Eglises d'Asie

L’EVOLUTION DES SYSTEMES DE SANTE EN ASIE DU SUD-EST

Publié le 18/03/2010




Une évolution rapide

Il y a cinquante ans, être en bonne santé signifiait simplement survivre. L’Asie avait été ravagée par la guerre – la bombe atomique était tombée sur Hiroshima, diverses armées avaient successivement traversé les Philippines, la guérilla battait son plein en Indochine. Peu de villes avaient à leur disposition de l’eau propre et des systèmes sanitaires satisfaisants. Il n’existait guère de services de santé publique. La malnutrition était fort répandue ainsi que toutes sortes de maladies associées à la pauvreté: choléra, dysenterie, typhoïde et infections dues à des parasites, telles que le paludisme. A partir des années 60 et 70, une meilleure infrastructure sociale a abouti à une amélioration de la santé pour une zone importante de cette région. Mais c’est seulement dans les années 80, lorsqu’eut lieu le soudain essor des économies depuis Taïwan jusqu’à la Thaïlande, que de nombreux fléaux épidémiques, sans être totalement éliminés, commencèrent à disparaître. En 1955, l’espérance de vie moyenne était de 48 ans. En 1995, elle était montée à 65 ans. Dans certains pays, elle est encore plus élevée. La longévité des Japonais est la plus élevée au monde. Les femmes japonaises ont une espérance de vie moyenne de 83 ans. L’éradication de certaines maladies s’est faite grâce à des programmes d’immunisation relativement bon marché. Par exemple, environ 90% des enfants de l’Asie du sud-est ont été vaccinés contre la diphtérie et la coqueluche, ce qui a entraîné, au cours des dix dernières années, une diminution de 70% des personnes atteintes par ces maladies. Le nombre des décès provoqués par la rougeole a baissé d’environ 87%. Au cours de la dernière décennie la polio a presque disparu. Le succès de la lutte contre ces maladies constitue la raison principale de l’augmentation de la longévité.

Le vieillissement de la population

Mais cette longévité entraîne d’autres problèmes. Le cas de Ho Fung-pin en est un exemple. Cette femme d’un certain âge, qui tient une épicerie à Hongkong, met souvent ses clients dans l’embarras: elle oublie de prendre leur argent après leur avoir remis des légumes et des condiments. D’autres doivent lui demander de leur rendre la monnaie. Pendant six ans, les médecins ont dit à son mari, Fok Ying-chup, que quelque chose n’allait pas chez elle. Il restait sceptique. Finalement un docteur a identifié le problème: elle souffrait de la maladie d’Alzheimer, laquelle entraîne une lente détérioration des facultés mentales. Le cas de la famille Fok illustre une évolution dont Hongkong ne prend conscience que peu à peu: parce qu’ils vivent plus longtemps, les Asiatiques sont affrontés à de nouveaux problèmes de santé. “La démence, un autre nom pour la maladie d’Alzheimer, est devenue un problème de santé majeur dans le territoiredit le Dr Helen Chiu, un professeur de médecine psycho/gériatrique à l’université chinoise.

L’urbanisation et de rapides changements sociaux ont entraîné l’éclatement des grandes familles et le départ, vers les lieux où on trouve du travail, de ceux qui sont à même de travailler. Ceci a eu comme conséquence l’absence de ceux qui auraient pu s’occuper des membres âgés de la famille qui souffrent de démence ou autres infirmités. “Nous ne sommes pas bien préparés“, dit Chiu. Dans le cas de Ho, la charge de changer les draps incombe à son mari. “Elle n’est pas malade. Il n’y a pas lieu de la confier à une institutiondit-il.

Françoise Joseph est affrontée à des épreuves semblables à Singapour. A l’âge de 60 ans, elle essaie de s’occuper de son mari qui se retrouve grabataire après une série d’attaques. Il a été difficile de trouver une employée de maison. Ses enfants, très pris par les exigences de leur carrière et les besoins de leurs propres familles encore jeunes, ne peuvent guère aider. Le surmenage a un coût: “Le problème de ma jambe empiredit-elle. “Que se passera-t-il si le docteur déclare qu’on ne peut plus retarder une intervention chirurgicale

De telles questions se font plus urgentes à mesure qu’augmente le nombre des personnes âgées. En 2020, un quart de la population du Japon aura plus de 65 ans. Même dans la population relativement jeune des Philippines, ce pourcentage va doubler pour atteindre 16%. A Singapour on estime qu’entre un cinquième et un quart de la population aura plus de 60 ans en 2030. Cette évolution inquiète les responsables de la politique, tels que Aline Wong, la ministre d’Etat pour la santé: “A lui seul, le facteur vieillissement va faire grimper les dépenses pour la santé de 3% à 7dit-elle.

