Eglises d'Asie

LES INCIDENTS DE THAI BINH, VUS DU VIETNAM

Publié le 18/03/2010




Les affaires de Thai Binh ont débuté au mois d’avril 1997 et elles se sont prolongées des mois durant. La presse et les autres moyens de communication de la République socialiste du Vietnam ont également gardé le silence. En dehors de Thai Binh, les gens du pays n’ont été informés que par l’intermédiaire de la BBC, RFI, etc, ou par des récits et comptes rendus oraux. Il aura fallu attendre la mi-septembre pour que le Nhân Dân (Le peuple) traite de ces événements dans une série de trois ou quatre articles. Mais, comme d’habitude, peu d’exemplaires de ce journal sont parvenus aux mains des lecteurs. Dans le peuple, les lecteurs de journaux achètent rarement “Le peuple” ; quant aux vendeurs de journaux, ils ne le reçoivent pas, craignant de devoir l’exposer au soleil en pure perte. Cependant, en abordant ce sujet interdit, le journal “Le peuple” a donné le “feu vert” aux autres organes de presse. Des articles successifs sur ce sujet ont paru dans un certain nombre de journaux. Dans le “Thanh Niên” (Jeunes gens) des 3 et 5 novembre, on a pu lire: “Pourquoi, nos compatriotes, dans des centaines de communes de Thai Binh, ont-ils protesté Surtout, “Tiên Phong” (Avant-garde), organe du comité central des “Jeunesses communistes de Hô Chi Minh” a publié sur 4 numéros (105 à 108, les 2, 4, 7 et 9 octobre 1997, un reportage intitulé “Thai Binh (1), retour à la paixLe Comité central des Jeunesses communistes avait envoyé une équipe spéciale dans les points les plus chauds de la province dès le 19 juin. Au début du mois de juillet, le journal “Tiên Phong” dépêchait à Thai Binh une nouvelle équipe présidée par l’adjoint au rédacteur en chef. Ainsi, Tiên Phong, tout comme “Le Peuple” (Nhân Dân), a attendu que le calme se fasse, et a profité du “retour au calme” de Thai Binh pour évoquer les événements… qui jusque là étaient marqués du secret d’Etat. Quoi qu’il en soit, le reportage de “Tiên Phong” contient un nombre considérable de détails intéressants :

Veuillez remonter le temps avec nous et suivre l’évocation de tout ce qui s’est passé dans un petit village de campagne. Le premier foyer s’est, en effet, allumé dans un quartier dont le nom, curieuse coïncidence, est Dân Chu (Démocratie), dans le hameau de O Cach, commune de Quynh Xa, région de Quynh Phu(Tiên Phong, n° 106).

A la fin des années 1980, quelques responsables communaux de Quynh Xa avaient été déjà sanctionnés. Mais peu de temps après, les abus de pouvoir et des programmes financiers indus firent à nouveau leur apparition chez les fonctionnaires ayant succédé aux premiers. Ne pouvant plus supporter cette situationau début de l’année 1994, les habitants du quartier de Dân Chu envoyèrent un grand nombre de plaintes écrites en beaucoup d’endroits. Après une longue attente, du district arriva enfin une réponse affirmant que la commune avait levé des taxes indues et qu’elle devait elle-même les rembourser à la population. Les autorités communales firent la sourde oreille. A la récolte suivante, de sa propre initiative, la population garda pour elle la quantité de paddy qu’elle aurait dû remettre. Les autorités du village s’efforcèrent alors de récupérer leurs biens par la force. Une soixantaine de personnes divisées en trois équipes furent mobilisées et envoyées en opération (…).

“Il n’y avait plus d’autre solution : 139 des 156 familles du hameau de O Cach signèrent une demande pour quitter la coopérative et formèrent ensemble un groupement autonome qui leur permettrait de sauver leur vie et, chose plus importante d’échapper à l’emprise des cadres de la commune. Mais comment échapper aux haies de bambou du village…. ?

Vous voulez donc lutter contre la corruption, vous voulez protester? Attendez voir! . On ne se contentera pas de vous gronder! On passera à l’actese promirent alors les autorités.

