Eglises d'Asie

L’EGLISE DES PHILIPPINES APRES CENT ANS D’INDEPENDANCE

Publié le 18/03/2010




Pour les Philippines, 1998 marque le centenaire d’un événement historique important qui eut lieu à Kawit, une petite ville au sud de Manille dans la province de Cavite. Imaginez la ferveur et l’enthousiasme de ces héros qui crurent pouvoir proclamer fièrement leur indépendance après trois cents ans d’assujettissement à l’Espagne. Mais la liberté, quoiqu’officiellement promulguée le 12 juin 1898, fut perdue presque aussitôt en raison du traité de Paris, signé le 19 décembre suivant, d’après lequel l’Espagne cédait les îles aux Etats-Unis, sans participation aucune des philippins à cette négociation. Un tel état de choses conduisit immanquablement deux mois plus tard à de nouvelles hostilités, cette fois entre Philippins et Américains, et par la suite, à une nouvelle domination d’une autre puissance étrangère. Mais les 300 ans d’évangélisation qui suivirent la conquête espagnole était un héritage qui perdure encore aujourd’hui dans le seul pays catholique de l’Asie.

La célébration de ce centenaire en ce mois de juin évoque la période d’avant 1898, moment où l’histoire forgeait notre identité en tant que peuple et où différentes régions et groupes ethniques luttaient pour se libérer. Elle nous remet aussi en mémoire la période d’après 1898, lorsque les Philippins devenaient les sujets d’une expérience américaine pour l’établissement d’une “démocratie” et connaissaient les dévastations consécutives à deux guerre mondiales et finalement obtenaient leur indépendance en 1946. Nous sommes vraiment une nation et un peuple qui se sont relevés des ruines de la guerre et se sont éveillés après plusieurs siècles de lutte pour l’indépendance.

La rupture historique avec l’Espagne a placé l’Eglise à un niveau de développement différennt. En effet, sous l’autorité américaine, le domaine de l’Etat se définissant de façon différente, le principe de “séparation des pouvoirs” fut introduit dans la vie politique des Philippines. Les rapports de l’Eglise et l’Etat entraient dans une période expériementale marquée au début par des tensions. Mais ils se développèrent peu à peu sans que soient confondues les sphères de juridiction. Les deux parties appprirent à harmoniser pragmatisme et transcendance, valeurs transitoires et valeurs absolues (1).

Eglise et Etat ont dû, chacun pour leur part, mûrir et apprendre à respecter l’identité propre de l’autre. C’est un très long processus d’apprentissage pour un peuple souverain que de comprendre la politique d’une vraie démocratie. Il en est de même pour les enfants de Dieu lorsqu’il leur faut discerner ce qui peut les aider à réaliser leur vocation sans pour autant se soumetre au bras séculier. L’une et l’autre doivent aussi lutter pour découvrir l’unité et la synthèse sociale la plus élevée, capables de promouvoir la paix et l’ordre et d’entretenir l’espérance au coeur des philippins.

Dans cette perspective qui est celle de l’Eglise de Philippines, le 12 juin 1898 n’était pas seulement un événement politique et social. C’était, comme l’a rappelé le Pape au symposium sur l’évangélisation de l’Amérique, un événement qui s’est transformé en un moment de salut, un “kairos”. Pour nous, la célébration du centenaire de l’indépendance des Philippines, c’est cela, un temps de réflexion en Eglise dans le cadre de la Lettre apostolique du Saint-Père de 1994 Tertio millenio adveniente(L’arrivée du troisième millénaire) une réflexion propre à l’Eglise universelle sur l’histoire de l’homme.

Nous pouvons réellement dire que nous sommes partie prenante de l’Eglise de l’espérance parce que nous nous souvenons de ces 100 ans, témoins que nous sommes d’une Eglise philippine se relevant du désarroi, de l’isolement et de la marginalisation pour devenir un instrument d’intégration et de régénération des énergies et de l’esprit créatif de notre peuple.

Mais le combat continue. En 1991 le second Concile plénier des Philippines à Manille proclamait son intention de redéfinir l’Eglise des Philippines comme une église des pauvres s’efforçant de redevenir communauté de disciples du Seigneur.

L’appel du Concile a été répercuté dans les assemblées pastorales diocésaines, influençant le style de vie des prêtres et des religieuses et éclairant les activités apostoliques des laïcs. Son projet national de pastorale est devenu le guide pratique pour la mise en place de programmes pastoraux dans beaucoup de diocèses.

Aujourd’hui la communauté des croyants philippins entre dans un nouveau millénaire marqué par une économie dominante excluant un nombre grandissant de pauvres de la protection sociale comme d’une participation significative à l’économie. Ce qui signifie que l’Eglise des Philippines va se trouver confrontée à plus de pauvreté tant chez elle que chez nombre de ses voisins asiatiques. Cette volonté d’être une Eglise de pauvres va être sévèrement mise à l’épreuve au cours du siècle à venir.

L’Eglise, longtemps Eglise qui reçoitva devoir vraiment devenir une Eglise qui envoiePour être vraiment l’Eglise des pauvres, l’Eglise des Philippines devra regarder au-delà des frontières et voir comment elle pourra se mettre au service des pauvres dans les autres pays. Pour devenir une véritable communauté de disciples du Seigneur, elle devra prendre au sérieux le commandement du Christ de proclamer la Bonne Nouvelle jusqu’aux extrémités de la terre.

Une des leçons de notre histoire est qu’une Eglise locale pour réaliser sa vocation universelle doit entrer en dialogue avec les cultures de ses voisins et avec les autres religions traditionnelles d’Asie. C’est par ce dialogue réalisé dans l’humilité et le respect que des peuples de différentes croyances sont appelés à travailler ensemble pour un monde plus humain, plus juste et plus pacifique. Un dialogue ouvert aux autres cultures et aux autres religions deviendra le point de départ d’une expérience nouvelle pour la construction d’une communauté de foi philippine qui ne se limitera pas à la seule Eglise locale mais s’étendra à tous.

Le centenaire philippin célèbre l’histoire d’un peuple engagé dans une longue lutte en partie pour la survie de la nation mais aussi pour la réalisation d’un rêve, un rêve que les Philippins partagent avec le hommes et les femmes du monde entier, le rêve de la liberté, une liberté permettant de construire sa vie selon ses propres traditions, d’échapper à toutes les violations des droits de l’homme et de servir son Dieu. Et puisque la liberté possède une logique interne, ordonnée à la vérité – la vérité liée à la dignité de toute personne humaine – les Philippines recherchent cette liberté qui, durant des siècles, a été liée à l’Eglise dont le fondateur, Jésus Christ, est Seigneur de la Liberté et de la Vérité.