Les problèmes de l’abondance

L’abondance entraîne en Asie toutes sortes de maux nouveaux qui, à l’avenir, vont nécessairement affecter la vie des peuples. A Taïwan, à Singapour et à Hongkong, l’augmentation des cas d’obésité laisse présager une augmentation des cas d’hypertension et de problèmes cardiaques pour le prochain siècle. En raison d’un style de vie qui leur laisse peu de temps libre, les parents ont peu d’occasions d’être avec leurs enfants au moment des repas. Et quand ils sont là, il arrive alors qu’ils se précipitent dans quelque centre de restauration rapide. Sophie Leung, qui enseigne la pédiatrie à l’université chinoise de Hongkong, a fait une étude sur un groupe d’enfants depuis leur naissance jusqu’à la pré-adolescence. Elle a vu le nombre des enfants trop lourds passer de moins de 1% à des taux approchant les 20%..

Les autorités de Singapour considèrent ce problème comme particulièrement sérieux, à tel point que, de puis 1992, le “taux de graisse” est devenu un élément de l’évaluation des élèves à l’école primaire. Ceux qui sont trop lourds sont envoyés dans des cliniques nutritionnelles pour qu’ils se débarrassent de ce surplus de kilos. Malathi Kulayan est reconnaissante à l’école d’avoir avoir mis son fils Yoga au régime, même si elle n’en finit pas de se battre pour qu’il ne grossisse pas de nouveau. “Je luis dis qu’un jour il me remerciera et qu’il ne viendra plus pleurer à la maison parce qu’on se moque de lui”. La campagne lancée à Singapour pour rester mince et “en forme” porte des fruits: l’obésité parmi les enfants d’âge scolaire est passé de 14,8% en 1993 à 11,9% l’an dernier.

Dans des pays plus pauvres, y compris la Chine et l’Inde, on constate une étrange dichotomie. Une importante section de la population souffre de maux liés à la malnutrition. Des problèmes de diarrhée et de maladies respiratoires infectieuses sont responsables dela mort des deux tiers des enfants de moins de cinq ans en Inde. 2 800 000 personnes ont été affectées par le paludisme en 1995, tandis que la tuberculose fait chaque année de 500 000 à 700 000 victimes. Mais il existe aussi, dans les centres prospères, les “maladies des gens riches” qu’on trouve surtout dans les pays développés. Chaque année, par exemple, environ 800 000 Indiens meurent de problèmes coronaires/cardiaques et 600 000 de congestions, deux maladies liées au fait qu’on est bien nourri, trop bien nourri. Au cours des vingt dernières années, les maladies de coeur ont doublé en Inde, tant dans les milieux ruraux que dans les milieux urbains. L’augmentation des graisses dans les régimes alimentaires est un facteur majeur dans l’apparition de ces maladies.

Les problèmes causés par le tabac

Un autre changement dans le style de vie a contribué à la formation d’un gros nuage à l’horizon: le tabagisme. Les maladies liées au tabac atteignent des proportions épidémiques dans une grande partie de l’Asie. D’autant que les grands géants de la fabrication des cigarettes cherchent des débouchés à l’étranger pour compenser le déclin des ventes chez eux. On prévoit que les exportations vers l’Asie atteindront 30% en l’an 2000. Les marchés cibles sont la Chine, la Corée du sud et le Japon. Dans la seule Chine, il y a environ 300 millions de fumeurs, et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) prévoit 750 000 décès annuels de maladies liées au tabagisme, telles que le cancer du poumon.

Davantage d’argent signifie souvent davantage de cigarettes. Aux Philippines les pauvres achetaient souvent les cigarettes une à une. Actuellement on les achète de plus en plus par paquets, voire par cartons. Une étude publiée par The Lancet révèle que le pourcentage des fumeurs est passé de 46% en 1987 à 73%. Les Japonais sont bien connus pour leur habitude d’allumer des cigarettes, et le gouvernement, qui a le monopole du tabac, ne fait guère d’efforts pour les décourager. Les mises en garde sur les étiquettes ne vont guère au-delà de la formule: “Ce serait mieux si vous ne fumiez pas”.