(…) Dès qu’elles furent sorties de la coopérative, les familles recouvrèrent une certaine auto-suffisance et même des réserves. Avec leur seule contribution, elles entreprirent de construire une route pavée. Les autorités de la commune cherchèrent alors à faire obstacle au projet et le dénoncèrent en haut lieu comme illégal. La population se plaignit au district. Avant que la plainte ne parvienne au destinataire, le président du conseil communal accusait publiquement les protestataires d’appartenir à la classe féodale et leur cherchait des ennuis. Ce fut le cas par exemple pour Pham Van Son, un homme d’un certain niveau de culture, énergique et jouissant de la considération du village. Mais parce qu’il avait découvert que la commune réclamait un certain nombre de taxes indues et qu’il avait porté plainte, les “serviteurs du peuple” (les cadres) lui firent subir les pires avanies. Le secrétaire de la section du parti pour le village, lui-même fut exclu du Parti pour complicité avec la populationLes vieillards n’étaient pas plus épargnés que les jeunes. Un homme de 71 ans à la parole un peu libre, se mit en colère un jour en voyant brûler son tas de paille et laissa échapper un chapelet d’injures. La sécurité communale força aussitôt le seuil de sa maison, se saisit brutalement de lui et le traîna jusqu’au siège de la commune pour le rééduquer. Il fallut que la population du hameau se rassemble et intervienne pour que le vieillard soit enfin délivré. Les incidents de ce genre se produisaient chaque jour dans la commune.

“Le quartier de “Dân Chu” était loin d’être le seul point chaud. Le feu couvait aussi dans d’autres communes. Peu à peu se forma un “mouvement de protestation”. Au début, ce n’était que quelques incidents épars dans quelques communes. Puis, le mécontentement se répandit dans tout le district de Quynh Phu. Seules quelques rares communes furent épargnées. Le 25 mai 1997, ils étaient près de 3 000 personnes de la commune de Quynh Huong à se mettre en route vers la province pour protester contre les cadres communaux. Sur la route, cette foule de milliers de personnes ne se rendit coupable d’aucune violation du code de la route, se tenant soigneusement sur le côté droit de la route réservé aux piétons. Quiconque faisait preuve d’indiscipline était immédiatement expulsé de la troupe des manifestants. En tête marchaient les mères des héros de guerre, puis dans l’ordre, les blessés de guerre, les familles de victimes de guerre, les anciens combattants, les membres du parti, les membres des jeunesses communistes, les familles pauvres. Tous avançaient en colonne dans une absolue discipline, arborant des banderoles sur lesquelles étaient inscrits des slogans que l’on peut voir partout comme: “Vive le Parti communiste vietnamien”, “L’immense président Hô Chi Minh vivra toujours dans notre oeuvre”. Seul l’un d’entre eux différait des autres: “A bas les concussionnaires!”. Lorsqu’on arriva au siège des autorités provinciales, la foule n’avait même pas touché à un caillou, elle n’avait pas arraché une feuille, ni même cueilli une fleur. Certains observateurs firent preuve de discernement en disant: ‘Voici un silence menaçant!”.

Le 5 mai 1997, Nguyên Huu Hoanh et Pham Van Toi, au nom des plaignants de la commune de Quynh My, envoyèrent une invitation aux représentants du Parti et de l’Etat pour qu’ils viennent participer au district à une réunion avec les représentants de la population protestataire d’un certain nombre de communes. Le 8 mai, les deux hommes furent appelés à tour de rôle par la sécurité du district. Là, ils refusèrent de signer une reconnaissance écrite de violation de la loi. Ils furent arrêtés.

Le détonateur de la bombe silencieuseétait déclenché. Le lendemain de l’arrestation, des milliers d’habitants de Quynh My et d’autres régions voisines se pressaient vers la bourgade de Quynh Coi. Dans l’après midi, venant de toute la région environnante, la foule se fit de plus en plus nombreuse. La toute petite bourgade de Quynh Coi était remplie à craquer. Cris, invectives résonnaient partout, on entendait siffler les pavés lancés par la foule. Le président du Parquet populaire du district, pendant deux jours et trois nuits, dut rester dans son bureau, entouré de centaines de personnes qui l’encerclaient. La foule s’était répandue partout. Tous ces paysans, habitués de la charrue et de la pioche, paralysaient cette petite ville, siège des autorités du district de Quynh Phu. La tension montait de minute en minute. Des éléments extrémistes, au sein de la foule, arrachèrent des ridelles de camion, écrasèrent les hautsparleurs destinés à la propagande, défoncèrent des portes, abîmèrent des voitures de pompiers et s’en prirent aux forces de sécurité, blessant 11 agents.

