Eglises d'Asie

EXHORTATION PASTORALE À L’OCCASION DES ÉLECTIONS DE 1998

Publié le 18/03/2010




Le temps des élections est proche. Nous allons choisir à nouveau les gens qui nous gouvernent. Nous choisirons en même temps le type d’avenir que nous voulons. Celui-ci dépend en grande partie de notre choix, en particulier du choix de nos dirigeants.

La crise actuelle

Les choix que nous allons faire en ces élections revêtent une importance particulière en raison des difficultés qui nous entourent. Nous subissons une très grave crise économique. Après avoir cru effectuer un décollage économique qui nous avait rapproché du statut de pays nouvellement industrialisé, voilà que nous expérimentons un crack économique qui a provoqué une forte dépréciation de notre monnaie par rapport au dollar. Il semble que cette crise durera un certain temps. Pendant ce temps, des milliers de compatriotes perdent leur emploi alors que les prix augmentent. Tous souffrent, mais plus particulièrement les plus pauvres.

Nos difficultés sont aggravées par une crise écologique. Nous avons été victimes du phénomène climatique “El Nino”. En beaucoup d’endroits, il n’y a pas eu assez de pluie pour les champs. Même l’eau destinée aux besoins domestiques est rare et chère. “La Nina” qui nous menace devrait être encore plus destructrice. Tout cela s’ajoute à la pollution de notre air et de nos rivières et à la dégradation de notre écosystème.

Nous subissons en même temps une crise socio-politique. L’ordre et la paix se sont détériorés. Il y a eu une recrudescence marquée des enlèvements avec demandes de rançon. Les vols à petite et grande échelle, les meurtres de victimes innocentes, souvent préalablement violées, ne sont même plus réprimés. Le problème de la rébellion continue de troubler la paix tandis que la menace de la drogue ne cesse de s’étendre. Le côté le plus troublant de tous ces crimes, c’est le fait que beaucoup de ceux qui les commettent sont chargés de faire respecter la loi. Cela a provoqué une très sérieuse perte de confiance dans la capacité à sauvegarder l’ordre et la paix de notre police et du personnel militaire.

Les paroles de l’écriture s’appliquent littéralement à notre situation: Sous l’orgueil de l’impie le malheureux est pourchassé, il est pris aux ruses que l’autre a combinées. L’impie se loue des désirs de son âme A chaque instant ses démarches aboutissent. Il épie, s’accroupit, se tapit, le misérable tombe en son pouvoir(Ps 10, 2-3,5,10).

A la base de toutes ces crises, il y a une crise morale. Dans notre société, ce qui est le plus recherché, c’est l’argent et le pouvoir. Le désir d’argent et de pouvoir est le carburant qui alimente la corruption et la violence en train de saper notre tissu social. Il faut lui ajouter l’hédonisme directement encouragé par nos médias et par le scandale donné par d’éminentes personnalités qui peuvent violer publiquement avec une semblable impunité aussi bien les lois de la terre que les lois de Dieu. Beaucoup de nos dirigeants, en politique, dans les affaires, mais aussi dans le monde du spectacle ne semble avoir d’autres boussole morale que leurs propres intérêts. Dans le domaine politique en particulier, la phrase du psaume s’applique à beaucoup de dirigeants: ” Non, rien n’est sûr dans leur bouche et leur fond n’est que ruine, leur gosier est un sépulcre béant, mielleuse se fait leur langue(Ps 5, 10). Comment s’étonner si beaucoup de jeunes s’engagent dans la vie sans direction morale et si beaucoup d’adultes sont marqués par le cynisme. Nous, leurs pasteurs, avons notre part de responsabilité dans cette crise morale qui a envahi tout le pays et nous profitons de cette occasion pour demander pardon à Dieu pour nos fautes et nos omissions.

Les crises qui marquent notre temps nous obligent à choisir pour les prochaines élections une personne droite à notre tête et à faire respecter nos choix. Il n’y a pas longtemps nous avons écrit une “exhortation pastorale sur la politique des Philippines”. Nous vous renvoyons à ce que nous disions, mais dans l’actuelle lettre, nous voulons souligner la nécessité d’élections honnêtes et crédibles et d’un choix d’élus correct.

