Eglises d'Asie

LA RECONVERSION PROFESSIONNELLE ET L’INTEGRATION SOCIALE DES REFUGIES VIETNAMIENS AUX ETATS-UNIS D’AMERIQUE

Publié le 18/03/2010




Les problèmes rencontrés par le réfugié dans le pays qui l’accueille sont nombreux : l’apprentissage de la langue, l’intégration à l’intérieur d’une nouvelle culture et bien d’autres encore. Mais aucun, sans doute, n’a un caractère plus urgent que la reconversion professionnelle. D’elle dépend la survie du réfugié et de sa famille. Elle est rarement aisée et met en jeu une série d’éléments qui tiennent non seulement au niveau de culture et d’instruction du réfugié, mais aussi à sa psychologie et à son esprit d’intégration. Ce sont tous ces éléments dont nous étudierons le rôle en examinant la reconversion professionnelle des réfugiés vietnamiens aux Etats-Unis.

Estimés à 1,4 millions en 1996, les réfugiés vietnamiens aux Etats-Unis, contrairement à ce qui s’est passé ailleurs et particulièrement en France, se sont regroupés et ont constitué de véritables colonies (voir la carte de la répartition des Vietnamiens aux Etats-Unis à la page suivante)(1). L’implantation la plus importante se trouve en Californie qui en a accueilli près de 400 000, soit 40 % de la diaspora vietnamienne, dans ses deux plus grande villes, San Jose et Los Angeles. Sur la même côte ouest, dans l’Etat de Washington, on en compte 48 600. Sur la côte est, 155 000 réfugiés sont venus s’établir dans dix Etats. Il y vivent plus dispersés qu’ailleurs sauf à New York et dans le Massachusset où se sont formées de grosses concentrations de réfugiés. Au sud des Etats-Unis, on les trouve surtout au Texas où ils sont 75 000 et en Louisiane où ils sont 16 400. Dans la région industrielle des grands lacs (Détroit, Chicago, Milwaukee, Minneapolis, etc), on en compte environ 130 000. Le reste de la diaspora vietnamienne est dispersé dans beaucoup d’autres Etats de l’Union.

Si l’on connaît relativement bien les actuelles activités professionnelles des Vietnamiens venus s’implanter aux Etats-Unis, les renseignements concernant leurs professions d’origine sont particulièrement rares. Or, la connaissance de leurs anciennes activités nous serait particulièrement précieuse pour comprendre et commenter les choix qui ont été faits lors de leur reconversion professionnelle, ainsi que les problèmes d’adaptation et d’intégration qui ont été les leurs lors de leur insertion dans la société américaine.

Pour mener à bien notre étude, il nous fallait pallier ces carences. Il s’est avéré nécessaire de conduire une enquête par sondage. Nous avons décidé d’envoyer un questionnaire simple à un certain nombre de familles. Il comprenait deux parties. La première partie était constituée par une liste de questions fermées auxquelles le chef de famille devait répondre en cochant une des deux ou trois réponses qui lui étaient proposées (âge, sexe, situation matrimoniale, profession ancienne et actuelle, raison du changement de métier ou d’emploi, du choix du pays d’accueil, etc). La deuxième partie était constituée par une seule question ouverte sans limitation de réponses : “Que pensent les parents de l’acculturation et de l’intégration de leurs enfants dans la société américaine?”

Un échantillon représentatif de 250 familles a été établi. Les chefs de famille avaient appartenu à un certain nombre de catégories socio-professionnelles que l’on peut énumérer comme suit :

– Cent d’entre eux avaient exercé des professions médicales ou para-médicales (médecins pharmaciens, chirurgiens, dentistes, infirmiers).

– Les 150 autres avaient pratiqué des professions aussi diverses que fonctionnaires, juristes, ministres d’Etat, diplomates, militaires, enseignants, ingénieurs, techniciens, commerçants, secrétaires, artistes, étudiants, ouvriers, paysans, pêcheurs, etc)

– Parmi ces familles composant notre échantillon, 100 habitent en Californie, 50 au Texas, 50 en Illinois, 50 à Washington D.C. et sa banlieue qui empiète sur les deux Etats voisins de Maryland et de Virginie.

