Eglises d'Asie

PRESQUE QUATRE ANS APRES L’ABOMINABLE ATTENTAT AU GAZ SARINDANS LE METRO DE TOKYO LA SECTE AUM EST DE RETOUR

Publié le 18/03/2010




Je fais la queue devant le palais de justice de Tokyo. L’air est vif en cette matinée d’automne. Devant moi, trois femmes murmurent entre elles. Elles doivent approcher les trente ans. Ce sont manifestement des adeptes du culte de la fin des temps, le Aum Shinrikyo. Elles ne sont pas maquillées et sont vêtues de simples pantalons en coton et de vestes usées et tachées. Sur leur visage se lit la dévotion, un peu comme sur le visage de religieuses ou d’infirmières en temps de guerre. Une heure plus tard, deux de ces filles, moi-même et 47 autres citoyens subissons une fouille minutieuse du service de sécurité. A 1OhOO précises, nous sommes assis dans la salle 104 du tribunal pour affaires criminelles; les plafonds sont hauts, l’air est frais et l’ambiance tendue. Conformément à la demande populaire, les tickets d’entrée ont été alloués par tirage au sort au moyen d’un ordinateur. Nous faisons partie des heureux gagnants.

Le défendant, entouré de deux gardes, fait son entrée, sans avoir été annoncé. On lui enlève les menottes et la corde enroulée autour de sa poitrine. Il s’assied sur le banc des accusés. Il n’est pas facile de déceler le moindre élément du charisme redoutable grâce auquel Matsimuto Chizuo pouvait subjuguer des milliers de personnes, lui que ses disciples appelaient Rev. Asahara Shokou. Asahara avait l’habitude d’expliquer à ses ouailles que la fin du monde était proche – sans toutefois prendre le risque d’en indiquer la date exacte. Il déformait le bouddhisme pour justifier sa “doctrine de la mort”, expliquant à ses disciples qu’en tuant des gens on propulsait les esprits des victimes vers un niveau supérieur. Il est jugé pour avoir ordonné, en 1995, la dissémination fatale de gaz sarin dans le métro de Tokyo, mais aussi pour d’autres meurtres.

La police estime qu’actuellement le culte d’Asahara est de retour, que Shinrikyo (le nom complet signifie “La Vérité de la Création, du Maintien et de la Destruction de l’Univers”) est entrain de se reconstruire, de se regrouper et de recruter. Elle dit qu’Asahara détient toujours un pouvoir en dépit de son incarcération, et quelques-uns de ses adeptes continuent de proclamer son innocence. De plus, comme son jugement pourrait bien traîner pendant une trentaine d’années, son culte pourrait continuer à séduire la jeunesse désemparée pendant toute une partie du siècle prochain.

La recherche de sens n’est évidemment pas limitée au Japon. A mesure qu’approche la fin du millénaire, c’est dans le monde entier que des personnes joignent des cultes vendant des assurances en vue de la vie éternelle. Au mois de mars, par exemple, est apparu dans une banlieue texane un groupe venant de Taïwan, appelé “Dieu Sauve la Fondation des Soucoupes Volantes Terrestres” et déclarant que le Tout-Puissant fournirait des vaissaux spatiaux pour sauver les survivants d’un holocauste nucléaire. Comme Dieu n’apparut pas, le leader de ce culte s’excusa et disparut. Mis à part le fait qu’il effraya les voisins, le groupe fut considéré comme non dangereux. Mais on ne peut dire la même chose pour Aum Shirikyo. A son apogée, en 1995, ce culte comptait 17 000 membres au Japon et 20 000 autres en Russie. Il avait aussi des branches aux Etats-Unis, en Russie et en Allemagne. Il avait le projet de renverser le gouvernement japonais et de s’emparer du monde. Tout cela sur l’ordre d’un personnage magnétique, Asahara Shokou.

Le Maître est accusé de 17 crimes. Des douzaines de ses disciples vont être également jugés. Douze personnes sont mortes, victimes de son attentat au gaz et 5 500 ont été blessées. Des dévots du Maître qui essayaient de fuir ce culte furent tués ainsi que des opposants de la secte Aum. Leurs corps furent réduits en cendres dans les fourneaux du culte. Asahara a plaidé non coupable face à toutes les accusations, disant que ses disciples ont eux-mêmes décidé de commettre ces crimes. A la mi-octobre, le tribunal a condamné a mort Okazaki Kazuaki pour avoir tué un avocat anti-Aum, sa femme et leur petit garçon, ainsi qu’un autre membre du culte. C’est la première condamnation à mort dans ces procès.

