Eglises d'Asie

“LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DOIT INTERVENIR…” Une interview de Mgr Basilio do Nascimiento évêque de Baucau

Publié le 18/03/2010




Mgr Basilio, comment évaluez-vous la situation sociale et politique à Timor Oriental ?

On peut dire que, depuis quelques mois, il y a vacance du pouvoir à Timor Oriental. Les institutions ne fonctionnent plus et le pouvoir est dans la rue. Le parlement provincial, la police, l’armée, le gouverneur lui-même sont dans l’incapacité de prendre une décision. Les autorités municipales elles-mêmes ne font plus rien.

C’est ainsi que des groupes para-militaires se sont formés parce que les gens en sont réduits à se défendre eux-mêmes. Ces groupes se sont multipliés et, plutôt que de se cantonner à l’auto-défense, se battent aujourd’hui entre eux. Je crois que beaucoup de ces groupes sont manipulés et que ces conflits sont sciemment attisés de l’extérieur.

Par ailleurs, il faut noter que depuis janvier dernier (1), les positions des uns et des autres se sont radicalisées. Il n’y a plus de dialogue possible, semble-t-il, entre “indépendantistes” et “intégrationnistes”. Peut-être le gouvernement indonésien a-t-il commis une erreur politique au départ en parlant d’indépendance et pas seulement d’autonomie. A ce moment-là, toutes les parties auraient pu tomber d’accord sur un projet d’autonomie.

Que représentent exactement ces milices pro-indonésiennes, anti-indépendantistes, dont on a beaucoup parlé ces derniers jours en relation avec des massacres et des actes de terrorisme? Ont-elles un lien avec l’armée indonésienne ?

Il faut le dire clairement, ces milices tiennent leur force des militaires et elles sont soutenues par l’armée indonésienne stationnée sur le territoire (2). Les militaires indonésiens sont presque toujours derrière les milices et quelquefois ils provoquent des situations qui permettent aux miliciens d’agir. Plusieurs témoins appartenant à la police m’ont même affirmé que des militaires des troupes d’élite indonésiennes ont participé activement à des manifestations de rue organisées par les milices, en particulier à Becora il y a encore quelques jours. Cette dernière manifestation a d’ailleurs failli déboucher sur une confrontation armée avec des groupes de la résistance indépendantiste.

En dépit de tout cela, l’autorité politique ne semble vouloir prendre aucune initiative pour calmer les choses et imposer une certaine discipline dans l’armée. On peut se demander si le pouvoir politique indonésien ne considère pas l’activité de ces milices avec une certaine sympathie.

Du point de vue de la représentativité de ces milices pro-indonésiennes on ne peut pas savoir exactement puisqu’il n’y a jamais eu d’élections. On peut constater seulement que la plupart de leurs membres sont originaires des zones frontalières de Timor occidental. Cependant, mon sentiment personnel est que, dans un contexte d’expression libre et démocratique, les Timorais dans leur majorité voteront pour l’indépendance. Si ce contexte de liberté démocratique n’existe pas, si la terreur se poursuit, il est possible que le peuple vote pour l’autonomie dans l’Indonésie, par peur des conséquences. C’est bien entendu l’objectif poursuivi par certains secteurs de l’armée et du pouvoir indonésiens.

Dans la situation que vous décrivez, l’Eglise a-t-elle encore les moyens de jouer un rôle de médiation ?

Pour le moment, l’Eglise catholique est la seule institution qui puisse encore jouer un rôle de pont entre les parties. Son autorité morale reste grande et, de divers côtés, on demande aux évêques de prendre des initiatives pour revenir à un climat de paix. Au début, nous avons pensé que ce n’était pas notre rôle, mais aujourd’hui, Mgr Belo et moi-même estimons que, en tant que Timorais, nous ne pouvons pas nous dérober. C’est ainsi que nous avons essayé de rencontrer d’abord toutes les parties séparément pour lancer un dialogue. Mais, malheureusement, les derniers événements (3) nous amènent à mettre en doute la bonne foi des divers partenaires du conflit. Il devient difficile de parler de dialogue.

En ce qui me concerne, je vois le rôle de l’Eglise à trois niveaux. Premièrement, l’Eglise a joué pendant longtemps un rôle de protection des victimes, des droits du peuple souvent mis en danger. Ce rôle reste encore important aujourd’hui, mais peut-être moins qu’auparavant parce que beaucoup d’organisations internationales s’intéressent aujourd’hui à Timor Oriental et ont la capacité de prendre le relais dans ce domaine. Deuxièmement, l’Eglise doit jouer un rôle de médiation et de pacification et contribuer à créer une atmosphère de paix sur le territoire. Ce rôle est devenu aujourd’hui difficile à cause des circonstances mais l’Eglise ne peut pas s’en désintéresser. Enfin, troisièmement, l’Eglise, me semble-t-il, doit participer à son niveau à la promotion du développement, pas tellement dans le domaine économique, mais surtout dans le domaine de la formation des hommes et des cadres dans tous les domaines pour que, demain, Timor Oriental puisse devenir auto-suffisant pour son administration, sa vie politique et sociale. L’une des conséquences de ces initiatives sera, je crois, la revitalisation de la culture de notre peuple.

Vous êtes aujourd’hui de passage en France. Qu’avez-vous à dire aux Occidentaux que nous sommes ?

En ce moment, il y a beaucoup d’organisations internationales qui s’intéressent à Timor Oriental sur le plan économique. L’économie est sans doute un facteur important, mais l’appel que je voudrais lancer est le suivant : Que la communauté internationale pèse de tout son poids et impose la paix dans mon pays. Qu’elle y envoie une force d’interposition, pas forcément composée de militaires, pour que le peuple timorais se sente protégé et vote dans la liberté.