I – Les diverses catégories socio-professionnelles et leur reconversion

1 – Les professions médicales et para-médicales

Avant le changement de régime à Saigon, en 1975, on estimait à 4 500 le nombre de médecins, et à 3 200 le nombre des pharmaciens (2). En 1974, il y avait 404 chirurgiens-dentistes au Sud-Vietnam (3).

Environ 2 500 médecins, soit 55 % du total des médecins du Sud-Vietnam ont été évacués par les forces armées américaines en avril 1975. Quelque 1 500 autres se sont enfuis par voie maritime, lors des diverses vagues d’émigration, dites “semi-officielles”, directement organisées par les autorités gouvernementales dans les années 1978-1980 (4). Enfin, grâce aux programmes de regroupement de familles patronnés par les Nations Unies, nombre de médecins ont pu obtenir des visas de sortie et rejoindre leurs proches à l’étranger par voie aérienne. A la suite de ce départ massif des médecins formés au Sud-Vietnam avant 1975, les effectifs du corps médical restés sur place s’étaient réduits à environ 500, soit 20 % des médecins travaillant au Sud avant la libération.

a – Effectifs et répartition géographique aux Etats-Unis

Actuellement, on estime à plus de 3 000 le nombre de médecins ayant quitté le Vietnam. Certains ont été portés disparus au cours de leur émigration clandestine ou “semi-officielle”, victimes du soleil, des garde-côtes vietnamiens et malaisiens, des pirates thaïlandais ou de l’indifférence des navires marchands sillonnant la mer de Chine méridionale. D’autres, pour des raisons personnelles diverses, ne se sont pas recyclés en vue d’obtenir l’équivalence de leur diplôme et exercer à nouveau leur métier. Leurs noms ne figurent pas sur la liste des médecins du monde libre (5) qui comporte aujourd’hui 2 243 noms de praticiens en exercice dans le monde en dehors du Vietnam. La “Liste des pharmaciens vietnamiens du monde libre” estime à 1 580 le nombre de réfugiés vietnamiens exerçant cette profession à l’étranger (soit environ 50 % du total des pharmaciens au Sud-Vietnam avant 1975).

Plus des deux tiers des médecins et pharmaciens vietnamiens se sont installés en Amérique du Nord. Pourtant, à l’origine, la plupart d’entre eux étaient francophones et leurs diplômes susceptibles d’être reconnus en France après un recyclage de deux ou trois ans. De plus, au cours des décennies 70 et 80, les autorités françaises facilitaient leur naturalisation. Pourquoi ont-ils préféré l’Amérique du Nord ?

Ce choix s’explique par une conjoncture difficile à cette époque en Europe et particulièrement en France. L’économie française traversait alors une période difficile, le chômage ne cessant de progresser. Les médecins qui se sont implantés en France l’ont souvent fait pour des raisons de regroupement familial. Les autres, plus de 69 % du total des médecins réfugiés dans le monde (soit 1 553 personnes) et plus de 66 % des pharmaciens (soit 1 044 personnes) ont été attirés par les Etats-Unis, pays neuf avec un taux de chômage relativement peu élevé, par une politique de “sponsoring” sécurisante, des aides sociales intéressantes (6) et des soins médicaux gratuits. De surcroît, les universités américaines, à cette époque, ne faisaient point de difficultés pour leur accorder l’équivalence de leurs diplômes. Leur reconversion professionnelle ne posait pas de problèmes majeurs. La durée de leur recyclage variait, selon les Etats, de deux à trois ans. Sauf pour certains cas exceptionnels – dans notre échantillon, seuls deux pharmaciens et un médecin ont renoncé au recyclage en raison de leur âge élevé et de leur état de santé – l’ensemble des médecins vietnamiens exilés aux Etatsunis y a repris l’exercice de sa profession.