La nécessité d’élections honnêtes et crédibles

Dans le contexte du temps présent, nous devons d’abord nous assurer que tous ceux qui vont devenir nos dirigeants au gouvernement sont effectivement ceux que nous avons librement choisis pour être à notre tête. Nous devons faire en sorte que les élections soient honnêtes. Nous devons nous assurer que les gens sont capables de voter librement pour les personnes qu’ils veulent, que toutes les formes de tricheries sont éliminées et que les bulletins de vote sont comptés correctement depuis le niveau de la circonscription jusqu’au récapitulatif final de telle sorte que les légitimes vainqueurs soient proclamés et assument leurs fonctions. Nous ne devons pas permettre à des candidats de s’emparer de postes qu’ils ne méritent pas et ainsi de nous priver de ceux qui avaient été choisis pour les occuper. Ceux qui s’emparent des postes publics, s’emparent des coffres de l’Etat. S’imposant eux-mêmes à la population, ils n’hésiteront pas à lui faire porter de lourds fardeaux. La fraude ne fait pas de bons serviteurs du bien public.

Ce sont les hommes qui trichent. L’automation et la mécanisation du vote et du comptage ne garantissent pas des élections honnêtes. Les personnes malhonnêtes peuvent se servir des machines pour frauder. Seules, une formation morale correcte des gens et une vigilance concertée peuvent servir de garants contre la fraude.

Nous demandons aux enseignants des écoles publiques, membres du bureau des inspecteurs électoraux, d’être en accord avec leur conscience, avec leur vocation et avec leur patrie dans l’accomplissement de leurs devoirs.

Nous appelons les différentes parties ainsi que les candidats à se conduire avec honneur. Une fonction publique est une marque de la confiance publique. Ceux qui veulent être les dirigeants de la communauté politique doivent se comporter comme des serviteurs et non pas comme des voleurs. Obtenir une fonction publique par la fraude, c’est usurper ce qui ne vous appartient pas. Une personne qui a gagné un poste public par la fraude doit le rendre au vainqueur légitime. Ceci n’est pas seulement une obligation légale mais une obligation morale en conscience et devant Dieu.

Nous vous appelons, vous, nos compatriotes, à ne pas frauder et à ne pas vous laisser entraîner à tricher de quelque façon en ces élections. Ne votez qu’une fois. N’achetez aucun vote. N’intimidez pas les autres. Ne faites pas de mauvais comptes, ne falsifiez pas les résultats des urnes. Dieu voit ce que vous faites même si personne d’autre ne le sait.

Une forme de fraude, l’achat des votes, est particulièrement révoltante. Elle abaisse aussi bien celui qui achète les voix que ceux qui les vendent. Celui qui vend son vote montre que son choix peut être acheté et qu’il est capable de se vendre, lui et l’avenir de son pays. La personne qui achète les votes montre clairement qu’elle n’hésite pas à abaisser la dignité des électeurs pour obtenir le poste qu’elle convoite et, de ce fait, qu’elle ne mérite pas d’être élue.

Nous ne devrions même pas donner l’impression de fermer les yeux sur cette pratique. C’est pourquoi, nous demandons aux électeurs non seulement de ne pas accepter d’argent pour leurs votes mais encore de faire honte aux acheteurs de voix par un refus catégorique.

Une autre forme de fraude, c’est l’emploi de l’intimidation ou de la violence. On force les gens à ne pas voter ou à voter pour un candidat qu’ils n’ont pas choisi. Pour empêcher intimidation et violence, nous demandons à la Commission des élections de veiller à interdire strictement le port des armes durant la période des élections comme elle l’a fait avec succès dans le passé. Nous exhortons ceux qui sont chargés de cette tâche par la commission de l’accomplir avec conscience et impartialité. De même, les citoyens peuvent s’associer ou rejoindre des groupes de citoyens comme le conseil pastoral paroissial pour un vote responsable, le Mouvement national des citoyens pour des élections libres, etc, pour empêcher ou dénoncer toute pression.

De récentes expériences ont montré qu’une grande partie de la fraude avait lieu par l’intermédiaire du trafic des comptes électoraux. On a montré qu’un comptage correct des votes au niveau de la circonscription ne garantit pas des résultats électoraux honnêtes. Des bulletins peuvent être ajoutés ou soustraits avant que l’on n’effectue le total. Le retard dans les comptes augmente les possibilités de trafic. Il est donc nécessaire qu’ils soient réalisés le plus rapidement possible. La vigilance des citoyens ne doit donc pas se relâcher.

