Eglises d'Asie

LETTRE DU P. CHAN TIN AU CARDINAL PHAM DINH TUNG

Publié le 18/03/2010




Vung Tau 10 juillet 1998

Au cardinal Pham Dinh Tung,

président de la Conférence épiscopale du Vietnam

Monsieur le cardinal,

Pour l’anniversaire des 49 ans de votre ordination sacerdotale qui était aussi l’anniversaire de trois d’entre nous, je vous ai téléphoné pour m’associer à votre action de grâces. Vous m’avez alors gentiment invité à venir vous voir à Hanoi. Malheureusement, je ne pourrai y aller à cause de mon enseignement aux catéchumènes et aussi à cause de mes blessures aux mains et aux pieds, non encore guéries. Je les dois à des “personnes” qui ont volontairement provoqué un accident de la circulation alors que M. Nguyên Ngoc Lan me transportait en moto vers Tân Son Nhât où nous allions assister à l’enterrement de M. Nguyên Van Trân, décédé à 84 ans, membre du parti pendant 60 ans, notre ami intime dans la lutte que nous menons pour les droits de l’homme et la liberté de la presse au Vietnam. Me voici à Vung Tau pour quelques jours. Je profite de mes loisirs pour vous faire part d’un certain nombre de questions que je me suis posées en lisant les directives du Bureau politique sur le travail religieux, parues le 2 juillet dernier (1).

En premier lieu, faisant allusion à la situation religieuse et au travail religieux, le bureau politique affirme: La croyance religieuse constitue un besoin spirituel pour une partie de la population. Le Parti et l’Etat prônent l’application d’une politique inchangée de respect de la liberté de croyance et de noncroyance du peuple

Je me permets de vous le faire remarquer: il ne s’agit pas du besoin d’une partie de la population mais de la majorité du peuple. Il n’y a qu’un petit nombre de personnes à être sans croyances religieuses. Puisqu’il s’agit d’un besoin spirituel de la majorité, le Parti et l’Etat ont le devoir d’autant plus impérieux de créer les conditions favorables au développement, par les religions, des valeurs spirituelles de la majorité. Les Eglises doivent être respectées pour qu’elles puissent subvenir à la vie spirituelle des fidèles. Or, en réalité, aujourd’hui, le Parti et l’Etat créent des difficultés aux Eglises, limitent les activités religieuses, entravent la formation des prêtres et des religieux, neutralisent les Eglises en limitant le recrutement dans les séminaires.

Pour ce qui concerne les catholiques du diocèse de Saïgon, de 1975 jusqu’à présent, il y a eu environ 250 décès de prêtres, or l’Etat n’a autorisé l’ordination que pour 150 nouveaux prêtres. Le 7 septembre 1989, j’avais écrit dans une lettre au cardinal Etchegaray : La liberté religieuse authentique implique que l’Eglise jouisse de la liberté de posséder des séminaires, de choisir, ellemême, professeurs et séminaristes. Or, aujourd’hui, l’organisation des séminaires se heurte à un certain nombre de limites: par exemple, la limitation du nombre des séminaristes, le choix des séminaristes et des professeurs, lié à l’acceptation des autorités. Actuellement, à Saïgon, il y a une classe de 50 séminaristes pour les 10 diocèses du SudVietnam. Leur formation durera 6 ans et l’on n’ouvrira pas de nouvelles classes avant que cette première classe ait achevé son cycle. Pour parler concrètement, chaque diocèse a envoyé au séminaire 5 séminaristes. On peut se demander combien il en restera dans 6 ans ! Peutêtre, y en auratil deux qui demanderont à partir ! Un autre ne sera pas ordonné parce que l’Etat n’est pas content de lui; un autre parce qu’il ne répond pas aux critères de l’Eglise. Ainsi, il n’en restera plus qu’un. Pendant ce temps, combien de prêtres du diocèse serontils morts de vieillesse, de maladie ou d’accident Voir le dossier Chân Tin : “Parler pour l’homme“, p. 27, Tin, Paris 1993) (2).