Le tableau de la répartition géographique des médecins vietnamiens aux Etats-Unis souligne leurs préférences pour certains Etats où ils se sont établis en grand nombre:

Ce tableau suggère les observations suivantes :

Les médecins et pharmaciens vietnamiens vivent particulièrement concentrés dans quelques Etats de l’Union. La Californie, le Texas et Washington D.C. regroupent à eux seuls plus de 70 % des médecins et 90 % des pharmaciens. C’est cependant la Californie qui reste le préféré des membres des professions de la santé. On y compte 409 médecins (45,5 % du total) et 415 pharmaciens (65,4 % du total). Leur forte concentration dans cet Etat est de toute évidence liée à la présence de la plus importante colonie vietnamienne aux Etats-Unis et dans le monde.

b – Clientèle et revenus

A l’exception des hôpitaux, les clients des médecins vietnamiens sont presque exclusivement leurs compatriotes. Il est rare que des malades américains de souche viennent consulter des médecins vietnamiens travaillant dans le secteur privé. Il en est de même dans le domaine des soins dentaires. Cette même remarque s’applique aux officines pharmaceutiques tenues par des Vietnamiens réfugiés, leur principale clientèle étant constituée par leurs compatriotes. Ce même phénomène s’observe sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis.

En général, les cabinets privés des médecins et chirurgiens dentistes vietnamiens fonctionnent convenablement et rapportent un revenu confortable. Le revenu net d’un médecin généraliste, par exemple, ne descend pas au-dessous d’un minimum de 70 000 dollars par an pour la Californie et de 65 000 dollars par an pour les autres lieux d’implantation aux Etats-Unis. Le revenu moyen se situe entre 80 et 100 000 dollars par an.

Les revenus annuels des médecins spécialistes (ophtalmologistes, gynécologues et autres spécialités) sont beaucoup plus élevés. Leur moyenne est évaluée à 150 000 – 180 000 dollars par an. Des cas exceptionnels ont été cités en Californie, où le chiffre d’affaires de certains médecins généralistes ou spécialistes aurait atteint des sommes de l’ordre de 250 000 à 300 000 dollars par an, voire un demi-million. Cependant, on peut penser que de telles performances financières appartiennent désormais au passé, plus précisément aux décennies 70 et 80. En effet, au cours de cette période, l’insuffisance du contrôle des services de la sécurité sociale, associée à l’afflux des réfugiés (en provenance des camps de réfugiés de l’Asie du sud-est) ont été à l’origine d’abus regrettables de la part de certains praticiens peu scrupuleux dans la fixation des honoraires et la prescription des ordonnances. Ils ont provoqué des troubles dans la communauté vietnamienne et ont été dénoncés par la presse locale (vietnamienne et américaine) et nationale.

Notre enquête fait apparaître que le revenu moyen des chirurgiens dentistes est plus élevé que celui des médecins. Il est de l’ordre de 130 000 à 150 000 dollars par an. Par contre, celui des pharmaciens, tout en étant plus que suffisant pour vivre se situe nettement au dessous. Une pharmacie clinique rapporte environ 45 à 50 000 dollars par an tandis qu’un pharmacien salarié (avec 5 années d’ancienneté) touche une rémunération annuelle qui peut varier entre 35 000 et 40 000 dollars. Les pharmaciens vietnamiens faute de moyens financiers et à cause d’une concurrence très sévère dans ce secteur, sont généralement dans l’impossibilité d’ouvrir une officine. La plupart d’entre eux sont donc salariés.

Il faut ajouter à cela qu’à partir des années 1990, dans le secteur de la santé, la situation a changé pour les réfugiés vietnamiens. On a observé une certaine diminution des étudiants vietnamiens dans les facultés de médecine et d’odontologie. Les médecins et pharmaciens réfugiés arrivés tardivement aux Etats-Unis, grâce aux programmes O.D.P. et H.O., ont rencontré certaines difficultés. La durée du recyclage exigé pour l’obtention de l’équivalence de leur diplôme a été allongée et dure, actuellement, quatre ou cinq ans pour la médecine. Le diplôme “board” nécessaire pour ouvrir un cabinet médical est octroyé à l’issue de deux examens, l’un portant sur l’anglais, l’autre sur la spécialisation. Un tel diplôme est difficile à obtenir.

Malgré ces récentes difficultés, médecins, pharmaciens et chirurgiens dentistes vietnamiens ont réussi une intégration remarquable dans la société américaine. Certaines de leurs familles font partie des familles américaines considérées comme privilégiées, 1% de l’ensemble de la nation. La majorité appartient à la classe moyenne supérieure.

