Eglises d'Asie

LE VIETNAM FACE A LA CRISE FINANCIERE ASIATIQUE

Publié le 18/03/2010




I – Introduction

La crise monétaire s’est déclarée en Thaïlande au mois de juillet 1997. Elle s’est rapidement étendue à l’Asie du sud-est, puis au reste de l’Asie-Pacifique, provoquant une forte dévaluation des devises des pays de l’Asean et de l’Asie orientale, surtout en Corée du Sud. En 4 mois (du 1-9-1997 au 7-1-1998) (1), le baht thaïlandais a perdu 53% de sa valeur (par rapport au dollar américain), le ringgit malaisien 45%, la roupie indonésienne 71%, le peso philippin 38%, le dollar singapourien 18%, etc. La crise monétaire s’est transformée en une crise de confiance généralisée. Partout en Asie, les cours des bourses ont plongé inexorablement. En 1997, l’indice boursier a chuté de 35% en Thaïlande, 52% en Malaisie, 46% en Indonésie, 38% aux Philippines et 31% à Singapour. Surendettées et insolvables, bon nombre d’entreprises ont déposé leur bilan. La crise monétaire est devenue boursière. Elle a secoué le monde financier asiatique.

Le Vietnam, également emporté dans cette tempête monétaire sans précédent en Asie, a sous-estimé l’ampleur de ce désastre. N’ayant pas encore de marché boursier, sa monnaie, le dông non convertible, est restée relativement stable, la Banque centrale déterminant son taux, chaque jour. Se croyant à l’abri, Hanoï n’a pris aucune mesure pour éviter la crise (jugée “inévitable” par les banquiers étrangers), et l’écart entre le taux officiel du dông et celui du marché noir n’a cessé de se creuser. C’est en octobre 1997 que la crise s’est brusquement aggravée. La dépréciation du dông a fini par éclater, obligeant alors les autorités vietnamiennes à adopter des mesures pour la juguler.

II – Les principales mesures anti-inflationnistes

Pour enrayer la chute du dông, de très importantes décisions ont été prises:

1( – La dévaluation du dông : elle a eu lieu à la mi-octobre 1997 : pour redonner confiance aux populations et rassurer le monde des affaires, la Banque centrale vietnamienne a annoncé les premières mesures d’urgence anti-inflationnistes:

– Elle a décrété le rachat de 175 millions de dollars dont 75 millions ont été vendus aux banques ayant des besoins de paiement, sans toucher aux réserves en devises étrangères.

– Simultanément, elle a procédé à une dévaluation du dông. Celui-ci a été autorisé à fluctuer dans une marge de 5% de part et d’autre du taux officiel fixé à 11.175 dông pour un dollar américain, sur le marché interbancaire des devises. Les transactions ne sont plus effectuées qu’entre les banques étrangères.

– Les banques publiques se portent garantes de la vente suffisante de devises aux entreprises, dont les lettres de crédit arrivent à échéance.

A l’annonce de ces trois mesures, le prix du dollar sur le marché noir a fléchi. De 13 300 dông à la mi-octobre 1997, il est passé au dessous de la barre de 13 000, à la fin du même mois. Bien plus, à l’approche du jour de l’an, les Vietnamiens vivant à l’étranger sont revenus massivement au Vietnam (environ 80 000 personnes en janvier 1998), inondant le pays de devises étrangères. Cela s’est traduit par une baisse d’intensité de “la fièvre du dollar”. Cependant, les pressions inflationnistes n’ont pas été repoussées, loin de là.

2( – Pressions inflationnistes persistantes et nouvelles mesures adoptées : jusqu’alors, Hanoï s’était contenté de résister à la pression du marché, préférant écarter une nouvelle dévaluation du dông, qui aurait risqué d’éroder encore davantage le pouvoir d’achat des paysans et alourdir le service de la dette. Après la brève accalmie du début de l’année 1998, la dépréciation du dông a repris de plus belle, obligeant l’Etat à prendre de nouvelles mesures, pour faire face aux pressions inflationnistes.

– En vertu de la décision n° 39 (du 10-1-1998), la Banque centrale a réaffirmé la politique de contrôle des changes, celleci restant toujours en vigueur, conformément à la circulaire de décembre 1994Toute entreprise, possédant plus d’un million de dollars en réserves, doit revendre ses devises en excédent (estimées à 2,5 milliards) à la Banque d’Etat.

