Eglises d'Asie

EDUCATION CHRETIENNE DANS LA SOCIETE JAPONAISE ET TRANSFORMATION DU “MOI” JAPONAIS

Publié le 18/03/2010




En 1994, le romancier japonais Kensaburô Ooé recevait le prix Nobel de littérature. Il avait intitulé son discours de réception: “Japon, l’ambigu et moi”. Il indiquait par là l’ambiguïté de notre attitude dualiste, à nous Japonais, comme si nous essayions d’imiter la modernisation de l’Occident tout en maintenant notre identité d’appartenance à l’Asie. En réalité, alors qu’il n’est pas encore compris par l’Occident, le Japon se trouve isolé par rapport aux autres nations asiatiques et doit donc mettre au clair son identité et pour lui même et pour le reste du monde. Ooé terminait son discours en soulignant qu’en tant que romancier, il aimerait voir comment le Japon, exprimant son identité de façon décente, pourrait contribuer à la guérison et à la réconciliation de toute l’humanité (Japan Times, 9 Décembre 1994, 3).

En tant qu’éducatrice chrétienne, je partage cette vision. Vouée au problème de l’éducation dans les écoles catholiques du Japon, je conçois mon travail comme un dialogue entre la foi chrétienne et la culture japonaise. Je suis convaincue que le rôle de l’éducation chrétienne est d’aider les étudiants japonais à exprimer leur identité clairement et à participer activement à la construction du monde. Pour les Japonais, clarifier leur identité et exprimer hors du Japon ce qu’ils sont, de façon claire, exige une transformation de leur “moi”. L’éducation chrétienne elle-même répond à cette exigence parce qu’elle peut sûrement donner une occasion aux étudiants japonais de pouvoir personnellement rencontrer Dieu, et cette rencontre les aidera à développer leur identité et à transformer leur “moi” au cours de leur progression vers la maturité. Dans notre société, nous Japonais, concevons en effet nos traditions religieuses comme de simples habitudes. Et je doute que la vie des gens actuels soit modelée par leurs relations avec le Dieu vivant. Les Japonais sont vraiment passifs dans leur foi religieuse et d’ailleurs, ils sont adeptes de plusieurs religions. Ils sont censés évoluer parmi les religions mises à leur disposition au gré des conventions sociales. La “biographie religieuse” de bien des Japonais pourrait se résumer ainsi: naître shintoïste, se marier chrétien et mourir bouddhistes. En ce sens, l’éducation chrétienne sera appréciée dans la société japonaise. Dans les écoles où l’on travaille à l’épanouissement des étudiants en phase “d’adolescence et de jeunesse”, le rôle de la religion sera mis en valeur. (En accord avec le modèle de huit étapes de l’évolution psychologique d’Erikson, cette étape est vue comme l’époque où chez chacun se crée un sentiment identitaire, celui de son “qui suis-je.”) Comme l’écrit Gordon Allport, “la religion doit être évaluée d’après sa capacité à favoriser une identité psychologique forte” (cité dans Fuller 51).

1. L’éducation dans les écoles catholiques au Japon: la réalité et ses problèmes

Permettez-moi de commencer cette première partie par une question fondamentale: Pourquoi oser enseigner le christianisme aux jeunes d’un pays où les chrétiens représentent moins de 1% de la population ? La réponse est simple. Notre mission ne vise ni à multiplier le nombre des chrétiens ni à former des étudiants chrétiens. Notre premier but est d’éduquer, en accord avec ce que nous appelons “les valeurs évangéliques“, les Japonais ordinaires dont l’arrière-plan religieux est fait d’un mélange de plusieurs religions. Dans la ligne de la Société du Sacré-Coeur à laquelle j’appartiens, notre projet éducatif fondé sur les “valeurs évangéliques” peut s’exprimer ainsi: Nous voudrions instruire nos étudiants pour

– qu’ils deviennent toujours plus conscients de ce que sont la vérité, l’amour et la liberté,

– qu’ils découvrent le sens de leur vie et se dévouent pour les autres,

– qu’ils prennent leur part de l’effort commun pour transformer le monde,

– qu’il leur soit permis de rencontrer l’amour du Christ,

– que leur vie soit vivifiée par une foi active

(Constitution de la Société du Sacré Coeur, 167).

Je pense que le terme “valeurs évangéliques” inclut toutes les valeurs qui peuvent être attribuées à la foi chrétienne et qui, si elles ne sont pas interprétées correctement, peuvent être très ambiguës à cause de l’immensité du sujet. Je voudrais insister sur ce point spécialement à cause de notre mentalité religieuse japonaise. (Je traiterai cette question plus loin.) Je pense que nous devrions exprimer ces “valeurs évangéliques” plus clairement dans la formation religieuse que nous donnons. Bien que je n’aie pas encore solutionné le problème, je voudrais plutôt exprimer notre projet comme une formation en vue d’une réalisation du “Règne de Dieu”. Le “Règne de Dieu” signifie “Les desseins de Dieu de paix et de justice, d’amour et de liberté, d’une vie pleine et totale pour tous et pour toute la création, ce qui signifie que Dieu est actif dans son partenariat avec l’humanité afin de réaliser son dessein”. Dieu appelle l’humanité à être partenaire pour la réalisation de son règne. “Le règne de Dieu est à la fois, don et responsabilité”. Peu importe que l’étudiant soit chrétien ou non, chacun d’eux, certainement conduit par Dieu, est appelé à travailler à cette réalisation (voir Groome 1991,16).

