Eglises d'Asie

LES COURANTS EMERGENTS DE LA MISSION EN INDE AUJOURD’HUI

Publié le 18/03/2010




Que devient la proclamation/mission en Inde depuis Vatican II ? Que pensent les missionnaires sur le terrain de la relation entre la proclamation et le dialogue, la proclamation et l’humanisation ? Quelles sont les nouvelles méthodes, initiées ou dévelopées par les missionnaires du fait des nouvelles orientations théologiques et des directives de la Conférence des évêques de l’Inde (CBCI) ? Quelles sont les contradictions et tensions entre la théologie missionnaire et la praxis ?

Cherchant des réponses à ces questions la Commission pour la Proclamation de la CBCI a fait une enquête nationale, dans 40 diocèses et 12 régions ecclésiastiques des trois Eglises catholiques. Notre analyse repose sur des données collectées auprès de 1 690 prêtres, 4 127 religieuses et 9 050 laïcs (10% des prêtres, 5% des religieuses, et presque 0,1% des laïcs).

Tendances dans l’accroissement du nombre des fidèles et dans leur répartition géographique

L’Eglise la plus ancienne, l’Eglise syriaque sur la côte de Malabar, constitue presque 69% des catholiques du Kerala. 31% des catholiques du Kerala appartiennent au rite latin. Un peu plus d’un tiers des catholiques indiens se trouvent dans ce petit Etat du Sud.

Les missionnaire portugais, au début du 16ème siècle, sous le système du Padroado, créèrent de nouvelles communautés sur la côte ouest,en commençant par Goa. Les données les plus récentes pour la région font état de 1.3 million de catholiques, surtout concentrés à Bombay, Goa, Mangalore et Poona. Ils représentent à peu près 10% des catholiques en Inde, ayant bénéficié de cinq cents ans d’influence culturelle portugaise.

Quand les missionnaires jésuites pénétrèrent dans la jungle du plateau de Chotanagpur en 1885 et commencèrent leur mission d’évangélisation, le nombre des catholiques dans la région était inférieur à cent. A cause de leur implication dans la vie sociale, particulièrement dans la protection des Adivasis et de leurs terres contre l’exploitation et l’oppression des propriétaires et des rajas, un mouvement de conversions massives s’amorça.

Aujourd’hui près de 1,1 million de catholiques à Chotanagapur et dans les régions avoisinantes se souviennent avec reconnaissance de la révolution sociale et spirituelle initiée par les missionnaires.

17% de la population chrétienne en Inde se trouvent dans le Nord-Est du pays contre 7% en 1951. A peu près 70% d’entre eux appartiennent aux Eglises baptistes et presbytériennes, environ un tiers est catholique, surtout grâce aux missionnaires salésiens de Don Bosco. En cinquante ans, la population catholique est passée de 60 000 à 800 000 personnes.

La mission Padroado, au 16ème siècle lors de l’occupation portugaise dans le sud de l’Inde, fit un grand nombre de conversions, spécialement parmi les pêcheurs de la côte de Coromandel et de la côte de Malabar. Aux 17ème et 18ème siècles, sous la direcvtion de la Propagation de la foi, Robert de Nobili, John de Britto et beaucoup d’autres pionniers dirigèrent leur effort missionnaire vers les castes élevées, avec un succès limité sur le plan du nombre et sur celui de l’inculturation. Par contraste, le travail des missionnaires auprès des Dalits au 20ème siècle, dans différents Eats, a eu pour résultat un mouvement de masse vers les Eglises chrétiennes.

Près de 75% des chrétiens dans la région de l’Inde où l’on parle hindi sont des convertis parmi les Adivasis de Chotanagpur et 20% sont des Dalits. 16 diocèses du Nord de l’Inde ont moins de 15 000 catholiques chacun. En Uttar Pradesh, le plus grand Etat qui compte 120 millions d’habitants et 16% de musulmans, la présence chrétienne, 0.15%, est comme une goutte dans un océan.