Certaines régions n’ont pas évolué

Certaines poches du continent asiatique semblent ne pas avoir évolué depuis le début des années 50, époque à laquelle on redoutait des fléaux tels que le choléra, la typhoïde et le la dingue. Au Laos, au Bangladesh et en Papouasie-Nouvelle Guinée, les maladies infectieuses restent la cause principale des décès, surtout parmi les enfants et les mères. D’après la banque mondiale, dans la région Asie/Pacifique, plus de 500 000 bébés meurent chaque année de problèmes liés à l’eau non potable. La perte économique due à ces maladies est estimée à 30 milliards de dollars. En termes humains, le coût est évidemment incalculable.

Des améliorations dans le ravitaillement en eau et dans l’environnement sanitaire est d’importance vitale, bien qu’il soit extrêmement difficile, même dans les meilleurs des cas, de ne pas se laisser déborder par le développement des cités. Mais les pays qui font les investissements appropriés enregistrent des avancées remarquables. On en trouve une excellente illustration dans la baisse considérable de la mortalité infantile en Corée du sud (elle est passée de 35 décès pour 1000 enfants en 1975 à 8 pour 1000 en 1995). Il faudrait dépenser des milliards en particulier en Chine et en Indonésie – où il sera vraisemblablement beaucoup plus difficile de trouver cet argent en raison de la crise financière.

Cependant, même dans les pays les plus riches d’Asie qui disposent d’une eau propre, des maladies liées à la pauvreté continuent à être un souci pour les responsables de la santé – peut-être en raison de la mobilité des populations. Un peu plutôt cette année, les autorités de Hongkong étaient si préoccupées par de soudaines éruptions de choléra qu’elles ont commencé à contrôler les avions en provenance de Thaïlande pour vérifier si les touristes n’importaient pas l’épidémie. Le choléra est de nouveau considéré comme un problème préoccupant, à tel point qu’il est de retour sur la liste, publiée par l’Organisation mondiale de la santé, des maladies qui émergent.

Le paludisme progresse dans certaines régions

Plusieurs anciens tueurs ont manifesté d’extraordinaires capacités de survie, en particulier le paludisme. On n’a pas encore trouvé de vaccin efficace, et le parasite qui provoque cette maladie s’avère de plus en plus résistant aux remèdes utilisés pour traiter ceux qui en sont atteints. Le nombre des Asiatiques qui vivent dans des régions où le paludisme est à l’état endémique est atterrant: un milliard deux cent millions. On a obtenu quelque succès dans quelques coins tels que la Thaïlande, le Népal ou le Sri Lanka. Dans d’autres régions la maladie est encore en train de progresser. Il est particulièrement difficile de la contrôler là où il y a des guerres et où des réfugiés s’entassent dans des camps. Sur la frontière du Cambodge et de la Thaïlande, un parasite particulièrement vigoureux semble résister à tous les traitements. On trouve des conditions semblables sur la frontière qui sépare la Thaïlande du Myanmar, dans les lieux où se déroule le conflit entre les troupes gouvernementales et les rebelles Karen.

Phoeurn Chorr, un réfugié qui vit tout près de la frontière thaïlandaise, a dû assister, au cours des dix dernières années, à la mort de ses enfants, l’un après l’autre, pour raison de malnutrition et de diarrhée. Elle-même peut espérer arriver tout au plus à l’âge de 50 ans. Elle vit maintenant au jour le jour dans un village près de Battambang, dans le nord-est du Cambodge, avec le seul enfant qui ait survécu, une fille de 12 ans. Mère et fille réussissent à survivre en transportant de l’eau pour d’autres résidents du village. Quand elles ne transportent pas de l’eau, elles parcourent la jungle à la recherche de quelques feuilles ou de l’herbe qu’elles puissent manger. De plus, elles doivent compter avec un autre risque pour leur santé, inconnu dans les pays développés d’Asie: les mines.

En dehors des conflits politiques, le Cambodge doit affronter actuellement un sérieuse éruption de la dengue, qui est peut être due au réchauffement global qui semble avoir contribué à la multiplication des moustiques. Pas plus que la paludisme, la dengue ne peut être maîtrisée par la vaccination. En fait, les vaccins peuvent même parfois aggraver la maladie. De soi, la dengue n’est pas mortelle, mais des attaques répétées peuvent aboutir à une forme de maladie particulièrement vicieuse qui provoque des hémorragies internes et éventuellement la mort. Au niveau mondial, on dénombre 138 000 décès par hémorragie dûs à la dengue.