Depuis qu’il a été mis en examen, Asahara a perdu quelque peu de son autorité. Un grand nombre d’adeptes sont partis et l’ont abandonné; quelques-uns des anciens leaders se demandent comment ils ont pu écouter les idées mal dégrossies d’un leader à moitié aveugle sur l’apocalypse éminente, les complots internationaux et les mauvais présages géologiques. La secte Aum n’en est pas moins bien vivante.

Au coeur de ce culte se trouve Asahara. Qui est cet homme ? Quel est le secret de son succès ? D’aucuns disent que le jeune Chizuo, qui souffrait d’une cécité partielle depuis son enfance, fut admis dans une école où tous les autres étaient aveugles. Le futur Maître jouissait donc d’un avantage sensoriel. Selon cette histoire, les autres enfants ne tardèrent pas à le payer pour qu’il les conduise ici et là. Plus tard, Chizuo alla dans les Himalayas à la recherche de l’illumination. De retour au Japon, il lança ce qui devait devenir la secte Aum Shinrikyo. En 1989, on lui accordait le statut de religion et l’exemption d’impôts. Asahara avait réussi.

Aujourd’hui cet homme de 43 ans, vêtu d’un blouson marin usé, ne manifeste aucune vigueur: pâle, visage rond, chevelure et barbe mal peignées, yeux fermés. Sa chevelure épaisse – moins longue qu’avant – tombe sur un front étroit et, derrière, descend presque jusqu’aux épaules. La blancheur de son cou est frappante. D’une certaine façon, il semble ne pas être présent. Et puis, un témoin raconte comment Asahara avait ordonné qu’un homme soit étranglé et avait observé la scéne. Alors le défendant bouge. Il gratte sa barbe, passe ses doigts dans ses cheveux. La tête rejetée en arrière, il murmure quelques mots, à peine compréhensibles, dans ce qui ressemble à un anglais très approximatif. Le juge Abe Fumihiro lui lance un avertissement; “Restez tranquille, défendant! Vous gênez le tribunalLe juge avait déjà constaté ce comportement précédemment. Le Maître semble vouloir utiliser son pouvoir de persuasion pour déstabiliser le témoin.

Pour Asahara, ce sera une matinée parmi des centaines d’autres (à la fin de l’année il aura comparu devant le tribunal 102 fois). Le jour de ma visite, la moitié des sièges était occupée par ses adeptes, y compris les deux jeunes femmes assises à côté de moi. Tendues et attentives, elles se penchent en avant chaque fois que leur maître murmure quelque chose. Je puis apercevoir quelques phrases griffonnées sur un bloc-notes: “Vous devez être un chercheur de morale; que la vérité soit révéléeLorsque le témoin décrit le meurtre, elles sombrent dans le sommeil et commencent à ronfler.

Un peu partout au Japon, dans des centres d’entrainement, d’autres jeunes chantent des prières de la secte Aum. Les adeptes méditent dans le style yoga; certains portent le fameux casque électrique qui est supposé configurer les ondes de leur cerveau à celles de leur maître. Comme avant, les disciples vivent de façon spartiate dans des communautés à part. Tous croient les mêmes choses, observent les mêmes règles rigoureuses, suivent le même homme. “Aum est de retour et se développe. Je regrette qu’on ne l’ait pas interditdéclare un responsable de la sécurité à Tokyo qui préfère rester anonyme.

Les mauvais désirs disparaissent

Non loin de la prison de Tokyo où Ashara est détenu, s’élève un bâtiment en briques de trois étages, dans Yanaka, un quartier tranquille pour ouvriers. Les affiches représentant trois adeptes de la secte Aum en fuite y sont toujours bien en vue. La bâtiment semble abandonné, les rideaux sont fermés, le seul signe de vie étant le linge qui flotte dans une cour sur le côté. D’après l’enseigne fixée au mur, ce sont là les bureaux de l’entreprise Sato Engineering. Cependant, les résidants du lieu connaissent l’identité exacte des locataires, et le chauffeur de taxi n’a nullement besoin de précisions pour trouver l’endroit. C’est un poste de direction de la secte Aum Shinrikyo dont les activités viennent d’être décentralisées. Je sonne et je suis invité à me rendre à l’arrière du bâtiment. Araki Hiroshi, dans son uniforme blanc du culte, ressemble à un infirmier. Il m’accueille à la porte et m’invite à entrer.