2 – Les autres professions

A la différence des personnes exerçant une profession médicale ou paramédicale, les réfugies appartenant aux autres catégories socio-professionnelles ont eu plus de difficultés à s’adapter à la situation nouvelle. Ils ont eu à franchir de nombreux obstacles, dont l’un des moindres a été la non-équivalence de leurs diplômes. Bien souvent, ils ont été obligés de parcourir à nouveau la quasi-totalité de la filière qui les avait conduits à leur spécialisation. Il sera intéressant d’examiner la situation concrète dans diverses catégories socio-professionnelles.

a – Les ingénieurs et les techniciens

Malgré leur handicap en langue, ingénieurs et techniciens ont, pour la plupart, repassé avec succès leurs examens et pu ainsi exercer à nouveau leurs activités professionnelles d’antan. Pour achever leur recyclage, il a fallu environ quatre ans aux ingénieurs, et deux ans aux techniciens. Les revenus annuels des ingénieurs et des techniciens sont en moyenne de 35 000 dollars nets pour les premiers et de 15 à 18 000 dollars pour les seconds. Le magazine “Electronic Interprise Times“, publié à Chicago, notait au mois d’août dernier que les ingénieurs et les techniciens vietnamiens étaient moins bien rémunérés que ceux des autres minorités, dotés des mêmes diplômes.

b – Les membres des professions libérales

Leur reconversion professionnelle a été très difficile, voire dramatique, même s’ils étaient en possession de diplômes délivrés par des universités américaine. Leur spécialisation (en droit, lettres, philosophie, etc) ne correspondait pas aux besoins de la société américaine. Ils ont souvent été obligés de se résigner à un certain déclassement social.

Certains ont choisi de se reconvertir dans la profession d’assistant social, spécialité assez recherchée sur le marché du travail, dans les années 80, années de grande affluence des réfugiés aux Etats-Unis. Dans l’échantillon étudié par nous, deux professeurs de langue anglaise au niveau supérieur ont eu la chance, à leur arrivée au Centre d’accueil des réfugiés de Pendleton en Californie, d’être recrutés comme cadres administratifs dans les services de l’Education de cet Etat. On leur a confié la responsabilité des réfugiés indochinois au sein des établissements d’enseignement secondaire.

De nombreux membres des professions enseignantes et libérales n’ont pu conserver leur ancienne activité professionnelle qu’au prix d’un considérable déclassement. Deux professeurs de l’enseignement supérieur ont dû passer par un recyclage à l’issue duquel ils n’ont pu obtenir qu’un poste d’enseignant du secondaire. D’autres, lorsqu’ils le pouvaient, se sont orientés vers le privé, où ils ont brigué des emplois dans le secrétariat, la comptabilité et certains autres services (PTT, Banques, assurances, commerce, etc). Un professeur de mathématiques de l’enseignement supérieur, malgré son âge avancé (65 ans), s’est vu dans l’obligation de suivre un stage de formation professionnelle. Il a trouvé ensuite un emploi de secrétaire de direction, avec un revenu annuel net de 12 500 dollars. Deux professeurs de droit n’ont pu obtenir l’équivalence de leurs diplômes. Bien plus, compte tenu de leur âge, ils ont renoncé à se reconvertir dans une autre branche professionnelle. Ils ont préféré percevoir les aides sociales versées aux réfugiés.

Quoique bien moins rémunéré que le secteur privé, le fonctionnariat a attiré particulièrement les Vietnamiens, en raison de la sécurité relative de l’emploi: 20 % des chefs de famille de notre échantillon travaillent dans le secteur public contre 80 % dans le secteur privé.

C – Les réfugiés appartenant aux autres catégories socio-professionnelles

Contrairement aux premières vagues des réfugiés qui, pour plus de 80 %, étaient des membres des classes aisées de l’ancien Sud-Vietnam, les Vietnamiens arrivés aux Etats-Unis après 1978 n’avaient aucune ressource. La plupart d’entre eux étaient issus de familles modestes (petits commerçants, petits fonctionnaires, militaires, ouvriers, travailleurs manuels, paysans, pécheurs, etc). Très peu d’entre eux parlaient anglais ou français. Ils ont eu beaucoup d’efforts à accomplir.