La tuberculose

Il y a environ 50 ans qu’on a trouvé des remèdes contre la tuberculose, mais elle réapparaît un peu partout dans le monde comme maladie mortelle. Les deux tiers des victimes sont asiatiques. Parmi les 16 lieux identifiés comme particulièrement dangereux figurent la Thaïlande, l’Indonésie et les Philippines. L’Organisation e de la santé (OMS) attribue le retour de la tuberculose à la diffusion du virus du sida, à la résistance aux remèdes et à des mesures inadéquates de contrôle de santé. Les experts sont d’accord pour dire que plus on est pauvre et plus on risque de succomber à la maladie. Par suite, la crise économique régionale peut avoir de sérieuses conséquences sur la santé de la région. En Indonésie, la chute abrupte de la valeur de la roupie a entraîné une augmentation vertigineuse du prix des remèdes et équipements médicaux importés. Certains hôpitaux réduisent le nombre de radios et autres analyses. Lorsque deux appareils pour rayons X ont cessé de fonctionner normalement à l’hôpital public Cipto Mangunkusumo de Djakarta, les administrateurs n’avaient ni l’argent ni les pièces de rechange pour les réparer. Dès maintenant, en Indonésie, les malades sont soumis à une sorte de tri. Les riches qui avaient l’habitude de se faire soigner dans des hôpitaux privés se rendent aujourd’hui dans les hôpitaux publics où on peut trouver au moins des remèdes génériques, même s’ils coûtent plus cher. Les pauvres, quant à eux, ont recours à des médecines traditionnelles moins chères. Les responsables de la santé songent moins à financer des pontages et se soucient davantage de protéger les enfants des pneumonies. Il y a pénurie de nourriture dans certaines régions du pays et il s’ensuit une augmentation des cas de malnutrition.

Le sida

En Thaïlande, l’un des épicentres du sida dans la région, la crise financière risque de réduire à néant les succès qui avaient été obtenus dans le contrôle de la diffusion de ce virus. Pour satisfaire aux conditions imposées par le Fonds Monétaire International, les responsables de la santé publique ont dû, comme bien d’autres, réduire leur budget. Cela signifie 30% de moins pour les programmes de prévention et d’éducation, relatifs au sida. “Ce sont les pauvres qui seront le plus affectés“, dit Paul Toh, représentant de l’UNAIDS, à Bangkok. Sur les 30 millions de personnes qu’on estime être atteintes par le virus provoquant le sida, environ six millions vivent en Asie.

Au Japon, la récession économique se traduit par une augmentation des suicides parmi les hommes salariés d’âge moyen ou plus âgés. En fait, le suicide est parmi les principales causes de décès dans le pays. Les restructurations liées à des regroupements ont privé des managers de leur emploi. Le Docteur Sekiya Toru, directeur de l’association japonaise des cliniques de neurologie et de psychiatrie, dit que beaucoup se sentent humiliés et inutiles. Certains cherchent des conseils, d’autres se suppriment.

Le danger d’une épidémie de diabète

Les experts en santé prévoient l’arrivée d’une épidémie en Asie: le diabète. C’est la maladie significative de la vie moderne, dont les complications – congestions, maladies du coeur, arrêt de fonctionnement des reins, perte de la vue – apparaissent déjà dans les statistiques vitales de plusieurs pays. A Singapour leur taux était de 4,7% dans la population adulte en 1985. Maintenant le chiffre est plus près de 10%. Le diabète est officiellement la huitième cause de décès à Hongkong. Mais certains médecins estiment que ce serait plutôt la deuxième ou la troisième. D’après le Docteur Francis Chow qui travaille à l’unité endocrine de l’hôpital Prince of Wales, peut-être sont-ils jusqu’à 500 000 à en souffrir, sur une population de six millions.

Dans certaines régions rurales de Chine, le taux a été multiplié par dix. Ironie de cette progression: le diabète était une maladie relativement rare parmi les chinois lorsque leurs repas étaient limités à la consommation de riz et de légumes. Quand ils ont accédé à des menus riches en hydrates de carbone et en graisses, le diabète a progressé en flèche. Actuellement la boîte repas qui se vend dans les

rues de Hongkong contient en moyenne de 30 à 40% de calories qui proviennent de graisses. Il y a une décennie, cette moyenne était plus proche de 10%.