Araki a trente ans. Il est le principal porte-parole de la secte Aum depuis que les principaux responsables du culte ont été arrêtés. C’est ici qu’il vit et travaille avec environ deux douzaines d’adeptes. Son bureau ressemble à un entrepôt, équipé de bureaux et d’ordinateurs. Lorsque j’arrive, deux jeunes femmes sont en train de travailler sur le site internet de la secte. Le Maître aussi est présent, étant représenté par des portraits de dimensions diverses, dans sa tenue rose caractéristique. Il y a aussi les photos des deux fils d’Asahara. Ayant respectivement à peine 4 et 6 ans, ils ont été désignés comme les légitimes successeurs de leur père. Tout en travaillant, les employés écoutent des enregistrements du Maître chantant des chants inspirés. De temps en temps des adeptes traversent la pièce portant le casque. “Oui, je le porte moi aussi“, me dit Araki; “ensuite, on se sent purifiés, les mauvais désirs ayant disparu“.

Je lui demande ce qu’il en est des mauvais désirs du culte, s’ils ont été éliminés eux aussi. Il me répond que Aum n’est engagé dans “aucune activité illégale“. Quant aux estimations de la police qui parle de 700 adeptes à plein temps, plus peut-être 1 000 à temps partiel, Araki dit que ces chiffres ont été volontairement exagérés. “Ils sont tout le temps en train d’ergoter avec des arguments tirés par les cheveuxme dit Asaki. “Ils exagèrent le nombre des adeptes de Aum“. L’Agence d’investigation de la Sécurité publique (PSIA) dit que la moitié des adeptes arrêtés et relâchés sont retournés aux activités du culte. Araki soupçonne que la PSIA “donne l’alarme pour justifier sa propre existenceIl ajoute: “On veut faire de nous des boucs émissaires“.

Et pourtant, les preuves de la résurrection de la secte Aum ne manquent pas. “L’énorme richesse accumulée est l’un des aspects du culte qui font peurdit l’officier de sécurité. Treize entreprises associées à la secte et cinq magasins lui rapportent chaque année des milliards de yens. Comme précédemment, la vente d’ordinateurs bon marché est la spécialité du culte. L’un des magasins, “The Graceful“, est situé dans Akihabara, le quartier de Tokyo spécialisé dans l’électronique. C’est le genre de localité où se bousculent de nombreux clients à la recherche d’électronique vendue au rabais. Les ingénieurs de la secte Aum assemblent eux-même les machines. D’après la police, les prix très bas – environ 30% du prix courant – attirent les jours de pointe jusqu’à 300 personnes au magasin “The Graceful“. En période de récession.

Oui, je sais que ce magasin est tenu par Aum, mais je n’ai rien à faire avec euxdit un jeune homme sortant récemment du “Graceful” dans le courant de l’après-midi. “Je voulais simplement un bon ordinateur à bon marchéIl avait entendu parler de ce magasin par des amis qui avaient appris son existence grâce à des dépliants distribués au centre de la ville. Lui et ses amis ne savent pas, ou ne veulent pas savoir, que leurs achats contribuent au financement du culte de la fin des temps. La police estime que le chiffre d’affaires de l’entreprise Aum vendant des ordinateurs pourrait s’élever à 32.5 millions de dollars U.S. Les profits sont importants – au moins 10% des ventes – parce que les ouvriers qui les assemblent sont trop heureux d’accepter un salaire mensuel de seulement 8 000 yens (65$).

