Eglises d'Asie

LA TOLÉRANCE-INTOLÉRANCE RELIGIEUSE EN INDE

Publié le 18/03/2010




L’Inde est le berceau de quatre religions mondiales : l’hindouisme, le bouddhisme, le sikhisme et le jainisme. Deux autres religions mondiales, le christianisme et l’islam vinrent dans ce pays durant le premier siècle de leur existence. Pendant des siècles, les chrétiens vécurent en Inde aux côtés d’une grande majorité de non-chrétiens, surtout des hindous. Bien que connue pendant des siècles comme un pays de tolérance religieuse, en Inde la dysharmonie communautaire, l’intolérance religieuse, le fondamentalisme et toutes sortes de violence sont en augmentation. Pourquoi ce changement d’attitude du peuple indien ? Ce court article essaye de comprendre quelques-unes des nouvelles tendances qui se font jour en matière d’harmonie communautaire en Inde.

Une république démocratique

La question de tolérance ou d’intolérance dépend beaucoup de la rencontre entre les différentes religions qui coexistent dans un même pays. Pendant des siècles, les Indiens ont vécu dans une société de pluralisme religieux. Bien que toutes les grandes religions possèdent des fidèles en Inde, l’hindouisme est la religion dominante avec environ 90 % d’une population d’environ 950 millions. Cependant, il faut savoir que la nation indienne n’est pas constitutionnellement une nation hindoue, comme le sont de nombreuses nations islamiques ou chrétiennes. Constitutionnellement, l’Inde reste une république démocratique et souveraine où toutes les religions jouissent d’un statut égal. De plus, les minorités ethniques ou religieuses ont des privilèges accordés par la constitution.

Attitude de tolérance

L’attitude traditionnelle hindoue envers l’islam ou la chrétienté a été de tolérance. L’existence d’une petite communauté de chrétiens en Inde du sud depuis le premier siècle est la meilleure preuve de l’attitude de tolérance de l’hindouisme.

L’hindouisme, qui est considéré comme la plus ancienne des religions, peut difficilement être appelé religion dans le même sens que le christianisme. C’est en fait un faisceau de traditions religieuses. N’importe qui, qu’il soit théiste ou athée, sceptique ou agnostique, peut trouver place en hindouisme. C’est une masse complexe de systèmes sociaux, religieux, philosophiques mêlés aux traditions et mythes de tous les peuples qui y sont entrés à différents siècles. Nous l’appelons un parlement de religions unifiées par certaines croyances et pratiques communes.

Cela embrasse tout, et son esprit accommodant est bien connu. Il peut même embrasser des croyances et des pratiques contradictoires. L’ancien politicien Jawaharlal Nehru a noté : “Son esprit essentiel est : vivre et laisser vivreLa religion, pour l’hindou est une expérience, ou une attitude d’esprit, comme l’observe S. Radhakrishnan, philosophe et homme d’État indien. Il continue : “La religion n’est pas une idée mais un pouvoir, pas une proposition intellectuelle mais une vie de conviction. La religion est la conscience d’une réalité ultime, non une théorie

L’hindouisme reconnaît l’omniprésence de Dieu. Donc, pour l’hindou, le sens du sacré concerne tout l’ordre de la nature. Pour l’hindou, tout est sacré dans l’univers : la terre et le ciel, les montagnes et les arbres, les rivières et surtout les êtres humains. Le croyant hindou n’a jamais perdu le sens du sacré, et il n’est pas un idolâtre au sens ordinaire du terme. Il voit l’univers comme rempli de la présence de Dieu ; par conséquent, tout mérite vénération. C’est cette fondamentale manière de voir qui a créé les attitudes de base hindoues, comme la tolérance culturelle et religieuse, la non-violence, le régime végétarien, etc.

Pour l’hindou, chaque dieu est seulement une manifestation de l’Être unique et absolu et chaque idole n’est que la présence sacramentelle de l’esprit unique et infini. Dans les Ecritures hindoues on peut trouver facilement des passages qui soutiennent le polythéisme, le monothéisme et le panthéisme, aussi bien que les croyances aux démons, aux héros ou aux ancêtres. Dieu se manifeste dans chaque forme de l’univers. Donc il est possible de le vénérer sous la forme d’un animal ou d’un arbre. Toute l’Inde est une terre sacrée, un objet de vénération pour les Indiens. Les lieux et rivières sacrés sont des centres de pèlerinage fameux. Les pratiques religieuses des pèlerinages, de la lecture des textes sacrés, de la vénération des dieux dans les lieux saints existent toujours en Inde. Culture indienne et religion hindoue sont très liées. Nous pouvons les distinguer, mais avec difficulté.