Pour l’ensemble de l’Asie, on s’attend à ce que les cas de diabète fassent plus que doubler, passant de 60 millions à 130 millions dans 13 ans. “Le problème est gravedit Chow. Les Asiatiques deviennent diabétiques entre 31 et 40 ans, plus tôt que les Occidentaux. De plus, les chercheurs estiment que ceux qui souffrent de cette maladie ne la traitent pas bien. Qui plus est, le diabète – ce “tueur silencieux” – n’est souvent diagnostiqué qu’au moment d’une attaque ou d’une crise cardiaque au lieu d’être décelé lors de bilans de santé de routine. A Hongkong on estime que les malades sont atteints de diabète plus de quatre ans avant qu’il ne soit diagnostiqué et traité.

Pour garder la maladie sous contrôle, il faut la surveiller toute la vie, prendre des remèdes, payer les médecins. Se faire couvrir par une assurance peut faire problème. Et pourtant, disent les médecins, il est facile d’éviter cette maladie. Il suffit de manger moins et de marcher davantage. Autrement dit, mieux vaut prévenir que guérir. En ces temps de défi, la vieille maxime est plus précieuse que jamais – et pas seulement dans le cas du diabète.

LES SERVICES HOSPITALIERS

Vers la privatisation de l’hôpital

Il est 21h et le petit Nicolas Tan, 5 ans, dort profondément. Cinq jours plus tôt il a été admis aux urgences de l’hôpital Kandang Kerbau (KK) pour femmes et enfants. Il respirait bruyamment et difficilement en raison d’une sévère crise d’asthme. Les médecins avaient décidé qu’il fallait l’hospitaliser rapidement. “Auparavant Nicolas n’avait jamais eu besoin d’être hospitalisé. C’était pour nous un chocrappelle sa mère, Monique. On avait averti les Tans que leur petit garçon devrait peut-être attendre qu’un lit soit libéré. Mais en fait on a pu s’occuper de lui aussitôt. Les parents de Nicolas auraient pu s’offrir une chambre individuelle, mais ils ont préféré le mettre dans une salle commune avec les autres enfants. “Il aurait pu souffrir de la solitude s’il avait été seulexpliquent les parents. La salle était propre, bien éclairée et gaie. Il y a même un lit de camp grâce auquel sa mère peut lui tenir compagnie la nuit. On est très loin de l’état de vétusté que l’on associe aux hôpitaux d’Etat.

L’hôpital KK à Singapour est un cas hybride, et peut-être une indication pour les gouvernements des environs en Asie de ce qui peut-être fait pour assurer la qualité des soins sans ruiner les budgets nationaux et sans tout confier au secteur privé. L’hôpital KK est une institution gouvernementale dirigée comme une institution privée. La majorité de ses fonds vient des deniers publics, mais le solde est obtenu en demandant une participation aux frais. Selon Aline Wong, Ministre d’Etat pour la santé et l’éducation, l’objectif est de permettre aux hôpitaux du gouvernement une plus grande flexibilité et de la créativité dans la façon de servir les patients. Ceci les rend capables de concurrencer les hôpitaux privés.

Ce type de réflexion fait son chemin dans de grandes régions d’Asie tandis que les hôpitaux s’adaptent aux changements d’époque. Dans un passé récent, tomber malade nécessitait une visite à une institution gouvernementale – avec souvent une longue attente pour voir un docteur, une brève consultation et une rapide sortie par la porte avec un sac de cachets non spécifiés. A présent 20% des lits se trouvent dans ces hôpitaux privés à Singapour, 30% à Bangkok. Dans la ville de Delhi, soumise à une bureaucratie envahissante, la part des hôpitaux privés a soudainement grimpé à 40% depuis qu’ont été supprimées les restrictions sur les investissements privés, en 1986.

La demande des classes moyennes a alimenté cette évolution. La classe des gens éduqués attend et demande des soins de qualité supérieure. Et, jusqu’à la venue de la crise, ceux qui pouvaient en bénéficier étaient de plus en plus nombreux. Jose Ledesma, super-intendant du centre médical St Luc, à Manille, dit que les institutions privées “sont mieux équipées que 90% des hôpitaux américainsHautement technique, l’hôpital Bumrungrad de Bangkok s’est organisé pour répondre à une telle demande. De même l’hôpital United Family, récemment ouvert à Pékin, qui prend soin des riches Chinois ainsi que des expatriés.