Il n’y avait pas d’autre solution que de retirer le détonateur. On décida donc de libérer provisoirement Hoanh et Toi. Mais la foule maintenant ne voulait plus rien entendre. Elle exigea des autorités et de la police, une proclamation certifiant que les deux hommes n’avaient commis aucun crime, qu’ils étaient libres et que leurs biens confisqués, à savoir deux bicyclettes, leur seraient rendus. C’est ainsi que s’apaisèrent et s’achevèrent à 14 heures, le 11 mai, des incidents qui avaient débuté le 9 mai.

L’incendie s’était éteint de luimême. Mais l’attention des observateurs expérimentés ne pouvait manquer d’être attirée par d’autres foyers s’allumant ici et . Dans l’après midi du 18 juin 1997, cinq cadres de la commune de Qynh Nguyên furent attrapés, interrogés et gardés par un groupe de paysans. L’adjoint du président de la municipalité qui se trouvait parmi les cinq fut gardé jusqu’au 22 juin. Ailleurs, dans la commune de Quynh Giao, 800 personnes se regroupèrent autour du Comité populaire de la commune qu’ils interpellèrent publiquement. Plus tard, plus de 200 personnes de la commune de Quynh Hoa montèrent jusqu’au district, pénétrèrent de force au siège du Comité du district avec l’intention de s’emparer du président.

Plus grave encore, le 26 juillet , sans que l’on sache s’il y avait eu concertation ou non, presque au même moment, les communes de Thai Thin, Thai Tân (Thai Thuy), An Ninh (Quynh Phu), en tout des milliers de personnes, se sont regroupées autour du siège du Comité populaire communal, d’abord pour interpeller et interroger les responsables communaux. Puis, les manifestants s’en prirent aux bâtiments, démolissant les locaux, s’emparant des biens qui s’y trouvaient, maltraitant les cadres. Uniquement dans la commune de An Ninh (Quynh Phu), neuf habitations de cadres furent brûlées, leurs mobiliers et les objets qui s’y trouvaient détruits ou volés. Des colis tout prêts, destinés aux parents aux familles des morts et des victimes de guerre furent également réduits à néant ou pillés(Tiên Phong, n° 108).

Quels sont les motifs des incidents de Thai Binh? Que se serait-il passé si Hoanh et Toi n’avaient pas été arrêtés? A vrai dire, il ne s’agissait là que du détonateur, du prétexte. Les troubles sont-ils dûs aux agissements d’un certain nombre d’éléments extrémistes? Autrefois, roi et mandarins donnaient, eux aussi, des explications de ce type, pour fuir ou camoufler le problème réel: la situation du peuple.

Lorsque nous revînmes à Thai Binh, cette fois, partout nous entendîmes parler de difficultés, de taxes dont la population devait s’acquitter. Un ami, considéré comme la personne la plus avisée de la commune, qui avait bourlingué un peu partout dans les districts et les communes de la province, a résumé la situation dans une phrase : Pour un sao(497 m2), 28 taxes“. A sa connaissance, avec une production de 15 tonnes à l’hectare, une fois mises de côté toutes les contributions en nature qu’une famille paysanne doit fournir, Il reste pour chaque personne, chaque année, 70 Kilos de riz. Avec moins d’un quintal de riz pour douze mois, on est sûr d’avoir faim. Un cadre m’a dit qu’en certains endroits, chaque famille devait s’acquitter de 30 sortes de taxes. Si l’on se réfère aux données officielles, chaque famille doit verser 21 sortes de taxes. Certes, personne ne nie que les travaux accomplis dans la campagne de Thai Binh, en matière d’électricité, de routes, d’écoles sont parmi les plus beaux et les plus vastes, si on les compare ceux qui sont exécutés dans les autres provinces.(…) Mais derrière cette belle apparence, il y a une dette de plus de trente milliards, somme empruntée pour entreprendre ces grands travaux, qu’il faut rembourser avec 2,5 3 % d’intérêts(Tiên Phong, n° 106).

Il y a sans doute un motif plus profond que cela : le peuple exige la démocratie!

