Eglises d'Asie

EXHORTATION PASTORALE SUR L’ECONOMIE NATIONALE

Publié le 18/03/2010




Introduction

1. Pour préparer le deux millième anniversaire de la naissance de Notre Seigneur, nous, évêques des Philippines, avons publié l’année dernière (1997) une exhortation pastorale sur la politique dans notre pays. Cette lettre se voulait être une aide en vue d’un renouveau politique, cette politique dont l’exercice s’est tellement dégradé que la politique est devenue la cause de beaucoup de nos problèmes comme peuple et comme nation.

2. En cette année 1998, nous voulons réfléchir à nos problèmes économiques. Nous connaissons les différentes et contradictoires analyses économiques des experts. Certains en donnent une image positive, d’autres non. Nous voulons réfléchir aux mêmes réalités mais sous un autre angle.

3. En tant qu’évêques, notre propos est d’utiliser la lumière de notre foi chrétienne et la doctrine sociale de l’Eglise pour nous éclairer, réfléchir à ces réalités économiques et les regarder, si possible, du point de vue des pauvres. Les contacts étroits que nous avons avec eux nous confirment que ce sont eux qui, les premiers, ont à souffrir le plus du développement économique actuel. Notre dessein sera plus moral qu’économique, plus pastoral que théorique.

4. Cette réflexion à la lumière de la foi chrétienne est absolument nécessaire. Le problème économique est un

problème humain. Il est aussi par conséquent un problème d’éthique qui touche à la vie morale et religieuse des gens. S’il s’agit de travailler pour le bien commun, l’économie doit être gouvernée par une morale personnelle et sociale.

5. Avec la chutte du peso il y a un an, l’angoisse a gagné le pays, d’autant plus qu’il n’y a pas eu de débat public sérieux sur l’enjeu des dernières élections, le climat social difficile et les incertitudes économiques auxquelles doivent faire face nos nouveaux élus. Néanmoins, une nouvelle administration et le centenaire de l’indépendance des Philippines devraient nous donner l’espérance d’un nouveau commencement.

6. Cette espérance se trouve renforcée par la perspective du grand Jubilé de l’entrée du Fils de Dieu dans notre histoire. Un Jubilé qui rappelle la pratique des Hébreux où, tous les 50 ans, les esclaves étaient libérés et les terres rendues à leurs propriétaires d’origine (Lévitique 25:8-17).

7. Ainsi, la crise économique actuelle offre-t-elle l’occasion d’approfondir à nouveau notre réflexion, d’abandonner nos certitudes et de retourner à l’essentiel, particulièrement aux principes de la morale. Trop souvent dans le passé, dans une nation et une économie en crise, les efforts n’étaient que de nature purement politique et économique : il s’agissait seulement de remettre l’économie sur les rails. Il est temps de se demander si les rails ne sont pas eux-mêmes mal posées et ne conduisent pas dans une fausse direction.

I – LA SITUATION ECONOMIQUE

La crise économique asiatique

8. Commençons notre réflexion par la crise économique asiatique, l’arrière-plan d’où se laisse mieux voir l’économie de notre pays. La tourmente économique qui a balayé l’Asie de l’est et l’Asie du sud-est en 1997-1998 a soulevé bien des questions quant à l’économie asiatique et particulièrement la nôtre. La question morale n’est pas la moindre de ces questions. Commençons par l’analyse qu’en donnent d’estimés experts économiques.

9. Au début, beaucoup de spécialistes expliquaient que la crise de 1997-1998 ne concernait que le secteur financier. Pourtant, il est apparu que la crise du crédit affectait toutes les entreprises, qu’elles soient endettées ou non. De plus, derrière cette crise financière, précipitée par la faiblesse de la monnaie thaïlandaise de juillet 1997 et conduisant à des attaques contre les autres monnaies de la région, se trouvait un système bancaire malsain, incapable d’organiser un apport massif de capitaux étrangers au moment même où les économies se libéralisaient.

10. Un certain nombre de riches individus et sociétés continuèrent à emprunter et à dépenser beaucoup en habitations et en biens durables de consommation, renchérissant sur la valeur des terrains en particulier, de façon tout à fait irréaliste. Comme la crise s’étendait à la Malaisie et à l’Indonésie, avec des signes avant-coureurs sérieux au Japon et en Corée du Sud, bien des investisseurs commencèrent à s’inquiéter d’une possible faillite des principales banques et des autres institutions financières. Ils cédèrent à leur nervosité et retirèrent leurs investissements en dollars. La valeur des monnaies locales s’effondra et la part des dettes étrangères comme le prix des matières premières importées devinrent prohibitifs. Aujourd’hui, la récession économique du Japon est là avec la perspective accrue d’un impact négatif sur le reste de l’Asie.

11. Ce qui est vraiment troublant, c’est de savoir que les signes du ralentissement économique étaient déjà visibles dans toute l’Asie de l’est depuis 1996. Rétrospectivement, l’arrivée de la crise n’est pas une surprise mais son impact sur les pauvres est disproportionné. C’est ici que réside l’aspect moral majeur de la crise économique. Même si les aspects purement financiers étaient résolus, c’est ici que le coût humain de la crise devra être supporté par beaucoup : chômage, baisse des revenus des ménages et diminution du financement des services publics.

12. Le gouvernement se doit de réfléchir sérieusement aux critiques de bien des économistes sérieux qui disent que son approche des problèmes aggrave le coût humain. Une politique monétaire sévère, disent-ils, provoque des taux d’intérêts élevés et conduit à une baisse de l’emploi. Des taux de prêts élevés prônés par la position non interventionniste de la Banque centrale, aggraveront l’endettement, poussant les sociétés à fermer leurs magasins et augmentant le chômage. L’objectif d’excédent fiscal serré ne peut que réduire les services sociaux. La “sortie” tant vantée hors du FMI (Fonds monétaire international) est symbolique, surtout quand il s’agit d’une crise qui paralyse toute l’Asie de l’est. Cependant, d’un certain côté, c’est une véritable bénédiction que les Philippines ne soient pas condamnées à subir une assistance massive de développement et des investissements de capitaux très coûteux comme la Corée, la Malaisie ou l’Indonésie.

13. Mais dans tout cela, c’est du pauvre et du marginalisé dont on s’occupe le moins. Notre économie semble ne pas avoir de visage humain. Laissez-nous réfléchir davantage, comme nous le verrons plus loin, sur le positif comme sur le négatif de notre économie.

Bilan de l’économie philippine (1)

Une période de croissance faible modérée

14. De 1992 à 1996, la crise de l’énergie fut résolue et bien des infrastructures nécessaires mises en place. La croissance économique fut soutenue et modérée entre 1993 et 1996, atteignant en moyenne 4,2 % du PNB (produit national brut) annuel. Les exportations augmentèrent annuellement de 15,4 % entre 1992 et 1996. L’inflation était inférieure à 10 % et s’orientait à la baisse. Durant cette période, le taux d’investissement augmentait et progressait. L’impôt sur le revenu par habitant était passé à 1 000$ et l’augmentation des ventes suggérait une progression de la classe moyenne. Ainsi, il semble que la politique gouvernementale avait réussi à développer l’activité industrielle et commerciale. Ceci se reflétait dans une réduction modérée du pourcentage de la population vivant au dessous du seuil de la pauvreté, de 39 à 35 % environ en 1996.