Au luxueux hôpital Apollo Indraprastha de Delhi, des gardes en uniforme attendent l’arrivée des voitures, prêts à en ouvrir les portes. A l’intérieur, on est dans un monde de marbre poli, d’ascenseurs rapides, de machines sophistiquées et d’infirmières très attentives. Quelle que soit la technique requise, depuis l’ongle incarné jusqu’à la greffe d’un organe, l’hôpital Apollo peut faire le nécessaire. L’objectif semble être la dernière technologie médicale combinée avec l’opulence d’un hôtel international. Mais, selon certains médecins, cela revient à faire des ordonnances pour du gaspillage et des dépenses non nécessaires. Selon le Dr R.S. McCoy, qui dirige en Malaise une panel médical pour la politique de la santé, “ce dont on a besoin c’est d’un traitement cinq étoiles dans un logement à trois étoiles

Les hôpitaux publics

Bien sûr, les hôpitaux publics ne se sont pas laissé enfermer dans les pratiques d’antan à une époque où tout change. Il y a dix ans, en Malaisie, les malades du coeur devaient aller se faire soigner à l’étranger. Aujourd’hui on peut les soigner à l’hôpital de Kuala Lumpur, qui s’enorgueillit d’une unité de micro-chirurgie. Le Centre cardiaque du gouvernement des Philippines, à Manille, attire autant les clients riches que les pauvres en raison de son haut niveau de compétence médicale. L’énorme hôpital Pramongkutklao de Bangkok, dirigé par l’armée, est à la pointe de la technique pour l’orthopédie, la cardiologie et la pédiatrie. “Nous avons ici quelques-uns des meilleurs spécialistesdit le Dr Supija Mokkavesa, principal chirurgien du département médical de l’armée thaïlandaise, qui dirige cette institution. “Plusieurs de nos spécialistes travaillent à temps partiel dans les hôpitaux privés, mais le prix de la consultation y est beaucoup plus élevéSupija est bien placé pour le savoir. Le chirurgien orthopédique est disponible pour des consultations hebdomadaires à l’hôpital privé de Samitivej, une institution privée très respectée.

Supija insiste sur le fait que le traitement donné dans les hôpitaux publics est de même qualité que celui qu’on obtient dans les hôpitaux privés. C’est également vrai pour Singapour et peut-être aussi pour certaines institutions de Malaisie et des Philippines. Selon le docteur Milton Lum, ancien président de l’association médicale de Malaisie, “si vous allez vous faire opérer dans un hôpital du gouvernement, ce sera bien fait, avec un faible pourcentage de complicationsLà où ces institutions ne sont pas à la hauteur c’est dans le domaine des commodités (long temps d’attente, par exemple) et de l’ambiance (clinique dans le plus mauvais sens du terme).

Le service de santé publique de Hongkong est bon marché, ce qui reflète la politique du gouvernement selon laquelle personne ne devrait être privé de soins appropriés parce qu’il manque de moyens. Presque 90% des lits de malades se trouvent dans les 44 hôpitaux publics. Mais s’il est vrai que tout le monde a accès au traitement, ce qui fait problème c’est la qualité de l’aide. En dehors de l’encombrement des salles surpeuplées, la presse est souvent amenée à parler des hôpitaux en raison d’interminables séries d’impairs. Dans la plupart des cas, il s’agit d’erreurs mineures qui ont pu être rectifiées à temps, mais d’autres sont sérieuses, par exemple le fait de pomper de l’air dans les veines d’un patient. Le gouvernement ne touche pas au secteur privé et permet aux 23 institutions médicales privées de prélever les honoraires qu’elles estiment acceptables par le marché.

Mais, qu’il s’agisse du secteur privé ou public, le coût des soins médicaux en Asie augmente. Le Conseil pour le Développement économique de Singapour estime que les dépenses annuelles pour la santé dans la région, en excluant le Japon, vont sans doute passer du chiffre actuel de 150 milliards de dollars à 225 milliards en 2000. Le rapide progrès de la médecine contribue à cette augmentation. On annonce chaque semaine l’arrivée d’un nouveau remède ou d’un nouveau traitement merveilleux – assorti d’un coût correspondant à ceux qui prévalent dans les pays développés. Et comme les personnes vivent plus longtemps, elles ont une propension a contracter les maladies des “personnes âgées”, telles que le diabète ou les maladies de coeur, des maux chroniques pour lesquels le traitement est plus coûteux. D’après certains calculs, la moitié de l’argent dépensé pour la santé d’une personne est déboursé au cours des derniers six mois de sa vie.