– Les taux d’intérêt ont été relevés pour attirer les épargnants. La Banque centrale a décidé de relever les taux d’intérêt souscrits en dông, à partir du 21-1-1998. Le taux plafond est fixé à 1,20% par mois (contre 1% la veille), pour des prêts à court terme (moins de 6 mois). Toutes les organisations financières (publiques ou privées) sont autorisées à changer les dollars contre les dôngs (les échanges restent interdits en sens inverse). Ces mesures visent à favoriser la mise en circulation du billet vert sur le marché, ainsi qu’à lutter contre les spéculations monétaires, entraînant la hausse du dollar. La politique anti-inflationniste est accompagnée de la lutte contre les contrebandes, en particulier les importations clandestines d’or et le trafic de devises sur le marché noir.

– Cependant, toutes ces décisions se sont révélées inefficaces. La Banque centrale vietnamienne a dû procéder à une nouvelle dévaluation de 5,29% du dông (mi-février 1998). Le nouveau taux est fixé à 11 800 dông pour un dollar (contre 11 175 dông la veille). Dorénavant, le dông est officiellement autorisé à fluctuer dans une marge de 10% de part et d’autre du taux officiel de 11 800 dông pour un dollar, ce qui permet aux banques de vendre le billet vert jusqu’à la limite supérieure de 12 980 dông (contre 12 293 dông auparavant). Mais la dévaluation du dông a été aussitôt qualifiée de tardive et insuffisantepar de nombreux banquiers, aussi bien pour la compétitivité que pour les investissements étrangers. Les pressions anti-inflationnistes persistantes ont forcé Hanoï à entamer d’autres réformes, qu’il avait jusqu’ici retardées, malgré les recommandations expresses des organismes financiers internationaux, bailleurs de fonds (FMI, Banque mondiale, Banque asiatique de développement, etc…).

III – Une nouvelle étape du “renouveau” économique

La première phase du “dôi moi” (renouveau), de 1986 à 1996, a comporté beaucoup de limites. Dans le rapport socio-économique lu à l’Assemblée nationale (session de novembre-décembre 1997), le premier ministre a souligné les faiblesses de l’économie vietnamienne, surtout le manque de compétitivité, la tendance à la surconsommation, la faiblesse de la structure des investissements, etcEn conséquence, de nouvelles réformes s’imposaient d’urgence, pour la relance de l’économie nationale. Selon lui, pour ce faire, le développement de l’agriculture et de la campagne dans le sens de l’industrialisation et de la modernisation serait une des grandes politiques à accomplir, etcL’Etat devrait aussi “accélérer la restructuration des entreprises publiques, ainsi que rénover et assainir le système financier et bancaire, etcLa série de décisions importantes, adoptées par le IVe plénum (VIIIe congrès) du Comité central du Parti communiste vietnamien (PCV), qui s’est tenu du 22 au 29 décembre 1997, a confirmé le début d’une deuxième étape du “renouveau” économique vietnamien.

Changement et rajeunissement de dirigeants de la plus haute instance du PCV. Conformément aux prévisions des observateurs (2), la Troïka de dirigeants septuagénaires, le secrétaire général Dô Muoi, le chef de l’Etat Lê Duc Anh et le premier ministre Vo Van Kiêt, n’ont pas terminé leur mandat. Les deux derniers ont quitté leurs fonctions en septembre 1997. Ils ont été respectivement remplacés par des technocrates, Trân Duc Luong et Phan Van Khai, tous deux sexagénaires. Trân Duc Luong est ingénieur géologue, diplômé de l’université de Hanoï, et Phan Van Khai, “vice-docteur” (équivalent au DEA) de l’école supérieure d’économie nationale de Moscou, alors que leurs prédécesseurs avaient un bas niveau d’instruction. Le secrétaire général sortant, Dô Muoi, s’est retiré trois mois après (fin-décembre 1997). Il a été remplacé par son “protégé”, le général Lê Kha Phiêu (66 ans). Celui-ci a fait des études primaires et a adhéré au PCV en juin 1949, à l’âge de 19 ans, date à laquelle il a fait son entrée dans l’Armée populaire. Durant sa carrière militaire, il a occupé diverses fonctions politiques. La formation de commissaire politique l’a fait classer dans la faction des “durs” du Parti. Il est, dit-on, “un fin stratège”. La tendance au durcissement du régime semble s’être confirmée avec la nomination d’un autre conservateur pur et dur, Pham Thê Duyêt, au poste de membre permanent du secrétariat du Bureau politique.