Le culte continue aussi de recueillir d’importantes sommes de la part des adeptes. Du mois de janvier au mois de juillet de cette année, disent les autorités, la secte Aum a organisé au moins 370 sessions. En tout, environ 10 000 personnes y ont assisté, chacune payant deux mille yens pour ce privilège. Au printemps, la “Semaine d’Or avec Séminaire Intensif” organisée dans un camp non loin de Yokyo, a attiré plus de 200 adeptes acceptant de payer entre 100 000 et 200 000 yens comme droits d’incription, certains mettant sur la table un demi-million de plus pour les rites “d’initiation”. Les investigateurs estiment que le tout a dû rapporter environ 500 000 U.S.$.

La hiérarchie du culte a consolidé son organisation avec quinze bureaux ou branches, dont neuf dans Tokyo et ses environs. Il y a 16 centres de formation et 17 autres installations, y compris une imprimerie dans la préfecture de Ibaragi. A travers le pays, la plupart des adeptes à plein temps – en tout près de 700 – vivent en communauté dans environ 100 “refuges”. De plus, un nombre croissant de nouveaux refuges sont installés dans un périmètre qui se rétrécit sans cesse autour de la prison, et on a parlé d’adeptes essayant de faire s’échapper l'”Illuminé”.

Pendant l’été, les résidants de Tokigawa, un tranquille village situé 85 Km au nord-ouest de Tokyo, ont eu la désagréable surprise de réaliser que les membres du culte s’étaient installés chez eux. La maison était entourée de hauts murs. Six ou sept personnes y vivaient, y compris trois filles d’âge pré-scolaire qui sont supposées être les filles illégitimes du Maître, et ceux qui s’occupent d’elles. Occasionnellement les voisins entendent chanter des prières ou aperçoivent les résidants avec leurs habits distinctifs.

Depuis, les villageois ont découvert que la secte Aum a acquis, dans les montagnes avoisinantes, un centre de formation qui appartenait à une corporation. La rumeur dit que la secte aurait l’intention d’en faire la résidence de l’une des filles de Asahara, connue sous son nom religieux de Archari. Elle a atteint le plus haut niveau spirituel de la secte Aum, et beaucoup d’adeptes pensent qu’elle en est le réel leader. Elle a 15 ans. Les villageois supposent qu’éventuellement cette installation est destinée à héberger la direction nationale de la secte et de remplacer ainsi le village de Kamikuishiki, l’enclos situé sur les pentes du Mont Fuji que la police a fermé en 1995 après l’attentat au gaz sarin. Depuis, Mamikuishihiki a été démoli. A l’intérieur se trouvait la résidence du Maître, une communauté et, ce qui donne le frisson, la manufacture des armes et des produits chimiques.

“Nous luttons désespérément pour empêcher la secte Aum de s’installer dans notre villagedit Sasanuma Kazutoshi, un homme de 49 ans qui s’occupe d’un élevage de poulets et qui a pris la direction de la protestation. En une semaine, en septembre, les militants ont obtenu les signatures de la moitié des résidants de la ville, en tout 300, demandant que le culte ne soit pas autorisé à prendre pied à Tokigawa. “La secte Aum n’a pas manifesté le moindre regret et ne s’est pas excusée pour ce qu’elle a faitdit Susanuma. “Ils sont toujours moralement responsables, c’est cela le problème qui nous préoccupe en dehors des accusations légales et criminelles

Pourquoi sont-ils là ?

Takahashi Hidetoshi a expliqué pourquoi il avait abandonné une carrière prometteuse en astronomie pour joindre Aum Shinrikyo – et pourquoi il en est sorti. Lorsqu’on l’observe en train de boire un tasse de café dans son costume noir trois pièces, avec sa cravate couleur lavande, on a du mal à croire qu’il y a à peine trois ans Takahashi portait la tenue de coton blanc de la secte Aum. Agé à présent de 31 ans, il explique qu’il était à la recherche de valeurs spirituelles. Il a bondi à travers la première porte qui s’est ouverte devant lui.

Le fils apparememnt sans problème d’un famille de classe moyenne, Takahashi étudiait la géologie à l’université de Shinshu, l’une des plus prestigieuses du Japon, lorsqu’il a commencé à se poser les questions de toujours: Pourquoi sommes-nous ici ? Il se mit à lire les ouvrages de philosophes tels que Friedrich Wilhelm Nietzsche, l’homme bien connu pour avoir déclaré que Dieu était mort, et divers tracts du New Age. En peu de temps, une mélancholie profonde s’empara de Takahashi et il s’isola. La mort d’un bon camarade l’entraîna dans la déprime et il songea au suicide. Un psychiatre lui prescrivit des remèdes, mais il ne fit rien pour traiter la souffrance sous-jacente.