Il est significatif que depuis 1975 jusqu’en 1989, il n’y ait pas eu une seule classe de séminaire sur tout le territoire du pays. De 1989 à aujourd’hui, il y a eu quelques petits changements. Mais ils n’ont guère transformé la situation, comme en témoigne une lettre écrite par un évêque après la réunion de la Conférence épiscopale du mois d’octobre 1997: Notre Conférence épiscopale ne comporte que 33 membres. Considérés du point de vue de l’âge, ils sont vieux pour la plupart. Vus sous l’aspect de la santé, ils sont presque tous malades. La situation des prêtres n’est pas très différente car leur formation et leur ordination ont été interrompues pendant trop longtemps

Pour ce qui est des séminaires, la lettre continue: L’Eglise vietnamienne autrefois possédait des dizaines de petits et grands séminaires. Aujourd’hui, nous n’avons que six séminaires pour tout le pays, soit un total de 752 séminaristes. Les locaux sont étroits, le corps enseignant est âgé et insuffisant. Depuis longtemps, la conférence épiscopale a demandé d’ouvrir deux grands séminaires supplémentaires. Jusqu’à présent, elle ne les a pas obtenus(cité par Tin Nha, n° 31, p.13).

Monseigneur, la situation décrite par moi au cardinal Etchegaray en 1989 est demeurée sans changement. Ceux qui ne permettent pas d’ouvrir des séminaires supplémentaires pour former des prêtres et de recruter des séminaristes ont l’intention de faire mourir l’Eglise. Malgré ces limitations, le Bureau politique ose écrire: “La politique religieuse du Parti et de l’Etat a répondu aux aspirations légitimes du peuple et a consolidé leur confiance à l’égard du Parti communiste et de l’Etat. Elle a été accueillie avec enthousiasme par nos compatriotes croyants et par le clergé. Les croyants sont toujours plus paisibles, donnent leur confiance aux lignes politiques du Parti et de l’Etat, les mettent en pratique avec enthousiasme

Propos véritablement comiques ! Il n’existe pas de liberté d’impression de livres religieux. L’Etat exige que l’on applique un certain nombre de lois concernant l’édition des livres de prières. Ces messieurs, athées, incroyants, exigent de contrôler les livres religieux ! Voilà qui est proprement stupide ! Que savent-ils de la religion, qu’y comprennent-ils pour contrôler la doctrine des diverses religions et leurs activités internes ? La directive comporte de plus un point qui est en contradiction avec la nature même de la religion: “Certaines autres (personnes) qui ne font partie d’aucun clergé font du prosélytisme en contravention avec la loi

Il nous faut le dire sans ambages. Il n’existe aucun pouvoir qui puisse interdire aux adeptes d’une religion de la propager chez les autres. Pour le christianisme, il s’agit là d’une mission, d’un devoir absolu de chaque fidèle qui doit apporter la Bonne Nouvelle du salut à tous. Ce ne sont pas seulement les membres du clergé qui doivent enseigner la religion. L’Etat n’a pas le droit d’apporter une telle limitation. La Conférence épiscopale doit s’opposer au dessein du Parti et de l’Etat. Ils s’apprêtent à mettre en oeuvre dans un avenir proche de nombreuses lois destinées à détruire la religion: L’Etat luimême n’a pas mis au point, en temps voulu, les textes d’orientation et de réglementation concrète des activités religieuses. Le gouvernement complétera le décret de réglementation des activités religieuses, préparera un décret sur la religion qui sera présenté au Comité permanent de l’Assemblée nationale pour promulgation“.