15. Pourtant il y avait même alors des points faibles dans les “principes fondamentaux et la politique”. Cette croissance de 4,2 % de moyenne du PNB était bien inférieure à la moyenne des nations en voie de développement (6,3%) durant la même période et plus encore à celle des nations asiatiques (8,6 %). Elle n’était pas suffisante pour permettre à la population de retrouver le niveau moyen de ses revenus de 1981, le plus haut de ces deux dernières décennies. Les exportations se concentraient davantage dans des secteurs de faible valeur ajoutée (matières premières et savoir faire) et se voyaient dépassées par la marée montante des importations. L’épargne, à 20,5 % du PNB, était la plus basse de tous les des pays de l’Asean dont la moyenne atteignait 30 % et plus. Le secteur industriel n’arrivait pas à décoller. Sa part dans le produit intérieur brut, était tombée d’une moyenne de 40 % entre 1980 et 1985 à 35,7 % en 1986 et la part de l’emploi de 10,9 % en 1980 à 10,2 % en 1995. De plus, les dettes extérieures à court terme du secteur privé étaient en hausse de façon dramatique, atteignant en juin 1997, 45 % du total des dettes extérieures. Enfin, la liberté d’accès des fonds étrangers dans notre système bancaire favorisa la fuite des capitaux. Rien n’a été dit sur cette fuite soutenue et rapides des capitaux. Mais nous pouvons raisonnablement présumer que ce qui s’est produit dans les autres pays d’Asie s’est aussi produit aux Philippines, aggravant encore davantage la crise économique.

16. Un rapport du Département d’Etat américain de 1998 reconnaît la disparité entre les objectifs des programmes économique gouvernementaux et leurs résultats effectifs sur la vie des peuples. Le rapport déclare: “Le gouvernement met à exécution un programme économique d’une portée considérable. ‘Philippines 2000’ pour convertir une économie agraire en une économie industrielle, un marché et un investissement attractifs. Le gouvernement a réussi en libéralisant investissements, commerce et régime des changes. Textile et électronique représentent plus de la moitié des marchandises exportées et sont complétées de façon significative par les envois des travailleurs philippins à l’étranger qui rapportaient plus de 4 milliards de dollars en 1997. Le produit intérieur brut représente approximativement 5 %. Bien que le gouvernement ait accéléré les réformes du marché, pauvreté et distribution inégale des revenus demeurent mais le ‘programme des réformes sociales’ du gouvernement a fait, cependant, quelques petits progrès. Pour une population de 70 millions de citoyens, 36 % d’entre eux environ ont des difficultés pour assumer des besoins fondamentaux comme celui de se nourrir, alors que les 20 % qui représentent les familles les plus riches reçoivent dix fois plus de revenus que les plus démunies qui, elles aussi, représentent 20 % de la population. Le revenu annuel par habitant était estimé à 1 142$ pour les premiers neuf mois de l’année 1997″ (Département d’Etat, Rapport sur les droits de l’homme pour les Philippines en 1997, 30 janvier 1998, p. 2).

17. Pendant ce temps, le gouvernement, par souci de donner la priorité à l’homme, consacrait aux besoins essentiels comme l’éducation élémentaire, l’hygiène de base et l’eau à moindre coût, 10 % du budget national entre 1987 et 1994. Ce qui ne représente que la moitié de ce que recommande le Programme pour le Développement des Nations Unis. (Rapport pour le Développement de l’Homme aux Philippines, 1997, pp.45-46). De plus, les dépenses sociales du gouvernement étaient à la fois au dessous du niveau standard international et pauvrement ciblées. Un exemple en est l’importance accordée à l’éducation au niveau de l’enseignement supérieur alors que l’éducation primaire de base est négligée. Un autre exemple en est les subventions pour soutenir le prix du riz qui sont du gaspillage et qui laissent de côté ceux qui sont le plus dans le besoin. Même les 20 provinces choisies pour appliquer le Programme des Réformes Sociales n’étaient pas les plus nécessiteuses (cf. Banque mondiale, Une stratégie pour combattre la pauvreté aux Philippines, pp. 45-46, 57).

18. Dans le même temps, on a pu voir un développement agressif en action sous la forme d’une destruction continue de notre environnement. Nos forêts ont virtuellement disparu. Et maintenant, les compagnies internationales se concentrent sur nos ressources minières. Malgré les leçons de la baie de Boac et de Calancan dans l’île de Marinduque, la loi sur l’exploitation minière de 1995 (Mining Act) facilite cette agression et ajoute une menace contre les terres ancestrales et les cultures des autochtones. La nouvelle loi sur la pêche (Fisheries Act) corrige le Code du Gouvernement Local et limite encore plus les zones favorables aux petits artisans pêcheurs tout en agrandissant les zones de grande pêche. Ces politiques renforcent ainsi la conviction générale que notre patrimoine national et notre souveraineté sont vendus à des intérêts étrangers. De plus, nous avons à évaluer l’impact du phénomène destructeur appelé El Nino.

Dettes extérieures, apports des travailleurs philippins d’outre-mer et corruption

19. Il n’y a aucun doute, un des facteurs aggravant de la crise est notre dette extérieure. Elle était en mars 1997 de 42,6 milliards $ et ne cesse d’augmenter (2). Le secteur privé est responsable de l’augmentation de cette dette, encouragé qu’il est par la libéralisation des règlements sur les emprunts à l’étranger et la politique -malavisée, comme nous l’ont expliqué des économistes -de fixer le taux nominal de change. Le service de la dette de 1,4 milliards $ durant le second quart de l’année 1997 avait augmenté de 67 %, à cause de la dévaluation du peso. Toute idée de sortir du FMI est illusoire et n’apporte que des avantages mitigés à cause de l’urgente nécessité de trouver des fonds, surtout pendant une crise économique. Ce besoin lie les mains du gouvernement quant il s’agit de politique monétaire et fiscale.

20. Au cours des années précédentes, la balance des paiements du pays enregistrait un excédent, mais cet excédent du compte courant était dû largement aux envois des travailleurs philippins d’outre-mer, aux prêts et aux investissements spéculatifs. Il est vraiment ironique que les envois des travailleurs philippins d’outre-mer, fruits du manque d’emploi au pays, puissent donner au gouvernement l’occasion de peindre en rose la situation économique. Pourtant il s’agit en fait d’un symptôme grave de la faiblesse de l’économie. Le gouvernement n’a réussi ni à créer des emplois ni à développer l’économie domestique, d’où les emprunts à l’étranger et la dépendance par rapport aux envois des travailleurs d’outre-mer. Les fluctuations de ces envois dans le contexte actuel et la possibilité de voir se perdre de tels revenus dans une Asie en crise ne sauraient, en tout cas, servir de solution permanente ou même partielle.

21. Il nous faut aussi parler du problème moral de la corruption. Il y a onze ans, nous avons déjà fait une déclaration à ce sujet. Nous appelions la corruption par son véritable nom et avions mis comme titre à notre déclaration: “Tu ne voleras point”.

22. La corruption est endémique. Elle a affaibli la croissance économique. Donnons un exemple. De vastes sommes sont parties financer des projets à buts électoraux. Sénateurs et députés, hommes et femmes, choisissent des projets souvent de priorité nationale financés par l’Etat et planifiés. Les rapports montrent que 55-56 % des fonds de développement des campagnes en 1993 et en 1994 sont allés à des “services économiques” tels que des projets de route et autres infrastructures notoirement sujettes à des pots de vin. 17 à 27 % seulement sont allés à des services sociaux directement destinés aux plus déshérités.

23. Chaque année les médias produisent une liste des services de l’Etat les plus enclins à la corruption. La liste ne semble pas changer d’année en année. Des milliards de pesos chaque année sont perdus à cause de la corruption. Ceci est particulièrement vrai quand on pense à ce terrible vice qu’est le jeu. Sous ses différentes formes, le jeu vole le pauvre et son argent durement gagné, érode les valeurs morales et corrompt les fonctionnaires du gouvernement.