Après une tournée de plusieurs jours, dans les communes du district de Quynh Phu, le responsable de l’équipe de collaborateurs du comité central des jeunesses communistes nous a confié: ‘En dehors des trop lourdes taxes que nos compatriotes ruraux doivent acquitter, il y a quelque chose de plus grave encore: les paysans ne représentent rien pour un certain nombre de cadres communaux’. Un cadre révolutionnaire d’un certain âge a conclu: ‘La source de toute cette situation se trouve dans l’absence d’esprit démocratique et les abus de pouvoir d’un certain nombre de cadres communauxCes serviteurs du peupleconsidèrent les gens du peuple comme moins que rien et ils endorment leurs supérieurs avec des rapports sur les résultats acquis, peignant la situation démocratique régnant dans la commune ou le village dans le seul but de camoufler l’abîme existant depuis longtemps, qui sépare de plus en plus les cadres communaux de la population(Tiên Phong n° 106).

Est-ce par un caprice du destin ou par simple coïncidence que le premier foyer de protestation a pour nom “Dân Chu” (Démocratie)? Quoi qu’il en soit, à cause de son immense lucidité, la “dynastie” communiste s’est sentie ébranlée. Elle a mesuré l’importance des incidents de Thai Binh. Il se pourrait bien qu’ils ne soient pas limités à Thai Binh. En 1989, en Roumanie, les émeutes ont commencé dans une ville (Timisoara?) éloignée de la capitale.

A Thai Binh, que ce soit ou non à l’initiative de mauvais éléments, il n’en reste pas moins qu’il y a eu une situation d’émeute. Comme cela ressort des descriptions ci-dessus, ce fut le cas dans la bourgade de Quynh Coi, à partir du 9 Mai 1997, dans la commune de Quynh Nguyên à partir de l’après-midi du 18 juin, et principalement, d’une manière particulièrement grave, le 26 juillet 1997, dans les communes de Thai Thinh Thai Tân, An Ninh, sans que l’on sache s’il y a eu concertation entre les diverses communes.

La revue Thanh Niên remarque que le 11 mai 1997, lorsque Hoanh et Toi furent libérés, la manifestation se dispersa aussitôt. Mais après ces incidents, la loi perdit toute son autorité. Les organes exécutifs durent se résigner à avoir les mains liées. Chaque jour avaient lieu une manifestation avec pétition de la population des communes. Une partie d’entre les manifestants se livraient à des actions extrémistes

Il n’y a jamais eu de situation analogue depuis 1975 jusqu’à aujourd’hui et même sans doute depuis 1954.

Thai Binh n’est pas Saigon. Ici la population non seulement travaille laborieusement au tissage, mais elle s’est battue avec courage contre l’envahisseur étrangerLa population de Thai Binh, durant la guerre, “a accompli de brillants exploitsLa paix venue, elle s’est engagé avec assurance sur le champ de bataille économique(Thanh Niên, 3 octobre 1997). S’il est vrai que durant les incidents de Thai Binh, les mauvais éléments ont versé de l’huile sur le feualors c’est un feu qui a enflammé depuis “les mères des héros de guerre, puis dans l’ordre, les blessés de guerre, les familles de victimes de guerre, les anciens combattants, des membres du parti et des membres des jeunesses communistes“, comme dans le cortège des 3 000 manifestants de Quynh Hông, le 25 avril 1997.

Les incidents de Thai Binh n’ont pas été seulement une histoire de paysans mécontents à cause du manque de nourriture et de provisions. Dans ce domaine, les manifestations de paysans français déversant légumes, fruits, pommes de

terre, et lait sur les routes nationales et bloquant la circulation avec des voitures ont été beaucoup plus bruyantes et plus médiatisés, puisque la télévision a diffusé dans le monde entier les images de 10 000 maraîchers français rassemblés devant l’ambassade belge à Paris, pour protester contre le prix de la salade belge près de huit fois moins chère que la salade française.

Mais dans la République socialiste du Vietnam, ce n’est pas sans raison que l’on a caché soigneusement les incidents pour ne pas troubler le sommeil de la normalisation politique où est plongé la population du pays. Ce n’est que récemment, lorsque la situation s’est un peu calmée que l’on a commencé à en parler parce que l’on ne pouvait faire autrement. On en parle, mais sans oublier de calmer les esprits : A Thai Binh (La paix), à nouveau la paix , et c’est tout (1).

Tant que durera la dictature totalitaire, il n’y aura qu’une sorte de paix, la normalisation politiquepour un régime socialiste où grouillent aujourd’hui les chevaliers d’industrie et les capitalistes rouges. Il n’y aura non plus qu’une sorte de démocratie celle du centralisme démocratique… (…)