Notre étude montre clairement un déséquilibre dans la distribution géographique de la population chrétienne et des missionnaires. Par exemple, en 1881, seulement 0.7% de la population indienne était chrétienne et 90% de cette population se trouvait dans le Sud de l’Inde. En 1991, le chiffre est passé à 2.6% (25 millions). La répartition est la suivante: 60% dans le Sud, 8% dans le Nord, 7.3% à l’Ouest, 5% à l’Est et 16.75% dans le Nord Est. Plus 3% dans l’extrême Nord. Il y aura probablement peu de changements dans la répartition de la population chrétienne en Inde à l’avenir, exception faite pour le Nord-Est. Avec 2.6% de la population indienne (dont 1.8 de catholiques) les chrétiens sont la deuxième minorité religieuse. Et la diversité dans l’Eglise catholique indienne est à la fois un bienfait et une source de tensions dans les missions (I.Rajan,1989, 127).

Institutionalisation, ministère pastoral et proclamation

L’institutionalisation est une des principales tendances de l’Eglise catholique en Inde depuis l’indépendance, en voici des exemples:

Depuis cinquante ans les diocèses sont passés de 56 à 130. Les dispensaires ont multiplié leur nombre par dix (1 469 en 1990). Les hôpitaux ont augmenté dans la même proportion (593 en 1990).

Dans le même temps, les lycées ont augmenté six fois (2 081 en 1990). Les collèges et établissements d’enseignement supérieur ont augmenté huit fois (289 en 1990). La seule exception à cette croissance remarquable des institutions se trouve dans la croissance des écoles primaires et moyennes (25% de croissance). Ce qui indique que l’éducation primaire n’est pas une priorité dans de nombreux diocèses malgrè l’analphabétisme d’un grand nombre d’enfants.

Un grand nombre de prêtres et de religieux travaillent dans ces institutions. Les Eglises traditionnelles et aussi une partie des nouvelles Eglises sont très actives et surchargées par les tâches administratives et le ministère pastoral. De ce fait, il reste peu de temps pour la proclamation “Ad Gentes“.

La mission “Ad Gentes” n’est plus une priorité comme par le passé. Après une époque de mouvements de masse vers l’Eglise, les nouveaux champs d’activité des missions sont l’approfondissement de la foi et la construction des institutions.

Aujourd’hui, 60% des prêtres, 60% des religieuses, 56% des frères se trouvent dans le Sud de l’Inde où vivent 68% des catholiques et 25% de la population indienne. Les autres régions de mission souffrent d’un manque de missionnaires. Depuis 15 ans, du fait de l’élan missionnaire dans le Sud, il y a un léger changement dans la répartition en faveur du reste du pays. En 1980, 65% des prêtres et 75% des religieuses travaillaient dans les quatre Etats du Sud. La modification dans la répartition en faveur des autres Etats est d’environ 5%. Les difficultés demeurent pour ceux qui doivent planifier la répartition du personnel missionnaire (A.Kanjamala, 1995, 610). Les écoles chrétiennes éduquent 10 à 12% des étudiants de ce pays, et ceci depuis 150 ans. 15% des malades sont soignés dans des hôpitaux chrétiens, spécialement par des religieuses.

La structure sociale, le système des castes, les valeurs et styles de vie de l’Inde, ont été progressivement transformés par les exemples de vie des missionnaires chrétiens, par les services rendus et le message transmis. L’influence des institutions chrétiennes va bien au delà du caractère minoritaire de la communauté dont elles sont issues.

La mission “Ad Gentes”

Depuis deux siècles, bon nombre d’hindous, de musulmans et de parsis, se sont montrés réceptifs à l’Evangile sans se convertir et devenir membres de l’Eglise. Les réformateurs hindous, comme les missionnaires, ont mis en question les maux sociaux qui prévalent dans la société.

