Eglises d'Asie

“ENLEVE PAR LES RAVISSEURS MAIS AUSSI PAR DIEU” Entretien avec le P. Luciano Benedetti, PIME

Publié le 18/03/2010




Mon Père, quelles marques cette expérience atelle laissées en vous ?

Cela a été une expérience de plus, un “extra” pour ma vie. Je porte avec moi le souvenir d’avoir regardé la mort en face, mais aussi la découverte du noyau de l’humanité, c’estàdire de la semence de Dieu chez mes ravisseurs. J’ai vécu surtout dans l’incertitude, dans le doute, dans la précarité absolue: je ne savais pas ce qui m’attendait le lendemain. Je n’ai pas eu peur : vivant depuis longtemps à Mindanao, j’étais préparé à une éventualité de ce genre.

Etesvous parvenu à établir un rapport avec vos ravisseurs ?

Oui, j’ai cherché à savoir ce qu’il y avait en eux, d’entrer dans leur mentalité. Pendant l’emprisonnement, je tâchais de fourrer mon nez dans leur vie par des questions : d’ailleurs, mon “métier” m’a entraîné à cela. Euxmêmes, ils ont considéré mon attitude comme “positive” à leur égard. C’étaient des personnes très simples, qui différaient de moi seulement par la foi. La distance entre nous était créée seulement par les armes, et, en cela, il y a une grande responsabilité pour ceux qui vendent des armes au tiers monde. Après deux mois de vie commune, un rapport avec eux s’était instauré : je parvenais à saisir leurs sentiments, leurs préoccupations pour leurs familles, il y avait presque un rapport d’amitié. A présent, ils restent dans cette triste situation de pauvreté et de danger, alors que je suis dans la tranquillité. Je pourrais les dénoncer, mais je n’ai aucune intention de le faire.

Quelle signification prend cette affaire dans votre vocation ?

J’ai été enlevé par des ravisseurs, mais aussi par Dieu. Par cette expérience, il m’a arraché à la vie normale et m’a mis dans une situation d’isolement du monde, des gens, de ma religion. J’ai eu beaucoup de temps à ma disposition pour repenser à ma vie et à mes rapports avec Dieu. En les regardant, des musulmans qui priaient trois fois par jour avec le fusil à côté, je me demandais de quel côté était Dieu: avec eux, ou avec moi, ou avec tous les deux ? Ces questions traversaient ma conscience. J’avais le réconfort de la prière, souvent la nuit, quand j’étais plus libre intérieurement. Les missionnaires, souvent, pris par la ferveur de leurs activités, négligent l’aspect contemplatif. Cette expérience a été pour moi un rappel à donner plus de place à la prière et à mes rapports personnels avec Dieu.

Jusqu’à quel point ont joué, d’après vous, les raisons économiques et politiques sur votre enlèvement ?

De la part de mes ravisseurs, au début, il y avait des motifs strictement économiques: ils croyaient que j’étais le patron de la Coopérative (la “Santo Nino Organic Farmer Corporation” créée en 1990 avec l’aide des prêtres PIME, ndlr) et ils voyaient en moi le riche, l’étranger. Les raisons politiques du phénomène répandu des enlèvements, est la revendication de la propriété des terres des ancêtres. Des compagnies philippines et étrangères de bois et de minerais ont “envahi” le territoire dans les années 1960 et 1970, et se sont installés à Mindanao. Aujourd’hui, les habitants se sentent frustrés de leurs terres, et il est ainsi difficile pour eux de survivre. Pour revendiquer leurs droits, ils n’ont pas d’alternative, et sont contraints d’exploiter le filon de la criminalité.

Changerezvous quelque chose dans votre style de mission ?

Il y a deux styles différents de mission : celui qui vise le contact avec les gens, quels qu’ils soient, aborigènes, chrétiens, musulmans, et celui plus moderne qui veut intervenir dans la réalité socio-économique, même au risque de créer des conflits. J’ai cherché à étudier les deux aspects: il faut comprendre la culture, comprendre les forces existantes et puis agir.

Que prévoyezvous pour votre avenir ?

Je voudrais continuer la mission aux Philippines : je connais déjà la culture, la société, la langue, et je serais avantagé dans mon travail. Certes, il ne me sera pas possible de retourner dans la région de Zamboanga, parce que ma présence serait une honte pour les musulmans. En février 1999, je saurai où mes supérieurs m’enverront.

Quel message adressezvous au monde missionnaire ?

Je voudrais souligner et insister fortement sur l’importance du dialogue dans les pays où il y a présence chrétienne et musulmane. Il faut vaincre les méfiances et combler le fossé culturel qui existe entre les deux parties, pour que les musulmans comprennent ce qu’est l’Eglise, et que les chrétiens regardent l’islam sans peur et sans préjugés. Les problèmes naissent de l’ignorance réciproque. Aux Philippines, le dialogue a commencé entre les évêques et les oulémas : c’est le seul moyen pour que les religions puissent cohabiter de manière pacifique. C’est un défi pour l’Eglise du troisième millénaire.