L’éducation que nous donnons contribue-t-elle vraiment à faire grandir nos étudiants en accord avec les “valeurs évangéliques” que je viens de décrire ? Ne sommes-nous pas en fait en train de produire seulement de bons citoyens capables de vivre pleinement immergés dans les structures de la société japonaise dont ils jouiront de tous les avantages sans pour autant cesser de les regarder d’un oeil critique ? C’est vrai que les écoles catholiques au Japon ont une bonne réputation et que nous ne formons pas nos étudiants pour les envoyer se battre aux examens d’entrée des grandes écoles. Nous prenons en charge chacun d’eux comme un être unique créé par Dieu et nous le regardons comme une personne à part entière. Néanmoins, je ne suis pas très sûre que nous méritions notre bonne réputation. Dans les écoles tenues par la Société du Sacré Coeur, quand nous réfléchissons à la lumière des objectifs dont j’ai parlé plus haut, nous en venons à reconnaître que si nos étudiants peuvent les connaître, ils manquent d’énergie pour les traduire en action, pour en faire une direction à donner à leur vie. Je pense que cette tendance a quelque chose à voir avec la mentalité religieuse japonaise.

Dans la culture japonaise, les mots “valeurs évangéliques” ne possèdent pas le dynamisme que requiert le message du Christ et ce, à cause de l’influence du confucianisme, étroitement lié à la morale et à notre mentalité religieuse fondée sur les “sentimentsPar exemple, certains peuvent penser que cette expression de “valeurs évangéliques” se réfère seulement à la paix intérieure alors que d’autres penseront qu’il s’agit de devenir quelqu’un de bien. Pour beaucoup de Japonais, être religieux signifie bien agir moralement. D’après ma propre expérience, je sais que j’ai mis longtemps à me défaire de cette idée. Nous pensons que nous devons être “bien” pour être aimés de Dieu. Pourtant l’Evangile ne propose-t-il pas un message complètement opposé ? Jésus a dit: “Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades; je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs” (Mc 2.17). Shinran, le fondateur de la plus populaire branche du bouddhisme au I3ème siècle, enseignait que “si un homme bon est reçu dans le royaume de Bouddha, combien davantage un homme mauvais”. De toute façon, les Japonais ont apprécié un tel enseignement, mais qui ne semble pas avoir beaucoup d’efficacité à cause de la forte influence moralisatrice du confucianisme. De plus, les Japonais pensent qu’être religieux c’est être à l’écart du monde: un homme pieux n’est pas de ce monde. L’expression bouddhiste: “seken koke, yuibutsu zeshin” (Ce monde est vide et passager, seul le monde de Bouddha est vrai), semble être toujours vivante dans les profondeur de notre être. En ce sens, existe un large fossé entre la spiritualité chrétienne et la mentalité religieuse des Japonais parce que le christianisme nous affirme que le Christ, le fils de Dieu, est venu dans ce monde se faire l’un de nous et partager notre humanité dans toute sa plénitude.

Voyons de prés cette tendance, en étudiant spécialement ce qu’est “le moi japonaisCeci est très important si nous voulons réellement former nos jeunes dans la ligne des “valeurs évangéliquesIl est généralement reconnu que “le Japonais tel qu’en lui-même” manque d’individualité. Je voudrais dire que notre manque d’énergie pour mettre notre foi en pratique, vient précisément de ce manque d’individualité. Vivre les “valeurs évangéliques” demande à chacun un certain courage parce que Dieu nous invite à vivre personnellement le message divin, nous avons besoin de courage pour répondre et nous investir personnellement. “Le Japonais tel qu’en lui-même” ne semble pas prêt à répondre à cette invitation personnelle de Dieu. “L’homme japonais” peut agir si tout le monde fait la même chose, si l’harmonie règne et s’il peut rester en petit groupe. Vivre les “valeurs évangéliquespourtant, ne garantit pas nécessairement que ces conditions puissent exister. Quelquefois, nous faisons l’expérience du contraire.

Néanmoins, je dois me demander: Quelle est cette “individualité” que nous, éducateurs, disons manquer aux japonais ? Par mes études de psychologie religieuse, je suis amenée à reconnaître que j’avais compris la notion du “moi” en fonction de la psychologie développée surtout aux Etats-Unis et en Europe, qui insiste sur l’individu comme une entité indépendante, libre et autonome. Devons-nous, nous les Japonais, développer notre individualité selon la notion occidentale du moi ?