Aujourd’hui le fondamentalisme hindou et sa philosophie militante (Hindutva) gagne du terrain. Le parti BJP (Bharatiya Janata Party) reçoit un soutien massif. De 7.4% des votes en 1984, 11% en 1989, il est passé à 24% en 1993. Le score a été encore meilleur pour les élections de 1998.

La montée du fondamentalisme et du communautarisme apporte une aggressivité accrue envers les missionnaires chrétiens. Il y a de plus en plus de meurtres de prêtres et de religieuses, d’églises incendiées, d’attaques de familles chrétiennes, dans les Etats du Bihar, de l’Orissa, du Madhya Pradesh,de l’Uttar Pradesh et ailleurs, depuis dix ans. L’aliénation de terres des populations tribales est une autre stratégie d’attaque. Dans certaines régions les chrétiens vivent dans la peur. Sous la pression politique, quelques milliers de catholiques se sont reconvertis à l’hindouisme dans le Nord du pays. Il ne faut cependant pas oublier que la majorité des hindous apprécie, ou en tout cas tolère, la mission chrétienne.

Les conversions de dalits sont aussi en régression, après une période de conversions de masse. Un bon nombre de dalits catholiques ont quitté l’Eglise ou cachent leur identité en public, pour diverses raisons, y compris des bénéfices socio-économiques donnés par le gouvernement. Il existe des différences notables dans la situation sociale des dalits chrétiens dans le Nord et dans le Sud, selon la présence ou l’absence de chrétiens dans les castes des régions. L’essentiel de la proclamation première dans le passé, et dans une certaine mesure actuellement, était dirigée vers les dalits et les populations tribales qui sont pauvres, en marge de la société et de peu de poids politiquement.

Les méthodes de proclamation

Sous l’influence du nouveau mouvement “Nouvelle évangélisation 2000”, la proclamation de Jésus et de l’Evangile a reçu un nouvel élan.

Le mouvement charismatique de retraite qui a commencé sur une grande échelle à Potta au Kerala, a attiré des milliers et des milliers de participants. L’équipe de Potta voyage et prêche aussi en dehors du Kerala, en Inde et à l’étranger. C’est une manière forte de témoigner, de prier et de guérir. Beaucoup d’hindous, de musulmans, et d’adeptes d’autres religions participent activement au mouvement et apportent leurs témoignages. On estime à 50 000 le nombre des participants non chrétiens à différentes retraites chaque année. Certains demandent le baptême.

Même si le mouvement charismatique ne durait pas longtemps, comme ce fut le cas pour beaucoup d’autres mouvements religieux du passé, on peut tirer deux leçons de cette expérience : d’une part, l’expérience de Dieu et la spiritualité sont le fondement du travail missionnaire; d’autre part, la mission est une expérience communautaire et un processus de construction de la communauté.

Trop d’individualisme est l’ennemi de la véritable mission. L’accent sur le travail d’équipe et la construction de communautés font partie de l’évangélisation. Cela pourrait en partie expliquer la rapide croissance et l’expansion de sectes variées en Inde ou dans d’autre parties du monde.

La proclamation par les mass media : UNDA/OCIC de l’Inde a plus de 100 membres. Parmi ceux ci 40 centres de communication marchent assez bien. Environ 65% des centres de communication et du personnel ayant reçu une formation sont dans le Sud de l’Inde. Dans le Nord, là où les besoins sont plus grands, il y a très peu de centres qui fonctionnent bien. “Radio Veritas” et “Radio Sri Lanka” sont bien reçues par des millions d’auditeurs en Inde, de différentes religions.

Les centres d’information catholiques sont au nombre de 35, dont la moitié se trouve au Sud de l’Inde. Jusqu’en 1985, ils recevaient environ 40 à 50 000 appels par an et enregistraient environ 30 conversions d’adultes. Ces dernières années, le nombre de demandes d’information n’a pas augmenté. Pour beaucoup de non-chrétiens, à cause des réactions de leurs familles, le courrier est une bonne méthode pour améliorer leur connaissance du Christ.