Leur reconversion professionnelle a suivi un itinéraire assez semblable pour tous, bien connu des spécialistes de la migration. Pour la survie de tous, les chefs de famille ont dû accepter des postes vacants: veilleurs de nuit, gardiens d’entrepôt, agents de sécurité, coursiers, etc. Leur faible revenu a été compensé par les allocations familiales, les aides sociales. Comme c’était le cas le plus général au Sud-Vietnam dans les masses populaires, les familles sont nombreuses. 57 % des familles de notre échantillon ont plus de trois enfants. La plupart du temps, ce ne fut pas là un handicap. Dans les premiers temps, tous vivaient sous un même toit et les enfants d’âge actif ont aussi travaillé. Les salaires mis en commun et gérés par le chef de famille ont été utilisés pour les dépenses quotidiennes et l’achat d’une maison ou d’un appartement.

L’époque de survie dépassée, grâce à la stabilité financière rapidement acquise, le chef de famille a pu suivre un cours de perfectionnement en anglais et, bientôt, une formation professionnelle. Deux ou trois ans plus tard, il sera devenu ouvrier spécialisé ou technicien. Sa situation n’a ainsi cessé de se consolider. Au départ, son salaire se situait entre 4,5 dollars et 5,5 dollars de l’heure. Il aura presque doublé dix années plus tard. Avec les heures supplémentaires, les revenus mensuels pourront atteindre 10 000 dollars, ce qui suffit à peine pour une famille nombreuse. Il existe aussi quelques cas exceptionnels, où le chef de famille a deux emplois : ouvrier spécialisé dans la journée, il loue ses services dans la soirée à des entreprises de nettoyage de bureau, par exemple. Cependant, contrairement à ce qui était le cas la plupart du temps au Vietnam, il n’est pas rare que la conjointe se soit, elle même, mise sur le marché du travail. Seules 19 % des familles de notre échantillon ne bénéficient que d’un seul salaire. 81,7 % d’entre elles vivent grâce aux ressources de deux salaires. Les femmes vietnamiennes, pour 46 % d’entre elles, travaillent dans le secteur des services; 54 % dans les industries légères de transformation. Très peu sont cadres ou techniciennes. Beaucoup ont été attirées dans les industries de pointe, implantées dans la “Silicon Valley” et à Houston dans le Texas.

Ainsi, grâce à ce double salaire, bon nombre de familles, dont la situation était très modeste au Vietnam, ont pu aux Etats-Unis rejoindre la classe moyenne inférieure des familles américaines, dont le revenu moyen est environ de 45 000 dollars.

d – Le cas particulier des pêcheurs

La pêche maritime est une profession exercée avec succès par les réfugiés vietnamiens aux Etats-Unis. On peut trouver les pêcheurs vietnamiens disséminés le long de la côte californienne, dans la baie de San Francisco au Nord et à Santa Barbara au sud (non loin de Los Angeles). Ils exercent aussi leurs talents dans les villes portuaires du Texas (Glaveston, Freeport, Rockeport, etc). Dans tous ces lieux, ils se sont regroupés en communautés villageoises.

Anciens pêcheurs des plaines côtières du centre-Vietnam et du delta du Mékong, ils avaient quitté leur pays, quelquefois sur leurs propres embarcations de pêche. Ils se sont rapidement intégrés à l’économie des villes portuaires de pêche. Souvent à l’initiative de prêtres, des villages de pêcheurs se sont créés dans le Texas, villages qui ont reproduit les structures de la commune vietnamienne et prolongé ses traditions. Sur des terrains concédés par les autorités locales, des églises ont été bâties grâce aux cotisations des fidèles, où l’on célèbre le culte en langue vietnamienne.

II – Les caractéristiques de la reconversion professionnelle des réfugiés vietnamiens

1 – La mobilité professionnelle des réfugiés vietnamiens

Le changement fréquent d’emploi est une des caractéristiques essentielles de la reconversion professionnelle des réfugiés vietnamiens aux Etats-Unis. Près de 50 % des chefs de famille de notre échantillon ont changé d’emploi au moins une ou deux fois, voire davantage, avant de devenir titulaires d’un poste stable. Les causes de ce changement d’emploi ont été multiples : difficultés des entreprises nécessitant la compression du personnel, faillites se traduisant par des licenciements économiques, délocalisation des entreprises à l’étranger ou vers d’autres Etats de l’Union, et surtout, le manque de formation professionnelle des travailleurs vietnamiens. Il est arrivé aussi que, lourdement endettés par l’achat d’une résidence principale, les travailleurs ont craint de voir leurs biens immobiliers mis en vente aux enchères en cas d’insolvabilité. Pour plus de sécurité, au moment opportun, ils n’ont pas hésité à choisir un stage de perfectionnement qui leur a permis de trouver un emploi plus rémunérateur. D’autres, poussés par l’esprit d’aventure, ont tenté leur chance dans de nouvelles professions pour améliorer leur existence. Bien souvent, leur courage a été récompensé et leur réussite a étonné l’opinion américaine. Le journaliste David Whitman et Nathan Caplan, professeur de l’université du Michigan, se sont inclinés devant ces efforts et ont qualifié la communauté vietnamienne de minorité modèle en Amérique, “America’s model minority“.