Encore une fois, nous répétons qu’en ce moment critique de notre histoire, il est de la plus haute importance que ceux qui se proclament les vainqueurs de ces élections soient les vainqueurs de fait. La survie de notre démocratie exige que la population soit dirigée par ceux qu’elle a voulu mettre à sa tête et pour qui elle a véritablement et librement voté. Pour le dire franchement, il vaut mieux que des personnes moins qualifiées, mais honnêtement élues à un poste, gouvernent notre peuple plutôt que des personnes peut-être plus qualifiées mais malhonnêtement élues. Nous devons donc en priorité assurer des élections honnêtes.

La nécessité de voter pour le bon candidat à un poste

Il est aussi de la plus haute importance que la bonne personne soit élue. Mais qui est donc le bon candidat? Ceux que Dieu a désigné pour devenir les porteurs de cette impressionnante autorité qui émane de Lui (Rm 13,1). Dans le passé, nous avons énuméré quelques critères pouvant nous aider à faire un choix correct. Ils restent valides aujourd’hui mais permettez-nous de vous présenter un guide simplifié pour ces élections.

En choisissant nos dirigeants de la communauté politique, il pourrait apparaître plus logique de considérer en premier les plates-formes ou les programmes des différents partis politiques. Mais malheureusement dans notre pays, il n’y a pratiquement pas de différences entre les plates-formes et les programmes des différents partis. La preuve en est qu’il est facile pour les candidats même aux plus hauts postes de changer de partis ou de former des alliances. Nous devons donc concentrer notre attention sur les qualités requises pour l’exercice des fonctions briguées.

La plus nécessaire des qualités, c’est la compétence en rapport avec le poste auquel on cherche à se faire élire. Le candidat est-il capable d’accomplir les devoirs de la fonction à laquelle il aspire? A-t-il la santé physique, les possibilités mentales et affectives nécessaires pour assumer toutes les exigences de sa fonction? En d’autres termes, le candidat pourra-t-il tenir son poste, s’il est élu?

Un important élément de cette compétence, spécialement pour nos prochains président et vice-président, c’est la possession par le candidat de cette qualité que l’on appelle l’autorité. Nous avons besoin d’un président pour qui les gens éprouvent du respect et de la confiance et qui pousse les citoyens à s’unir et à se tourner vers le bien commun. L’autorité n’est pas synonyme de popularité ou d’éloquence. Ce n’est pas non plus la capacité de mener la foule vers des fins personnelles. L’autorité est plutôt une façon de servir qui attire les gens et surtout les meilleurs d’entre eux de telle sorte qu’ils forgent ensemble un meilleur avenir en dépit de tous les obstacles.

En ces temps critiques, nous avons besoin d’un président qui possède l’autorité nécessaire pour nous conduire hors de la tourmente économique et restaurer la paix et l’ordre dans notre pays.

La compétence du candidat doit être mesurée à ses qualités naturelles et aux mérites qu’il s’est acquis dans le service de la communauté. La façon dont une personne a servi son pays dans le passé est le meilleur garant de sa compétence, bien meilleur que les distinctions académiques. Les actes, non les promesses ou la popularité, tels sont les véritables témoignages de sa compétence.

La deuxième qualité nécessaire est l’intégrité personnelle du candidat. La compétence ne suffit pas. Il doit aussi “craindre Dieu”, “aimer Dieu” et “être moral”. La moralité implique en premier lieu un engagement absolu au service du maintien des droits de l’homme et de la liberté, l’honnêteté dans la manipulation des fonds publics. Elle implique aussi la véracité ainsi qu’une conduite irréprochable dans la vie privée et dans la vie de famille.

En dernier lieu, l’intégrité personnelle suppose que même si nous devons tenir compte de la faiblesse humaine et du péché dans l’exercice de la fonction publique, nous avons le droit d’attendre du candidat qu’il possède de solides principes moraux et qu’il les suivent avec constance. Par exemple, nous avons le droit d’attendre des hommes publics et plus spécialement de notre président et de notre vice-président, qu’ils manifestent du respect pour la vie humaine, depuis sa conception jusqu’à son terme naturel, qu’ils protègent la sainteté de la famille, comme ils y sont obligés par la constitution et que ce respect s’exprime aussi bien par les mesures qu’ils prendront que par l’exemple de leur vie.