24. S’ajoute aux problème de la corruption une violation flagrante par les législateurs des normes sur les conflits d’intérêts et leur appartenance à des comités qui traitent de leurs propres intérêts personnels ou familiaux. Une législation économique déformée affaiblit tout le système.

25. Le pape Jean-Paul lui-même a parlé du démon de la corruption. Il sape le développement social et politique. Il infiltre beaucoup des secteurs de la société et ignore les règles de la justice et de la vérité. “Il faut avoir du courage pour la dénoncer. Pour l’éliminer, est nécessaire, avec une détermination résolue des autorités, le soutien généreux de tous les citoyens, soutenus par une forte conscience morale. L’usage frauduleux des finances publiques pénalise surtout les pauvres qui, les premiers, sont privés des services de base essentiels à leur développement personnel” ( Message pour la Journée mondiale de la Paix, 1er janvier 1998, no.5).

Libéralisation et déréglementation

26. Ceux qui critiquent le gouvernement ont émis souvent de sérieuses objections à l’égard de l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique), du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) et du WTO (Organisation du commerce mondial). En tant qu’évêques, nous n’ignorons pas les prémisses idéologiques des différentes parties qui participent aux débats et nous avançons avec prudence. Nous ne voulons pas prendre parti sur des bases idéologiques. Nous émettons nos critiques à la lumière de notre foi.

27. De toute évidence, le gouvernement a fortement favorisé un capitalisme néo-libéral pour que les produits philippins deviennent concurrentiels “au plus haut niveau mondialNous reconnaissons, mais avec circonspection, les apports de cette libéralisation. Mais devant les disparités qui l’accompagnent, nous devons sérieusement nous poser des question sur cette hâte avec laquelle elle a été acceptée comme dogme et mise en pratique comme politique. Les Philippines, pays en développement, ont pourtant peu de prise sur les économies puissantes et leurs institutions comme le FMI (Fonds monétaire international), le WB (Banque mondial) et le WTO. L’incapacité du pays à jouer à jeu égal dans un domaine économique hautement inégal souligne l’avantage immédiat et injuste que les pays développés possèdent, spécialement dans l’agriculture. Le déséquilibre entre importations et exportations diminue les chances de voir se niveler le terrain de jeu.

28. Nous nous posons donc l’inévitable question: une avancée rapide vers l’industrialisation et l’entrée sans contrainte des promoteurs étrangers et de leurs investissements dans le pays, combinées à une libérale entrée d’énormes sommes d’argent venues des investisseurs étrangers dans notre économie en développement, n’ont-elles pas exacerbé, plus qu’aidé, la situation économique ? Nous nous interrogeons parce qu’un certain nombre d’économistes pensent que les racines de la crise économique actuelle remontent à 1992 quand la libéralisation du capital par le gouvernement a encouragé les emprunts étrangers comme autant d’afflux spéculatifs. Ils affirment que le gouvernement n’a pas différencié les types d’investissement ni choisi les lieux d’une libéralisation possible source d’opportunité de développement, protégeant en même temps les droits des déshérités ou installant des réseaux d’aide sociale. Cette politique a abouti à un traitement encore plus méprisant des pauvres.

Mondialisation

29. Libéralisation, dérégulation et privatisation sont des instruments du phénomène de la globalisation. Bien sûr, celle-ci n’est encore qu’en voie de développement. Nous en voyons maints effets bénéfiques dans le social, l’économique et le culturel. Pourtant, nous en voyons aussi les terribles conséquences sur un pays en développement et meurtri comme le nôtre. Il est vrai que la globalisation élargit “les mouvements du commerce international, des finances et de l’information en un unique marché unifié.” Ce qu’elle demande est de “libérer les marchés nationaux et mondiaux avec la certitude que le libre flux du commerce, des finances et de l’information produira les meilleurs résultats pour la croissance et le bien-être des hommesLa globalisation “est présentée comme inévitable et avec une conviction irrésistible. Depuis les beaux jours de la liberté du commerce du XIXème siècle, aucune théorie économique n’a obtenu une aussi large conviction” (UNDP HDR, United Nations Development Program, Human Development Report 1997, p.82).

30. Le Programme de développement des Nations Unies signale que les règles du commerce international ne sont pas objectives à l’égard des nations pauvres. Elles n’égalisent pas le terrain de jeu de l’économie. “L’Urugay Round n’a guère changé les choses. Les pays en voie de développement qui représentent les trois quarts des peuples du monde, n’auront droit qu’au quart ou au tiers des revenus générés – une distribution à peine équitable – et la plus grande part ira à quelques grands exportateurs en Asie et en Amérique latine” (UNDP HDR, P. 85). La circulation d’une main d’oeuvre bon marché, elle aussi, devient un produit de la globalisation. Les terribles conséquences de la mondialisation ont incité le Pape Jean-Paul II à lancer un appel pour “une mondialisation de la solidarité, une mondialisation sans marginalisation. Il s’agit d’un devoir de justice évident” (Message pour la journée mondiale de la Paix, 1998, no.3).

31. Un élargissement du flux du libre échange, les négociations et les forces libres du marché n’aboutissent pas automatiquement à une égalité de distribution ou à une qualité de croissance. Bien que l’inégalité ne soit pas inhérente à la mondialisation, les pauvres, les pays en voie de développement et les peuples démunis voient trop souvent leurs intérêts négligés dans un tel système. Par exemple : “Depuis que les investissement sont liés au transfert des technologies, d’immenses régions du monde sont exclues de cette avancée technologique” (UNDP HDR, p.84).

32. Ordinairement, les gens s’émerveillent d’une des très spectaculaires dimensions de la globalisation, à savoir la révolution de l’information. Malheureusement, l’information ne se traduit pas automatiquement en égalité de chances et de choix. L’autoroute de l’information est tout simplement hors d’atteinte du pauvre. L’éternelle question de l’inégalité demeure.

Quels modèles de développement ?

33. Le redressement économique sera lent et plus pénible qu’on ne le croit habituellement. Il ne s’agit pas seulement d’une crise monétaire et bancaire ou d’une bulle immobilière qui s’érode. Plus profondément, la situation économique actuelle qui se retrouve dans bien des régions d’Asie, suscite de sérieuses questions sur les chances de succès des modèles économiques. Déjà en 1995, la question s’était posée en Malaisie au sujet du développement prétendument “asiatique” qui avait comme élément central une croissance économique élevée continue, gérée et/ou par des fonctionnaires gouvernementaux omniprésents, financée par des emprunts étrangers et exécutée par une main d’oeuvre bon marché. Du reste, les occidentaux dénonçaient les valeurs “asiatiques” qu’ils associent aujourd’hui, avec le ‘capitalisme entre copains’, la corruption généralisée, les irrégularités bancaires et le manque de transparence.

34. Par ailleurs, le modèle dominant “occidental” insiste sur la liberté du commerce et encourage la compétition, surtout sous l’égide de la mondialisation. L’idée est de faire de meilleurs et plus grands profits que les concurrents, d’être ouvert aux investissements étrangers, de protéger les droits de propriété, de libéraliser les règlements, de privatiser les entreprises d’Etat et d’avoir un minimum d’intervention gouvernementale. Malheureusement, ce sont les pays qui se sont empressés d’adopter ce modèle qui ont le plus souffert de la crise.