Le concile de Vatican II et les encycliques sociales qui suivirent ont légitimé la responsabilité de l’Eglise dans tous les domaines de la vie humaine : sociaux, économiques, culturels, religieux et politiques. De ce fait, certains missionnaires ont entrepris une action sociale radicale pour transformer des structures injustes. L’engagement radical pour les pauvres et la justice sociale crée une polarisation entre la mission spirituelle et la mission sociale de l’Eglise dans beaucoup de diocèses. Cependant, avec le déclin du communisme en Russie et ailleurs, il y une atténuation des prises de position radicales caractéristiques de la période 1975-1985 et un retour au travail missionnaire institutionnel. Par exemple, des écoles secondaires sont créées dans des zones rurales, à la demande insistante des populations pauvres. Avec la globalisation des politiques économiques en Inde la tendance devrait s’accentuer.

Il est triste de constater que, dans l’ensemble, les missionnaires ne passent pas beaucoup de temps à la réflexion sur leur théologie de la mission, sur les méthodes et le style de vie de la mission. Il semble y avoir beaucoup d’action sans réflexion ou prière adéquate. Mais ceux qui vivent en communauté ont de meilleures opportunités pour ces exercices. La grande diversité des contextes et la complexité de la société indienne, la diversité de populations et de cultures nécessitent et justifient la pluralité des méthodes pour la mission unique de Jésus Christ.

Théologie missionnaire

Il y a des différences significatives d’opinions concernant les but de l’activité missionnaire. Alors que le grand nombre de prêtres et religieuses s’éloigne de la vision traditionnelle, ecclésiocentrique de la mission, d’autres restent proches de la vision traditionnelle. Cette différence est source de tensions et même de sérieux conflits. Dans quelques diocèses, le problème de différence de perception est exacerbé par des différences régionales significatives dans la perception de la source du salut et dans le but de la mission.

La plus importante motivation traditionnelle de la mission – le salut des âmes – est affaiblie par la nouvelle théologie de la mission qui affirme que le salut est possible dans chaque religion (NAI; AG 2; LG 16. GS 22). 66% des prêtres et 74% des religieuses pensent que toutes les religions sont salvatrices pour leurs adeptes sincères. Mais 16% des prêtres et religieuses et 58% des laïcs conservent le point de vue traditionnel qu’il n’y a pas de salut en dehors de l’Eglise visible.

Avec la légitimation du dialogue – (a) le dialogue avec les grandes traditions religieuses des peuples d’Asie; (b) le dialogue avec les pauvres, les démunis et les opprimés; (c) le dialogue avec les traditions, les cultures et les réalités de la vie des personnes parmi lesquelles nous servons (FABC, Taipei, 1974, n°9-24 ), et le travail de libération devenu une dimension constitutive de la mission (Synode des évêques, Justice dans le monde, 1971 n°6), l’accent est maintenant mis sur le témoignage, la présence et le service, particulièrement auprès des pauvres et des opprimés. La préoccupation quantitative du passé a cédé la place à celle de la qualité de la vie chrétienne et du service aujourd’hui.

Parmi les trois modèles d’évangélisation (centré sur l’Eglise, centré sur le Christ, centré sur le Royaume), l’évangélisation centrée sur le Christ est la plus forte motivation des missionnaires. Environ 70% des missionnaires en Inde considèrent que faire connaître le Christ est leur première priorité.

La seconde priorité des missionnaires est la promotion des valeurs du Royaume de Dieu. Le Concile de Vatican II enseigne que l’amour rédempteur de Dieu s’étend à tous les fidèles sincères de toutes les religions. Cette vision est acceptée par 66% des ecclésiastiques et 74% des religieuses ayant répondu à nos questions.

Au niveau national la mission centrée sur l’Eglise représente la troisième priorité. Seulement 16% des missionnaires, prêtres et religieuses considèrent qu’il s’agit de la première priorité. Seule exception : le Nord-Est où la mission centrée sur l’Eglise est préférée par 36%.