Continuité politique et accélération des réformes

Dans le discours de clôture du IVe plénum (29-12-1997), Lê Kha Phiêu, nouvellement élu aux fonctions de secrétaire général du PCV, a réaffirmé la poursuite du “renouveau” économique. Selon lui, il est impératif d’accélérer les réformesPour les mener à bien, on ne peut compter que sur soimême, pratiquer l’épargne, mobiliser toutes les ressources intérieures, et attirer en même temps les ressources extérieures, pour l’industrialisation et la modernisation“.

– Réformes de l’agriculture.

Malgré une décennie de “dôi moi” (renouveau) et des avancées incontestables, les paysans n’ont pas tiré profit de la prospérité rizicole, bien au contraire. Alors que le Viêtnam se place au second rang des pays exportateurs de riz du monde, avec 3,7 millions de tonnes exportées en 1997 (après la Thaïlande, 5,3 millions de t.), beaucoup d’agriculteurs sont criblés de dettes et vivent dans la pauvreté, voire dans la misère. L’Etat leur laisse une marge de bénéfice net inférieure à 40% de la récolte. Durant ces dernières années, ils ont eu des difficultés à écouler leur stock de riz. La mévente s’est traduite par l’effondrement du prix du riz bien inférieur au prix plancher fixé par l’Etat. Bien plus, détenant le monopole du commerce extérieur, les entreprises publiques d’import-export font pression sur les producteurs par l’intermédiaire des commerçants (en gros et au détail) du secteur privé. L’opération commerciale (achat, usinage et acheminement du riz) depuis le lieu de production jusqu’au port d’exportation est confiée à ces derniers. Elle leur rapporte des bénéfices importants aux dépens des paysans. A cela s’ajoutent de lourdes taxes dites “supplémentaires”, prélevées par les autorités locales. Celles-ci en subtilisent une partie. Exaspérés par les exactions des “potentats” locaux, les paysans ont fini par se révolter contre le régime, comme en témoignent les manifestations récentes dans la province de Thai Binh (située à 80 km au sud-est de Hanôï) par exemple. L’agitation populaire (avec la participation active des anciens membres du Parti, des officiers retraités, des blessés, des mutilés de guerre, etc..) a duré près de 4 mois (de juin à septembre 1997). De graves incidents (incendies, destruction des résidences, des édifices publics, séquestration des cadres corrompus, etc..) ont eu lieu dans 128 villages (3) de cette province côtière (peuplée de 2 millions d’habitants, en majorité paysanne de “souche révolutionnaire” depuis 1945). La révolte paysanne a fait tache d’huile. D’autres provinces telles que Thanh Hoa, Nghê Tinh, etc.. ont été également touchées. Pour apaiser le peuple, Hanôï a dû envoyer sur place un membre du Bureau politique, Pham Thê Duyêt, comme médiateur. Nombre de cadres du Parti, de fonctionnaires et de chefs de coopérative ont été suspendus de leurs fonctions ou mis en détention. Derrière la façade des protestations contre les abus d’autorité des “potentats” locaux, se cache un malaise profond au sein de la société rurale viêtnamienne. Les manifestants auraient voulu quitter les coopératives, et exiger le mode du faire-valoir direct des terres. Les paysans du delta du Mékong l’avaient revendiqué sans succès, lors de leurs révoltes dans les années 87-88 (4).

Fidèle au marxisme-léninisme intransigeant, Hanoï affiche toujours la ferme volonté de ne faire aucune concession sur ce dernier point (conformément à la constitution de 1992, chapitre II, articles 17 et 18). Cependant, il a assoupli sa position concernant la commercialisation de riz et d’autres produits agricoles. Dorénavant, toutes les entreprises publiques ou privées, sont autorisées, voire encouragées (avec facilité de crédit) à les exporter. La libéralisation du commerce extérieur va donc ouvrir la voie à la libre concurrence entre les différentes composantes économiques. Elle contribuera à élargir et diversifier les marchés.