35. Pourtant il est clair que les meilleurs exemples du modèle asiatique, Hongkong et Singapour, étaient les premiers du monde dans l'”Index of Economic Freedom” de 1997 publié par la fondation “Heritage”. Il existe en effet un “miracle asiatique” qui a débouché sur “les fondamentaux” : une inflation basse, de très hauts niveaux de réserves monétaires, de gros investissements dans l’éducation et une grande ouverture à la technologie étrangère. Les experts nous ont dit que les économies de l’Asie de l’est étaient un composé de valeurs asiatiques et de capitalisme et avaient remporté un succès considérable.

36. Pourtant, beaucoup d’économistes affirment que les modèles de développement, qu’ils soient occidentaux ou asiatiques, avec leurs variantes et leurs combinaisons, ont tendance à produire la même inégalité de revenus, une croissance disproportionnée à l’encontre des pauvres, une persistance de la pauvreté et des possibilités accrues de conflits sociaux. “Economie du goutte à goutte” (c’est à dire ‘du filet d’eau qui finit par toucher les plus pauvres’, NDT) est une autre appellation de la “croissance économique” qui inévitablement crée l’inégalité des revenus et des richesses. Nous n’avons pas encore vu la version qu’un certain nombre d’économistes appellent aussi “économie filtrante” d’après laquelle les fruits de la croissance économique sont partagés par tous et de façon égalitaire. Pour finir, les modèles actuels de développement sont fondés sur une vision de la société qui demeure matérialiste si ce n’est consumériste.

II – VERS UN DEVELOPPEMENT A VISAGE HUMAIN

La doctrine sociale de l’Eglise

37. Un développement économique à visage humain est-il possible ? Partir de la situation critique du pauvre comme première considération, s’assurer que les profits sont partagés équitablement par tous et supprimer les écarts économiques et les déséquilibres sociaux, une telle justice sociale est-elle vraiment réalisable ?

38. Comme évêques, nous ne pouvons pas donner de projet en réponse à cette question essentielle. Ni donner de solution techniques aux problèmes très nombreux de l’économie. Ce n’est pas notre travail. Notre devoir, c’est de donner les principes moraux nécessaires comme structure à une réflexion sur les problèmes économiques. Ces principes moraux sont issus de la doctrine sociale de l’Eglise. Ils viennent des Saintes Ecritures, des traditions religieuses de l’Eglise et de la réflexion de la théologie morale. La doctrine sociale de l’Eglise donne “des principes de réflexion, des critères de jugement et des directives pour l’action” dans l’ordre social (Paul VI, “Octogesima adveniens,” 1971; Jean-Paul II, “Sollicitudo rei socialis,” 1987, no. 8). Ils nous guident dans notre comportement moral.

39. Donc, nous voulons présenter et appliquer les principaux éléments qui guident la réflexion morale sur la situation économique.

La personne et la solidarité humaine comme centres de gravité

40. Le sujet comme but du développement est la personne humaine, dans son être individuel comme dans son être social, caractérisée par la liberté, la responsabilité et ses droits d’homme. La personne humaine est “le sujet de droits que personne de peut violer – pas plus un individu qu’un groupe, une classe, une nation ou un état” (CA, Jean-Paul II, “Centesimus annus,” no. 44). Née dans une famille et naturellement reliée à la société, la personne a besoin d’un développement personnel, de nombreux “biens communs” (paix et ordre, l’autorité de la loi, une éducation et une culture, une économie efficace, un environnement sain, etc.). Aucune famille ni individu ne peut, sans être aidé, se procurer ces biens par lui-même. La société et la communauté sont d’un grand secours, des entités subsidiaires à l’individu et à la famille et non des champs de bataille où tout le monde lutte contre tout le monde.

41. Quelles sont les implications concrètes de ce principe moral qui considère la personne humaine comme le centre de gravité du développement économique ? Dans notre situation présente, le principe sera certainement une morale de base qui dénoncera les menaces contre les personnes et les communautés telles que les exploitations minières, les barrages, les usines hydroélectriques et géothermiques et autres projets de développement. Ils sont, il faut l’admettre, destinés au bien de tous mais, dans bien des cas, l’expériences des pauvres nous apprend que ce ne sont que de belles paroles sur l’environnement, la sécurité des terrains et des habitations. Invariablement, le droit des gens à participer, ou pour le moins à être consultés quand il s’agit de décisions qui touchent à leurs maisons ou à leurs terres, – somme toute leur vie – est ignoré.

42. Par ailleurs, la solidarité est la clé de la vertu sociale, fondée sur la dignité humaine et l’interdépendance entre individus et groupes sociaux, nations incluses. C’est la réponse positive à la question posée par Caïn dans le livre de la Genèse: “Suis-je le gardien de mon frère ?” Par la solidarité, il est possible de reconnaître que celui-là est mon voisin et non seulement un “être humain avec ses propres droits et une égalité fondamentalement la même pour tousUn voisin “devient l’image vivante de Dieu le Père, il a été racheté par le sang de Jésus Christ et est placé sous l’action permanente de l’Esprit Saint” (SRS, “Sollicitudo Rei Socialis,” no. 40). La solidarité “n’est pas un sentiment de vague compassion ou une superficielle souffrance devant les malheurs de ceux qui sont proches ou lointains. Elle est au contraire, une ferme et persévérante détermination à s’engager soi-même pour le bien de tous et de chacun, parce que nous sommes tous vraiment responsables de tous” (SRS, no. 38). Le pape Jean-Paul applique cette vertu de solidarité aux relations entre individus, entre communautés et entre nations. Il l’applique aussi à la responsabilité qu’a le plus fort d’assister le plus faible.

43. Nous étendons cette solidarité responsable à la conscience. Le manque de conscience dans les processus de développement et la vie politique, signifie que les hommes et les femmes doivent vivre dans un monde inégal. La société ne fournit pas nécessairement ni spontanément des opportunités égales pour les hommes et pour les femmes de faire des choix. Le défi est de favoriser l’égalité et de partager le partenariat entre hommes et femmes comme acteurs et bénéficiaires du développement (Philippine Human Development Report 1997). Des responsabilités envers le bien commun signifie qu’hommes et femmes sont également responsables de leur développement et partagent ce partenariat solidairement entre hommes et femmes. C’est ce que nous affirmons, que le processus de développement changera de façon spectaculaire et pour le meilleur quand hommes et femmes seront également représentés et responsables du bien commun de la société.

44. Quelles sont les implications de ce principe dans notre situation présente ?

A cause du principe de solidarité, tout développement économique qui élargit plutôt qu’il ne réduit l’écart entre riches et pauvres doit être dénoncé.

Nous devons rejeter toute forme “d’impérialisme” économique et “néo-colonialiste” par lequel des nations riches et puissantes (démocratiques, socialistes ou totalitaires) ou des sociétés internationales pourraient dominer ou exploiter les économies des nations en voie de développement et les abandonner dans une sordide dépendance.

Le principe devrait appeler les différents secteurs de la société à répondre dans une action unie et solidaire à tous les maux, qu’ils soient sociaux, politiques, culturels ou économiques.

Les femmes devraient participer davantage et jouer leur rôle dans le processus économique et politique.

Option pour les pauvres

45. L’option pour les pauvres est une forme spécifique de la solidarité. Dans l’Ancien Testament, on voit bien comment Dieu aimait et défendait les pauvres. C’est encore plus manifeste dans le Nouveau Testament. avec l’exemple de Notre Seigneur Jésus-Christ qui se fit pauvre pour que nous devenions riches de sa grâce et de sa vie. Dans la compassion de Jésus pour les pauvres, dans son annonce de la Bonne Nouvelle, dans sa vie et ses actions pour les pauvres, son amour préférentiel pour eux est clairement manifesté. Il le demande à tous ses disciples. “Ce que vous faites à l’un des plus petits de mes frères, c’est à moi que vous le faites

46. Il existe de nombreuses implications concrètes de ce principe moral dans notre situation présente.

Des actions pour les victimes de la sécheresse, des typhons, des tremblements de terre et autres désatres nationaux, faire quelque chose pour les manoeuvres non-spécialisés, les illettrés, création de possibilités de travail pour les chômeurs, des investissements en direction des déshérités, même au prix de quelques sacrifices du côté des profits, des prêts plus généreux et des conditions de remboursement pour les pays et les populations pauvres, en sont quelques exemples.