C’est plus ou moins à ce moment là qu’il rencontra la secte Aum Shinrikyo. Curieux de savoir ce qu’un maître, en chair et en os, avait à dire sur l’ancien bouddhisme dans le monde moderne, il s’assit au premier rang lors d’une réunion organisée par la secte Aum à l’occasion du festival annuel des étudiants. C’était pendant l’automne de 1991. Takahashi avait 24 ans. A la fin de l’exposé, il leva la main pour demander si sa recherche académique l’aiderait à trouver la vérité. “Mr Takahashi, vous ne pouvez pas trouver ce que vous cherchez en poursuivant vos études scientifiquescommença à lui expliquer le Maître Ashara.

Cette nuit là, Takahashi eut la visite des plus performants parmi les jeunes disciples de Ashara. Tandis que l’un d’eux parlait, la curiosité de Takahashi fut éveillée par la pratique du yoga par le culte et des “expériences mystiques”. Il se souvient qu’on lui expliqua que cet entrainement aidait à se débarrasser de l’ego et à créer un vide que remplirait “la volonté du maître”. C’était le salut spirituel en échange de l’obéissance aveugle.

Au début, n’étant pas encore prêt à y consacrer tout son temps, Takahashi se porta volontaire pour faire chauffeur, distribuer des dépliants. Il était heureux de rencontrer d’autres jeunes qui partageaient sa soif de spirituel. Ils manifestaient une sorte d’enthousiasme qu’il n’avait jamais vu auparavant.

Trois ans plus tard, ignorant l’opposition farouche de sa famille et de son professeur, Takahashi abandonna les études d’astronomie et joignit Aum comme disciple à plein temps. A ce moment là, le culte était devenu agressif au sujet de la fin des temps qui approchait et s’adonnait furieusement à la collection rapide de fonds. Alors même que le culte accumulait des stocks de produits chimiques mortels, le maître accusait le gouvernement d’essayer de le tuer avec du gaz sarin.

Takahashi fut envoyé au centre de Kamikuishiki, où plus tard le gaz sarin serait produit, et affecté au ministère de la science et de la technologie du culte. Auparavant, il avait été soumis au rite de “l’initiation” qui incluait le port du casque électrique et la méditation. Les contacts avec l’extérieur étaient interdits. Le patron de Takabashi s’appelait Murai Ideo, le bras droit de Ashahara. Murai mit Takahashi au travail sur des projets bizarres. Entre autres choses, Takabahashi travaillait sur un programme de contrôle pour des expositions de rayons de lumière laser. Les directives lui paraissaient fantaisistes, l’administration chaotique.

A mesure qu’il montait dans l’échelle de la dévotion chez Aum, Takahashi dut subir divers rites assez durs pour tuer quelqu’un. Durant “l’entrainement à la chaleur”, il avait à se tremper dans de l’eau brûlante. Un autre rite d’initiation consistait à prendre de la “poudre des os du Christ”, sans doute du LSD, qui provoquait des heures d’hallucination, suivies d’un retour à la normale qui lui donnait l’impression qu’on lui arrachait les entrailles. Et puis il y avait la session de harcèlement dans une cellule très étroite. Elle durait trois heures.

Takahashi ne trouvait plus cela amusant. Il devenait de plus en plus sceptique au sujet des théories de la secte Aum. Il commença à poser des questions et à critiquer ouvertement certains aspects du culte. Il fut rétrogradé à la fonction de chauffeur d’un autre adepte qui travaillait à la production des armes de la secte. Pendant ce temps, celle-ci amplifiait sa doctrine sur la mort, justifiant le meurtre des autres pour sauver leurs âmes. “La fin des temps est proche. Je ferai partie de l’armée sacrée qui tuera les mauvaises âmes, ce qui constitue la vertu suprêmechantaient les adeptes dans un ronronnement hypnotisant – jusqu’à 300 fois à la suite.