Certains Japonais opposés à la mentalité traditionnelle japonaise encouragent leurs enfants à être autonomes avec comme résultat que ces enfants deviennent souvent de véritables égocentriques. Individualité et égoïsme ne sont pas la même chose. La traduction de “l’homme individuel”, en japonais, ko ou kojin signifie “un objet parmi d’autres, un individu extrait du contexte du groupe pour être dénombré” (Kasulis, 6). Dans notre langage, le terme de ko ou kojin connote une notion d’isolement. L’idéogramme lui-même nous donne l’impression de quelqu’un de têtu et enfermé dans un monde à lui, personnel et privé. Incontestablement, nous ne voulons pas développer l’individualité dans ce sens japonais. Alors, dans quel sens et par quels moyens devrions-nous favoriser le développement de l’individualité chez nos étudiants ?

Comme première réponse à cette question, je soulignerai que nous avons besoin de connaître et d’être conscient de notre “moi”. Bien que les Japonais regardent généralement leur “moi ” comme immature, faible ou inférieur à celui des occidentaux, je dois insister sur le fait qu’au contraire, nous avons confiance en notre propre “moi”. Le “moi japonais” montre simplement un des aspects du “moi” propre à tout homme, comme Markus et Kitayama le font observer: “Certaine compréhension et certaine représentation des aspects personnels, intérieurs du moi peuvent bien être universels, mais d’autres aspects peuvent être plutôt spécifiques à une culture particulière” (226).

2. La notion du “moi” et “le moi japonais”

Il est remarquable de voir le nombre de psychologues qui se sont penchés sur le problème “culture et conscience du moi”. Leurs théories sont extrêmement utiles pour comprendre le “moi japonais”. Par exemple, Frank Johnson souligne le côté bipolaire du terme “moice moi est à la fois subjectif (normatif) et objectif (accusatif). Il affirme: “Les modèles occidentaux du moi sont d’une conception à la fois subjective et objective. Scientifiquement parlant, il s’agit d’une insistance commune (à l’Occident) de renvoyer le moi-objet (pour les autres) à une relation sociale étroite, extérieure et réciproque” (cité dans Marsella, De Vos et Hsu, 97). Il développe plus loin sa pensée et présente certaines caractéristiques du moi-subjectif occidental. Il le voit analytique, monothéiste, individualiste et finalement matérialiste et rationaliste (113). Je dirais que le “moi-japonais” reflète des caractères opposés. Shan Guisineger et Sidney J. Blatt mettent en lumière les récentes théories qui contestent la “tradition qui privilégie l’importance du développement du moi et de son identité aux dépens du développement des relations sociales”.

Elles affirment que cette tradition “est de plus en plus contestée par les théoriciens qu’intéressent l’attachement affectif, les relations comme objet psychanalytique, le féminisme et les psychologies non occidentales” (104). Elles montrent que “la psychologie du développement humain est encore largement présentée comme si la séparation et l’individuation représentaient le plus haut degré de maturité”, et nous indiquent qu’il est nécessaire de reconnaître que “le développement d’une personnalité saine implique une égale et complémentaire importance entre l’individualité et la relation aux autres tant pour les hommes que pour les femmes” (109).

Je veux ici souligner encore une fois les études de Hazel Rose Markus et de Shinobu Kitayama qui concluent que “les peuples, dans des cultures différentes, ont de saisissantes et diverses conceptions constructives d’eux-mêmes, des autres et de l’interdépendance entre les deux” (226). Ils présentent ainsi deux constructions du “soi”, “indépendante” et “interdépendante”, et remarquent que dans bien des cultures occidentales, pour mener à bien leurs projets culturels, on a développé une construction du “soi” indépendante comme individu; “son comportement est organisé et magnifié par référence à son répertoire intérieur de pensées, de sensations et d’actions, plutôt que par référence aux pensées, aux sensations et actions des autres” (226). En contraste, beaucoup de cultures non occidentales, pas seulement japonaise, mais autres, asiatiques, africaines, latino-américaines et beaucoup de cultures de l’Europe du sud, “insistent sur la relation fondamentale des êtres humains entre eux” (226), et, dans ce cas, “s’est généralement développée une construction interdépendante du soi”.

Le “moi japonais” est un exemple typique du “moi interdépendant”. Selon la psychologue japonaise, Yôko Yamada, “l’idée de soi complètement indépendante de son environnement est tout à fait étrangère aux Japonais. Pour eux, “moi” se situe toujours dans une relation interdépendante avec l’entourage et, ni soi, ni l’entourage ne peuvent être définis sans référence aux autres” (Kojima, 973). George DeVos présente, lui aussi, une autre analyse du “moi japonais.” Il écrit qu’il s’agit de soi en situation de conformité et de cohésion sociale et que les Japonais connaissent leur moi dans une interaction sociale. Il souligne également le rôle que tient le statut dans la société japonaise. “En réalité, des égards envers les priorités relationnelles de la considération sociale, soit a) envers le moi introspectif, objet d’intérêt intérieur, soit b) envers une relation verticale de ceux de même niveau social” (Masella, DeVos et Hsu 142).

Notre capacité à nous relier aux autres est importante, spécialement de nos jours quand les gens souffrent de toutes sortes de divisions. Néanmoins, la seule chose capable de nous apporter guérison et réconciliation est un changement de la conscience que nous avons de notre aliénation à l’autre pour nous tourner vers une communion avec tous les êtres, basée sur des relations d’interdépendance. Si nous pouvions arriver de façon effective à nous servir chacun de notre “moi” nous pourrions sûrement contribuer à renouer les liens d’un monde désuni.