Un exemple plus immédiat et concret est l’option pour les pauvres comme principe moral de gouvernement pour traiter la question d’autoriser et de fixer les augmentations du prix du pétrole et des produits de base. Ce qui signifie une réduction des profits issus des produits de base, au bénéfice des pauvres.

A la lumière des principes de la dignité de l’homme, de la solidarité humaine et de l’option pour les pauvres, nous condamnons leur marginalisation plus grande provoquée le phénomène de la mondialisation.

Dans le cas des travailleurs philippins d’outre-mer, les même principes éthiques imposent aux nations les plus prospères d’accueillir et de protéger les étrangers à la recherche de la sécurité et de moyens d’existence qu’ils ne trouvent pas dans leurs pauvres pays. Notre propre gouvernement devrait créer un système de sécurité pour faire face aux réelles menaces d’une réduction massive du travail à l’étranger. En même temps, un effort plus important devrait être fait pour réduire ou empêcher toute exploitation et abus contre les Philippins à l’étranger.

L’usage universel des biens créés et la propriété privée

47. Le premier principe de base de la propriété est cette vérité biblique que Dieu a créé la terre et ses ressources naturelles pour le bien de tous, pour être partagées équitablement et servir à tous. C’est la raison fondamentale pour laquelle le droit à la propriété privée, comme droit naturel et extension de la liberté humaine, comporte à sa base, une orientation sociale. L’Eglise enseigne qu’il s’agit-là du caractère social de la propriété, que le droit de possession n’est pas absolu mais est soumis au bien commun (GS, “Gaudium et Spes,” nos.69-71; SRS, no. 45; CA, no. 30).

48. De ce dessein commun découlent d’autres principes, comme celui de la juste distribution, de l’utilisation de la propriété productive pour le bien commun, le devoir de protéger l’environnement et l’usage responsable des ressources naturelles telles que le Seigneur nous les a données.

Actuellement aux Philippines, ces principes interdiraient certainement des situations comme celle de la concentration continue du pouvoir économique dans les mains de quelques-uns ; la présence envahissante de la pauvreté absolue, la fuite des capitaux, surtout en ces temps de crise nationale; et la législation qui sacrifie le bien de beaucoup pour sauvegarder les droits acquis de quelques uns.

Le même principe indiquerait la même orientation morale aux investissement et aux sociétés: créer du travail sur le marché local, ouvrir au public le droit de posséder des sociétés commerciales, spécialement celles qui relèvent de nos ressources naturelles et investir dans les régions rurales et déshéritées dans l’intérêt des pauvres eux-mêmes, même si les profits sont moindres.

Travail, productivité et bon rendement

49. La personne humaine a reçu de Dieu sa vocation du travail. Par le travail, la personne

partage l’activité productive de Dieu, fait de ce monde un vrai lieu habitable pour l’humanité. Par le travail, la personne vise la perfection et devient “davantage un être humain” (LE, Jean Paul II, “Laborem exercens,” no.9). Le travail comporte aujourd’hui la “capacité de prévoir ensemble les besoins des autres et les combinaisons des facteurs de productivité les mieux adaptés à satisfaire ces mêmes besoins” (CA, no.32).

50. Ce qui signifie savoir faire, technologie et habileté. De cette possession du savoir, de la technologie et du savoir-faire, dépend une bonne productivité. Les économies modernes sont basées plus sur ces facteurs que sur les ressources matérielles (3).

51. A cause précisément de la nature du travail, une nouvelle sorte de pauvreté est apparue: le manque de savoir faire, de technologie et d’habileté, y compris d’esprit d’entreprise. Ainsi que Jean-Paul II l’a observé: “C’est un fait que beaucoup de gens, peut être la majorité aujourd’hui, n’ont pas les moyens qui leur permettent de tenir leur place sur le chemin d’une vraie dignité humaine à l’intérieur d’un système de productivité dans lequel le travail est vraiment essentiel. Ils n’ont pas les moyens d’acquérir les connaissances de base qui les rendent capables d’exprimer leur créativité et de développer toutes leurs potentialités. Ils ne connaissent pas le chemin pour pénétrer le réseau du savoir et de l’intercommunication qui les rendrait capables de voir leurs qualités appréciées et utilisées. Ainsi, s’il ne sont pas exploités maintenant, ils sont largement marginalisés; le développement économique se fait sans eux. Ils sont incapables de concourir avec les articles produits par les méthodes nouvelles et qui répondent bien aux besoins auxquels ils avaient l’habitude de répondre à travers des formes d’organisation traditionnelles” (CA, no; 33).

52. Ici, il nous faut faire la lumière et dénoncer l’exploitation des enfants par le travail. Obligés par la pauvreté d’abandonner l’école, ils sont contraints d’apporter leur aide à leur famille par différentes formes de travail, dans des ateliers, dans les rues, un travail au dessus de leur âge qui les exploite, main d’oeuvre pas chère, et qui empêche leur croissance normale en tant que personnes.

53. Ces observations sur le travail, la production et la productivité ont des implications considérables quant aux priorités du développement.

Le budget de l’éducation ne devrait pas être sacrifié aux autres services. Le gouvernement doit aider les établissements privés qui donnent une bonne éducation et n’ont ni but lucratif ni ressources. Basée sur une compréhension de la réalité, l’éducation devrait insister sur le développement personnel nécessaire et approprié à la demande toujours plus grande du savoir-faire, de la technologie et de l’habileté.

D’autre part, le développement rural ne doit pas, lui non plus, être sacrifié et jouer un rôle secondaire au profit du développement industriel. Nous comptons sur un gouvernement qui, dans son projet, saura garder l’équilibre entre développement rural et industriel.

La loi sur le droit et le travail des enfants devra être améliorée et appliquée avec énergie.

Terres et réforme agraire

54. On dit souvent que la réforme agraire est la pièce maîtresse du plan gouvernemental pour le développement. Une intention louable conforme à la doctrine sociale de l’Eglise sur les terres et la réforme agraire. Alors que dans les pays industrialisés la possession du savoir, de la technologie et du savoir-faire est devenue plus importante que la terre, pour presque tous les pays en voie de développement la terre reste centrale. Malheureusement, dans bien des cas, “ceux qui cultivent sont exclus du droit de posséder et sont réduits à un état de quasi servitude” (CA, no.33).

55. Les principes fondamentaux qui régissent la terre sont des principes de portée universelle: créer des biens et avoir le droit de propriété privée, sa dimension sociale étant, bien sûr, sous-entendue. L’Eglise a vigoureusement critiqué le système à deux étages de la distribution des terres qui prévaut dans bien des pays en développement, avec un “petit nombre de grands propriétaires possesseurs de la plupart des terres arables alors que le vaste nombre des très petits possédants, locataires et colons cultivent ce qui reste, souvent de qualité inférieure” (Conseil pontifical pour la Justice et la Paix, “Vers une meilleure distribution de la terre,” Rome, 1997, no; 4; le même document analyse à la fois le dynamisme créé par la situation et son impact négatif sur les efforts de développement, nos.6-21).