Lorsque la police fit une descente sur le centre de Kamishuishiki, le 22 mars 1996, la plupart des adeptes furent choqués en entendant parler de l’attentat au gaz deux jours plus tôt. Tandis que les détectives équipés de masques à gaz parcouraient l’enclos avec des canaris dans des cages, Takahashi se faufila au-delà des caméras de télévision et rejoignit une maison en préfabriqué où se trouvait un ordinateur branché. Bientôt, Takahashi connut les détails de l’attentat dans le métro. Mais il savait aussi que les leaders de la secte Aum disaient que c’était un coup monté. Il ne savait que penser. Etait-ce possible ?

Deux semaines plus tard, il vit qu’il avait une possibilité de s’échapper, après avoir conduit son patron au centre de Tokyo. Dans la capitale, Takashahi lut les journaux et regarda les reportages à la télévision. Il voulait parler en public et, un mois après l’attentat, il était sur le plateau de la télévision Asahi. Il raconta son histoire, somma les leaders de la secte Aum de s’expliquer et leur dit au revoir. Un porte-parole de la secte se manifesta lui aussi à la télévision, dégoulinant de sermons d’indoctrination.

“J’avais passé la porte d’une organisation religieuse et j’ai quitté un groupe de terroristes fousdit-il. Il éprouve le besoin d’être confronté à Ashahara – et de comprendre pourquoi ce culte l’a attiré, lui et tant d’autres jeunes Japonais. Takahashi ressent encore occasionnellement l’attraction de la secte Aum. “Il n’est pas facile de renier ce qu’on a autrefois choisi comme le but suprêmedit-il.

Takahashi me dit que lorsqu’il a embrassé la secte Aum il “avait soif d’une boisson spirituelle, sans savoir si ce serait de l’eau pure, de la liqueur, des larmes ou du poisonMaintenant, il est serveur dans un restaurant, à temps partiel, espérant qu’il y aura un dénouement dans le mise en scène de la secte Aum. “Les procedures judiciaires progressent, dit-il, mais à moins de faire une percée dans la compréhension du phénomène Aum, on ne réussira pas à empêcher le retour de ce culte ou d’un autreIl dit encore qu’espérer la disparition de la secte n’est pas une solution.

Analyse et paralysie

Peut-être personne de l’extérieur ne connaît la secte Aum Shinrikyo aussi bien que Egawa Soko. Depuis le milieu des années 80, cette journaliste d’investigation a interviewé au moins 100 membres du culte, certains qui en faisaient encore partie, d’autres qui l’avaient abandonnée. La secte n’apprécie guère ce genre d’enquête. En 1994, quelqu’un avait vaporisé du gaz toxique dans sa boîte à lettres. Cet attentat sur sa vie ne l’empêcha pas de continuer à parler. Bien au contraire. Elle mettait en garde le public contre le côté sombre de cette organisation, et cela jusqu’au jour où les vapeurs de gaz sarin furent disséminées dans le métro. Quelques années plus tard, Egawa, qui a maintenant 40 ans, s’alarme en constatant le retour du culte. Pas seulement parce qu’il se développe de nouveau, mais parce que sa façon d’opérer est toujours la même. Dans l’immédiat, la secte Aum peut ne pas avoir les moyens de déclencher une guerre chimique, mais, aux yeux d’Egawa, l’organisation “n’a pas changé en tant que culte destructeur

Tout d’abord, il y a Ashahara – qui est encore un flambeau d’espérance pour des milliers de personnes. “Je suis reconnaissant à mon maître Rev. Asaharadisait, un peu plus tôt cette année, le disciple Niimi Tomomitsu lors de son procès pour meurtre. Ses mots d’admiration furent diffusés tels quels sur le site internet de la secte Aumm, où rien n’est dit des crimes attribués au culte.

Des millions de prospectus, avec la photo d’Ashahara sur la couverture, sont de nouveau distribués dans les gares et dans les campus des universités ou glissés dans les boîtes aux lettres. Pour séduire les non-initiés, le site internet du culte a recours à des bandes dessinées racontant les expériences des disciples. On y diffuse aussi des tuyaux sur l’usage de faux noms et divers échappatoires pour aider les anciens membres à joindre de nouveau la secte. Parfois la sete Aum se présente comme un groupe de yoga ou comme les sponsors de festivals de cinéma. Elle a son propre orchestre, “Emancipation Parfaitequi donne régulièrement des représentations. Chaque fois, des propectus sont imprimés.