Le déclin de l’ecclésiocentrisme implique un changement drastique dans l’ecclésiologie et dans l’attitude des autorités religieuses (évêques et prêtres). Naturellement, il y a des réactions à ces nouvelles orientations, spécialement dans la hiérarchie. La théologie de la mission étant une construction humaine répondant à des besoins différents dans des lieux et dans des temps différents ne peut qu’être plurielle.

Tensions, conflits et crises dans la mission

L’intérêt pour la proclamation directe de Jésus et de l’Evangile semble décliner d’une manière générale (R.M.2) d’après les résultats de notre étude. Seulement 33% des missionnaires, au niveau national, sont satisfaits de l’état d’esprit missionnaire dans leur diocèse. Cependant, il y a un meilleur niveau de satisfaction dans la région de Chotanagpur (45% des prêtres et 36% des religieuses) et dans le Nord-Est (56% des prêtres et 76% des religieuses). Ce sont des régions réceptives aux activités missionnaires.

Le déclin de l’esprit missionnaire vient de plusieurs facteurs sociaux actuels. Cependant, “l’affaiblissement du zèle missionnaire vient au bout du compte du fait que le pouvoir du Verbe est étouffé par les préoccupations matérielles et l’attirance pour les richesses (Mt.13:32) la consommation, le pouvoir, parmi ceux qui devraient être les serviteurs du Verbe” (Paths of mission in India today, 1996 p:294). Le renouveau de l’esprit missionnaire dépendra sur une vie renouvelée de foi en Jésus-Christ.

Le président du secrétariat pour l’Evangélisation du Vatican dans son allocution aux cardinaux à Rome, le 5 Avril 1991, s’est paraît il référé à l’Inde comme étant l’épicentre des nouvelles hérésies. La théologie émergente de la mission et du Royaume de Dieu est aussi considérée avec suspicion par certains membres de la hiérarchie en Inde. Le chapitre trois de la récente encyclique “Redemptoris Missio” semblerait répondre indirectement à certaines préoccupations des théologiens indiens.

Selon la théologie de l’Eglise locale de Vatican II (L.G.26), l’évêque est l’autorité décisive, responsable de la mission sur son territoire (A.G.30). Si l’évêque n’est pas fortement motivé il n’y a pas en Inde une autorité qui coordonne et dirige le travail de proclamation. Le devoir traditionnel de la Propagation de la foi (Congrégation pour l’Evangélisation des peuples) de coordonner les activités missionnaires en terre de mission est abrogé par les nouvelles lois, et cette responsabilité n’a été transmise officiellement à aucun organisme correspondant en Inde. Nous sommes dans une situation d’éclatement. Puisque la Commission pour la Proclamation du CBCI n’a pas d’autorité légale, qui va coordonner le travail de Proclamation au niveau national? L’Evangélisation est la seule tâche capable d’unir l’ensemble de l’église indienne.

Le travail missionnaire s’est récemment divisé sur la base des trois Eglises de rites différents. Les conflits de rites semblent un sujet important dans la mission. Au lieu d’être un signe d’unité c’est un signe de division et la proclamation de Jésus est à la croisée des chemins. Beaucoup de prêtres et de laïcs perdent la confiance dans le leadership de certains évêques dont la crédibilité est en jeu du fait des divergences concernant les rites (cf la Lettre d’admonition du Saint Père en Novembre 1993).

De sérieuses tensions ont été observées concernant la théologie de mission depuis Vatican II, dans de nombreux diocèses. C’est une des principales sources de conflits personnels entre les évêques et les missionnaires, entre les jeunes prêtres et les moins jeunes, entre Rome et l’Eglise locale.