C’est avec ce même objectif qu’une autre décision a été prise par le IVe plénum du Comité central du PCV, prônant “l’industrialisation de l’agriculture et de la campagne(sic). Faute d’investissement après-récoltes, les paysans ont beaucoup de difficultés à écouler leurs marchandises. En conséquence, “il est impératif“, a déclaré le secrétaire général du PCV, “de développer l’industrie agroalimentaireCelle-ci permet en outre de valoriser les produits agricoles. Une fois transformés et élaborés en produits finis, ils rapportent plus de devises que ces mêmes produits exportés à l’état brut; pour faire face à la concurrence sur le marché international, Hanoï encourage les paysans à se lancer dans la culture intensive plus poussée. Celle-ci exige des investissements supplémentaires, pour la bonification des terres (chaulage, apport massif d’engrais chimiques, travaux hydrauliques, soins adéquats, etc.). Or, les paysans manquent de moyens financiers et le crédit agricole fait défaut. Les prêts privés aux taux usuraires alourdissent leurs charges d’exploitation. De surcroît, les terres cultivées ne leur appartiennent pas. Ils sont en quelque sorte “des fermiers d’Etat”. Ils n’ont pas d’intérêt à investir, au risque de tout perdre, si Hanoï revient sur ses décisions, comme cela a été fait dans le Sud-Viêtnam, en collectivisant les terres par la force, dans les années 1978-1979 et 1983-1985.

– Réformes des entreprises industrielles

Le rapport socio-économique du premier ministre adressé à l’Assemblée nationale (le 21-11-1997) se révèle également pessimiste dans le secteur industriel. Selon lui, en raison des faiblesses accumulées dans ce domaine et des difficultés “imprévisibles” (sic) (dues surtout à la crise financière en chaîne des pays asiatiques), des réformes impératives s’imposent pour “remettre de l’ordre et élever l’efficacité et la compétitivité des entreprises publiques(sic). En effet, la mise en place d’une économie de marché entraîne la faillite d’innombrables entreprises publiques. La vétusté des machines-outils, l’incompétence et la corruption du personnel politique, administratif et technique en sont la cause. Les subventions de l’Etat, ayant été supprimées, 40% des 12 000 grandes entreprises ont fait faillite.

Sur environ 5 700 entreprises encore en activité: 3 500 sont constamment en difficultés (ainsi que les 10 000 moyennes et petites entreprises publiques gérées par les autorités régionales). Toutes ont besoin des subventions de l’Etat sous différentes formes: report de dettes ou d’impôts, consenti par le gouvernement, pendant plusieurs années consécutives. Ainsi le directeur général des impôts a fait savoir que “86% des entreprises surendettées à Chi MinhVille sont des entrepises publiques(5).

2 200 autres rapportent des bénéfices. Il s’agit surtout des industries courantes (textiles, habillement, chaussures, etc…). Elles ont mieux résisté à la concurrence, grâce à la sous-traitance pour le compte des firmes du bloc soviétique (avant 1991). Celles-ci ont fourni des matières premières et des modèles. Les produits finis ont été réexpédiés vers les pays fournisseurs. Par ailleurs, l’ouverture économique depuis 1986 a donné au Viêtnam l’opportunité d’élargir la sous-traitance vers les pays à économie libérale, grâce à une main d’oeuvre habile et bon marché: Asean, autres pays asiatiques de la région (Taïwan, Hongkong, Corée du Sud, etc..), CEE, etc.. Cependant, après une brève période de prospérité relative (1986-1993), ces industries-clés (occupant beaucoup de main d’oeuvre) ont été à leur tour exposées à la crise. Celle-ci s’est soudainement aggravée dans les années 1994-1995, en raison de la concurrence des produits étrangers, surtout chinois. Le marché intérieur a été inondé de marchandises asiatiques (en partie liées aux contrebandes). De surcroît, la Chine a décidé de dévaluer sa monnaie, le yuan, de 30% en 1994. Par le jeu de la concurrence, les firmes étrangères ont fait baisser constamment le prix de sous-traitance. De 4 dollars en 1993 par exemple, le coût de confection d’une veste a été ramené à 3 dollars en 1995, entraînant la faillite de bon nombre d’entreprises publiques et privées. La crise financière et la forte dévaluation des monnaies asiatiques ont rendu encore plus vulnérable ce secteur industriel. Il devient alors de moins en moins compétitif, entraînant la baisse de contrats de sous-traitance. Actuellement, beaucoup d’entreprises à Hô Chi Minh-Ville par exemple sont menacées de faillite. Il en est de même de l’industrie de la chaussure (250 millions de paires fabriquées en 1997 rapportant plus de 800 millions de dollars, et les “joint-ventures” se taillant la part du lion: 60%), du tourisme et autres activités de service (hôtels, restaurants, night-clubs, spectacles, transports, etc..). Le taux moyen d’occupation des hôtels de standing international est inférieur à 45%, alors que pour être rentable, il devrait atteindre 70% au moins).