2 – Des exemples de réussite dans la reconversion professionnelle

Dans la liste des millionnaires cités par la presse américaine, nationale ou régionale, il n’est pas rare aujourd’hui de voir figurer des noms vietnamiens. Nous avons pu rencontrer deux d’entre eux, bien connus de la communauté vietnamienne.

L’un des deux est aujourd’hui chef d’entreprise à San Jose. Ancien entrepreneur, il avait collaboré avec des sociétés américaines de construction pendant la deuxième guerre du Vietnam. Etabli à San Jose après la chute de Saigon en 1975, il exerça d’abord le métier d’employé de banque. Dix années de travail acharné de 1975 à 1985 lui permirent d’économiser la somme de 200 000 dollars. Il décida alors de changer de profession et devint propriétaire d’une station service, dont il confia bientôt la gérance à son épouse. Lui-même fut embauché par une entreprise américaine, spécialisée dans l’entretien et le maintien de l’hygiène des bases militaires de San Francisco. Ayant acquis une certaine expérience, il créa lui-même sa propre entreprise. Son chiffre d’affaires pour l’exercice 1996-1997 s’est élevé à 20 millions de dollars. Il emploie aujourd’hui 400 personnes (essentiellement des noirs américains et des immigrés mexicains).

Le second s’est enrichi dans le commerce et est aujourd’hui propriétaire de plusieurs supermarchés et immeubles dans la banlieue de Houston. Ancien professeur de lettres, il s’est établi à Chicago en 1975. Grâce au soutien de son sponsor et aux bourses de l’Etat, à l’âge de 30 ans, il refait ses études. Diplômé dans l’ingénierie mécanique où il obtient son premier poste avec un revenu annuel de 40 000 dollars, il décide bientôt de se lancer dans le commerce. Il s’installe à Houston, durement touché par la crise économique. Il crée un premier supermarché dans un quartier populaire fréquenté par des noirs américains et des immigrés mexicains. Grâce à des affaires florissantes, il ouvre un second commerce du même genre. Il a ensuite réinvesti ses bénéfices dans des immeubles rachetés à vil prix, transformés ensuite en bureaux et loués aux entreprises.

III – Les conditions de vie et l’intégration de la communauté vietnamienne aux Etats-Unis

Après un début difficile, la situation financière de l’ensemble des familles vietnamiennes s’est stabilisée puis, pendant les dix années qui ont suivi leur arrivée aux Etats-Unis, s’est améliorée progressivement. Elles présentent aujourd’hui des caractéristiques économiques qui apparaissent dans les statistiques relevées par le Bureau de recensement américain et que nous regroupons ci-dessous.

1 – Caractéristiques économiques des réfugiés vietnamiens

– Sur un total de 230 347 familles vietnamiennes, 729 142 personnes sont d’âge actif (plus de 16 ans). 60 % travaillent effectivement. Il faut noter aussi que 51 % des femmes d’âge actif exercent effectivement un métier.

– Les revenus des réfugiés vietnamiens se répartissent selon des niveaux différents, depuis le seuil de pauvreté, jusqu’aux grandes fortunes.

– 19 % d’entre eux ont un revenu annuel inférieur à 10 000 dollars, c’est à dire aux environs du seuil de pauvreté qui est fixé à 11 500 dollars pour une famille de 4 personnes. Cependant grâce à diverses allocations familiales, aux aides sociales, les familles arrivent à vivre à peu près correctement.

– 44 % possèdent un revenu allant de 10 000 dollars à 35 000 dollars par an, ce qui est suffisant pour assurer une vie décente.

– Le revenu annuel de 34 % d’entre eux se situe entre 35 000 dollars et 100 000 dollars. Ces familles appartiennent à la classe moyenne américaine.

