindoue dans leur interprétation de la culture indienne. Car enfin, dans de nombreux écrits des théologiens indiens, la tradition hindoue (et souvent brahmanique) apparaît comme la clé de l’indianité qu’ils recherchent (14).

Mais il importe de faire deux observations au sujet de cette perception de l’hindouisme. La première est qu’elle est implicite dans maints ouvrages orientalistes et anthropologiques ! Tous ceux qui ont fait des études indianistes peuvent en témoigner. Quoi qu’on pense de sa validité scientifique, elle ne fonde pas à elle seule l’idéologie du hindutva. Il conviendrait donc de ne pas confondre la perception des théologiens indiens avec la construction d’une mythologie de l’hindouité de la culture indienne à laquelle se livrent les communalistes hindous. La seconde observation découle de la première. A l’évidence, il n’est à pas dans l’intérêt de l’ensemble des catholiques indiens ou des chrétiens en général, que l’idéal laïque de l’Etat soit remis en cause. En tant que minorité noyée au sein d’une mer hindoue, ils ne peuvent que condamner les projets du hindutva. Leur mise en pratique mettrait en péril leur survie. Aussi, leur objectif n’est pas d’affirmer l’hégémonie culturelle de l’hindouisme en Inde et donc d’exclure ceux qui ne se réclament pas de cette tradition.

A la différence des tenants du hindutva, les théologiens indiens ne prônent donc pas une unification culturelle modelée sur le seul héritage hindou. Au contraire, ils misent sur la pluralité et la diversité pour asseoir le droit de leur communauté à cultiver sa différence au sein de la société indienne. En ceci, ils reconnaissent que la culture indienne s’est acclimatée à la pluralité religieuse et que l’identité indienne est plurielle, alors que le hindutva par l’emprise totale de l’hindouisme sur la vie sociale, culturelle et politique, est dans une logique de reconquête hindoue. C’est la raison pour laquelle sur le plan politique, les chrétiens indiens ont donné leurs voix au parti du Congrès, qui, depuis l’indépendance, s’est fait le champion du sécularisme, même s’il a aussi exploité dangereusement le sentiment religieux.

En fait, I’intérêt des théologiens indiens pour l’hindouisme est davantage l’héritage des missionnaires férus d’adaptation culturelle (à commencer par le jésuite R. de Nobili au XVIIe siècle) que l’imitation des communalistes hindous ! C’est à ces vieilles sources qu’ils puisent leur intérêt passionné pour le sanskrit, les upanisad et la philosophie indienne (15). Mais on ne peut exclure que s’y mêle aussi un sentiment de culpabilité et que le discours des communalistes hindous ne l’ait renforcé en eux: il s’agirait alors de réparer les fautes de ces autres missionnaires (la majorité) qui vilipendèrent l’hindouisme. D’autant plus qu’à la différence de tous leurs prédécesseurs occidentaux, les théologiens indiens ne font pas de la conversion de l’Inde leur priorité.

Loin de chercher à faire entrer l’Inde dans le giron de l’Eglise, ils visent à intégrer l’Eglise à la société indienne en l’indianisant. Leur quête d’une Eglise pour l’Inde est l’expression d’un projet de type nationaliste, non pas au sein de la nation indienne, mais de l’Eglise catholique ellemême. Du point de vue de cette dernière, ce “nationalisme”, qui subsume l’identité religieuse sous l’identité culturelle, risque de compromettre sa cohésion. Les inévitables tensions qui en résultent sont révélatrices de la difficulté que les théologiens indiens ont à concilier des exigences contradictoires: l’appartenance à une institution (religieuse et économique) affirmant son caractère supranational, et leur volonté de mieux s’insérer dans la société nationale.

