Eglises d'Asie

LA PAROLE ET LE SILENCE dans les traditions bouddhiste et chrétienne

Publié le 18/03/2010




1 – Le Conseil Pontifical pour le dialogue interreligieux a organisé son second colloque international au monastère bénédictin Asirvanam à Bangalore en Inde, du 8 au 13 juillet 1998. Un petit nombre de bouddhistes et de chrétiens de l’Inde, du Tibet, du Japon, de la Corée, de Myanmar, Sri Lanka, Taïwan, Thaïlande, Italie, Allemagne, Suisse, et des Etats-Unis, étaient invités à un dialogue sur le thème “la parole et le silence dans les traditions bouddhiste et chrétienne”. Cette réunion répondait à un souhait exprimé au premier colloque du Conseil pontifical, qui eut lieu en juillet 1995 à Kaoshiung, Taïwan, dans le monastère bouddhiste de Fo Kuang Shan. A la fin de ce premier dialogue,les participants exprimèrent le souhait de se rencontrer à nouveau dans un monastère chrétien, pour contribuer à l’approfondissement de la rencontre moderne entre bouddhisme et christianisme.

2 – L’ordre du jour de la réunion comprenait quatre sujets principaux: l’illumination bouddhiste, la révélation chrétienne, les textes sacrés du bouddhisme et du christianisme, la méditation et la contemplation dans le bouddhisme et dans le christianisme, et la kénose anatta/suyata. Les communications ont été présentées de façon à nourrir le dialogue. Ainsi, tous les participants ont partagé et exploré leur vision de la place de la parole et du silence dans leurs traditions respectives, pour parvenir à une meilleure compréhension mutuelle. Ce colloque a permis à chaque partie d’exposer ce que sa tradition croit, enseigne et célèbre. Voici quelques domaines explorés durant ce dialogue.

3 – L’autorité des textes anciens et sacrés du bouddhisme fut décidée pendant les six grands Conciles bouddhistes réunis par les disciples de Bouddha à différentes époques après son passage dans le Parinirvana. Le bouddhisme Theravada accepte seulement les enseignements du Bouddha que ces Conciles considérèrent comme faisant autorité. Ce canon ancien comprend les déclarations de Bouddha (Sutta), les règles pour l’ordre monastique (Vinaya), et les hauts enseignements philosophiques (Abhi-Dhamma). Alors que le bouddhisme Mahayana accepte ce canon ancien, il accepte également et met l’accent sur d’autres textes sacrés appelés les Sutras, dont il pense qu’ils font partie des enseignements de Bouddha. Dans le Mahayana il y a la tradition Vajrayana qui accepte les canons du Theravada et du Mahayana en y ajoutant d’autres textes appelés les Tantras, qui exposent les enseignements du bouddhisme ésotérique. Ces traditions ont en commun les préceptes de vie, les enseignements du Bouddha et les commentaires faisant autorité sur les traditions particulières. Ces textes sacrés décrivent le chemin qui conduit à la libération des souffrances et la nature et les qualités de cette condition suprême.

Dans la tradition catholique, l’autorité enseignante de l’Eglise a reçu les textes révélés et inspirés et en a déclaré la canonicité. Le canon des Ecritures saintes fut élaboré au cours des siècles par les Conciles. Cette Ecriture sainte se divise en deux parties: l’Ancien Testament, écrit dans la tradition juive, avant le Christ, et le Nouveau Testament écrit par les apôtres et leurs disciples proches, témoins de Jésus Christ. Les chrétiens croient que dans l’Ecriture sainte Dieu se révèle et révèle Son amour manifesté dans le Christ, et nous parle, nous révèle ce que doivent être nos croyances, notre façon de vivre, et ce qui est nécessaire à notre salut.

4 – A part le fait d’étudier la vérité (Dharma) dans les textes sacrés, les bouddhistes cherchent aussi la réalisation de cette vérité ultime dans leur propre expérience d’illumination. Les écrits de certains religieux monastiques, hommes et femmes qui ont atteint ce but et sont considérés comme des patriarches, font autorité, mais toujours à un degré moindre que les textes sacrés anciens. L’aide des maîtres éclairés est aussi recherchée pour guider sur le chemin du bouddhisme. Pour les chrétiens, la tradition de l’Eglise qui remonte aux apôtres est une base de la foi, comme les Ecritures saintes. L’Eglise attache une grande valeur aux enseignements des Pères et des Docteurs de l’Eglise qui sont des saints canonisés connus pour leur doctrine. D’autres saints et guides spirituels ont également un rôle pour transmettre aux chrétiens la compréhension de la parole de Dieu.

5 – Les bouddhistes respectent les textes sacrés de toutes les religions. Ils reconnaissent qu’il y a des différences entre les enseignements des différentes traditions spirituelles mais ne critiquent pas les visions différentes des leurs. Ils encouragent leurs religieux monastiques et leurs érudits à étudier les autres écritures sacrées pour mieux comprendre les leurs. L’Eglise respecte les textes sacrés des autres religions, pense qu’ils renferment un important héritage d’enseignements religieux qui ont guidé des millions de personnes pendant des siècles. Ces textes sacrés des autres religions sont considérés comme contenant des éléments de vérité dans lesquels les chrétiens sont invités à découvrir les semences du Verbe que Dieu le miséricordieux a donné à tous les peuples.