56. Aux Philippines, très malheureusement, le Programme complet de réforme agraire (CARP) a été édulcoré dés le commencement, par exemple, par le maintiens des limites et des exemptions, parce que le gouvernement, dominé par les propriétaires fonciers, manquait de volonté politique pour faire passer une loi vraiment significative pour les fermiers longtemps en servage. Les récents amendements au Programme de Réforme Agraire reflètent la lenteur de mise à exécution, même édulcorée, de cette nouvelle version à cause de la résistance des propriétaires fonciers.

Les principes déjà cités nous conduisent à dénoncer la concentration des propriétés dans les mains de quelques uns comme la possession de trop vastes domaines.

Nous recommandons aussi vivement et nous appuyons une plus authentique redistribution des terres et un véritable et complet programme de réforme accompagné des nécessaire services d’aide pour les nouveau propriétaires.

Nous soutenons également tous les organismes non gouvernementaux et les groupements de fermiers qui pressent le gouvernement de mettre en route une vraie réforme agraire en accord avec la doctrine sociale de l’Eglise.

Priorité du travail sur le capital et des droits des travailleurs sur le profit

57. Le pape Jean-Paul II a souligné un des plus important enseignement de la doctrine de l’Eglise dans son Encyclique de 1981, “Laborem exercens”: “Nous devons tout d’abord rappeler le principe qui a toujours été enseigné par l’Eglise: le principe de la priorité du travail sur le capital. Ce principe concerne directement le processus de production: dans ce processus, le travail est toujours la cause efficiente alors que le capital, tout l’ensemble des moyens de production, demeurent de simples instruments, ou cause instrumentale. Ce principe est une vérité évidente qui ressort de l’ensemble de l’expérience historique de l’homme” (LE, no; 12).

58. Le capital donc, n’est qu’un instrument dans les mains de celui qui travaille. Comme instrument, il doit servir au bien commun. Cette sorte de “grande table de travail” que nous appelons capital est lui-même un produit des ressources naturelles créées par Dieu à l’usage de tous et transformées par le travail de l’homme. Le travailleur reçoit un double héritage: du créateur et des travailleurs qui l’ont précédé. Le capital est l’héritage de tous ceux qui travaillent; ainsi il n’est ni le maître du travail, ni son adversaire, mais son serviteur (cf. LE, no. 13).

59. Un corollaire nécessaire à la doctrine sociale de l’Eglise est que les moyens de production “ne peuvent pas être possédés en s’opposant au travailLe “seul titre légitime” de la propriété privée ou collective des moyens de production est “qu’ils soient au service du travail. Au service du travail, les moyens de production sont ainsi conformes au premier principe sur la destination universelle des biens et le droit à leur utilisation par tous” (LE, no. 14).

60. En conséquence, le profit maximum ne doit pas être le motif principal de l’entreprise économique. Le rôle légitime du profit est reconnu; il est un signe de la bonne santé d’une entreprise. Mais il n’en est pas le signe unique. “Il est possible que pour le compte rendu financier tout soit en ordre mais pourtant que les travailleurs – ceux qui augmentent la valeur du capital de l’entreprise – y soient humiliés et blessés dans leur dignitéEn fait, le propos de l’entreprise n’est pas seulement de faire simplement des profits mais de servir la communauté des personnes, ce qui revient à servir la société toute entière (CA, no; 35). De plus, le respect des droits objectifs des travailleurs “doit constituer le critère adéquat et fondamental pour mettre en forme l’économie toute entière” (LE, no. 17). C’est pourquoi, “dans chaque cas, un juste salaire est le moyen le plus concret de vérifier la justice d’un système socio-économique et, dans tous les cas, de vérifier que tout fonctionne correctement” (LE, no. 19).

61. A la lumière de ce qu’on vient d’écrire plus haut, de sérieuses questions se posent quant aux attitudes des entreprises vis-à-vis des syndicats du travail, des négociations collectives, du juste salaire en fonction du “salaire pour faire vivre la familledes conditions du travail et de la réduction du nombre de travailleurs. La première communauté des personnes que l’entreprise doit servir c’est celle de ses propres travailleurs, depuis ses cadres jusqu’aux ouvriers de la production. S’il en est ainsi, pourquoi le juste salaire est-il quelque chose de si sensible ? Comme les cadres de l’entreprise, les travailleurs ne sont-ils pas habilités à recevoir des salaires en proportion de leur travail accompagnés d’avantages pour ceux qui sont chargés de famille ?

62. C’est une constante dans la doctrine sociale de l’Eglise que les travailleurs partagent les bénéfices de l’entreprise où ils travaillent et qu’on leur donne des occasion d’une participation à la propriété, parce qu’ils travaillent pour l’accroissement du capital de l’entreprise. C’est pourquoi il leur faut partager les bénéfices de la société dont ils sont eux-mêmes propriétaires. La difficulté est que les étrangers avec leurs capitaux en forme d’investissement immédiat ou d’emprunts ont droit de posséder alors que les travailleurs philippins avec le travail de leurs mains et l’argent qu’ils reçoivent comme salaire sont relégués aux travaux peu payés.

A la lumière de ces principes, le travail et le capital doivent opérer solidairement pour créer une réelle “communauté de personnes” et non d’adversaires, dans la réussite de leur bien-être personnel et celle du bien commun.

Nous réitérons ce que nous avons déjà dit souvent dans le passé, qu’il y a une fondamentale et grave injustice à étouffer le droit des travailleurs à organiser eux-mêmes leurs syndicats. Par contre, les syndicats ne sauraient être simplement repliés sur eux-mêmes à défendre leur propres intérêts aux dépens du bien commun.

Nous exhortons les entreprises à consacrer une certaine part de leurs bénéfices au partage avec leur employés. Les membres de la Conférence épiscopale chargés des responsables d’entreprise ont à prendre une grande part dans l’application de la doctrine sociale de l’Eglise.

De même nos propres institutions ecclésiastiques doivent veiller à ce que les employés de l’Eglise reçoivent leur juste salaire.

Economie de marché et un certain nombre de devoirs qui incombent à l’Etat

63. Après l’effondrement du socialisme en Europe de l’Est, certains commencent à croire que le capitalisme de l’Ouest avec son système d’économie de marché en est sorti victorieux. Ce n’est pas la pensée de l’Eglise. Elle continue de parler des dangers d’une “idéologie capitaliste radicale” qui “ne se préoccupe ni de la marginalisation ni de l’exploitation des plus faibles” (CA, no;42). Le pape Jean-Paul II parle de la situation des nations en voie de développement “chez qui les règles de la toute première période du capitalisme sont encore en vigueur dans les conditions ‘d’inexorabilité’ encore plus dures qu’aux plus sombres moments de la première phase de l’industrialisation” (CA, no; 33: sur ce sujet voir, UNDP HDR 1997, p.8).

64. La vérité, c’est que les paroles du pape sur l’économie de marché sont prudentes: “Il semble qu’au niveau de chaque nation et des relations internationales, l’économie de marché soit le plus efficace des moyens pour l’utilisation des ressources et pour répondre efficacement aux besoins” (CA, no. 34). Il dit encore: “Mais il y a des besoins humains qui ne trouvent pas leur place dans l’économie de marché. C’est une absolue soif de justice et de vérité qui ne permet pas aux besoins fondamentaux de l’homme de demeurer insatisfaits ni n’autorise à périr ceux qui sont accablés par de tels besoins” (loc.cit.).