– Enfin, 3 % des familles appartiennent à la classe supérieure avec un revenu annuel de plus de 100 000 dollars.

2 – Intégration dans la société américaine

– En fonction du niveau de leurs ressources, le familles vietnamiennes ont des comportements différents. Cela est particulièrement remarquable en ce qui concerne la résidence, dont très souvent elles sont propriétaires. En 1980, cinq ans seulement après le commencement de l’exode, 56 % des familles vietnamiennes étaient propriétaires de leur maison. Les familles à hauts revenus se fixent généralement dans les quartiers résidentiels de la classe moyenne américaine, à l’écart de la communauté vietnamienne. Ces familles vivent dispersées et s’intègrent à l’intérieur de la société américaine. Il n’en est pas de même des familles à revenus modestes, arrivées souvent après 1978. Elles vivent regroupées à l’intérieur des communautés vietnamiennes en circuit fermé. Les familles se rencontrent souvent en fin de semaine, dans des activités communautaires (messes, fêtes traditionnelles du Vietnam, séances de sport, cours de vietnamien, etc). Elles entretiennent peu de contacts avec la société américaine de souche.

– L’évolution et l’intégration des enfants à l’intérieur de la société américaine sont, elles aussi, en partie déterminés par la situation économique des familles dont ils sont issus. Les enfants élevés à l’intérieur de familles de niveau aisé, ou de parents intellectuels, de par leur écart de la communauté vietnamienne, sont éloignés de la culture populaire vietnamienne et s’expriment difficilement dans la langue maternelle de leurs parents. Ceux-ci sont bien souvent, tous les deux, pris par leurs occupations professionnelles. Les enfants en contact pendant la journée avec leurs nourrices ou leurs enseignants n’ont pas l’occasion de pratiquer le vietnamien. A la maison, les conversations entre les enfants sont en anglais. Il arrive même que les parents soucieux de la réussite scolaire de leurs enfants favorisent l’usage de l’anglais à la maison. La situation est tout à fait différente dans les familles modestes. Les parents n’ayant qu’une faible connaissance de l’anglais, la langue de communication à l’intérieur de la famille ne peut être que le vietnamien. Plus que dans les familles aisées, il sont imprégnés, quelquefois sommairement, de divers éléments de la culture et du comportement moral vietnamiens.

– Malgré cette différenciation en fonction du milieu familial, l’intégration des jeunes à la société américaine est très rapide dès qu’ils ont dépassé l’âge de la scolarité. Ils pratiquent de moins en moins leur langue maternelle. D’après nos enquêtes, 50 % des enfants parlent moyennement ou sommairement le vietnamien. Mais 80 % ne savent pas l’écrire. Cette acculturation provoque une certaine inquiétude aussi bien dans les milieux vietnamiens aisés que dans les milieux populaires, où le souci de garder vivantes les coutumes vietnamiennes est peut-être plus vif qu’ailleurs.

– C’est en grande partie pour préserver l’identité culturelle de leurs enfants que les parents ont créé des associations culturelles, fort encouragées par le gouvernement fédéral ainsi que par les autorités locales, toutes prêtes à leur accorder des subventions financières importantes (plus d’un million de dollars par an, pour certaines associations vietnamiennes à Orage-Country et à Chicago, par exemple), des locaux comprenant des bibliothèques, des classes pour l’enseignement de la langue et de la civilisation vietnamiennes. Malgré ces moyens importants, les activités de ce type sont peu importantes, à l’heure actuelle. Beaucoup de projets envisageant la création de maisons de retraite, de centres médico-sociaux pour les personnes âgées, etc, n’ont pour le moment pas vu un début de réalisation.

– Pourtant le gouvernement américain semble favoriser toutes les activités et institutions pouvant aider les immigrés à préserver leurs coutumes, leur langue, leur civilisation. Il semble que les autorités des Etats-Unis préfèrent une politique dite du “melting-pot” (mélange des races) à une politique dite de brassage des différentes ethnies. Mais cette attitude qui tend à donner le droit à chaque minorité de sauvegarder son identité ne comporte pas que des avantages. Les contacts entre Américains de souche et minorités n’ont lieu qu’à l’occasion du travail. Il arrive qu’à certains endroits, les immigrés se retranchent à l’intérieur de leur communauté.

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