Au cours de ces deux dernières années, les capitaux étrangers investis au Viêtnam ont subi une baisse inquiétante. Selon le ministère du Plan et de l’Investissement, on compte 479 projets d’investissement agréés en 1997, pour un montant de 5,5 milliards de dollars (contre 8,6 milliards en 1996, soit une régression de 30%), dont moins d’un tiers a été effectivement utilisé. Cette situation va s’aggravant, car les investisseurs (asiatiques et occidentaux) considèrent le Viêtnam comme “un pays à hauts risques”, compte tenu en plus de la crise financière persistante en Asie. Les plus grands pays investisseurs au Viêtnam tels que Singapour, Taiwan, Hongkong, Japon, Corée du Sud, etc… préfèreraient réduire les risques et rapatrier leurs capitaux, ou investir dans d’autres pays de l’Asean devenus désormais plus attrayants et plus lucratifs (Indonésie, Malaisie, Thaïlande, etc…). En effet, le code des investissements étrangers, quoiqu’amendé à deux reprises depuis sa promulgation en 1988, manque encore de clarté. Les décrets d’application sont insuffisants, ainsi que les réglementations (taux de change, rapatriement des bénéfices, régime douanier et d’assurances, protection des investissements encore aléatoire, imprécision des droits de propriété et d’usage des terres, etc..). En plus, les cadres incompétents et la bureaucratie tâtillonne sont à l’origine de la lenteur administrative et de la corruption. Ainsi les investisseurs sont méfiants. Dans une allocution prononcée devant les cadres du PCV, lors de la conférence (du 10-11-1997) concernant “le bilan de dix années d’activité de la zone économique spéciale de Tân Thuân” (en banlieue sud-est de Hô Chi Minh-Ville), l’ancien premier ministre Vo Van Kiêt s’en prend aux “potentats” et aux dirigeants corrompus. Il les met en garde contre une telle politique, qui risquerait de décourager les investisseurs étrangers et de provoquer des répercussions fâcheuses sur le plan de développement économique national.

Pour y rémédier et redonner confiance aux investisseurs étrangers face à la concurrence de plus en plus rude de ses voisins (Asean, Chine), Hanoï s’est hâté de promulguer une série de décrets d’application du code des investissements étrangers et de la loi sur l’encouragement à l’investissement local. Le décret n°10/ 1988/ND-CP (du 21-1-1998) institue des mesures favorables aux investisseurs étrangers: L’expertise de projet prioritaire est rapide, “effectuée à un guichet unique(sic) au ministère du Plan et de l’Investissement. Le délai ne dépasse pas 15 jours. D’autres mesures incitatives en faveur des industries privilégiées sont prévues : Exonération d’impôt sur le revenu pendant 4 ans (à partir du moment où l’entreprise rapporte des bénéfices) et de 50%, durant les 4 années suivantes ; Exonération de taxes sur les matières premières importées pour les industries d’exportation ; Libéralisation du commerce extérieur.

Toutes les composantes économiques sont dorénavant autorisées à créer, entre autres, des établissements d’import-export, alors qu’auparavant, ce domaine était réservé au secteur d’Etat.