Sécularisme, dialogue interreligieux et théologie du pluralisme religieux

Sur le plan ethicoreligieux, la défense du sécularisme conduit les théologiens indiens à promouvoir de dialogue interreligieux et la collaboration de toutes les religions (et des organisations non religieuses). Cette position de l’ITA de 1987 ( 3941 et 45) se retrouve fréquemment, par exemple: “Nous devons trouver un moyen grâce auquel les religions pourraient conjointement procurer un fondement moral à tout système social et politique reposant non seulement sur leur respect mutuel mais aussi sur leur collaboration. En principe, cette collaboration s’étendrait à tous ceux qui ne professent aucune religion, mais qui au moins souscrivent à un système de valeurs humaines et morales“. Il est intéressant de noter que cette conception du sécularisme rejoint celle des “anti-sécularistes ainsi nommés à la suite du “manifeste” d’Ashish Nandy (1990, p. 73), une poignée d’intellectuels, qui, depuis quelques années, tracent une autre voie au coeur du débat sur la place de la religion dans la vie politique indienne. Précédemment acquis à l’objectif d’une culture nationale laïque (certains à partir de positions franchement anti-religieuses), ces intellectuels sont en plein désarroi devant le développement du communalisme. Ils y voient en effet l’échec de l’idéologie de séparation de la politique et de la religion (empruntée à l’Occident) et pensent que, pour être adapté à la situation indienne, le sécularisme doit accommoder le point de vue laïque et les différents points de vue religieux.

Dans ce débat, la contribution spécifique des théologiens catholiques “engagés” est de rendre cette voie possible sur le plan théorique en la retraduisant dans une construction théologique. Le réexamen des “suppositions christologiques traditionnelles dans le contexte du pluralisme religieux” vise cette finalité.

Si la christologie classique est l’un des grands sujets débattus dans les diverses revues de théologie catholique indiennes, c’est que l’affirmation de l’universalité et de l’unicité du Christ (selon laquelle tout homme est sauvé par JésusChrist et par lui seul) y est identifiée comme la première source de tensions entre les chrétiens et les autres croyants puisqu’elle fonde l’activité des premiers qui indispose le plus les seconds: la pratique missionnaire. Selon les théologiens indiens, la reformulation des “suppositions christologiques traditionnelles” permettrait de repenser l’évangélisation en la désolidarisant du prosélytisme.

Cette quête les oriente vers une nouvelle théorisation du pluralisme religieux. Replacées dans l’histoire des positions de l’Eglise visàvis des religions non chrétiennes (ce qu’on appelle aujourd’hui la “théologie des religions”), leurs conceptions innovent en effet par rapport aux systèmes antérieurs à Vatican II. Elles se distinguent aussi des acquis de ce dernier. Ainsi, les théologiens indiens considèrent révolue la théorie de l’accomplissement (dans laquelle les plus jeunes d’entre eux ont été formés) qui autorise les catholiques à reconnaître dans les autres religions “un rayon de cette Vérité qui illumine tous les hommes” (Nostra Aetate). Ils affirment, quant à eux, que l’hindouisme propose des systèmes de salut autosuffisants (et non pas destinés à être “accomplis” par le christianisme).

Leurs recherches témoignent de la prise en compte par le langage et l’herméneutique théologiques du discours de l’histoire de religions et de l’anthropologie religieuse sur la validité de toutes les traditions religieuses. En cela, elles rejoignent celles d’autres courants théologiques contemporains (postVatican II). Mais leur originalité tient à ce qu’elles se nourrissent aussi de l’expérience indienne, c’estàdire de la prise de conscience quotidienne des “variétés de l’expérience religieuse”. Décisive à cet égard a été la découverte de l’hindouisme. Elle a marqué les théologiens indiens de plusieurs manières. Ainsi, ils ont été directement influencés par des conceptions et des modèles hindous classiques pour penser la “diversité des voies de salut” (16). Ils sont aussi endettés envers Gandhi qui affirmait l’égalité de toutes les religions (17).