Les religions ne sont “rien d’autre que des routes différentes conduisant au même but unique“. Toutes les Ecritures hindoues importantes enseignent qu’il y a plusieurs routes vers Dieu. Le christianisme est lui aussi une des nombreuses routes vers Dieu. En conséquence, ils ont seulement de l’admiration et du respect pour les actions charitables des chrétiens et pour leurs institutions d’éducation. Mais la question de conversion au christianisme ne se pose pratiquement pas. Ils n’aiment pas du tout l’aspect d’évangélisation du travail missionnaire ainsi que la propagande religieuse et les efforts pour convertir les hindous au christianisme. Tout au plus pensent-ils que le christianisme peut contribuer aussi à rendre le rôle de la religion plus accessible à l’homme moderne. Mais le christianisme ne remplace pas l’hindouisme. L’hindouisme traditionnel ne fait pas de prosélytisme, car la religion vient avec le don gratuit de l’existence. Donc, d’après la manière de penser de l’hindou, cela n’a pas de sens de demander à quelqu’un une totale conversion à quelque chose qu’il n’est pas. Ce que l’hindouisme défend, contre le christianisme, c’est le droit des hindous à leur religion comme l’expression la plus parfaite de la religion éternelle. Il y a toujours une attitude de bienveillance de la part des hindous envers la religion chrétienne car ils la considèrent comme une religion soeur qui peut aussi mener l’homme à sa perfection. Toutes les religions sont bonnes dans la mesure où elles conduisent l’homme à la perfection. Mais aucun hindou n’acceptera la prétention exclusive du christianisme à être la seule religion révélée. Ils ne peuvent pas comprendre comment les chrétiens appellent l’hindouisme une religion naturelle, et le christianisme une religion surnaturelle. D’après K.M.Panikkar, un illustre savant du Kerala, cette attitude de supériorité est l’une des raisons de l’échec de la mission chrétienne en Asie.

De plus, la chrétienté occidentale n’a jamais été un idéal pour les hindous. Ils ne peuvent pas la voir comme distincte du colonialisme. K.M.Panikkar, le premier Asiatique qui a étudié l’influence occidentale en Asie, a vu les missionnaires comme les “agents avancés de l’impérialisme et les convertis chrétiens comme une cinquième colonne“. Le christianisme est considéré comme de l’impérialisme dans un habit religieux. Par conséquent, le christianisme reste une religion étrangère qu’ils peuvent difficilement placer dans le contexte dans le contexte socio-culturel de l’Inde. Tout au plus, s’il y a une exception à ce qui a déjà été dit ci-dessus au sujet de la rencontre entre hindouisme et christianisme en Inde, ce serait l’exemple du Kerala avant le XVI( siècle. Les anciennes communautés chrétiennes de Saint Thomas se considéraient elles-mêmes comme une des hautes castes de l’hindouisme et elles entretinrent toujours des relations cordiales avec les hindous.

Tenant compte de tout ce que nous avons dit, l’hindouisme est si riche qu’il peut même admettre le christianisme dans sa propre structure multiforme. En général, les hindous sont des gens tolérants. Leur attitude est celle d’une confraternité positive, pas celle d’une tolérance négative. Pour eux, la tolérance est un devoir, pas une simple concession. Ce n’est pas une question de politique ou simplement un expédient, mais un principe de vie spirituelle. Mais ils ne peuvent pas tolérer les chrétiens qui veulent assimiler les valeurs hindoues. Ils voient cela comme un vol. Ils accusent les chrétiens de ne connaître que les aspects périphériques de l’hindouisme, pas son coeur. D’une façon générale, l’hindouisme n’aime pas être imité.

Nouveaux courants en Inde

Quelques-uns des nouveaux courants de la société indienne sont une menace pour l’existence de minorités ethniques en général et spécialement pour les chrétiens. Sur tout le pays, on voit une sorte d’indifférence envers tout ce qui est spirituel et religieux. Le communautarisme reste un obstacle à l’unité et l’intégrité de la nation. La religion est politisée, même après cinquante ans d’indépendance. En fait, les différentes traditions religieuses pourraient avoir contribué de façon significative à l’unité nationale, une unité dans la diversité. Mais aujourd’hui le communautarisme pose un défi à l’unité de la nation. Les conflits interreligieux deviennent plus nombreux. Les missionnaires chrétiens sont harcelés et même brutalement assassinés dans plusieurs parties du pays. Le fondamentalisme religieux est un autre phénomène qui menace l’harmonie communautaire et la tolérance religieuse.

