Eglises d'Asie

ILS S’EN PRIRENT D’ABORD AUX MUSULMANS…Analyse et commentaire des violences anti-chrétiennes

Publié le 18/03/2010




Ils s’en prirent d’abord aux musulmans. Des milliers de ceux-ci furent tués. Un monument religieux fut détruit (1). Les musulmans furent accusés d’être des traîtres anti-nationaux et on leur demanda de quitter le pays. Ensuite, ils arrivèrent au pouvoir. Les attaques contre les musulmans cessèrent tout d’un coup.

Ils s’en prirent alors aux chrétiens. Quatre religieuses furent violées à Jhabua, dans l’Etat du Madhya Pradesh (2). Dans le Bihar, un prêtre fut promené, nu, et forcé à marcher pendant seize kilomètres tout en étant battu, tout cela sous les yeux du chef de la police et du chef de district (3). Dans le Gujarat, l’Andhra Pradesh, le Madhya Pradesh et le Bihar, des bibles ont été brûlées, des églises dévastées, des cimetières profanés, des cercueils exhumés (4). Les missionnaires chrétiens ont été accusés de représenter les forces antinationalestravaillant à l’encontre des intérêts hindous. On leur demande donc de quitter le pays.

Au cours des derniers mois, la nation a fait l’expérience d’une montée en puissance de la haine et de la colère communautaristes contre la communauté minoritaire chrétienne. Si le langage utilisé est propre à indiquer les intentions, alors il faut s’attendre à ce que du sang soit à nouveau versé pour revendiquer l’orgueil hindouDes termes tels que “traîtres“, forces antinationales“, jeunesse patriotique hindoue” rappellent l’évolution qui avait précédé le dimanche noir du 6 décembre 1992 qui avait vu la destruction du Babri Masjid par des foules fanatisées (1).

Il avait fallu quatre ans aux Rath Yatras et Shilaniyas lancés par le VHP, le RSS et le BJP en 1988-89, pour amener une montée de ferveur religieuse qui puisse, en 1992, se terminer par la destruction du Babri Masjid (5). Ce dernier épisode de la politique de haine anti-chrétienne fait-elle partie d’une stratégie des forces de (6) destinée à s’approprier les propriétés importantes détenues par les institutions chrétiennes ? On pourrait le penser à la vue de la soudaine irruption de travaux historiques prétendant que des églises ont été construites sur les sites d’anciens temples. La coalition RSS, BJP, Hindu Munnani a, encore récemment, prétendu qu’une église de Pondichéry avait été élevée sur les ruines d’un temple (7). Ce qu’il est important de noter, c’est que, avec la régulière montée en puissance de la propagande contre les chrétiens et les missionnaires chrétiens, particulièrement dans les zones occupées par des peuples aborigènes, il fallait s’attendre aux formes de violence telles qu’elles ont été mises en oeuvre à Jhabua. Si elle n’avait pas eu lieu à Jhabua, l’éruption aurait pu se produire dans quelque coin reculé du Madhya Pradesh, du Bihar, de l’Orissa, du Gujarat ou de l’Uttar Pradesh.

La politique qui sous-tend ce processus est clairement exposée dans les réponses apportées par les diverses composantes de la brigade hindutva. L’ancien député du BJP et actuel secrétaire général du VHP, B.L. Sharma, a froidement justifié les attaques. Il est intéressant de noter que, plusieurs jours plus tard, il a aussi nié avoir fait ces déclarations. Le porte-parole officiel du BJP, Venkaiah Naidu, a refusé de condamner spécifiquement les déclarations du dirigeant VHP, choisissant d’en rester aux généralités: Nous condamnons toute déclaration de ce genre, d’où qu’elle vienneDe cette manière, quand un groupe (hindouiste, ndlr) se montre belliqueux, un autre apparaît plus conciliant. Quand l’un justifie la violence comme étant l’expression de la colère d’une “jeunesse hindoue patriotique” (est-ce que les jeunes chrétiens sont moins patriotiques ?), le BJP prend ses distances. Etant la composante politique, il ne peut pas se permettre d’être identifié à la politique de la haine et à ses dérives.

