Eglises d'Asie

L’enquête du Vatican sur les travaux du P. Jacques Dupuis, théologien des religions, suscite l’étonnement dans les milieux ecclésiastiques indiens

Publié le 18/03/2010




La nouvelle de l’ouverture d’une enquête par la congrégation vaticane pour la doctrine de la foi sur le dernier livre du P. Jacques Dupuis, “Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux”, a provoqué la stupéfaction dans les milieux ecclésiastiques et parmi les théologiens en Inde, où le jésuite belge a enseigné pendant vingt-cinq ans, avant d’être nommé professeur à l’université grégorienne de Rome en 1982. Ses supérieurs ont demandé au prêtre, âgé de 74 ans, de cesser son enseignement à l’université grégorienne pendant qu’il préparait sa réponse à l’avis de “première enquête” qui lui a été notifié par le Vatican. Il a trois mois pour répondre.

Mgr Henry D’Souza, archevêque de Calcutta, ancien secrétaire général de la FABC (Fédération des conférences épiscopales d’Asie) a estimé que cette mise en cause des travaux du P. Dupuis était “dommageableLes deux hommes se connaissent bien car le P. Dupuis est le théologien personnel de Mgr D’Souza. Dans une lettre datée du 13 novembre et adressée au théologien, il écrit que le prêtre n’aura sans doute aucun mal à faire face aux questions, mais il s’inquiète “pour les conséquences à venir“. Il estime en effet que le P. Dupuis est connu pour son orthodoxieUne crainte se fait jour, dit-il, que toute pensée qui n’est pas exprimée dans les termes du passé ne devienne suspecteIl ajoute: En Orient, nous nous exprimons en paraboles et avec des histoires; naturellement, elles sont déficientesAssurant le P. Dupuis de ses prières, le prélat demande aussi que l’on prie pour tous ceux qui continuent à construire des murs autour de la foi et l’empêchent de bénéficier des riches apports de l’échange et du partage avec l’Esprit présent à l’extérieur

De leur côté, des théologiens jésuites réunis, le 24 novembre, à Calcutta, ont envoyé une lettre de soutien au théologien belge dans laquelle ils expriment leur préoccupation devant ce qui leur semble être une tendance à censurer la théologie indiennedans les milieux romains.

Le P. Samuel Rayan, jésuite et professeur de théologie, s’indigne de l’initiative romaine à l’encontre de son confrère : Le P. Dupuis est aussi dévoué à la foi chrétienne et à la vérité que n’importe qui d’autre dans l’Eglise, y compris ceux qui habitent au VaticanIl pense que l’expérience indienne du P. Dupuis lui a donné une connaissance de première main du pluralisme religieux, contrairement à ceux qui ont seulement entendu parler de ces chosesPour lui, l’Asie accorde davantage de valeur à une réflexion de vie fondée sur l’expérience plutôt qu’à la spéculation sur la foi et la vérité

Pour le P. T.K. John, théologien jésuite lui aussi, il est paradoxal que Rome s’en prenne au P. Dupuis alors que celui-ci est surtout connu en Inde pour son intransigeance en ce qui concerne le caractère unique de la personne du Christ, tout en donnant leur place à l’inculturation et au dialogue interreligieux.

Le P. Gispert-Sauchs, indianiste jésuite, trouve étrange l’enquête imposée au P. Dupuis alors que celui-ci a toujours pris soin, dans son enseignement et dans ses travaux théologiques, d’inclure toute la tradition de l’Eglise et l’enseignement du magistère. L’un de ses livres est même devenu un manuel d’enseignement dans toutes les facultés de théologie de langue anglaise, ajoute-t-il. Selon lui, tout le travail du P. Dupuis consiste à prouver que la rencontre et le dialogue du christianisme avec les autres religions, loin de saper les fondations de la foi chrétienne, démontre au contraire sa splendeurIl rappelle aussi que le P. Dupuis est depuis longtemps une sorte de consultant officieux pour beaucoup d’évêques en AsieIl se demande enfin si l’initiative du Vatican n’est pas un “avertissement indirect aux évêques d’Asie“, destiné à leur faire revoir leurs positions théologiques, surtout après le synode d’Asie de mai dernier. Il ajoute : Si c’était le cas, de graves questions se poseraient sur le rôle et la fonction des évêques dans cette immense région qui est si sensible à une foi chrétienne en dialogue avec les autres religions

Récemment, Rome a lancé des avertissements aux évêques indiens concernant certains théologiens du sous-continent (3), et condamné à titre posthume certains écrits attribués au P. Anthony de Mello (4). Auparavant, le P. Tissa Balasuriya, du Sri Lanka, avait lui aussi été condamné (5).