Eglises d'Asie

LES SOLDATS DU CHRISTIANISME

Publié le 18/03/2010




La vie du potier nord-coréen Kim Hyon Il s’est radicalement transformée depuis qu’il s’est échappé vers la Chine, il y a sept mois. Non seulement, il a appris l’art de passer d’un emploi à un autre pour échapper aux agents chinois de la sécurité qui recherchent les étrangers illégaux tels que lui, mais il a aussi rencontré des missionnaires clandestins provenant de Corée du Sud, et il est devenu chrétien.

« Jamais je n’avais pensé que je deviendrais chrétien un jourdit Kim, âgé de 33 ans, qui se présente sous une fausse identité afin de protéger sa femme et ses deux enfants qui habitent toujours en Corée du Nord, près de la ville de Hyesan. Sa famille serait encore plus stupéfaite si elle apprenait qu’il assume la mission dangereuse de propager l’Evangile chrétien en Corée du Nord, pays officiellement athée qui considère les missionnaires comme « des instruments de l’impérialisme américainKim, amaigri par des années de vie difficile, est l’un des dizaines de Nord-Coréens qui, en se faisant passer pour des paysans affamés, font la navette entre les deux côtés de la frontière. Il a rejoint les rangs des missionnaires protestants clandestins qui profitent du relâchement récent des contrôles frontaliers pour propager secrètement l’Evangile chrétien.

Cinq années de famine ont amené des dizaines de milliers de Nord-Coréens en Chine et cette émigration a ouvert une voie inattendue au prosélytisme des missionnaires de Corée du Sud qui travaillent parmi les réfugiés et recrutent quelques-uns d’entre eux pour les envoyer comme missionnaires dans l’Etat stalinien de Corée du Nord. « Il est bien connu chez les NordCoréens qu’une fois en Chine ils peuvent recevoir de la nourriture et des vêtements dans les églises chrétiennesdit un dirigeant chrétien, Chinois d’origine coréenne, qui exerce à Yanji, près de la frontière de la rivière Tumen. « Ils commencent à reconnaître l’église par la croix qui est sur le toit

Même si les Eglises apportent une aide humanitaire dont le gouvernement nord-coréen devrait se charger si elles ne le faisaient pas, Pyongyang s’inquiète de la diffusion du christianisme. Le dirigeant suprême, Kim Jong Il – dont la grand-mère, Kan Ban Sok, fut l’une des premières converties chrétiennes de Corée du Nord – craint qu’un renouveau de ferveur chrétienne chez les villageois affamés puisse mettre le régime en péril. « Ils prennent conscience que ce n’est pas Kim qui les nourrit, mais les chrétiens« , affirme un missionnaire sud-coréen qui travaille en secret à Yanji sous une couverture d’homme d’affaires. « Les racines de l’Eglise chrétienne sont revitalisées en Corée du Norddit de son côté un notable chrétien des environs de Yanji.

Au début du mois de mai, le Service national du renseignement, de Séoul, a déclaré que les autorités nord-coréennes s’inquiétaient des activités des missionnaires clandestins au point d’avoir lancé des avertissements publics à leur encontre. « Les missionnaires chrétiens doivent être dénoncés et extirpés sans faute parce que ce sont des renards rusés utilisés comme instruments de l’impérialismeaffirme un communiqué nord-coréen, cité par le service de renseignement du Sud.

Un missionnaire sud-coréen, qui travaille secrètement sous couvert d’une compagnie commerciale, dans les environs de Yanji, montre un sac de nourriture en nylon portant un logo en coréen disant : « Offert par des familles chrétiennes du monde entierLes missionnaires ont choisi la matière de fabrication de ce sac de façon à ce qu’il puisse être ré-utilisé, dans l’espoir que le mot « chrétien » restera longtemps dans les mémoires de ses utilisateurs, ajoute-t-il. Chacun de ces sacs contient 20 kilos de grain, une barre de savon, quelques remèdes et, habituellement, une minuscule Bible qui tient dans la paume de la main, imprimée en très petits caractères. Ils sont ensuite laissés dans les « maisons de mission » des villages le long des rivières Tumen et Yalu. Ces maisons sont entretenues par des groupes chrétiens de Corée du Sud. Les migrants nord-coréens qui traversent vers la Chine, la nuit, les prennent et rentrent ensuite chez eux en Corée du Nord. Des dizaines de missionnaires clandestins en provenance de Séoul gèrent cette opération peu connue le long des 1 300 kilomètres de frontière. Ils cachent leur identité en se faisant passer pour des hommes d’affaires ou des guides d’agences de tourisme, car les autorités chinoises interdisent aux groupes religieux étrangers d’avoir des activités en Chine. Armés de téléphones et d’ordinateurs portables, ces soldats de l’infanterie chrétienne, pour la plupart trentenaires ou quadragénaires, se déplacent constamment tout le long de la frontière, fournissant de l’argent et de la nourriture dans leurs tournées des paroisses. « Souvent, notre activité est si secrète qu’elle ressemble à l’organisation des cellules du Parti communistes’amuse Yoo Kwan Ji, pasteur méthodiste de Séoul, qui participait aux débuts de la mission chinoise en 1987.