Pendant des années, les gouvernements d’Asie ont cherché un moyen de répartir le coût des soins de santé – une tâche rendue encore plus urgente en raison de la récession économique. La Malaisie a opté pour un système corporatif. D’après le plan actuel de développement national, progressivement les hôpitaux du gouvernement seront dirigés comme des entreprises, bien qu’ils restent propriétés du gouvernement. Des médecins tels que Lum voient les avantages de ce changement: “On pourra plus facilement appliquer les méthodes utilisées dans les entreprises, par exemple en renvoyant ou en embauchant un groupe“, dit-il. “Cela permettra davantage de flexibilité et améliorera l’efficacitéOn espère aussi que ce changement enrayera le mouvement de départ du personnel qualifié vers le secteur privé.

Mais l'”Initiative pour la santé des citoyens”, un regroupement de 45 organisations de citoyens malaisiens, craint que le seul effet de l’introduction d’un tel système corporatif soit l’aggravation des problèmes des moins favorisés. Cham Chee Khoon, professeur associé pour les études sur le développement à l’université de Malaisie, se demande comment les services de santé pourront rester largement accessibles dans un tel système. A l’hôpital de l’université de Petaling Jaya, où on a renouvelé l’équipement, la contribution demandée pour l’occupation des salles et autres frais, dans le cas de diagnostics aussi simples que des analyses de sang et des radios, a grimpé dans des proportions allant de 150% à 200%. Ces prix ne sont guère inférieurs à ceux demandés dans les hôpitaux privés. La pilule est amère, spécialement à une époque où la récession économique aggrave les problèmes.

Le gouvernement thaïlandais a renoncé à toute mesure qui augmenterait le coût de tels services pour le public. “Nous ne voulons pas d’augmentation des prix alors que les pauvres ont tant de difficultésdit Savit Bhotiwihok, le ministre en charge des programmes de privatisation. Néanmoins, on a donné une plus grande autonomie aux hôpitaux publics pour qu’ils deviennent plus compétitifs – y compris la possibilité d’organiser une collecte de fonds. Les prix sont maîtrisés, autant que possible, en ayant recours à des remèdes et à des équipements fabriqués localement. Un débat semblable a lieu aux Philippines où le gouvernement populiste d’Estrada semble avoir mis au placard toute idée de privatisation ou de système corporatif. Il envisage de maintenir les principales institutions sous contrôle gouvernemental et de donner la priorité aux soins primaires: dispensaires, programmes d’immunisation, etc.

Le cas de la Chine

En Chine, il y eut réduction des subsides et introduction d’un système de paiement pour tout service rendu, avec assouplissement du contrôle des services de santé, lors des réformes économiques des années 80. Mais à défaut d’un financement adéquat, les hôpitaux et les médecins sont à court d’argent et ont recours aux pots-de-vin pour avoir un supplément de revenus. A présent l’offrande de cadeaux aux médecins par les familles des patients, afin de s’assurer qu’on s’occupera bien du malade, est devenu une routine. “Cela est devenu particulièrement commun lorsque le malade doit subir une opération” dit une infirmière. Selon elle, c’est une pratique “acceptable”, car les médecins sont mal payés et doivent travailler pendant de longues heures. Mais beaucoup ne sont pas d’accord. Selon un sondage entrepris par un journal de Pékin, il y a deux ans, les médecins feraient partie des professions les plus détestées. Pourquoi ? Parce qu’ils insistent pour obtenir des hong bao, des enveloppes rouges pleines d’argent.

Le privé n’est pas une garantie de qualité

Pour autant, les institutions privées ne sont pas une garantie de qualité, comme peuvent en témoigner les malades de Corée du sud et du Japon, où la plupart des services de santé sont dirigés de façon indépendante. Pour Yamashita Misako, une ménagère de Tokyo, une visite à l’hôpital correspond à une journée entière de travail. Elle doit se lever à 5h30 du matin pour s’assurer qu’elle obtiendra de bonne heure une consultation pour son fils chez un spécialiste de la peau. Elle doit alors déposer une fiche dans la boîte des rendez-vous à l’hôpital. “J’ai de la chance, dit-elle, si j’en sors à midi“.

On se trouve alors, comme disent les Japonais, “trempé dans les remèdes“, ce qui signifie que l’on reçoit et doit payer quantité de remèdes inutiles. On a donné à Yamashita pour les réactions allergiques de son fils des antibiotiques ainsi que de la crème, “pour le cas où il se gratterait et qu’une infection s’en suivrait“. Une autre pratique qui accompagne celle-là, c’est la multiplication des analyses non nécessaires. C’est ce qui arriva à un mordu du judo emmené à l’hôpital avec une épaule disloquée. C’était un problème fort simple, sauf que le personnel de l’hôpital insista pour faire des multitudes de radios avant de remettre son épaule en place. Il dut endurer une douleur aiguë pendant 40 minutes de plus, suivie du désagrément d’avoir à payer une facture dans laquelle figurait un couple de zéros de plus que nécessaire.