Sur ce sujet, la sociologue japonaise Kazuko Tsurumi pense que la société japonaise est une société multi-structurée parce que les Japonais n’admettent aucune sorte de conflit entre des principes, des valeurs ou des idéologies opposées. Ils acceptent tout et font que tout puisse coexister dans l’harmonie. Ceci peut être attribué à leur façon de penser et à leur conduite qui sont très proches de celles du chaman. En d’autres termes, les structures des rapports humains et de la psychologie des temps anciens, fondées sur le chamanisme (la plus primitive des religions) demeurent encore dans la société japonaise moderne. Elles tendent à ce que le rôle des Japonais soit de relier entre elles les différences et les diversités du monde moderne comme le chaman le faisait dans les temps anciens.

Cependant, comme l’histoire du Japon le montre, nous sommes tombés plusieurs fois dans diverses formes de “collectivisme”. Notre sens de l’interdépendance à l’autre peut devenir dangereux quand il ne s’accompagne pas d’un développement de “l’individualité”.

En regardant certaines implications du “moi interdépendant”, je remarque plusieurs aspects qui devraient être transformés par les “valeurs évangéliques”. Tout d’abord, le “moi interdépendant” est centré sur l’autre. Une reconnaissance et un besoin des autres seront très importants. Dans cette culture de l’interdépendance, où l’humilité est l’attitude la plus nécessaire et la plus appropriée, on apprend à faire plus attention aux autres qu’à soi. Au plan cognitif, le “moi interdépendant” est plus attentif et plus sensible aux autres que le “moi indépendant”. La connaissance des personnes, de soi ou des autres, n’est pas abstraite et généralisée hors du contexte mais, au contraire, restera centrée sur la situation présente. De plus, une attention au contexte social et aux réactions d’autrui peut aussi influencer des activités cognitives non sociales élémentaires comme la catégorisation des gens ou les pensées non factuelles. Markus et Kitayama concluent que les éléments les plus signifiants de “l’interdépendance du moi” sont une large compréhension des autres et la connaissance de leurs sentiments et de leurs pensées ainsi que la faculté d’agir dans le contexte des relations personnelles (231). Les sentiments de “l’interdépendance de soi centrée sur les autres” découragent souvent la libre expression de ses propres sentiments et conduisent à l’inhibition et à l’ambivalence; cependant, si ceux qui ont un “moi indépendant” sont très opérationnels, ils doivent être bons dans l’expérimentation et l’expression des émotions “egocentrées” comme la colère, les sentiments de frustration et l’orgueil. Vouloir réussir est une notion caractéristique fondamentale de l’homme.

Mais le désir de réussite dans un contexte interdépendant semble être très différent de celui du vouloir réussir dans le contexte indépendant. Markus et Kitayama déclarent que la notion américaine de réussite “comporte un largage des amarres, une marche en avant et la volonté d’obtenir le contrôle de son environnement”, alors qu’au Japon, le besoin de réussir “ne reflète pas nécessairement le désir de réussir ‘pour moi’ personnellement” (243). Je préférerais dire que dans une culture orientée vers les autres, l’individu tend à réaliser les attentes de son entourage, habituellement la famille. Je voudrais aussi souligner une tendance à la modestie, à l’effacement de soi ou à la valorisation de l’autre parmi les tenants d’un “moi interdépendantDans les cultures interdépendantes, l’humilité est d’ailleurs l’attitude la plus prisée et la plus appropriée, une manière d’apprendre comment prêter plus d’attention à l’autre qu’à soi. En conséquence, il est très rare pour les Japonais de déclarer être meilleurs que les autres et d’ailleurs ils n’aiment pas l’être. Les enfants japonais grandissent imprégnés du proverbe “makeru ga kachi” qu’on pourrait traduire par “perdre, c’est gagner”. Il est intéressant de savoir que les étudiants japonais sont mieux assurés de leur capacité après un échec qu’après un succès. Pour les Japonais, leurs réponses modestes sont le résultat d’expériences positives et engendrent des sentiments d’extraversion associés à une volonté d’interdépendance. Pour les tenants d’un “moi interdépendant”, céder signifie que “cette personne est suffisamment mature pour contrôler sa ou ses pulsions afin de protéger la paix et l’harmonie du groupe” (Azuma, 970).

Ce qu’il nous faut voir maintenant c’est le “je” du “j’ai été créé ‘unique’ et suis aimé de Dieu tel que je suis”. Nous avons à nous estimer nous-mêmes à cause de l’amour personnel de Dieu pour chacun d’entre nous. Peut-on vivre les “valeurs de l’Evangile” sans cette expérience ? Il nous faut encore noter que le “moi interdépendant” ne se préoccupe pas des besoins, des désirs et des objectifs de tous les autres. Une des fortes propensions du “moi interdépendant” est que “l’attention aux autres ne l’est pas sans discernement; elle est hautement sélective et ce sera le plus caractéristique des rapports personnels à l’intérieur des membres du ‘groupe'”. (Markus et Kitayama, 229) Nous avons besoin d’aller au-delà de notre petit monde restreint et de nous rapprocher des autres, ceux du monde inconnu.