Une qualité de premier ordre qu’il est nécessaire de trouver chez les candidats à une fonction publique, c’est leur dévouement au bien commun. Nous devons élire une personne capable de transcender le cercle étroit de ses intérêts personnels et familiaux et de se sacrifier pour le bien commun. Les personnes corrompues sont dépourvues de ce dévouement, de même que les politiciens dont les actions sont guidées seulement par l’opportunité et le désir de la popularité, bonne ou mauvaise. De telles personnes ne doivent pas être élues à une fonction publique.

En somme, nous vous demandons d’appeler aux diverses fonctions, spécialement à celle de président, des candidats qui ont manifesté leur compétence, leur autorité, leur intégrité personnelle et leur dévouement au bien commun.

Notre compétence en tant que pasteurs et ses limites

Tandis que, en tant que vos pasteurs, nous vous proposons des directives basées sur l’évangile de Jésus-Christ (Voir Mc 10, 35-45, Mt 24, 45-51, Jn 13, 1-35) pour vous aider à voter pour le bon candidat, nous tenons cependant à vous dire clairement qu’il n’est pas de notre devoir pastoral, pas plus que de notre compétence, de vous nommer la personne qui possède les meilleures qualités. Cela est votre tâche. Il vous appartient de vous informer vous mêmes des qualités de chaque candidat et de juger s’il est conforme aux critères que nous vous avons fournis. Nous pouvons seulement vous présenter le type de candidat pour lequel vous devez voter. Nous n’avons pas le droit de vous dicter votre vote.

Encouragements pour divers groupes

Nous souhaitons encourager les groupes non-partisans, citées plus haut, et des organisations similaires à mettre en oeuvre des campagnes d’éducation en matière électorale, qui informeront la population des diverses qualités requises pour les fonctions publiques soumises au scrutin. Nous demandons aux candidats de présenter honnêtement les raisons pour lesquelles ils méritent les voix du public sans se livrer à de basses attaques sur les candidats rivaux. Nous rappelons à chacun que la loi de Dieu reste en vigueur pendant la campagne électorale. Nous saisissons cette occasion pour vous inciter à édifier des communautés ecclésiales de base et à former leurs membres à participer en chrétiens à la politique.

Les élections sont toujours un événement important dans notre pays. Mais les temps critiques que nous vivons donnent un poids particulier aux prochaines élections pour la présidence, la vice-présidence et les autres fonctions publiques. Les difficultés qui sont les nôtres aujourd’hui sont dues en grande partie à notre indifférence à la volonté de Dieu dans la vie politique de notre nation. Une personne moissonne exactement ce qu’elle a semé(Ga 6,7). Nous avons planté la semence de la corruption politique; nous avons récolté les troubles sociaux et économiques. Nous nous sommes laissés entraîner dans une civilisation de l’argent et du pouvoir: nous avons obtenu des dirigeants que nous avons mérité par notre capitulation devant les pratiques électorales frauduleuses. Nous avons compromis notre avenir

pour des gains à court terme. Notre mauvaise conduite a produit une moisson de malheurs. Nous sommes punis pour les péchés de notre nation.

Si nous implorons les bienfaits du Seigneur, la paix et la prospérité, nous pourrons faire sa volonté en toutes choses et particulièrement en politique. Nous n’épargnerons pas nos efforts pour réaliser des élections honnêtes et significatives. Une fois pour toutes, débarrassons-nous de la politique des armes, des truands et de l’or et, aussi, de ceux qui la pratiquent. Efforçons-nous de voter pour le bon candidat, capable de faire rentrer notre pays dans le deuxième millénaire. Assurons-nous que les vainqueurs réels soient déclarés vainqueurs. Ayant voté pour le bon candidat, protégeons notre bulletin!

Puisque les plus grands efforts ne conduisent à rien sans l’aide du Seigneur, nous appelons sur notre peuple la grâce du Saint-Esprit qui renouvelle la face de la terre (Ps 104, 30) et nous demandons l’interces-sion de Marie, mère de Notre Seigneur Jésus-Christ et notre mère, pour obtenir à travers d’honnêtes élections les dirigeants dont nous avons besoin. Ainsi, que notre peuple devienne un peuple acceptable pour le Seigneur alors que nous nous approchons du grand Jubilé de l’année du Seigneur 2000 !