Les Coréens se plaignent que les médecins consacrent à peine cinq minutes à chaque patient. “Ils doivent voir le plus grand nombre possible de malades afin d’avoir un bon revenuexplique le Dr Choi Bong-joon, qui travaille au centre médical flambant neuf de Samsung, à Séoul. Le problème, dit-il, c’est que les primes de l’assurance – la source principale du revenu de la plupart des médecins – sont trop faibles. (Ces primes correspondent approximativement à 3,5% des salaires). Mais le fait de payer davantage (8,4 %) n’assure pas aux Japonais davantage d’attention: ils sont habituellement renvoyés après ce qui est appelé “le traitement de trois minutes

Les yeux résolument fixés sur ce qu’ils appellent le plancher des dépenses, les hôpitaux de Séoul économisent partout où c’est possible. Et ceci inclut pratiquement l’absence de toute mesure pour réduire la pénurie d’infirmières. Résultat: les malades en sont réduits à faire appel à quelque membre de leur famille pour s’occuper d’eux pendant leur séjour à l’hôpital. Lorsque Kim Shin-ja fut hospitalisée pour une opération des reins, ses enfants, sa belle-mère et ses cousins s’organisèrent pour s’occuper d’elle à tour de rôle. Il existe même un mot pour de tels volontaires: bohoja, qui signifie “celui qui veille.” Les infirmières sont tellement occupées que je ne pouvais obtenir leur aide pour des choses aussi simples que celles de retourner mon lit” dit Kim, 50 ans. Chung Yeon-ok, qui assume des responsabilités dans l’association coréenne des infirmières, reconnaît que le manque de personnel est un problème sérieux. “Finalement les membres de la famille doivent assumer des tâches pour lesquelles ils ne sont pas qualifiés. C’est devenu si habituel qu’on n’y pense même plus. Les patients ne réalisent plus qu’ils ne bénéficient pas des services auxquels ils ont droit

Un peu partout dans la région on soupçonne de plus en plus qu’en raison de l’empressement avec lequel on essaie de tirer profit du développement soudain des soins médicaux dans l’Asie du sud-est, certains acteurs sont moins que scrupuleux en ce qui concerne le maintien des standards médicaux. Aiguillonnée par les doléances du public, la Malaisie a promulgué une loi, au mois de juin, selon laquelle les centres médicaux doivent faire un rapport au ministère de la Santé sur les décès qui auraient pu être évités. Une commission gouvernementale évaluera tous ces cas et donnera son avis sur ce qui peut être fait pour éviter de tels incidents.

MEDIO, une organisation de surveillance japonaise qui fait des enquêtes sur de telles mésaventures, va plus loin. “Nous voulons un système semblable à celui qui fonctionne en cas d’accidents d’aviondit Shunya. Il explique que lorsqu’un avion s’écrase une équipe est désignée pour enquêter et identifier la cause de l’accident. Mais on ne pose pas de questions aux médecins lorsqu’un patient meurt ou se retrouve handicapé. Il n’y a plus de vérification de leurs compétences ou de leurs connaissances dès lors qu’ils ont les diplômes requis. Voici quelques-unes des plaintes reçues par MEDIO: on a enlevé tout l’estomac à un homme qui aurait dû subir une simple opération, relativement fréquente, de la vésicule biliaire. Un docteur a pris pour une tumeur cancéreuse ce qui était un simple ulcère. Selon Ito, en dépit de toute sa supériorité technologique, le Japon est à la traîne de bien d’autres pays lorsqu’il s’agit de protéger la population contre les bévues des médecins.

Conclusion

A travers toute l’Asie les gens attendent des soins médicaux de haute qualité, facilement accessibles, à des prix raisonnables. Comment obtenir cela ? Il n’y a pas de formule magique qui convienne à tous les pays. De plus, actuellement les problèmes économiques ne permettent pas aux gouvernements de prendre les moyens les plus indiqués pour améliorer la situation. Les soins médicaux sont à la croisée des chemins. Pour certains c’est un dilemme. Pour d’autres ce serait une aubaine qui permettrait de réexaminer les diverses options possibles.