Il faut souligner que la langue japonaise indique clairement les caractéristiques du “moi japonaisLaissez-moi donner quelques exemples. T. P. Kasulis étudie trois mots utilisés pour désigner une personne: hito (homme), kojin (quelqu’un pris individuellement), et ningen (être humain) (3). Avec la juxtaposition de ces trois mots on voit bien comment les Japonais en général, voient les liens de l’individu et de son contexte. La conclusion de Kasulis est: “Du point de vue des Japonais, la personne n’est pas d’abord un individu qui aurait été ensuite introduit dans le monde. Comme le révèle la structure du langage employé pour désigné l’être humain, la personne se situe toujours dans un contexte, dans une nécessaire relation avec ce qui l’entoure”. En outre, Kasulis fait ressortir l’usage que font les Japonais des pronoms personnels. En général, les Japonais ne les utilisent pas, sauf s’ils sont absolument nécessaires à la compréhension, et “souvent, se servent de mots directionnels plutôt que de pronoms quand la référence à une personnes est obligatoire7).

En japonais, l’usage répétitif de “je” sonne vraiment comme de l’égoïsme. Nous pouvons communiquer sans identifier le sujet des verbes que nous employons. Ce qui semble montrer que j’établis un rapport entre moi et vous, et qu’il est difficile de me définir indépendant de vous. Une autre de ses observations est aussi très vraie: “La langue japonaise insiste sur le contexte de la communion interpersonnelle par une autre voie, à savoir, une référence au statut relatif entre celui qui parle et celui qui écoute” (8). Quand quelqu’un parle en japonais, il lui faut changer de vocabulaire ou d’expressions selon le statut ou les auditeurs présents dans l’espace où il parle. Autrement dit, les Japonais se regardent dans leur relation aux autres et parlent d’eux-mêmes en relation avec leurs interlocuteurs. T.P. Kasulis en conclut qu’au Japon “l’individu devient significatif dans la mesure où il (elle) est le résultat d’une relation établie dans le contexte où il se trouve et non l’inverse” (9). De même que le mot japonais “soi-même” (jibun) signifie “sa part d’espace partagé” (Markus, Kitayama (228), dans la culture japonaise, “je” ne peut exister sans relations aux autres dans un espace partagé. Le “moi japonais” est vraiment le “moi-en-relation-à-l’autre”.

Permettez moi également de vous présenter ici une étude sur l’utilisation des “expressions pour soi” et des “expressions pour les autres” qu’a conduite le professeur de linguistique japonaise, Takao Suzuki. Suzuki explique que, quand les Japonais conversent, inconsciemment, ils évaluent la place qu’occupe chacun des protagonistes présents et se servent, suivant la situation, de différentes sortes “d’expressions pour soi” et “d’expressions pour les autres” (146 – 203). Ce qui indique qu’il est difficile pour les Japonais d’avoir un entretien avec d’autres tant qu’ils n’ont pas établi des relations bien précises et clarifié le rôle de chacun dans la relation présente. Pour Suzuki, la raison pour laquelle les Japonais donnent l’impression d’ambiguïté, surtout dans un contexte international, tient non pas à leur faiblesse dans le maniement des langues étrangères mais à leur caractère. Pour s’affirmer “eux-mêmes” ils ont besoin de se découvrir “eux” dans leurs relations aux autres (195 – 203). Nous avons vraiment besoin de pouvoir clarifier notre identité, même dans un situation inconnue, pour pouvoir prendre une position ferme pour nous-mêmes en dehors de toute autre relation.

3. Le “moi” et les symboles de “l’autre sacré”

1) Religion et le “Moi”

J’ai trouvé l’étude du “moi” la plus pénétrante dans “La culture et le moi” de Marsella, Devos et Hsu. Dans ce livre, les auteurs célèbrent le retour du “moi” comme un concept capital pour une compréhension d’une culture et d’un comportement humain. Ils affirment: Après presque soixante-dix ans, s’opère une résurgence de l’intérêt pour le concept du moi. Au tournant de ce siècle, le moi était un principe majeur dans de nombreuses théories sur le comportement de l’homme. Aujourd’hui, les chercheurs en sciences sociales, les philosophes et même les spécialistes en physique théorique, sont de plus en plus nombreux à évoquer le moi comme un concept explicatif pour la compréhension du très complexe comportement humain (ix).

En réponse à leur théorie, l’anthropologiste Jacob Pandian donne une interprétation de la relation entre religion et expressions culturelles du “moi”. Il écrit: “Les symboles du moi (représentations du ‘qui je suis’ et du ‘que suis-je’) sont liés aux symboles du surnaturel ou de” l’autre sacré” (dieux, déesses, esprits, etc.); des conceptions du moi qui acquièrent une signification sacrée grâce à une référence du ” moi” aux êtres étroitement liés à l’ordre du sacré” (xii).

Marsella, Devos et Hsu mettent également en lumière ce fait que les symboles de “l’autre sacré” jouent souvent un rôle crucial dans la définition des limites des symboles du “moi” et de leurs caractéristiques : “Le concept occidental du moi est pour une large part influencé par un tradition monothéiste de la pensée occidentale qui peut conduire à une perception plus individualiste du monde. Ce sont des définitions plus dichotomiques que les plus informes diversités de la pensée polythéiste” (13).