A cause de tensions et conflits durables entre des évêques et des missionnaires, sur les sujets de théologie de la mission et des méthodes de la mission, environ 10% des prêtres et des religieuses dans quelques diocèses ont démissionné de la prêtrise ou de la vie religieuse. (Bien sûr ce n’était peut être pas l’unique raison). C’est un signe clair de sérieuse frustration, de ceux qui ont démissionné et de certains qui continuent à oeuvrer dans ces diocèses. Bon nombre de missionnaires, spécialement dans les régions de langue hindi où il y a peu d’intérêt pour l’Evangile, se sentent frustrés. Les occasions de travail pastoral sont très peu nombreuses. Les seuls champs d’activité sont le travail social pour les pauvres et l’école secondaire de langue anglaise pour les riches.

En Inde les contacts personnels doivent devenir une méthode importante d’évangélisation. Mais les contacts entre les missionnaires et les gens diminuent. L’institutionalisation des activités missionnaires, les possibilités modernes de déplacement, et autres facilités expliquent en partie la situation.

L’avenir de la mission dépendra dans une grande mesure de l’engagement des laïcs qui sont en meilleure position pour sensibiliser chaque couche de la société aux valeurs de l’Evangile.

Les phénomènes socio-politiques les plus dangereux en Inde aujourd’hui sont a) le communautarisme/le fondamentalisme, b) l’augmentation des crimes et de la violence, particulièment contre les castes d’intouchables et les populations tribales, c) la corruption effrénée dans la vie publique, d) la fièvre de consommation chez les nouveaux riches et les élites dont les valeurs déclinent rapidement. Leur influence sur les missionnaires ne peut être ignorée.

Le régionalisme et l’ethnocentrisme dans l’Eglise et dans la mission sont en progression, donnant lieu à des conflits entre dalits, l’affirmation des particularismes tribaux, des conflits de rites, des tensions entre les missionnaires originaires du Sud et les populations indigènes du Nord. La catholicité et l’universalité de la mission sont en danger. Des exemples de désaccords entre la vision missiologique de l’Eglise et les pratiques de certains missionnaires apparaissent clairement au cours de l’enquête et des interviews, par exemple sur les objectifs du dialogue avec les autres religions.

Les tensions, les conflits, la perte des valeurs ou du respect des règles par les individus et par les institutions, sont les signes incontestables d’une époque de transition entre un système traditionnel et un système qui manque encore de stabilité.

Des signes d’espoir

La période de l’après Vatican II est aussi caractérisée par des signes d’espoir. Pour plus de deux tiers des missionnaires, la priorité de la mission est de faire connaître Jésus Christ et de travailler à la réalisation des valeurs du royaume de Dieu. L’ouverture aux autres religions et aux autres cultures, en contraste avec la mentalité étroite de la période coloniale, gagne du terrain et réduit la distance sociale et les conflits entre la mission chrétienne et les autres religions. Environ 20% des prêtres et des religieuses ont organisé dans l’année des prières ou des réunions de dialogue interreligieux, ou y ont participé.

L’ engagement radical pour les pauvres et les opprimés de certains missionnaires, inspiré par un sentiment de compassion et de service sans but de conversion, est un défi qui affaiblit les fausses accusations de certains quant aux motivations cachées des missionnaires.

Voici une liste des causes conduites par les missionnaires ou auxquelles ils s’associent: Le mouvement de libération des dalits, la libération des femmes, la protection de l’environnement. L’Evangile est prêché aux pauvres et aux marginaux (Luc 4:18). Les missionnaires peuvent être fiers de leur contribution significative pour restaurer la dignité de ceux qui subissaient les grandes souffrances de la déshumanisation depuis des siècles. Les gens de petite extraction gagnent une identité nouvelle en devenant membres de l’Eglise universelle.

En outre, l’enquête montre que les religieuses manifestent un engagement missionnaire supérieur à celui des prêtres par leur ministère non institutionalisé et leurs programmes destinbés aux non-chrétiens. Les soeurs font plus de visites à domicile, leurs contacts non institutionalisés sont trois à quatre fois plus nombreux que ceux des prêtres. Un plus grand nombre parle de l’amour du Christ à leurs élèves dans les écoles, aux malades dans les hôpitaux et dispensaires ainsi que dans les rencontres informelles. La mission de l’avenir ne sera pas aussi orientée vers les sacrements que par le passé; par exemple le baptème, la sainte messe, la confession, etc. L’avenir de la mission en Inde sera modelé de façon considérable par l’exemple de vie, l’engagement, et le travail des religieuses et des laïcs.