– Le décret n° 7/1998/ND-CP (du 15-1-1998) concerne la loi sur l’encouragement à l’investissement local. Il se substitue à l’ancien n° 29/CP (du 12-5-1995) périmé. En voici les points essentiels:

– Droit d’usage des terres: L’Etat “confie” ou “loue” les terres aux entreprises. Dans le premier cas, elles ne paient aucun droit d’usage. Dans le second cas, elles sont exonérées des frais de location, pendant les 5 premières années, et ces frais sont réduits de 50%, durant les 5 années suivantes. Toutes les entreprises locales sont autorisées à exporter directement les produits viêtnamiens.

– Exonération de taxes concernant les machines-outils, les biens d’équipement, ainsi que les moyens de transports, les accessoires, les matières premières et autres produits (selon les cas).

– Facilité de crédits (à moyen et à long terme), etc…

Les réformes de la 2e phase du “renouveau” économique vont dans le bon sens. Les avantages fiscaux et autres mesures incitatives accordés aux investisseurs (étrangers et locaux), ainsi que la libéralisation du commerce extérieur, sont des choix judicieux. Il en est de même de la politique de développement des industries prioritaires à savoir les industries de base et d’exportation destinées à valoriser les ressources naturelles (pétrole, gaz naturel, etc..) et les produits agricoles (y compris la pêche, la pisciculture, la forêt, etc..). Leur présence devrait engendrer d’autres industries, qui leur sont liées. La libéralisation du commerce extérieur devrait aussi avoir des effets semblables. Les autres activités de service (finances, banques, assurances, transports, tourisme etc..) vont s’y greffer. Ces réformes seraient susceptibles d’élargir les débouchés d’emploi et le marché extérieur, et par voie de conséquence, de donner un second souffle à l’économie viêtnamienne. Elles pourraient ainsi résorber le chômage sans cesse en progression (estimé à 6 millons de travailleurs sans emploi ou sous-employés, soit 20% des actifs nationaux).

La création des industries de base et d’exportation exige de lourds investissements et de hautes technologies. Mais ces deux conditions font défaut. Pour contourner ces obstacles, Hanoï fait alors appel aux investisseurs étrangers pour s’allier aux entreprises publiques ou privées constituant ainsi des “joint-ventures”. Il a projeté aussi de créer une bourse des valeurs à Hô Chi Minh-Ville (ex-Saigon). Cependant, celle-ci est reportée d’année en année, et devrait en principe fonctionner fin 1998, d’après la déclaration du premier ministre devant l’Assemblée nationale (session de novembre-décembre 1997). Dans le cadre de la restructuration des entreprises publiques, la bourse permettra de faciliter la mise en oeuvre du programme gouvernemental de privatisation. Nombre d’entre elles en déficit constant devraient être vendues et cotées en bourse, la plupart se transformant alors en entreprises “mixtes”.

Cependant, l’Etat détiendra encore la majorité des actions. Quoique reconverti à l’économie de marché, Hanoï reste fidèle aux dogmes marxiste-léninistes. Il met toujours l’accent sur “la consolidationet le développement du capitalisme d’Etat,…les entreprises publiques devant assumer le rôle dirigeant dans l’économie nationale(selon les termes de la Constitution de 1992, Chap. II, art. 19). De toute évidence, ces “demi-mesures” découragent les investisseurs asiatiques et occidentaux ou locaux, si bien que depuis la crise asiatique, l’appel lancé à leur coopération dans la 2e phase du “renouveau” économique semble rester sans écho. Les “capitalistes nationaux” (les “Viêt kiêu” compris) se montrent réservés et hésitent à investir. Jusqu’à présent, les capitaux des Viêtnamiens de l’étranger investis au Viêtnam (sous différentes formes: prête-noms, fabriques et artisanat dits “familiaux”) s’avèrent modestes. Sur leurs 51 projets d’investissement agréés de 1988 à 1997, environ 25 seulement ont été réalisés pour un montant estimé à 128 millions de dollars, chiffres gonflés, paraît-il (deux-tiers investis dans le tourisme et autres secteurs de service).