Je trouve ces études très perspicaces quant à la compréhension que j’ai de l’éducation religieuse parce qu’elles me convainquent que l’éducation religieuse affecte le développement du “moi” de nos étudiants, en fonction de l’idée qu’on leur donne de “l’autre sacré”.

2) Les religions japonaises traditionnelles

Permettez moi de vous parler des religions japonaises traditionnelles supposées jouer un rôle important dans la formation du “moi japonais”. En accord avec la théorie du philosophe Takeshi Umehara, toutes les religions du Japon semblent être issues d’une seule religion appelée “religion des forêts” (181-216). Nous avons tout appris, comment vivre, ce que sont les êtres humains ou ce qu’est le monde, à partir de la forêt. Une forêt est un endroit où toutes les créatures vivent ensemble, partagent leur vie dans une relation “d’interdépendance”. Notre mentalité religieuse s’est développée dans les forêts. Traditionnellement, nous Japonais, révérons le caractère sacré de la nature; nous regardons la nature comme un lieu où Dieu réside. Ce qui fait dire aux chercheurs que les dieux japonais n’ont pas de “visage” mais une place où résider: les dieux japonais sont “owashimasu kami” (voir aussi Yamaori, 24-30), “dieu qui est” ou bien “dieu qui révèle sa déité dans l’espace”.

Dans cette culture d’un “dieu qui n’a pas de ‘visage”, le mélange des religions a tout naturellement sa place. Au cours des siècles, le Japon a accepté trois grandes traditions: confucianisme, bouddhisme et christianisme. Les deux premières se sont assimilées à la religion originelle du Japon, le shintoïsme, et sont devenues une plus ou moins grande part de notre culture japonaise et de notre héritage religieux. Pour presque tous les Japonais, la plus importante expérience religieuse semble consister en un “sentiment” sacré. Bien que nous admettons l’existence de quelque être suprême, nous ne pouvons pas exprimer clairement qui il est. Nous aimons “sentir le sacré” sans le définir. Il me semble personnellement que ce dieu qui n’a pas de “visage” est lié de très près au “moi japonais” qui n’a pas développé une “individualité” distincte. Le manque du concept “d’individualité” distincte dans les enseignements de nos deux plus influentes religions, shintoïsme et bouddhisme, confirme ma présupposition.

Le bouddhisme enseigne qu’une personne est simplement une accumulation de facteurs, chacun d’eux venant à l’existence en accord avec les principes universels de cause: corps/forme, sentiments/sensations, perception, activités/caractères et conscience. Néanmoins, “le bouddha rejette l’idée qu’un “je” ou “moi” permanent puisse se trouver dans un seul ou dans une combinaison de ces facteurs” (Thomas, 96). Le Bouddha souligne que “une personne, plutôt qu’un moi durable, est une accumulation de processus déterminés qui continueront d’exister aussi longtemps que les condition seront présentes” (97Tout ce qui constitue la personne humaine est par conséquent éphémère, fragile, toujours changeant. Ce qui est éphémère ne peut être considéré comme étant “moi”, aussi longtemps que nous regardons le “moi” comme quelque chose qui dure.

Ce qui est remarquable dans la foi shinto est la relation intime qui existe entre l’âme individuelle et les âmes de tous les autres Japonais, passés, présents et futurs. C’est ici que nous trouvons l’idée fondamentale du shintoïsme que la personne est vue comme un “être-en-communion” et non comme un être individuel. Comme Thomas le souligne, une personne est: “toujours-en-devenir. L’homme n’est jamais statique. Il n’est pas identifié en fonction de ce qu’il a pu facilement se séparer de son milieu. La dignité de l’homme vient de la totalité du macrocosme où il vit et non du microcosme qu’il est “lui-même” (144).

Quand le christianisme est arrivé au Japon pour la première fois au 16ème siècle, comme l’écrit le théologien japonais Kosuke Koyama, “Il ouvrait un nouvel horizon dans l’interprétation de l’individu aussi bien que de la vie communautaire” (76). Ici, je voudrais signaler une observation pertinente de Paul Tillich qui, en voyage au Japon, put s’entretenir avec un moine bouddhiste. Leur conversation toucha la question des rapports entre “individualité” et “communautéLe moine bouddhiste disait: “Si chaque personne a une substance, nulle communauté n’est possible”, ce à quoi le chrétien répondit: “Ce n’est que si chaque personne possède une substance en propre qu’une communauté est possible” (Tillich, 75). Dans cet échange, je trouve décisive la différence entre les notions bouddhistes et chrétiennes de “communion” et “d’individualité” et je voudrais dire que cette différence touche de près notre notion respective du “moi”.

Après avoir vu qu’à cause de leur notion de “l’autre sacré” qui n’a pas de visage, nos religions traditionnelles ne nous semblent pas appropriées à aider les Japonais à développer leur “individualité”, je veux présenter le christianisme comme la religion qui, précisément, peut aider le “moi japonais” à cause de son concept que “l’autre sacré” est une personne.