La doctrine de la mort a fait sa réapparition sur le site internet ainsi que sur les prospectus – en dépit de l’engagement pris par Ahashara de ne plus la diffuser. Ses exhortations au sujet des derniers jours paraissent de nouveau dans les publications du culte et sur le site internet, où un disciple écrivait récemment: “La dévotion au maître est la seule chose qui compte

Selon Egawa, “avec des esprits abandonnés au contrôle d’Asahara, ses disciples refusent de voir la réalitéForce est de reconnaître d’ailleurs que ni le gouvernement ni la société n’ont vraiment essayé d’aider les adeptes à bien prendre conscience de ce qui est arrivé. Des groupes privés se sont formés pour les aider, mais ce qu’ils peuvent faire ne va pas loin. L’apathie est alimentée par une tendance nationale à ignorer l’impact psychologique des désastres. De même que les Japonais ne prêtèrent guère attention au traumatisme durable provoqué par le tremblement de terre de Kobé, de même, deux mois plus tard, ils minimisaient l’impact sur les victimes de l’empoisonnement par gaz. La plupart ne se soucient absolument pas de la façon dont le contrôle des esprits par Ashahara continue de fonctionner sur ceux qui ont abandonné la secte.

Faute d’être conseillés par des psychologues, les anciens membres essaient de s’aider mutuellement. Un ancien responsable du “ministère de la construction” dans la secte, Nakata Kiyoide, 51 ans, a ouvert un petit hôtel dans les montagnes de Gifu, au nord de Nagoya, où environ deux douzaines d’anciens disciples continuent de mener une vie ascétique. En 1995, Nakataa fut reconnu coupable de tentative de fraude dans le domaine de l’assurance. L’année suivanbte il abandonna le culte. Réalisant qu’il était partout montré du doigt, il utilisa l’argent d’un héritage pour ouvrir cet hôtel. Bien qu’il n’ait plus de liens avec la secte Aum, il fait toujours l’objet d’une profonde méfiance.

Entre temps, près de quatre ans après l’attaque dans le métro, certaines autorités se demandent encore s’il faut, oui ou non, interdire complètement la secte Aum – ce qui n’éteindrait pas nécessairement le feu de façon définitive, car le culte pourrait survivre dans la clandestinité. Pendant quelque temps, le gouvernement semblait vouloir avoir recours aux lois anti-subversion pour déclarer illégale la secte Aum. Les débats commencèrent, mais ils traînèrent en longueur et, selon les critiques, la secte eut le temps de présenter son cas comme étant bénin. En 1997, le jury estima que la secte Aum était trop faible pour être vraiment dangereuse. Elle commença à se reconstruire.

La prochaine crainte est la réapparition sur la scène d’un recruteur virtuose de la secte, Joyu Fumihuro, 35 ans. On s’attend à ce qu’il soit relâché vers la fin de l’année, après avoir passé trois ans en prison pour parjure. Comme la fille d’Ashahara, il avait atteint le plus haut statut religieux dans la secte. Avec sa tête de bébé, son éloquence, sa maîtrise de l’anglais, Joyu a obtenu un diplôme universitaire en intelligence artificielle. Il avait un grand succès avec les jeune femmes lorsque le culte faisait la une des journaux en 1995.

Même si Ashahara est reconnu coupable et condamné à mort, il est probable que son pouvoir survivra. “Ma foi ne changera pas“, dit Takeshita Ryuichi, l’un des disciples qui a décoré son minuscule appartement dans Tokyo avec des photos de Ashahara et construit un petit sanctuaire au-dessus de son hi-fi. Il a 31 ans. Son travail consiste à laver des vitres. Chaque soir il se rend à un

centre d’entrainement de la secte, non loin de chez lui. “Souvenez-vous, dit-il, que Jésus fut crucifié comme un criminel, conformément aux lois de l’époque

Retournons à la salle 104 du tribunal, la séance de la journée est terminée. Les gardes remettent les menottes à Ashahara et il se retire en traînant les pieds. Les filles disparaissent dans la foule. Dehors, la nuit tombe. Ce sera bientôt la nouvelle année, la dernière du millénaire. Un vent froid s’engouffre dans la rue. Je m’enveloppe dans mon manteau et je tremble.