Le nombre de ceux qui adoptent de nouvelles méthodes missionnaires créatives est en augmentation. Notre étude, dans 30 centres d’information catholiques, montre qu’environ 50 000 adultes, adeptes d’autres religions, cherchent à approfondir leur connaissance de Jésus Christ avec des cours par correspondance. Environ 1 500 lettres sont reçues chaque année, d’auditeurs du programme en hindi de Radio Veritas de Manille, ce qui indique qu’un nombre important d’auditeurs de religions différentes écoutent régulièrement l’Evangile de Jésus Christ. Le mouvement charismatique de retraite et ses vastes rassemblements nationaux sont des occasions de proclamation et de témoignage. Un grand nombre de chrétiens et d’adeptes d’autres religions y assistent.

Il est réconfortant de penser que, suivant ainsi les directives de Vatican II, le nombre de ceux qui étudient la parole de Dieu et prient dans leurs familles et dans les petites communautés chrétiennes (SCC) est en augmentation. La publication de la Bible dans toutes les langues indiennes et dans les différents dialectes a favorisé cette augmentation.

Le nombre de missionnaires indiens qui vont effectuer des missions dans des pays étrangers est aussi plus grand. Nous n’avons pas encore de données précises sur le sujet. La plupart vont dans les pays africains et en Amérique du Sud. L’Europe et l’Amérique du Nord demandent des missionnaires indiens et leurs services sont appréciés.

Tout ceci et d’autres développements qui ne sont pas mentionnés ici sont des signes d’espoir. Indubitablement, le Saint Esprit, principal agent de la mission (R.M.ch 3) est au travail dans les coeurs humains (R.M.28,29). Notre mission est de découvrir la présence de l’Esprit qui grandit la vie et l’amour dans le monde et de collaborer avec lui. Notre message de bonne nouvelle dans un monde tourmenté par tant de problèmes et tenté par le pessimisme est : Dieu est amour. Notre mission est de rendre l’amour de Dieu présent de toutes les façons possibles.

Conclusion

Nous savons que 97% des Indiens trouvent le salut sans avoir eu aucun contact avec la mission chrétienne. Et la théologie de mission ainsi que les méthodes missionnaires sont en train de changer radicalement en Inde.

Un des changements missiologiques les plus radicaux des trente dernières années est la relégation de la mission centrée sur l’Eglise de la première priorité au début du siècle, à la troisième place actuellement. Il ressort de l’analyse des données que la grande majorité des prêtres et des religieuses, avec de faibles variantes selon les régions, s’éloignent graduellement de l’idée traditionnelle, ecclésiocentrique de la mission et se rapprochent des idées christocentrique et théocentrique de la mission qui sont complètement liées. Les points de vue, attitudes et méthodes des missionnaires indiens aujourd’hui sont plus proches de la vision de Paul VI dans “l’Evangélisation dans le monde moderne”(1975) que de l’approche du Pape Jean Paul II dans “Redemptoris Missio”(1990).

Pour les chrétiens, et particulièrement pour les missionnaires, la grande révolution missionnaire de ce siècle est la découverte d’autres mondes spirituels. La reconnaissance de ces religions, avec des attitudes d’esprit ouvertes, des programmes de dialogue et de partenariat, en contraste avec l’approche fermée et hostile de la mission du passé, a construit les fondations d’une nouvelle civilisation à l’esprit fraternel. Une nouvelle conscience que nous sommes tous, en dépit de nos différentes religions, cultures, castes, tribus, et nations, les enfants de Dieu, notre Créateur. Nous sommes tous membres de la famille humaine. Nous entrons dans le temps de la mission – échange. Le changement de paradigme identifié dans cette étude est le commencement d’une révolution “copernicienne” dans la mission indienne.