3) Dieu qui a à la fois un et trois visages

Dans la tradition théologique, “l’expérience” du salut de Dieu qu’ont les chrétiens (Dieu qui rachète les hommes par le Christ dans la force de l’Esprit Saint) est attribué à l’être éternel, et identifié à Dieu (le Dieu qui existe éternellement comme Père, Fils et Esprit). C’est là l’essentiel de notre foi, la doctrine de la Trinité. Catherine LaCugna explique cette doctrine de la façon suivante: “L’essence de Dieu est relationnelle, Dieu existe en tant que plusieurs personnes différentes, unies dans une communion de liberté, d’amour et de connaissance” (224). Le trois-en-un de Dieu, Dieu qui a à la fois un et trois visages est absolument distinct du dieu sans visage de la tradition japonaise.

David Miller indique que la formulation trinitaire apparaît non pas seulement dans la tradition chrétienne mais aussi dans bien des religions du monde, comme par exemple dans les traditions égyptienne, Zoroastrienne, hindoue et bouddhiste. Il souligne pourtant que “l’image religieuse spéciale dénommée Trinité a reçu une expression décisive dans la tradition chrétienne, une tradition qui a non seulement parlé des triades comme beaucoup d’autres, mais qui a avant tout insisté – en parole si ce n’est pas toujours en acte – sur le fait que la suprême réalité, ou la réalité vue en dernière analyse, est fondamentalement trinitaire” (1986, 14). Bien que les exemples de triades dans le monde des religions puissent sembler universels, c’est particulièrement la tradition religieuse chrétienne qui a été la plus tenace pour insister sur l’unique et trine Réalité divine.

Le christianisme, à cause de cette doctrine de “l’autre sacré” influence la formation d’une certain modèle du “moi”. Aussi, je me demande: pouvons-nous trouver le “moi” type, basé sur ce Dieu trine, chez les occidentaux si fortement affectés par la culture chrétienne ? Les réflexions sur la doctrine de la Trinité par la commission des études du Conseil des Eglises d’Angleterre donnent une réponse à cette question. Elles reconnaissent que la signification de la Trinité était oubliée dans la tradition chrétienne et regrettent que “l’individualisme” pervers de la tradition occidentale soit le résultat de cette mise en sommeil de la doctrine trinitaire (19). Elles expliquent qu’Augustin “était venu chercher l’image de Dieu dans la triple structure de l’esprit humain plutôt que, dit-il, dans les relations d’une personne humaine à une autre” (19).

LaCugna considère que “l’analogie psychologique de la Trinité par Augustin est inadéquate, pour cette raison, non pas qu’elle soit psychologique mais parce que cette psychologie et cette anthropologie tendent à se focaliser sur l’âme individuelle. Jusqu’à un certain degré, la théo-psychologie d’Augustin n’aboutit pas parce que la nature relationnelle de Dieu trine ne se cantonne pas à lui seul, mais s’est déversée à flot dans l’économie historique de la création, de la rédemption et de la consommation finale” (103). LaCugna explique également que le résultat de cet oubli de la Trinité est que “la doctrine trinitaire a eu une influence négligeable sur la vie et la piété chrétiennes. Dans leur vie pratique, la plupart des chrétiens ne sont que de simples ‘monothéistes'” (213). Ici je me souviens de ce que soutenaient Marsella, DeVos et Hsu: “Le concept occidental du soi est pour une large part influencé par la tradition monothéiste de la pensée occidentale qui peut conduire à la plus individualiste perception du monde” (13).

Ici il me faut être clair: Quand je dis que le christianisme peut aider les Japonais à développer leur “individualité”, mon “moi” idéal ne désigne pas le type du “moi” occidental issue de la tradition monothéiste. Des théologiens attribuent le malentendu à propos de la Trinité au concept de personne: “la personne s’est montrée souvent l’équivalent de l’être individuel” (Conseil des Eglises d’Angleterre, 20). Ce que j’espère stimuler chez nos étudiants c’est la notion de “personne” et la véritable image de Dieu trine est éloquente pour ce faire. Le terme “d’individualité” peut donner le même résultat que ce qu’a expérimenté la tradition occidentale. “La personne” sauvegarde la ‘particularité’ et le ‘caractère unique’ de chacun; et, dans le même temps, elle montre comment l’être personnel de quelqu’un dérive de ses relations aux autres personnes.

Ici, je voudrais souligner l’étude de John Macmurray sur la notion de personne. Son idée de la personne comme étant celle qui agit en lien avec une autre rejette la notion de personne auto-réfléchissante et discrédite l’auto-suffisance comme la réalisation la plus achevée de la personne. Son argument supprime les connotations statiques et privatives de l’être-pour-soi et de l’être-par-soi et définit la personne comme l’être-en-lien-avec un-autre. Dans le même temps, il affirme que la communauté exige des personnes en communauté. Une communauté, bâtie sur l’amour, issue de personnes libres, loin de la peur de l’autre ou de la peur de soi. La définition de la personne de Macmurray est donc que “une personne est hétérocentrique, inclusive, libre, agent relationnel” (LaCugna, 259). Cette définition est certainement compatible sous bien des aspects avec la doctrine de la Trinité. En langue japonaise, la “personnehito” s’écrit avec un idéogramme qui montre que, dans la tradition japonaise, la notion de “personne” inclut l’idée de relation aux autres. Nous nous souviendrons, cependant, qu’à cette “personne” selon la conception japonaise, l’idée de “particularité” et “d’unicité” fait défaut. Il nous faut inventer un terme nouveau qui inclurait à la fois l’idée de “relation” et de “unicité”.