La politique de a été affinée et perfectionnée pendant ces vingt dernières années. Cette politique comporte trois aspects : l’idéologie, la ligne politique et la violence. La guerre de propagande est lancée et nourrie par le RSS et le VHP qui représentent la puissance idéologique de la politique de . En même temps, des groupes comme le Bajrang Dal, le Shiv Sena, le Hindu Munnani, le Hindu Makkal Katchi, en sont la force de frappe. Ces derniers mobilisent la jeunesse et s’engagent dans des attaques violentes contre les vies humaines et les propriétés des minorités. Le BJP est la composante politique qui capitalise sur cette propagande de haine.

Il est intéressant aussi d’étudier comment la stratégie à trois volets qui sous-tend la politique de est articulée sur les castes. Alors que son expression idéologique est largement défendue par des dirigeants appartenant aux hautes castes, la force de frappe est menée par des membres des castes basses et moyennes. Ces dernières non seulement fournissent une force numérique à la brigade safran, mais aussi forment la charnière militante et violente de la politique de . De son côté, le BJP représente, en beaucoup de lieux, les castes supérieures et moyennes auxquelles appartiennent les communautés marchandes et commerçantes qui fournissent le financement. Les commerçants marwari et ceux du Gujarat jouent, dans les Etats du sud en particulier, un rôle important de financement de la politique de . Un élément important de cette division du travail parmi les différents segments favorables à la politique de est le “principe de dénégation”.

Selon ce principe, quand on ne connaît pas quelque chose dans le détail, on peut toujours en nier en avoir connaissance. Quand un groupe nie avoir une connaissance détaillée d’une action, comment peut-on lui demander des comptes et exiger qu’il assume la responsabilité de l’action perpétrée par d’autres groupes de , même si ces derniers appartiennent à la même nébuleuse ? Ainsi, même si le BJP partage la même plateforme que le Bajrang Dal, Sadhu Sammelan, etc., et même s’il contribue activement à étendre cette politique de division, il peut toujours nier avoir une connaissance spécifique des événements, étant seulement un contributeur mais non un acteur de ces événements. C’est la politique de l’opportunisme et de la facilité dans ce qu’elle a de pire.

Advani (8) et d’autres hauts dirigeants du BJP ont pris cette position quand ils ont été confrontés à leur rôle dans la démolition du Babri Masjid (1). En dépit de la propagande venimeuse qu’ils avaient mise en oeuvre à travers les journaux, la télévision et le cinéma, ces dirigeants s’en sont tirés sans dommage. Mais comment l’histoire pourra-t-elle pardonner le rôle qu’ils ont joué dans cette propagande de division ?

Ce qui est inquiétant aujourd’hui, c’est que ces violences orchestrées se produisent alors que le BJP est au pouvoir à New Delhi et dans beaucoup d’Etats. La procédure de la Cour suprême dans l’affaire du Babri Masjid a montré que les dirigeants du BJP n’hésitent pas même à tromper le tribunal. Après cela, comment pouvons-nous encore avoir confiance en eux ?

Ces attaques contre les chrétiens, particulièrement contre les missionnaires qui travaillent dans les zones habitées par des peuples minoritaires, dans le Madhya Pradesh, le Bihar et les Etats du nord-est, possèdent plusieurs dimensions. La propagande est l’instrument principal.

Des mots nouveaux sont inventés. Le terme “Adivasi(habitant d’origine) en référence aux peuples aborigènes est rejeté. Il est remplacé, au RSS, par “Vanvasi(habitant de la forêt). Le choix des termes n’est pas un détail secondaire. Même si le mot Adivasi ne peut pas servir à construire une identité séparée, l’accepter nécessiterait pourtant qu’on accorde un statut juridique spécial à ces “peuples indigènes”, ce qui les mettrait sous la protection des lois internationales et des conventions des Nations Unies concernant “les droits des peuples indigènes”. Vanvasi, au contraire, est un mot délicieusement libéré de toute valeur et sans référence aucune à l’origine de ces peuples.

