Eglises d'Asie

“TRAITEZ-NOUS EN CITOYENS ET EN COMPATRIOTES NOUS SOMMES TOUS FRERES ET SOEURS” Une interview de Mgr Thomas Menamparampil archevêque de Guwahati

Publié le 18/03/2010




Quelle est selon vous la raison des attaques récentes contre les chrétiens dans le pays ?

Je pense que la question devrait être posée à ceux qui ont attaqué les chrétiens. Ces agressions ont été vécues comme un rude choc par les minorités de l’Inde qui ont pris conscience qu’un pays longtemps connu pour sa tolérance pouvait s’oublier dans un moment de colère absolument contraire à ses traditions anciennes. Par ailleurs, ceci arrive au moment même où la communauté chrétienne est en train de se rapprocher, dans l’amitié, de toutes les communautés qui l’entourent. Elle est aussi en train d’étudier avec zèle de nouvelles manières d’exprimer sa foi dans des formes culturelles vraiment indiennes, et en train d’approfondir son engagement au service des différentes communautés.

Est-ce qu’il y avait un complot derrière ces attaques ?

Nous aimerions que les gardiens de notre sécurité nous disent s’il y avait complot ou non. Quand on voit l’étendue de la désinformation qui s’ajoute à une construction massive de mythes, nous avons des raisons de soupçonner que ces actes isolés de harcèlement font partie d’un plan plus vaste. Nous avons trop tendance à faire porter le blâme sur ceux qui ont perpétré le crime plutôt que sur ceux qui sont les maîtres d’oeuvre d’une campagne de haine et qui défendent une philosophie qui justifie la violence. Certaines séries publiées dans des journaux ne peuvent pas échapper à leurs responsabilités.

La question des conversions forcées au christianisme, une fois encore, fait la une des médias. Quelle en est la raison?

Il me semble que cela explique pourquoi nous en sommes là aujourd’hui. Alors que la plupart des pays qui progressent rapidement s’occupent de leurs programmes économiques, nous nous emprisonnons dans un débat pour savoir si nous avons le droit de nous persuader les uns les autres de nos convictions. Je pensais que nos ancêtres avaient résolu le problème il y a longtemps quand ils avaient décidé d’être de zélés chercheurs de l’absolu. Ils avaient pris la décision de suivre ce qui leur paraissait juste, quels que soient les obstacles sur le chemin. Le Mahatma Gandhi voulait que les fenêtres de sa maison restent ouvertes. Récemment, Amartya Sen a encore affirmé avec force que la civilisation indienne n’était pas si fragile qu’il faille se précipiter à son secours. Les grandes religions de ce pays portent des croyances suffisamment solides pour qu’aucune d’entre elles ne ressente de menace de la part d’une autre. Le caractère superficiel de cette histoire de conversion révèle plutôt une volonté de détourner l’attention de quelque chose d’autre.

Le Vishwa Hindu Parishad (VHP), en Assam, a prétendu que beaucoup de travailleurs du thé avaient été convertis de force au christianisme. Qu’y a-t-il de vrai là dedans ?

J’aimerais seulement, très cordialement, inviter mes amis du VHP à se pencher sur la loi de l’Etat. Nous sommes tous sous la même loi. Si leurs recherches révèlent quelque activité illégale que ce soit, que la loi sanctionne lourdement les coupables. Si, par contre, ces allégations s’avèrent infondées, nos frères du VHP permettront-ils à la communauté chrétienne de les accuser de diffamation ? Les questions théologiques ne sont sans doute pas à leur place dans une interview. Je saisis tout de même l’occasion de dire que, dans la pensée chrétienne, une conversion forcée n’est pas une conversion, et un baptême qui serait administré par la force serait totalement invalide. Si, aujourd’hui, quelqu’un se trouve en détention physique, hâtons nous de le libérer.

Comment jugez-vous la politique du BJP (Bharatiya Janata Party) concernant les minorités? Est-ce que les minorités se sentent en sécurité avec le gouvernement présent si l’on prend en compte les attaques récentes contre les chrétiens en particulier ?

Nous ne sommes contre aucun parti politique. Nous respectons toute autorité légitime. Mais les faits parlent d’eux-mêmes. Ce qui s’est passé au cours de cette année ne s’était jamais produit pendant les cinquante années précédentes. Pourquoi ces accusations infondées ? Pourquoi ces peurs irrationnelles ? Nous avons vécu côte à côte avec nos frères hindous et musulmans toutes ces années. Nos ancêtres ont fait la même chose depuis le premier jour où l’apôtre St Thomas a mis le pied sur le sol de l’Inde, en l’an 52 de l’ère chrétienne. Comment se fait-il que les communatés chrétiennes soient tout d’un coup devenues étrangères ? Quand sommes-nous devenus des citoyens de deuxième classe ? Y aurait-il des stratégies fascistes en train de se dessiner contre les chrétiens ? Est-ce qu’une culture monolithique va être imposée aux multiples ethnies et religions de notre pays ou de notre région ? Nos cultures locales devront-elles abdiquer ?

Que devrait faire le gouvernement pour restaurer la confiance parmi les minorités ?

Nous appartenons à une grande société. Nous sommes tous frères et soeurs. En nourrissant la méfiance et la suspicion entre les communautés, on ne va pas contribuer à l’intégration nationale. Que l’on nous fasse simplement confiance et qu’on nous permette de vivre. Ce n’est pas une très grande faveur que nous demandons. Nous appartenons à cette terre et nous voulons apporter notre petite contribution au bien commun. Que l’on ne nous ennuie pas avec un recensement spécial sous prétexte de vouloir nous protéger. Que l’on ne nous harcèle pas sous prétexte de questions au parlement. Que l’on nous traite simplement comme des citoyens et comme des compatriotes.

Comment envisagez-vous le rôle des missionnaires dans le nord-est, et que devraient-ils faire de plus ?

Nous avons beaucoup travaillé dans le domaine de la santé et de l’éducation. En Assam, nous ne nous sommes pas beaucoup engagés dans le domaine de l’éducation tertiaire ou de la formation au management. Mais nous sommes présents dans la formation technique et le développement rural. Evidemment, on ne peut pas mettre de limites aux possibilités de la créativité. Mais nous nous tenons éloignés, de manière délibérée, de certains types d’activités qui pourraient être mal comprises. Dans les moments de conflit ethnique, nous travaillons pour l’humanitaire et la réconciliation. Mais nous n’entrons pas dans des activités de nature politique.

Comment la communauté chrétienne considère-t-elle le problème de l’insurrection dans le nord-est, puisque beaucoup de groupes insurgés de la région sont chrétiens ? Quel message avez-vous pour eux ?

Les solutions des problèmes politiques doivent être recherchées dans le domaine politique. Les chrétiens individuels sont libres de s’engager dans tout parti ou toute idéologie qui respecte les valeurs humaines. Notre message à tous ces groupes a toujours été une invitation à rechercher une solution dans une atmosphère de paix. Nous demandons à la jeune génération de travailler dur et d’agir dans la coopération. Le problème de l’insurrection doit être approché en portant une grande attention aux facteurs historiques, culturels, ethniques, sociaux et politiques. C’est probabement ce qui n’est pas en train de se passer.

Il n’y a pas d’insurgés chrétiens ou d’insurgés hindous. L’insurrection n’est pas confessionnelle. Chaque groupe a son identité propre et son histoire propre. Si chaque problème est pris pour ce qu’il est et non pas pour les avantages éventuels que pourraient en tirer un parti ou un groupe d’intérêts, des solutions pourraient encore apparaître. Nous n’abandonnons pas l’espoir que cela puisse se produire.