Communautarisme

Comme nous l’avons dit plus haut, la récente montée du “communautarisme” menace sérieusement l’harmonie communautaire en Inde. Le pluralisme religieux est encore la marque de la société indienne. Depuis les temps immémoriaux, les religions ont prêché l’évangile de l’amour. Maintenant, ces mêmes religions sont devenues des agents et des instruments de haine et de violence. Les religions sont devenues des agents d’affrontements communautaires à cause de ce nouveau phénomène connu sous le nom de communautarisme. Mais qu’est exactement le communautarisme ? Comme le nom l’indique, il se rapporte à une communauté. Une communauté peut être formée sur la base d’une religion, d’une caste, d’une localité, une langue etc. Lorsque l’existence d’une communauté légitimement constituée est menacée par une autre communauté, la tension et le conflit commencent à désintégrer l’harmonie communautaire déjà existante. Le communautarisme, selon Herbans Mukhia, est l’organisation d’un groupe religieux exclusif sur la base de l’hostilité envers un ou plusieurs autres groupes au niveau social. Une telle hostilité est implicite dans l’exclusivité avec laquelle le groupe est organisé, même si son but explicite exclut l’hostilité envers d’autres groupes.

Le communautarisme est une idéologie : l’idéologie communautariste qui consiste en trois stages successifs. D’abord, tous ceux qui professent une religion particulière ont les mêmes intérêts en tous domaines : croyances religieuses, intérêts économiques, sociaux, culturels etc. Ensuite, l’intérêt séculier d’une religion peut être très différent de celui des fidèles d’une autre religion. Enfin, les intérêts séculiers ne sont pas seulement différents, ils sont hostiles à ceux des autres. Cette hostilité est le commencement de conflits et de la dysharmonie entre communautés. Dans une étude récente, Paul V. Parathazham, du département des sciences sociales à l’athaeneum pontifical de Pune, en Inde, a indiqué les facteurs responsables pour l’émergence et la croissance du communautarisme en Inde. Nous suivons ses conclusions. Très souvent, des intérêts cachés sont à la base des rivalités communautaires. Les groupes religieux et les partis politiques sont responsables de l’ouverture des conflits. La religion est politisée. La provocation immédiate du conflit est identifiée comme étant des questions religieuses ou politiques, parfois les deux. Il y a beaucoup d’exemples de conflits communautaires entre hindous, musulmans, chrétiens et sikhs. Très souvent, les communautés minoritaires sont les victimes du conflit. Ce n’est pas la religion qui est la cause du communautarisme. De plus, les leaders religieux ne sont pas eux-mêmes impliqués dans l’escalade de la violence. Ils s’efforcent de combattre la menace du communautarisme.

Fondamentalisme religieux

Les Indiens sont connus pour être très religieux. Mais dernièrement le fondamentalisme s’insinue dans les communautés religieuses en Inde. Fondamentalisme et intolérance religieuse vont ensemble. Très souvent, les fondamentalistes proclament que seule leur religion est vraie. Ils acceptent tout ce que disent leurs chefs religieux et ils interprètent littéralement les Ecritures. Comme ils sont exclusifs dans leurs relations, ils n’aiment pas les dialogues ou mariages interreligieux. Plus haut est le degré de fondamentalisme, plus haut est le degré d’intolérance.

Il a été souligné par beaucoup que la résurgence du fondamentalisme en Inde est associée avec la question “BabriMasjid ou Ram Mandir” à Ayodhya et le “décret sur les femmes musulmanes” au parlement indien. La démolition de la BabriMasjid à Ayodhya le 6 décembre 1992 a détérioré grandement les relations entre hindous et musulmans. Ayodhya, d’après la tradition hindoue, est le lieu de naissance de Rama. Les hindous affirment que la mosquée avait été construite sur les ruines d’un temple de Rama par les envahisseurs musulmans. Le parti au pouvoir devait protéger la mosquée pendant que le BJP, alors dans l’opposition, voulait tout détruire pour reconstruire le temple de Rama. Bien que le Congrès au pouvoir ait promis de rebâtir la mosquée, il n’a pas tenu parole. Les fondamentalistes hindous, avec le support du gouvernement BJP, s’efforcent de rebâtir le temple de Rama. Et ceci n’est qu’un exemple de fondamentalisme religieux en Inde.

Intolérances religieuses

Comme nous le disions plus haut, fondamentalisme et intolérance sont comme les deux faces d’une même pièce. L’indifférentisme a cédé la place à l’intolérance. L’attitude de “vivre et laisser vivre” de la religion hindoue n’est plus ni prêchée ni pratiquée dans le pays. Le slogan présent des fondamentalistes hindous est : “Hindou, Hindi, Hindoustan” (religion hindoue, langue hindi, nation de l’hindoustan). Ceci signifie simplement que l’Inde est la nation des hindous. Musulmans et chrétiens sont des étrangers. Les forces réelles derrière la présente attitude d’intolérance envers les autres religions sont la politisation de la religion, les partis politiques communautaristes et divers intérêts cachés comme les propriétaires terriens ainsi que les sections riches de la société.