65. Quant aux insuffisances et aux limites de l’économie de marché, la doctrine sociale remet en question l’imposition d’un capitalisme neo-libéral prédominant à l’ensemble des nations du monde au nom de la mondialisation. Les nations en voie de développement comme les Philippines, n’ont pas le choix et donnent immédiatement leur accord à la libéralisation et à la déréglementation quand elles se voient affrontées à de possibles sanctions de la part des super-puissances économiques. Mais précisément dans de telles situations, le rôle de l’Etat est nécessaire. Comme le pape Jean-Paul II le souligne : le capitalisme doit être “limité par une structure juridique forte qui le mette au service de la liberté de l’homme dans sa totalité et qui le regarde comme un aspect particulier de cette liberté dont le noyau est éthique et religieux” (CA, no.45). Le pape se réfère en particulier à la marginalisation et à l’exploitation des pauvres qui proviennent d’une économie de marché sans frein.

66. Dans la situation où nous sommes, les devoirs de l’Etat sont urgents:

La garantie de la liberté individuelles et de la propriété privée aussi bien qu’une monnaie stable et que des services publiques efficaces. L’absence d’une telle stabilité comme la corruption des fonctionnaires de la fonction publique et la possibilité de profits faciles grâce à des activités illégales et purement spéculatives sont les obstacles majeurs au développement.

Soutenir l’activité industrielle et commerciale en créant de bonnes conditions d’emploi, sans pour autant trop réglementer toute la vie économique et restreindre la liberté et l’initiative.

Intervenir quand les monopoles particuliers créent des retards ou des obstacles au développement et reprendre, temporairement, les activités que le secteur privé n’est pas encore prêt à prendre complètement en main, comme le principe de subsidiarité nous y invite.

Agir avec une spéciale considération pour les pauvres en plaçant certaines limites à l’autonomie des groupes qui déterminent les conditions du travail et en garantissant dans chaque cas un soutien minimum aux chômeurs (cf. CA, no.15).

67. Les revendications aujourd’hui présentées au gouvernement pour démanteler toutes sortes de cartels, stopper l’augmentation des prix, promulguer des lois qui soient réellement destinées au bien commun, établir des filets de sécurité, créer des emplois, établir des sauvegardes pour les travailleurs philippins d’outre-mer, stabiliser la monnaie et agir contre les spéculateurs, sont des signes de la perception qu’a le public du gouvernement qui ne fait pas bien son travail quand il supervise les processus de libéralisation et de déréglementation.

Le rôle des agences internationales

68. Le rapport sur le Développement de l’homme de 1997 a indiqué que la marginalisation des pays pauvres à cause de la croissance de l’internationalisation de l’économie était une réalité. Les bénéfices économiques promis aux pauvres par la mondialisation sont réels dans bien des cas. Mais le rapport observe que la libéralisation “avait été accompagnée d’une plus grande inégalité, avec une baisse des revenus pour les plus pauvres de 20 % comme dans plusieurs pays d’Amérique latine” (UNDP HDR, p. 89). Bien plus, le rapport déclare: “Il est encore moins certain que les bénéfices de la mondialisation pour les pays pauvres soient bénéfiques aux population pauvres de ces pays” (ibid., p.87).

69. Bien que la responsabilité immédiate de prévenir les catastrophes appartienne au gouvernement, les agences internationales doivent y jouer un rôle effectif et significatif. Dans de nombreuses sphères du monde en développement, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce sont de plus en plus critiquées comme instruments d’une domination mondiale des super-puissances. Bien que ces critiques ne soient pas toutes valables, l’influence dominante de ces agences internationales, non seulement dans l’ordre économique mais aussi dans l’ordre politique, exigerait d’elles qu’elles aplanissent le terrain de jeu à l’usage de tous et garantissent l’impartialité et l’équité du règlement du jeu, avec, comme facteur de décision, le choix en faveur des pauvres. Ce n’est pas le cas actuellement. Déjà en 1991, le pape Jean-Paul II recommandait que :

les intérêts de l’ensemble de la famille humaine soient représentés au sein des agences internationales qui surveillent et dirigent l’économie en vue du bien commun.

“Aussi est-il nécessaire que dans l’évaluation des conséquences de leurs décision, ces agences aient toujours une considération suffisante pour les peuples et les pays qui ont peu de poids dans l’économie internationale mais qui sont accablés par des besoins aigus et douloureux et sont ainsi davantage dépendants d’un soutien pour leur développement” (CA, no. 58).

70. C’est à la lumière de ce qu’on vient de voir et à la lumière de la crise économique asiatique que pareillement nous avons besoin de revoir le rôle de l’ASEAN et de l’APEC, alors qu’ils influent sur les vies des pauvres.

Le rôle prophétique de l’Eglise vis-à-vis de la mondialisation

71. Le rôle de l’Eglise a toujours été d’être prophète, d’annoncer et d’exposer le message de Dieu, qui est d’abord religieux et moral, mais avec des implications profondément culturelles, politiques, sociales et économiques.

72. Quand le pape Jean-Paul II a parlé en 1991 d’une “idéologie capitaliste radicalebien qu’il ne s’inquiétât pas alors de la marginalisation ni de l’exploitation du faible, il paraît bien avoir devancé la situation actuelle du tiers monde et des Philippines.

73. La réalisation des paroles prophétiques du pape se trouve dans le Rapport sur le Développement de l’Homme de 1996 (UNDP). On y parle de “l’augmentation des sans-travail” sans nouvel espoir d’emploi ; de “l’augmentation du caractère impitoyable de la société,” bénéfique surtout aux riches; de l’“augmentation des sans-voix,” sans plus de démocratie pour autant ni de délégation de pouvoir; de l’“augmentation des déracinés” qui fait se flétrir les identités culturelles; de l’“augmentation des sans-avenir” qui détruit l’environnement. Tout ceci est tout à fait contraire à l’expérience des pays qui ont rapidement réduit le pourcentage des pauvres dans leur population en se préoccupant de leur santé et de leur formation et en organisant un type de développement qui sache utiliser leurs meilleurs atouts, c’est à dire leur travail, surtout dans les zones rurales où ils sont les plus nombreux et en réduisant en même temps l’inégalité des revenus (cf. UNDP HDR 1996, pp.6-7).

74. Cet appel prophétique de l’Eglise est: “mondialisation sans marginalisation; mondialisation dans la solidarité” (cf. Jean Paul II, Message pour la journée mondiale de la paix 1998). C’est un appel pour la défense du tiers monde fragile face à la mondialisation, apparemment non réfrénée par d’autres lois que celles du marché, attirant au nom du profit, des attaques spéculatives dévastatrices et sans scrupules à l’encontre des monnaies faibles. Avec les travailleurs philippins d’outre mer qui sont comme un élargissement à l’échelle mondiale de “l’économie de marchénous sommes, en ce moment, témoins du pouvoir incontrôlé des sociétés multinationales. On nous rapporte que chaque jour, l’ensemble des opérations sur le marché des changes se monterait à prés d’un milliard de dollars. Ceci n’a pas beaucoup de rapport avec des investissements ou des services. En fait, le marché mondial est devenu une arène pour une spéculation monétaire déraisonnable, aux effets destructeurs dont les Philippines souffrent en ce moment. Fâcheusement, le gouvernement avoue son impuissance à contrôler ces mouvements.

75. En un mot, la liberté dans le secteur économique n’est pas, selon notre expérience, “circonscrite dans une structure juridique forte qui la mette au service de la liberté des hommes dans leur totalité” (CA, no. 42). Ne sont respectés ni le principe selon lequel la propriété privée est secondaire par rapport à la vocation universelle des biens créés, ni la priorité du travail sur le capital, ni les droits du travailleur sur le profit. Encore moins considérée, la vertu de solidarité avec une préférence spéciale pour les pauvres. Le souci pour les NIC (pays nouvellement industrialisés) a fait oublier toute autre considération.

