Eglises d'Asie

Les milices pro-indonésiennes, appuyées par l’armée, tentent de saboter le processus électoral qui pourrait conduire à l’indépendance du territoire

Publié le 18/03/2010




Les conversations entre le Portugal et l’Indonésie, qui devaient mettre au point les derniers détails du processus de consultation populaire sur une large autonomie ou éventuellement sur l’indépendance de Timor Oriental, ont été retardées d’une semaine, jusqu’aux 20, 21 et 22 avril, à la demande du gouvernement indonésien. Bien que le porte-parole du ministère indonésien des Affaires étrangères ait affirmé que “ce retard est sans rapport avec les événements récentsc’est-à-dire l’offensive sanglante des milices pro-indonésiennes du territoire, certains observateurs commencent à douter de la bonne volonté de Jakarta de mener à bien le processus de consultation électorale. Peut-être les autorités indonésiennes craignent-elles que l’indépendance éventuellement accordée à Timor Oriental n’encourage les velléités séparatistes d’autres provinces troublées telles que Aceh, au nord de Sumatra ou l’Irian Jaya. Un diplomate occidental, en poste dans la capitale indonésienne, affirme même : “La situation sur le terrain (à Timor) se détériore très rapidement (…) On peut avoir l’impression que ceux qui, à Jakarta et à Dili sont opposés à une solution, pourraient finalement obtenir gain de cause

Selon le représentant des Nations Unies pour Timor Oriental, Jamsheed Marker, des élections ne pourront avoir lieu sur le territoire que si le calme y est rapidement rétabli: Notre propos est d’appeler au calme. Nous arrivons à un moment critique des négociations et il est essentiel que toutes les parties maintiennent le calme et la paix. Il n’est pas possible d’organiser une consultation dans une atmosphère chargée de violence. Cela doit s’arrêter et c’est une condition préalableDe son côté, Mgr Carlos Ximenes Belo, évêque de Dili, s’est vu forcé d’annuler provisoirement la deuxième réunion de conciliation entre les parties en conflit (6) qui devait avoir lieu au mois d’avril. Il faut que les armes se taisent d’aborda-t-il déclaré le 10 avril. L’évêque conteste vigoureusement la version des événements dramatiques de Liquiça (voir plus bas), donnée par Armindo Mariano, président du parlement provincial.

Depuis la fin du mois de mars, les milices pro-indonésiennes, équipées et ouvertement appuyées par l’armée, multiplient les provocations et les incidents destinés à saboter le processus électoral qui, selon la plupart des observateurs, ne peut que leur être défavorable. Le mardi 6 avril, 25 personnes au moins ont été massacrées à l’arme blanche par un groupe appelé “Besi Merah Putisous les yeux de l’armée qui n’est pas intervenue selon les dires de témoins. Selon des groupes de défense des droits de l’homme, le nombre des victimes s’élèverait en fait à 52. Ces événements se sont produits à Liquiça, à une trentaine de kilomètres de Dili. Quelques jours plus tard, plusieurs autres personnes ont aussi été tuées par l’armée à Gleno dans le district d’Ermera, sans que leur nombre exact ait pu être confirmé par des sources indépendantes. Certains habitants du lieu parlent de quatorze morts. Parmi ceux-ci se trouve un membre indépendantiste du parlement provincial de Dili, dont la mort est confirmée.

Le 12 avril, quelque 350 miliciens pro-indonésiens ont voulu faire une démonstration de force à Dili, en brandissant des fusils de bois. Leur leader, Enrico Guterres, menaçant les militants indépendantistes, a déclaré : Si vous voulez la guerre, nous sommes prêts à la guerre. Si vous voulez des armes, nous avons aussi des armesPar ailleurs, selon l’agence de presse indonésienne Antara, des milliers de personnes auraient participé à une manifestation anti-indépendantiste organisée par la milice Mahidi à Zumalai, dans le district de Covalima, le dimanche 11 avril.

Le même jour, Mgr Carlos Ximenes Belo, évêque de Dili et prix Nobel de la paix, se trouvait à Liquiça pour célébrer la messe pour une population traumatisée par le massacre des jours précédents. Quand il est arrivé dans la ville, escorté par un certain nombre de journalistes et sous la protection de la police, personne ne se trouvait à l’église, mais plusieurs dizaines de miliciens pro-indonésiens, armés de machettes et de fusils, occupaient les lieux. En dépit de l’intimidation, cinq à six-cents habitants se sont finalement résolus à entrer dans l’église pour la célébration, sous les cris de menace des miliciens. La police a vainement essayé de disperser les fauteurs de troubles. A la fin de la célébration, Mgr Belo a pu quitter la ville sans incident, mais les journalistes qui le suivaient ont été soumis à des vexations de la part des miliciens armés.

De son côté, “Xanana” Gusmao, leader incontesté des indépendantistes timorais, qui se trouve en résidence surveillée à Jakarta, a appelé ses partisans à se défendre s’ils étaient attaqués. Son intervention a été immédiatement interprétée à Jakarta comme un appel à l’insurrection armée et le gouvernement a annoncé que le chef timorais retournerait en prison s’il ne revenait pas sur ses déclarations. En même temps, “Xanana” Gusmao a lancé un appel aux Nations Unies pour qu’une force d’interposition soit envoyée sur le territoire afin que la consultation électorale prévue pour juillet prochain puisse avoir lieu dans de bonnes conditions.

Plusieurs gouvernements étrangers se sont alarmés de la tournure des événements à Timor Oriental et font pression sur Jakarta pour que les autorités indonésiennes, soupçonnées de partialité, agissent fermement. Le ministre australien des Affaires étrangères, Alexander Downer, a déclaré, le 10 avril : Le gouvernement indonésien doit redoubler ses efforts pour s’assurer qu’il agit dans la neutralité et qu’il fera tout ce qui est possible pour que des événements comme ceux de la semaine dernière ne se reproduisent pas

Ne pouvant se permettre d’ignorer ces appels provenant de pays dont l’aide est cruciale pour sortir l’Indonésie de son marasme économique, le gouvernement indonésien a décidé, le 13 avril, d’établir une commission spéciale où toutes les parties en conflit seront représentées, afin d’essayer de ramener la paix à Timor Oriental. La première étape serait de convaincre toutes les parties en conflit d’accepter un cessezlefeua déclaré Ali Alatas, ministre indonésien des Affaires étrangères. “Xanana” Gusmao sera lui aussi invité à envoyer ses représentants dans la commission. Il est cependant improbable qu’il accepte cette offre à moins que l’armée et la police indonésiennes stationnées à Timor n’acceptent de désarmer les milices pro-indonésiennes du territoire.