Toutes sortes de harcèlements existent dans le pays. Bien que la propagation de la foi soit garantie par la Constitution, des lois anticonversions ont été passées par beaucoup de gouvernements d’États. Tout cela a pour but d’interdire toute activité missionnaire. Même les entreprises charitables des missionnaires chrétiens sont qualifiées d’efforts pour obtenir des conversions. Les missionnaires sont persécutés et brutalement tués en bien des parties du pays. En septembre dernier, un prêtre a été battu, déshabillé et montré en public par une foule déchaînée. Pendant la dernière décennie, plus de vingt cas de meurtres ou de brutalités ont été enregistrés, concernant quarante une victimes. Le témoignage en faveur de la justice, de la paix et de l’amour est devenu une affaire coûteuse dans les missions indiennes. Il y a eu un changement drastique dans l’attitude de la majorité hindoue envers les minorités. Il y avait une pression croissante pour l’admission dans les écoles et collèges chrétiens. Mais maintenant il y a des groupes qui sont toujours prêts à attaquer tout ce qui est chrétien dans les écoles. Les réunions de prière aussi sont mal comprises par les fondamentalistes. Ils accusent les prêtres chrétiens d’encourager les hindous à se convertir. Les hindous sont motivés par l’idéologie selon laquelle les chrétiens et les musulmans ne sont pas des Indiens. Même les réactions des chrétiens indiens aux récents tests nucléaires ont provoqué les fondamentalistes hindous. Ils avertissent maintenant les chrétiens qu’ils vont leur retirer “l’hospitalité” qui leur a été offerte pendant vingt siècles.

Il y a sûrement un sentiment de croissante aliénation dans les communautés religieuses en Inde. La méfiance croît entre la majorité hindoue et les diverses minorités, spécialement les chrétiens et les musulmans. Il faut noter que les attaques contre les chrétiens ont augmenté de façon déplorable depuis mars 1998, lorsque le nouveau gouvernement conduit par le BJP est arrivé au pouvoir. La récente décision du gouvernement de Delhi de ne pas donner aux Églises chrétiennes la considération qui est due aux lieux de culte à cause de leur usage de vin pour la messe est juste un des nombreux exemples d’intolérance de ce parti politique pro-hindou. Vishwa Hindu Parishad, une organisation fondamentaliste hindoue, a commencé à former 10 000 missionnaires pour travailler parmi les nouveaux convertis chrétiens pour les ramener à l’hindouisme. Les attaques contre les convertis dalits, la confiscation de bibles pour les brûler en public etc. sont en train de détruire le caractère séculier de la nation. L’agenda en faveur de l’hindouisme du BJP est la première cause de la dysharmonie communautaire, ainsi que les assauts contre les missionnaires chrétiens en Inde, un pays connu depuis des siècles comme une terre de non-violence et de tolérance religieuse. Par ailleurs, le travail de l’Église parmi les aborigènes ainsi que la popularité croissante des mouvements charismatiques semblent avoir consolidé l’opposition des mouvements hindous dans certaines régions du pays.

Comme nous l’avons déjà noté, la politisation de la religion est à la base de toutes ces méfiances entre les religions. Fondamentalisme hindou est une contradiction dans les termes. Un hindou ne peut pas être fondamentaliste. Il embrasse tout. Tout le monde a une place dans l’hindouisme. Il n’y a pas en hindouisme de dogmes fondamentaux comme dans l’islam ou le

christianisme. Tandis que les musulmans ou les chrétiens devraient être fondamentalistes. De plus, l’histoire de leurs missions montre que plus de conversions furent obtenues par l’épée que par la croix. Musulmans et chrétiens ont lutté les uns contre les autres au nom de la religion. Mais aujourd’hui, aucune religion ne prêche la violence et la haine. Toutes les religions prêchent l’amour. La société indienne doit être tout le temps rappelée au fait que le pluralisme est partie intégrale de la culture indienne et de son expérience religieuse. Dans ce but, il faut organiser des programmes de conscientisation à l’échelle nationale. Il faut démarrer le dialogue pour construire des ponts d’entente et de coopération de façon à encourager l’harmonie communautaire. Les politiciens avides de pouvoir doivent être tenus à l’écart des instances de commande religieuses. Et les leaders religieux ne devraient pas se mêler d’administration politique. De plus, l’administration doit agir avec fermeté et impartialité lorsque des incidents éclatent.