Une autre question importante est celle des ordres religieux et des congrégations. A ce sujet, le Bureau politique écrit : Le gouvernement prescrira des réglementations et des orientations concrètes pour les activités des congrégations et des sociétés religieuses, pour les opérations financières, pour les activités humanitaires et caritatives, pour les activités culturelles et artistiques des religions“. Pour ce qui concerne les congrégations et les ordres religieux, les supérieurs majeurs avec la Conférence épiscopale doivent parler et tracer les grandes orientations pour éviter l’aberration de “ces matérialistes athées” qui veulent décider des activités des religieux dans leur engagement au service des hommes en général et des Vietnamiens en particulier. En dehors des directives publiques du Bureau politique citées plus haut, il y a aussi les directives secrètes passant par le Bureau central des Affaires religieuses.

A l’occasion de la réunion annuelle de la Conférence épiscopale au mois d’octobre 1997, M. Lê Quang Vinh, directeur du bureau des Affaires religieuses, a mentionné longuement le Comité d’union du catholicisme (3), dans une langue que le professeur Dô Manh Tri appelle la langue de bois et en utilisant la très ancienne argumentation réservée à la liberté de religion. M. Vinh ne se contente pas d’exiger l'”union“; il demande avec beaucoup de candeur (pour ne pas dire de stupidité) d’ajouter à celle-ci une attitude patriarcale et mandarinale (4). Peut-être M. Lê Quang Vinh s’appuie-t-il sur une directive secrète du Bureau politique pour prôner cette attitude patriarcale. Il est nécessaire de dire qu’il s’agit sans doute ici d’une nouvelle tentative du Parti communiste pour transformer un certain nombre de prêtres et d’évêques en valets dans ce qu’on appelle le Comité d’union du catholicisme.

Ils n’ont pas la possibilité de créer une Eglise autonome comme en Chine, ou une Eglise “nationalisée”. C’est pourquoi ils veulent des prêtres et des évêques au sein du Comité d’union pour diriger les activités de l’Eglise catholique du Vietnam. Ils veulent consolider

ce comité qui est en train de se disloquer pour en faire une sorte d’Eglise nationalisée au sein même de l’Eglise du Vietnam. Ils ont l’ambition de sauver le Comité à n’importe quel prix. Plus encore, ils désirent s’en servir pour saboter de l’intérieur l’Eglise du Vietnam. Dans son intervention sur le thème, Le Parti communiste respecte et garantit véritablement la liberté de croyancele secrétaire général Lê Kha Phiêu a dit aux dirigeants des provinces, des commissions, des ministères, venus participer au Congrès : Notre parti respecte et garantit véritablement la liberté de croyance; notre peuple a la liberté de suivre une religion, d’en changer, de l’abandonner ou de n’en suivre aucune. Aucune force ne peut s’y opposer ou violer cette liberté“. En réalité, dans les divers organismes, on ne respecte pas la liberté de croyance. Les fonctionnaires supérieurs, ainsi que les membres du Parti, doivent renoncer au catholicisme. Le secrétaire général affirme: Le peuple a le droit de suivre une religionCela signifie-t-il que les membres du Parti et les fonctionnaires supérieurs du gouvernement ne font pas partie du peuple ? A quelle catégorie appartiennent-ils alors ? Ainsi, la politique du Parti communiste reste la même, avant et après (5), à savoir qu’elle continue à s’opposer à la religion. Il n’y a eu aucun changement.

Monseigneur, les lignes ci-dessus expriment les préoccupations des enfants de l’Eglise catholique du Vietnam, et sans doute les préoccupations de tous les chrétiens authentiques. Vous et la Conférence épiscopale devez élever la voix pour exiger une liberté de croyance concrète, en particulier dans les questions fondamentales pour l’Eglise. Je souhaite que ces questions importantes soient livrées à la connaissance du public et non pas confiées secrètement à l’Etat, en attendant dans le silence qu’il y soit répondu. Or, il n’y a jamais de réponse. Il n’y en a pas eu à la lettre

envoyée à l’Etat au mois d’octobre 1997 par la

Conférence épiscopale. Il est nécessaire que cette démarche soit publique afin que tous en prennent conscience, pour que le peuple de Dieu s’engage d’un seul coeur dans la lutte pour la liberté de croyance.

Monseigneur, je sollicite votre bénédiction.

Père Chân Tin