76. A un niveau plus profond, nous découvrons un problème qui semble inhérent à la mondialisation. Elle est essentiellement une idéologie économique accompagnée d’une série de pratiques et de règles qui tendent à créer une interdépendance économique globale. Pour le moment, ses orientations semblent être celles d’un capitalisme de laissez-faire, avec ce principe sous-jacent, plutôt déterministe, que les forces du marché livrées à elles-mêmes travailleront automatiquement pour le bien de l’humanité. En pratique, l’implication concrète et le résultat sont une interversion de l’ordre moral réel, la sujétion et la subordination de la personne humaine aux forces du marché et à ses objectifs. Ceci doit être dénoncé de façon prophétique à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise.

77. Ainsi l’Eglise doit-elle jouer un rôle prophétique dans l’ordre économique. L’Eglise ne doit pas ignorer le vaste potentiel de bienfait qu’une mondialisation réorientée véhicule, mais ne peut pas non plus rester aveugle sur son idéologie matérialiste sous-jacente et ses terribles conséquences sur les peuples et les cultures.

Une économie qui mette l’accent sur le souci de l’autre: un développement à visage humain

78. Pour l’Eglise, socialisme et capitalisme ne sont pas les seules alternatives. Dans la lutte contre un système économique entendu comme “une méthode pour soutenir l’absolue prédominance du capital, la possession des moyens de production et de la terre en opposition à la nature libre et personnelle du travail de l’hommel’Eglise offre la vision d’une “société de travail libre, d’entreprise et de participationUne telle société “demande que le marché soit convenablement contrôlé par les forces sociales et par l’Etat pour garantir que les besoins fondamentaux de l’ensemble de la société sont satisfaits” (CA, no. 35).

79. De l’aveu général, cette vision n’est pas du tout un modèle économique concret. C’est une simple orientation idéale exprimée dans la doctrine sociale de l’Eglise en vue de la reconstruction de l’ordre social (CA, no. 43). Nous pouvons appeler l’économie et le développement qu’une telle vision exige, une “économie qui a le souci des autres et un développement à visage humain

80. Cette vision fondée sur la doctrine sociale de l’Eglise désigne-t-elle un modèle alternatif de développement ? Certainement, puisque les actuels modèles socialiste ou capitaliste sont matérialistes. Quelques indications au sujet de cette alternative : l’accès à la propriété du capital économique et de la production devrait être divisé et ne pas rester entièrement à la merci des responsables des institutions monétaires, des gros propriétaires terriens et des politiciens. L’important, c’est d’être responsable des ressources naturelles et des moyens de production et de posséder des qualités de chef pour exercer cette responsabilité. La possession de la terre et des autres moyens de production doit être une responsabilité partagée en vue du bien commun. Cette idée n’est rien d’autre que ce que l’Eglise appelle la responsabilité d’intendant fidèle des biens que Dieu nous a confiés.

81. Cette réflexion sur un autre modèle possible a déjà été proposés par certains dans ‘l’Index du Développement de l’homme du Programme de Développement des Nations Unies’. L’essentiel est la rencontre des besoins fondamentaux et d’utiliser des mesures humaines pour mesurer la croissance. La personne humaine – sujet et but du développement – devient réellement centrale dans une telle perspective. Heureusement, des organisations non gouvernementales aux Philippines tels que le Réseau pour le Développement de l’Homme ont repensé ces modèles de développement dans la même ligne. Une autre ONG a aidé à développer une autre alternative de programme de développement, le Programme de Développement pour le XXIème siècle. De tels efforts pour “une économie qui a le souci de l’autre et un développement à visage humain” devraient être encouragés et soutenus tant par la société civile que par le gouvernement.

Le rôle prophétique du laïcat dans l’ordre économique

82. Alors que l’Eglise entière (clergé, religieux et laïcs) a mission de renouveler tous les aspects de la vie de l’homme en conformité avec l’Evangile, c’est la vocation spécifique des laïcs de renouveler l’ordre temporel, y compris l’économie. “En raison de leur vocation spéciale, il appartient aux laïcs de chercher le Royaume à travers la gérance des choses temporelles qu’ils ordonnent selon la volonté divine” (Second Concile du Vatican, “Lumen gentium,” no. 31). Ainsi ils ont à renouveler la vie économique grâce aux valeurs de l’Evangile et du Royaume de Dieu, qui sont

d’authentiques valeurs humaines, comme l’intégrité, la justice, l’équité, le service, l’option préférentielle pour les pauvres, l’intendance responsable.

83. Ils remplissent leur vocation en assumant un rôle prophétique en paroles et en actes. En paroles, en encourageant par exemple les hommes d’affaires responsables à adhérer aux principes qui veulent que les bienfaits de l’économie soient pour tous (comme ce que nous avons exposé plus haut); en action, par la pratique fidèle dans leur vie propre d’homme d’affaires, des mêmes principes, résistant courageusement aux pressions des structures économiques déséquilibrées et à leurs exigences néfastes.

84. La plupart des hommes d’affaires, hommes politiques, propriétaires terriens et autres personnes d’influence sont chrétiens, et même catholiques. Il est nécessaire que chacun de nous batte sa coulpe pour reconnaître nos propres responsabilités dans l’effondrement de notre économie et dans ce qu’elle est aujourd’hui avec toutes ses “structures d’injusticeMais nous avons la force de notre foi pour aider le renouveau, non seulement de notre propre vie économique mais aussi des structures que nous avons bâties. Encore une fois, le laïcat a l’immense tâche de conduire la société et l’Eglise dans cette mission de renouveau.

85. Nous soulignons le fait que la parole prophétique de l’Eglise en économie ne porte pas simplement sur la production économique ou l’organisation juridique ou sociale. Il s’agit de solutions faisant appel aux “valeurs morales et religieuses aussi bien qu’aux changements de mentalité, de conduite et de structures” (cf. CA, no. 60).

III – RECOMMANDATIONS POUR AFFRONTER LA SITUATION

86. L’analyse présentée en première partie indique que notre crise actuelle a ses racines dans nos institutions financières, d’où sa propagation aux autres aspects de l’économie. En même temps, cela indique que l’économie, dans son ensemble, a longtemps souffert des orientation et des politiques qui accroissaient le bien-être du riche aux dépens du pauvre.

87. Laissant les solutions techniques et la gestion de la crise financière aux experts, en tant qu’évêques, nous demandons une réorientation de la politique économique générale en faveur des démunis, en d’autres mots, nous voulons faire mieux que faire revenir l’économie dans les mêmes vieilles ornières. Malgré les défauts de notre système politique, l’expérience nous enseigne qu’il est réceptif; quand la société civile et l’opinion publique élaborent soigneusement des propositions et les présentent avec insistance, elles peuvent effectivement influencer la politique du gouvernement. Par conséquent, nous proposons quelques possibilités:

Nous rappelons un des plus importants décrets du second Conseil plénier des Philippines. Il est de la tâche de l’action sociale de “créer des programmes qui s’attaquent aux problèmes cruciaux comme la paix et l’économie, les questions agraires et l’industrialisation, l’exploitation des femmes, des mineurs, des travailleurs d’outre-mer, des enfants et des jeunes et d’intensifier les organisations de base ou les groupements officiels et les indépendants par des coopératives, des programmes créateurs d’emplois et des projets” (PCP-II, Art. 23, no.1).

Nous faciliterions les économies domestiques et augmenterions les accès au crédit en soutenant les activités de petite épargne et de petit financement des défavorisés et en les reliant aux grand