N’ayant pu obtenir les résultats escomptés, Hanoï table alors sur les organismes financiers internationaux. L’ouverture économique est irréversible. En s’ouvrant à l’économie mondiale, le Viêtnam est condamné à suivre les règles de jeu, à se conformer aux exigences du FMI, de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement, de ses gros bailleurs de fonds (Japon, Formose, Corée du Sud, etc..) et de ses nouveaux partenaires de l’Asean. Ainsi la conférence des bailleurs de fonds pour le Viêtnam (tenue à Tokyo, en décembre 1997) a approuvé le nouveau programme de réformes économiques viêtnamiennes. Elle lui a octroyé un montant d’assistance de 2,4 milliards de dollars (équivalent à celui de 1996), pour réhabiliter ses infrastructures (aéroports, ports, routes, autoroutes, etc..). Cependant, comme dans le passé, le déblocage de ce fonds sera lent, en raison des procédures d’adjudication et d’ouverture de chantiers. Le Viêtnam ne pourrait utiliser la totalité de ce montant. De plus, les prêts consentis par ces bailleurs de fonds sont encore modestes, en comparaison des 20 milliards de dollars nécessaire pour réaliser les grands travaux d’infrastructures prélables au démarrage de l’économie.

Selon le directeur de l’organisation de développement industriel des Nations Unies (UNIDO), l’aide maximale, accordée par les organismes financiers internationaux, n’excéderait pas 5 milliards de dollars en l’an 2000. Selon leurs experts, le dông du Viêtnam est surévalué, d’où la nécessité de le ramener à la baisse (40% au lieu de 10%).

Pour faire face aux difficultés économiques grandissantes, Hanoï a tenté jusqu’à présent sans succès de normaliser ses relations commerciales avec les Etats-Unis, et d’obtenir la clause de la nation la plus favorisée. Pour y parvenir, la route semble encore longue et parsemée d’embûches, à moins que les dirigeants viêtnamiens fassent un grand effort, se soumettant aux conditions exigées par Washington, entre autres: libération des prisonniers politiques, liberté de croyances, multipartisme, etc…

IV. Les perspectives d’avenir de l’économie vietnamienne

La crise financière en Asie a des retombées importantes sur la politique et l’économie viêtnamiennes.

Sur le plan politique

La crise a précipité la démission des septuagénaires de la Troïka dirigeante. Une nouvelle équipe un peu plus “jeune” prend la relève et assure la continuité politique et la poursuite du “renouveau”, tracées par le Parti. Les principaux bénéficiaires des changements sont des hommes issus le l’Armée populaire et de la Sécurité. Sur 19 membres du Bureau politique remanié, on compte 6 généraux (près d’un tiers), qui assument des fonctions-clés (secrétaire général du PCV, Défense et Sécurité nationales). Le régime est sans aucun doute militaro-policier. Il se durcit face aux agitations populaires. Aucune concession n’a été faite, concernant la structure politique inchangée depuis une quarantaine d’années. Ni pluralisme, ni multipartisme, ni démocratie bourgeoise” (sic).

Sur le plan économique

Les pressions inflationnistes persistantes ont forcé Hanoï à dévaluer sa monnaie et à réviser sa politique de développement économique. Une 2e étape de réformes a été lancée. Cependant, faute de moyens techniques et financiers, l’Etat vietnamien a beaucoup de difficultés à les mettre en oeuvre. Bien plus, il se montre rigide, en raison de son système politique marxiste-léniniste. D’ailleurs, les dirigeants viêtnamiens se méfient des étrangers, des “capitalistes” et servent avant tout les intérêts du régime aux dépens des investisseurs. Leur conservatisme, leur double langage risquent d’avoir de graves conséquences sur les investisements étrangers et les crédits internationaux, clés de la relance de la 2e étape du “renouveau” économique.

En dehors du dollar singapourien le moins touché par la crise, les autres monnaies asiatiques ont perdu de 40 à plus de 50% de leur valeur par rapport au dollar américain. De toute évidence, une nouvelle dévaluation du dông paraît inévitable, sinon les produits viêtnamiens devenus trop chers manqueront de compétitivité sur les marchés mondiaux. Ses principaux partenaires commerciaux sont (6):

– Les pays asiatiques: L’Asean, la Chine, Hongkong, Formose, la Corée du Sud représentent à eux-seuls, plus de deux-tiers du chiffre d’affaires d’importation et d’exportation, dont 45% avec les voisins directs.

– Les pays d’Europe qui accueillent 16,59% des exportations contre 16% d’importations.