Cette méthode agressive de prosélytisme a cependant provoqué l’expulsion par le gouvernement chinois de deux missionnaires, accusés d’activités incompatibles avec le visa qu’ils avaient reçu. Pékin a aussi abordé la question avec les diplomates sud-coréens de la capitale chinoise. Cependant, la très vaste région du nord-est de la Chine, qui compte plus de deux millions de citoyens d’origine coréenne, fournit un terreau fertile aux missions évangéliques conduites par diverses Eglises de Séoul, dominées par des réfugiés qui ont fui la Corée du Nord au moment de la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Historiquement, le christianisme est très fort chez les Coréens de Chine.

Beaucoup ont des parents qui ont été chassés de Corée du Nord par le régime communiste en 1945. Ils ont encore de la famille vivant en Corée du Nord. Les Eglise sud-coréennes ne se contentent pas de nourrir les affamés, mais facilitent les réunions et les contacts entre familles séparées par la zone démilitarisée qui divise le Nord et le Sud. « Le christianisme peut hâter le processus de réconciliation et de réunification du Nord et du Suddit le Rév. Kim Joong Seok, président méthodiste du comité inter-confessionnel pour la réhabilitation de l’Eglise de Corée du Nord, qui est un groupe missionnaire.

Mais pour Kim Jong Il, qui contrôle la Corée du Nord à l’aide d’un puissant culte de la personnalité centré sur son père et prédécesseur, Kim Il Sung, le message chrétien est un danger pour sa haine de la Corée du Sud. Alarmé par une active contrebande de bibles, et par la pénétration de missionnaires clandestins, Pyongyang se défend. En 1995, ses agents de Yangji ont kidnappé un missionnaire de l’Eglise du plein Evangile de Séoul, l’une des plus importantes Eglises de Corée du Sud qui compte plus d’un million de fidèles politiquement marqués à droite. L’Eglise et le gouvernement de Séoul ont demandé la libération du Rév. An Sung Woon, qui est détenu à Pyongyang.

Les agents nord-coréens répriment aussi sur leur territoire. Au cours de ces dernières années, selon des sources chrétiennes chinoises de Yanji, ils ont emprisonné plusieurs citoyens chinois d’origine coréenne en les accusant d’espionnage, après les avoir pris en flagrant délit d’évangélisation secrète dans des domiciles privés en Corée du Nord. Pékin est intervenu pour les faire libérer, mais plusieurs autres Chinois d’origine coréenne sont portés disparus et pourraient avoir été tués. « Deux de nos missionnaires ont été martyrisésaffirme un missionnaire de Séoul.

De tels incidents embarrassent la Chine et compliquent sa position. Elle se trouve prise en sandwich entre les deux Corées, hostiles l’une à l’autre, tout en essayant de maintenir des relations étroites avec les deux. Pyongyang accuse Séoul d’utiliser des groupes chrétiens pour essayer de saper son système. Au début du mois de mai, l’Agence centrale nord-coréenne de presse a prétendu que Séoul entraînait des maquis clandestins, déguisés en missionnaires, le long de la frontière chinoise.

Séoul se défend de ces accusations, mais le Conseil national des Eglises coréennes (protestant), qui représente un tiers des dix millions de chrétiens sud-coréens (25% des 42 millions de Sud-Coréens se disent chrétiens), s’inquiète des réactions de plus en plus vives de Pyongyang. Douze mille Nord-Coréens environ appartiennent à une Eglise chrétienne officiellement tolérée, et les dirigeants des Eglises du Sud veulent garder ouvertes les lignes de communication. « Nous devons être plus sensibles aux sentiments des autorités, même s’il s’agit de l’Eglise officielledit le Rév. Kim Dong Wan, secrétaire général du Conseil.

Une telle modération est rare dans les Eglises protestantes du Sud. Politiquement actifs et revendiquant fièrement la lutte courageuse pour les causes démocratiques qu’ils ont menée sous les régimes militaires des trois décennies précédentes, les dirigeants protestants sont convaincus que la Corée du Nord est le champ naturel de leur prochaine moisson spirituelle. De son côté, l’Eglise catholique romaine reste plus discrète. « Pourquoi la Corée du Nord demande le Rév. Martin Lee, de la Mission « Pierre d’angle », qui s’active le long de la frontière chinoise. « Parce que l’Eglise qui a été détruite doit être reconstruiteaffirme-t-il, se référant aux chrétiens de Corée du Nord. Il rappelle le cas des premiers missionnaires américains qui construisirent des écoles et des hôpitaux pour faire de la Corée, en ce siècle, la nation la plus chrétienne d’Asie en dehors des Philippines. « Les chrétiens ont été le moteur de notre développement économiquedit-il, et l’évangélisation de la Corée du Nord aura les mêmes effets, poursuit-il.