Il y a aussi un angle religieux à cette question. Jusqu’à présent, les Adivasis étaient considérés comme appartenant à la nature et comme animistes. Les religions animistes n’appartiennent pas à l’éventail de l’orthodoxie sociale hindoue. Ce statut était accepté et incorporé dans la politique gouvernementale concernant la question des peuples aborigènes. Cependant, le RSS prétend que les Adivasis sont hindous et il organise des cérémonies de purification pour les ramener dans l’hindouisme (9).

Leur zèle est tel qu’ils n’ont pas seulement assimilé des valeurs et des croyances qui minimisent leurs propres dieux et leurs systèmes de croyances, mais ils ont aussi introduit les concepts hindous de “souillure” et de pureté dans les sociétés aborigènes. Comme l’a récemment indiqué Pradip Prabhu, du Kashtakari Sanghatana, les activités des missionnaires RSS à Mokhada et Jawahar, dans le district de Thane, dans l’Etat du Maharashtra, ont introduit la pratique de l’intouchabilité chez les Warlis et d’autres peuples aborigènes. Dans ces lieux, les familles qui ne sont pas végétariennes ou pratiquent la religion traditionnelle adivasi sont exclues.

Les dirigeants du RSS, du VHP, du BJP et du Shiv Sena ne cessent de claironner sur les toits que les Etats gouvernés par les partis liés à ne connaissent pas de conflits communautaristes. Loin de prouver la qualité de leur administration, ces affirmations ne servent qu’à démontrer que la violence communautariste est en effet artificiellement créée.

Il me paraît intéressant de noter que ce sont ces mêmes affirmations, par le BJP et le Shiv Sena, sur “l’illusoire paix communautaire(par rapport aux musulmans) qui révèlent que, puisque les musulmans et leurs groupes sont maintenant intimidés, les chrétiens sont la cible suivante.

D’autres partis politiques, le Congrès en particulier, ne sont pas innocents et n’ont pas hésité, en leur temps, à fomenter des conflits et à inciter les forces communautaristes. Mais, la brigade de a donné une nouvelle impulsion à la politique de division et a ainsi consolidé sa base électorale. En ce faisant, elle a transformé la nature du discours politique et a gardé l’initiative.

Il faut mettre en cause cet élargissement de la politique de division et il est nécessaire aussi de ré-évaluer et de remettre en perspective les rôles de la religion et de la politique, au cours de la période coloniale et de la période post-coloniale. Il serait illusoire de croire que la montée d’un hindouisme militant et violent n’est qu’un phénomène artificiellement créé. La nature plurielle de notre société ne facilite pas l’homogénéisation du pays entier dans un cadre unique, mais il existe néammoins des points communs et des contrastes dans la manière dont les diverses communautés se sont regardées au cours des deux derniers siècles.

Depuis vingt ans, nous constatons la montée d’organisations fondamentalistes militantes dans des sectes musulmanes et chrétiennes. Il est vrai que quelques-unes d’entre elles ont émergé comme

conséquence du fondamentalisme de la majorité, mais il est également important de noter qu’elles n’ont pas manifesté beaucoup de respect pour le pluralisme des idées, que ce soit au sein de leurs religions ou dans leurs relations avec les autres religions. A un autre niveau, beaucoup d’institutions de service, particulièrement les institutions religieuses d’éducation, mettent en oeuvre ouvertement des pratiques partiales et injustes par rapport aux membres des autres communautés. L’habitude de revendiquer le statut de minorité chaque fois que des pratiques condamnables sont mises en cause dans ces institutions, le refus de rendre des comptes sur les activités ou les finances sous le couvert du statut de minorité de ces institutions, sont des questions qui doivent être débattues publiquement.

Un point beaucoup plus sérieux, qui exige attention et discussion, est le suivant : les forces politiques laïques doivent s’occuper des questions de religion et d’identité religieuse au lieu de faire comme si elles n’existaient pas. Une telle attitude a eu pour conséquence que les forces de se sont approprié et ont monopolisé tous les symboles culturels ou religieux et les valeurs de notre tradition culturelle, en les manipulant pour des objectifs de division. Les forces laïques doivent sérieusement ré-examiner ces questions et lancer une vigoureuse campagne politique pour souligner l’unité qui sous-tend notre diversité, et construire sur les points forts de notre culture et de notre tradition. C’est le seul moyen pour notre pays de s’assurer que le sang ne sera pas à nouveau versé.