Eglises d'Asie

La politique de “transmigration” appliquée depuis quelques décennies est à l’origine des conflits sanglants de ces derniers mois

Publié le 18/03/2010




Les conflits sanglants qui ont marqué l’archipel des Moluques et la partie occidentale de l’île de Kalimantan (Bornéo) au cours de ces derniers mois, faisant plusieurs centaines de victimes, ont au moins une chose en commun. Ils ont opposé les populations d’origine locale aux populations “transmigrées”. On peut y ajouter les assassinats commis ces derniers jours par des milices pro-indonésiennes contre la population autochtone de Timor Oriental (2). Dans aucun de ces cas, le facteur religieux n’a été déterminant même s’il s’est ajouté par la suite, en sur-imposition en quelque sorte, dans la mesure où des symboles religieux, tels que mosquées et églises, ont été attaqués et détruits, en particulier dans l’archipel des Moluques.

Au cours des années 1970, le régime Suharto a délibérément favorisé une politique démographique visant à désengorger l’île surpeuplée de Java, en envoyant des “transmigrants” javanais sur des îles moins peuplées comme Kalimantan, Sumatra ou les Moluques. Cette “transmigration” (transmigrasi) a été souvent perçue par les peuples autochtones comme une nouvelle colonisation par des Javanais dominateurs. Le moins que l’on puisse dire c’est que, depuis le début, cette “transmigration” a causé des tensions sociales assez graves, souvent sanglantes, mais qui étaient de manière habituelle fermement et rapidement contrôlées par une armée omniprésente qui ne se posait pas encore de questions existentielles sur son rôle de garante de l’unité nationale. Ces incidents n’apparaissaient donc pas dans la presse internationale. Si, aujourd’hui, ces conflits sanglants ont pris l’ampleur que nous leur connaissons c’est que l’armée tarde souvent à réagir, prend parti quelquefois pour l’une au l’autre des factions ou tire dans la foule, ce qui ne peut qu’exacerber encore un peu plus la colère populaire. En fait, l’absence de légitimité et donc d’autorité du gouvernement central de Jakarta fait que ces dérapages prennent une telle importance. Selon des observateurs indonésiens, il n’est pas exclu par ailleurs qu’au sein de l’armée elle-même certains secteurs soient enclins à favoriser le désordre social pour pouvoir apparaître dans un avenir plus ou moins proche comme les sauveurs de la patrie en danger.

Les événements de Kalimantan et des Moluques confirment largement ces observations. Dans l’archipel des Moluques, et particulièrement à Amboine, épicentre des récents troubles, la population était majoritairement chrétienne, à 60 %, jusque dans les années 1970. Depuis les mouvements de population de la transmigrasi, ce pourcentage s’est inversé en faveur des musulmans, non autochtones pour beaucoup d’entre eux. Le mécontentement des autochtones s’est trouvé amplifié dans une certaine mesure par un petit mouvement séparatiste local, qui avait été fermement réprimé par l’armée, après l’indépendance de l’Indonésie. Ce qui a mis le feu aux poudres au mois de janvier 1999 c’est la décision du gouverneur provincial, fraîchement arrivé, de remplacer par des “transmigrants”, des autochtones qui occupaient certains postes importants de l’administration provinciale. Le fait que les uns sont musulmans et les autres chrétiens a contribué sans aucun doute à enfermer un conflit d’abord social et ethnique dans un langage religieux identitaire. C’est ainsi que nombre de mosquées et d’églises ont été incendiés et qu’il y a eu au moins 300 morts. Aujourd’hui, à Amboine, chacun vit replié sur sa communauté en dépit des efforts faits par les chefs religieux pour élaborer une stratégie de réconciliation et de retour à la paix (3). Des milliers de réfugiés en provenance des Moluques sont déjà arrivés à Surabaya, sur l’île de Java.

A Kalimantan, sur les territoires originellement occupés par les Malais musulmans et les Dayaks chrétiens, se sont installés depuis une trentaine d’années des dizaines de milliers de Madurais, originaires de l’île javanaise de Madura et réputés commerçants durs en affaires. A la décharge du gouvernement de Jakarta il faut dire que ce mouvement de population n’avait pas été organisé par lui. Les conflits entre les autochtones et les nouveaux migrants ont été incessants. Il y a quelques années, une véritable guerre tribale avait opposé les Dayaks et les Madurais faisant au moins un millier de morts (4). Cette fois-ci, les Dayaks chrétiens étaient alliés aux Malais musulmans pour combattre les Madurais musulmans, nouveaux venus dans la région. Après 200 morts et des atrocités sans nom dont beaucoup sont imputables aux Dayaks, le gouvernement de Jakarta a promis de déplacer un grand nombre de Madurais de la région vers d’autres lieux. On parle de plus de 100 000 personnes qui seraient ainsi transportées ailleurs.

D’autres régions contrôlées par l’Indonésie comme la province d’Aceh, au nord de Sumatra, l’Irian Jaya ou Timor Oriental connaissent des mouvements séparatistes puissants. La violence y est endémique depuis longtemps et amplifiée aujourd’hui par la faiblesse du gouvernement de Jakarta. La question qui hante beaucoup de responsables indonésiens est celle de savoir si l’Indonésie n’est pas entrée dans une phase de décomposition comparable à celle de la Yougoslavie.