La doctrine de Dieu trine, de Dieu qui se révèle comme une unité relationnelle de personnes différentes peut ainsi éclairer la notion de “personne” parce qu’elle ne conduit ni à l’individualisme ni au collectivisme de quiconque. Etre une personne c’est “être quelqu’un qui donne et reçoit librement des autres personnes avec qui il est en relation” (Conseil des Eglises d’Angleterre). Dans cette “personne”, on peut reconnaître la maturité du “moi” fondée sur la théorie de la maturité de Robert Kegan selon laquelle la maturité est la profonde ouverture d’esprit de quelqu’un en possession d’une identité autonome, capable de se livrer lui-même librement et qui peut risquer sincérement une relation mutuelle avec les autres et avec Dieu (Conn, 57). Je voudrais conclure ainsi: si nous, éducateurs chrétiens, voulons développer une “personnalité mature” dans un “moi japonais interdépendantla condition décisive sera la prise de conscience de la “particularité” et de “l’unicité” de chaque personne.

4. Education religieuse et transformation du “moi japonais”

J’assume l’idée que le dieu japonais flou et sans “visage” ne peut pas aider les Japonais à devenir conscients de leur “particularité” et de leur “unicité” parce qu’on ne peut pas, de façon personnelle, rencontrer un dieu de conception aussi vague. Le Dieu qui a un visage est ce Dieu qui s’identifie Dieu lui-même comme le “Je suis qui je suisDieu qui parle en disant “je”. Je suis persuadé que “particularité” et “unicité” ne peuvent être réalisées que par une relation personnelle entre ce Dieu qui dit “je” et chacun de ceux à qui il dit “tu”. Notre éducation devrait tendre à rendre possible cette expérience à tous nos étudiants.

Ici, en tant qu’éducatrice chrétienne, j’aimerais présenter Jésus Christ comme un être qui peut nous montrer le visage de Dieu parce que ses paroles et ses actes, sa mort et sa résurrection manifestent qu’il est lui-même Dieu. (Pour ce qui est de la “seigneurie” de Jésus, je ne considère pas qu’il soit l’unique sauveur du monde et ne veux pas présenter à nos étudiants un Jésus Christ modelé par la tradition de la théologie occidentale. Jésus Christ, vu dans la culture et la société japonaise, a une signification décisive pour une éducation chrétienne. Je me souviendrai toujours de ce prêtre japonais qui, bouddhiste fervent, s’était converti au christianisme. Il se définissait lui-même en disant: “Je suis un bouddhiste qui a rencontré Jésus-Christ”. Pour nous chrétiens, le côté le plus important d’une conversion semble ne pas être une affaire religieuse mais une rencontre avec Jésus. Moi qui suis devenue chrétienne à l’âge de 21 ans, je n’ai jamais senti que je m’étais converti du shintoïsme/bouddhisme au christianisme. J’ai ressenti que je me convertissais à la personne de Jésus Christ. Le facteur décisif de la “transformation” de ce prêtre japonais, comme dans mon cas, est sans aucun doute une rencontre personnelle avec Jésus lui-même. Je pense que je connaissais Dieu qui est partout et nous aime avant d’être devenue chrétienne et je suis sûre que ce même Dieu m’a été un guide depuis le commencement de mon existence. Mais, ma transformation a été décisive quand le Christ Jésus m’a saisie et que j’ai pris conscience de moi-même comme de quelqu’un personnellement aimé).

Je suis certaine que le premier rôle d’une formation chrétienne dans la société japonaise est de rendre le Christ Jésus accessible et de favoriser une rencontre

personnelle avec lui. Si les Japonais voient la personne comme un être de relation, chacun d’entre nous pourra développer en lui-même “l’être-en-relation-avec-Dieu” à travers la rencontre avec Jésus-Christ. “La religion est la célébration du personnel et du communautaire” (LaCugna, 259). Je trouve l’équilibre entre le personnel et le communautaire en ce Dieu, un-en-trois. Avec l’aide de la notion de cet “autre sacré” nous pouvons sauvegarder la caractéristique de notre “moi japonais interdépendant”. En même temps, nous pourrons trouver et fortifier notre propre identité fondée sur l’amour unique de Dieu pour chacun personnellement. La rencontre de Jésus Christ encourage nos étudiants japonais à prendre conscience de leur “particularité” et de leur “unicité” comme des êtres individuels aimés personnellement de Dieu. J’espère ainsi que cette prise de conscience donnera à nos étudiants le courage de vivre “les valeurs évangéliques” en répondant personnellement à l’appel de Dieu, et ainsi à participer à la guérison et à la réconciliation de toute l’humanité.