Arrêtonsnous sur le fait que les théologiens indiens ont également été sensibles au thème de la “tolérance hindoue”. Thème moderne et très populaire puisqu’on le trouve aussi bien chez les tenants du hindutva que chez leurs adversaires. C’est en effet un des stéréotypes favoris des premiers. C’est d’ailleurs pourquoi ils affirment défendre le “vrai sécularisme” et ne voient dans la forme actuelle de gouvernement qu’un “pseudosécularisme”. D’un autre côté, pour nombre d’hindous, qui ne se reconnaissent pas dans le courant du hindutva, il existe une affinité entre cette “tolérance” et l’adoption par l’Inde indépendante de l’idéologie du sécularisme comme principe de gouvernement. Selon ce point de vue, la conception indienne de l’Etat laïque s’enracinerait dans une sorte de prédisposition hindoue et donc religieuse à l’acceptation de la pluralité. Peuton encore avancer aujourd’hui, comme le faisait E. Smith dans les années soixante, que cette conviction est partagée par de nombreux Indiens non hindous ? Il est indéniable, en tout cas, que les théologiens indiens assimilent hindouisme et tolérance. Leur condamnation des événements de décembre 1992 révèle cette perception: ils ont vu dans la destruction de la mosquée d’Ayodhya par des communalistes hindous (afin de récupérer le lieu de naissance du dieu Rama) une “religiosité étroite“, un “hindouisme difficile à reconnaître“. Pour ces catholiques, le hindutva est une corruption de la véritable hindouïté car, à leurs yeux, celleci est foncièrement respectueuse du non-hindou.

Ainsi, au nom du sécularisme, et pour le préserver, les théologiens indiens cherchent à penser les différentes religions (y compris le christianisme) sur un pied d’égalité et, par là même, à définir la spécificité du christianisme sur des bases nouvelles. Consciemment ou non, ils s’efforcent de traduire dans leur idiome théologique le sécularisme ce principe de neutralité qui permet à l’Etat de gérer la diversité religieuse dans la société civile , de le repenser en termes religieux. Leur quête d’une théologie chrétienne adaptée au sécularisme aboutit à une version théologique du sécularisme. Et, qu’ils la perçoivent ou non comme l’une des sources du sécularisme, la manière hindoue de concevoir et d’accepter la pluralité religieuse informe leurs recherches. Elle les marque aussi d’une manière plus subtile en les rendant sensibles aux attitudes positives à l’égard des croyances des nonchrétiens disséminées dans leurs propres écritures et tradition herméneutique (18). C’est pourquoi leur recherche d’un modèle alternatif de “théologie des religions” se nourrit d’apports “séculiers” et religieux extérieurs à leur propre tradition religieuse en même temps qu’elle repose sur une relecture de cette dernière.

Conclusion

Les tensions socio-politiques nées de l’indépendance et du remodelage des rapports entre les différentes communautés religieuses du souscontinent conduisent les théologiens indiens à réexaminer leurs relations avec les hindous. Leur position annonce une profonde mutation de la pensée catholique en Inde (et celleci s’explique par le changement significatif du climat théologique depuis Vatican II). Il s’agit d’une mutation, car tout un ensemble de présuppositions est en train d’être remplacé par des perceptions nouvelles qui sont destinées à permettre l’émergence d’une reconnaissance chrétienne de l’altérité religieuse. Comme toute mutation, elle suscite des critiques; à l’extérieur de la part du Vatican ; à l’intérieur, chez les fidèles laïques peu formés sur le plan théologique, de même que dans une section importante de la hiérarchie ecclésiale indienne et chez de nombreux missionnaires pétris de missiologie classique. Mais dans un contexte national caractérisé par de graves conflits intercommunaux, ce renouveau théologique témoigne d’une volonté de repenser le modèle d’interaction de la minorité chrétienne avec la majorité dès lors que celleci ne peut plus être perçue comme le groupe à convertir. Il s’agit de jeter les fondements d’une nouvelle définition de l’identité communautaire chrétienne en Inde et de reconnaître que la dimension pluraliste de l’Inde interdit toute prétention à l’hégémonie.