6 – Dans le bouddhisme l’étude des textes sacrés est considérée comme indispensable pour pratiquer et donc pour leur accomplissement. Cependant l’étude n’est pas suffisante, il doit aussi y avoir la pratique de la méditation silencieuse et un approfondissement de la sagesse qui en découle. La pratique du silence est nécessaire ici comme condition spirituelle à la purification et à l’éveil, à la sagesse, à la compassion, à la bonté aimante et à la sympathie joyeuse qui se reflètent dans les pensées, les paroles et les actions. Dans le bouddhisme les textes sacrés sont utilisés dans des pratiques récitatives qui contribuent au progrès spirituel. Aujourd’hui, beaucoup de bouddhistes laïcs enseignent les textes aux laïcs et les aident à vivre les enseignements du Bouddha dans la vie quotidienne. Dans ce contexte, la pratique des récitations est un outil précieux pour l’amélioration mentale et morale.

Dans le christianisme, la parole de Dieu est utilisée pour les célébrations communautaires, pour l’instruction et pour la formation personnelle. La parole de Dieu porte Son pouvoir de transformer l’existence humaine en accord avec l’esprit et le coeur du Christ. La parole de Dieu a un rôle central dans la liturgie de l’Eglise, spécialement dans l’Eucharistie et l’office divin. Les chrétiens, spécialement les religieux monastiques, se soumettent avec humilité à l’action vivifiante de l’Esprit en lisant la parole de Dieu dans la lectio divina : lecture des écritures, réflexion méditative, réponse personnelle dans la prière et, quand le silence se fait, l’expérience de la présence de Dieu dans la contemplation. Il y a maintenant de nouveaux mouvements laïcs dans l’Eglise qui partagent la prière en lisant la parole de Dieu et la mettent en pratique dans la vie quotidienne. Là aussi le silence sert à approfondir la conscience de Dieu, l’intimité avec lui, à l’intérieur de soi. Et aussi, en vivant la parole de Dieu avec les autres, chacun est appelé à aimer autrui en faisant taire son esprit et son coeur afin de vivre plus pleinement pour les autres.

7 – Le mélange de paroles et de silence dans la pratique bouddhiste de la méditation, de la moralité et de la sagesse contribue à un processus de purification qui conduit à la libération dans le Nirvana ou dans l’état de Bouddha, selon les différentes traditions. Dans la tradition bouddhiste il est possible de connaître des visions fugitives de cette libération avant d’y parvenir complètement. La parole et le silence dans la vie chrétienne contribuent tous deux à une expérience toujours plus approfondie de salut qui inclut la libération du mal à l’intérieur et à l’extérieur ainsi que la transformation sociale. Pour les chrétiens ce salut, offert à tous, est compris comme se réalisant en Jésus-Christ, dans lequel la personne humaine et la société sont renouveléee, alors que le Royaume de Dieu donne un avant-goût du ciel.

8 – la pratique du bouddhisme impose le silence intérieur qui conduit au Nirvana ou à l’état de Bouddha. Dans le Theravada ce silence qui est un contrôle des pensées, paroles et actions, est la pratique clairement définie qui aboutit au but final de la sagesse. Dans le bouddhisme Mahayana et Vajrayana la réalisation spirituelle passe aussi par le silence à cause de la prise de conscience du vide qui est ineffable. Pour les chrétiens le salut commence dans ce monde comme initiative de Dieu reçue grâce à la foi et ne devient complet qu’après la mort. Le baptême introduit les chrétiens au mystère pascal du Christ, à sa passion, à sa mort et à sa résurrection. La réalisation de ce don de Dieu demeure un mystère. Plus on approche de Dieu, plus on est conscient de son ineffabilité qui peut se comprendre en terme d’espoir chrétien. L’espoir a ses racines dans la foi en la Trinité, une réalité qui dépasse toujours l’entendement humain.

9 – La libération bouddhiste dans le Nirvana conduit au détachement dans la vie quotidienne, comme une fleur de lotus qui pousse dans l’eau boueuse sans en être affectée. En vivant cette liberté nouvelle l’être libéré est caractérisé par le service et l’engagement exercé au bénéfice de soi et des autres. Dans le bouddhisme Mahayana et dans le Vajrayana l’éveil en suivant l’idéal du Boddhisattva se réalise dans une vie dévouée au bénéfice de tous les êtres sensibles. Cette vie libérée est réalisée et articulée dans le bouddhisme dans l’Octuple Sentier. Selon la tradition chrétienne, la personne est purifiée et transformée par la parole de Dieu à travers la foi nourrie par l’Ecriture sainte et les sacrements; ainsi elle reflète la gloire de Dieu exprimée en Jésus Christ. Puisque Dieu est Amour, cette réflexion du Christ a comme conséquence une surabondance d’amour et de don de soi aux autres. Dans la vie quotidienne, cela signifie mourir à soi pour ressusciter avec le Christ dans une vie nouvelle d’amour désintéressé et salvateur. Cette vie de désintéressement se retrouve dans l’exemple donné par les saints tout au long de l’histoire de l’Eglise. La charité pour les chrétiens est comme une graine semée dans le coeur humain par Dieu, où elle s’épanouit dans l’amour indivisible de Dieu et de son prochain.

10 – Le colloque s’est conclu par une expression de gratitude des participants envers la communauté monastique d’Asirvanam. L’atmosphère de spiritualité du monastère et l’hospitalité dans la tradition bénédictine ont fourni un cadre propice à la réflexion sur ces réalités profondes que sont la parole et le silence dans le bouddhisme et le christianisme. Les participants ont exprimé l’espoir que ce second dialogue constitue un pas de plus dans la rencontre entre bouddhisme et christianisme. Les participants se considèrent tous comme des compagnons de pèlerinage qui célèbrent leurs ressemblances et acceptent leurs différences, comme des amis dans la vie spirituelle. Tous espèrent que ce dialogue au niveau international continuera à porter des fruits pour les deux traditions et pour le reste de l’humanité qui aujourd’hui a besoin d’une plus grande attention à la parole et au silence, et qui cherche la paix et l’amour que ces traditions vivent et enseignent.