– Les pays d’Amérique du Nord et des Caraïbes représentant 2,29% et 3%, etc…

La concurrence des pays asiatiques oblige Hanoï à baisser les prix de ses produits et à exonérer de taxes d’exportation, bon nombre d’articles (riz, crevettes, crabes, poissons, arachides, caoutchouc naturel, charbon, etc…), ce qui se traduit par un manque à gagner de 500 millions de dollars au second semestre 1997. Malgré cela, l’économie viêtnamienne a des difficultés à trouver des débouchés. Les exportations lui ont rapporté en 1997, selon le ministère du Commerce, 8,9 milliards de dollars, “objectif à peine atteint” (sic), fixé par l’Etat à 9 milliards, chiffre gonflé, paraît-il. Le déficit de la balance commerciale a été ramené de 4 milliards en 1996 à 2,3 milliards en 1997. Parmi les produits exportés, certains sont particulièrement importants pour équilibrer la balance commerciale.

La production de pétrole brut a atteint 9,6 millions de tonnes en 1997 et représente un gain de plus d’un milliard de dollars. Cependant, le Viêtnam doit importer 7,3 millions de tonnes de pétrole raffiné, qui lui coûtent environ un milliard. Les exportations de produits textiles et de confection ont fourni 1,3 milliard de dollars, celles de chaussures, 955 millions, etc. La pêche a rapporté 760 millions de dollars. Le riz a battu son record d’exportation en 1997: 3,7 millions de tonnes d’une valeur de 850 millions de dollars (4 millons de tonnes prévus pour 1998, malgré les intempéries).

A ces principales sources de devises, il faut ajouter le charbon (3,5 millions de tonnes), le café (390 000 tonnes), les arachides (84 000 tonnes) et autres produits agricoles (thé, caoutchouc naturel, etc..). Depuis la crise, les prix de ces produits ont chuté. Le pétrole brut par exemple a baissé de 10,2 dollars/t., le riz de 41 dollars/t., le café de 162 dollars/t, le caoutchouc naturel de 348 dollars/t. D’après un haut responsable de la Société générale de caoutchouc naturel du Viêtnam, le prix du caoutchouc exporté s’est avéré trop bas (800 dollars/t), bien inférieur au prix de revient. Le tourisme du Viêtnam, une source de devises intéressantes, a subi le même sort (5% de touristes étrangers en moins, au premier trimestre 1998 par rapport à la même période de l’année précédente.

A cause d’une conjoncture morose, Hanoï a été dans l’impossibilité de réaliser les performances économiques prévues en 1997. Les données statistiques officielles, gonflées à l’extrême dans un but de propagande, n’expriment pas la réalité dramatique de l’économie viêtnamienne actuelle. Dans l’élaboration du plan socio-économique de 1998, le premier ministre a fixé des objectifs plus qu’ambitieux. Selon ses prévisions, le taux de croissance du PIB reste élevé comme l’année précédente, autour de 9% (chiffre révisé ensuite en baisse à 8,8%). Les exportations devraient progresser de 18% en valeur (au lieu de 25-26% inititialement prévus), les importations, de 17%. Le déficit de la balance commerciale serait à peu près au même niveau qu’en 1997 (2,2 milliards de dollars). Le Viêtnam est le seul pays de la région à se montrer “optimiste” et “confiant” quant à l’avenir de son économie, alors que d’après le FMI, la tempête financière en Asie est loin d’être terminée. Bien au contraire, elle continuera à se répercuter sur plusieurs pays en 1998. Les Occidentaux n’y échapperont pas. Les exportations des Etats-Unis seraient en régression, et le taux de croissance de l’Europe d’économie libérale a été révisé en baisse de 0,1%. De même, le taux de croissance des 4 pays de l’Asean (Thailande, Indonésie, Malaisie et Philippines) ne sera que de 1,7% en 1998 (soit une baisse de 3,7% par rapport à 1997), celui du Japon, de 1,1% (-2,2%) celui de la Corée du Sud, de 2,5% (-3,5%). L’année 1998 sera cruciale et pleine d’incertitude pour le Viêtnam. Pour qu’il soit à nouveau compétitif sur les marchés internationaux et attrayant aux investissements étrangers, une nouvelle dévaluation du dông semble inévitable. Les perspectives d’avenir de l’économie viêtnamienne sont assez sombres.