Eglises d'Asie

L’AGONIE DE L’EGLISE DU TIMOR ORIENTAL Une interview de Mgr Josef Suwatan Président de la Conférence épiscopale indonésienne

Publié le 18/03/2010




Plusieurs églises ont été attaquées et au moins quatre prêtres tués depuis le début des pillages au Timor-Oriental. L’église semble y avoir été particulièrement visée par les miliciens…

Toutes nos informations le confirment en effet et cela n’est malheureusement pas étonnant. Depuis des années, des groupes d’hommes armés favorables au maintien du territoire au sein de l’Indonésie attendaient de pouvoir s’en prendre aux prêtres, aux religieuses et aux fidèles, trop favorables selon eux à l’indépendance. Le référendum a donc constitué pour ces bandes de criminels l’occasion de régler leurs comptes dans un bain de sang et de détruire les infrastructures d’une institution qu’ils rendent au fond coupable de leurs malheurs. Mais attention à ne pas faire de ce conflit une lecture religieuse : le martyre de l’Eglise timoraise est d’abord celui d’un peuple opprimé, dont elle a épousé la cause parce que celle-ci était majoritaire, comme l’a montré le résultat incontestable du référendum.

L’Eglise ne paye-t-elle pas aussi le prix de son soutien aux personnes traquées. N’est-elle pas attaquée pour avoir osé s’interposer ?

Bien sûr. Dès les premières heures de l’après-référendum, des milliers de personnes ont commencé à se réfugier dans les églises, dans les collèges catholiques, et même dans l’enceinte de l’évêché de Dili. Or cela n’allait que décupler la rage des miliciens. Comment avons nous pu en arriver là ? Qui a armé ces groupes dont tous les témoins affirment qu’ils possédaient des listes très précises de personnes à éliminer ? Depuis le début des violences, ces questions n’arrêtent pas de me torturer. La folie destructrice des anti-indépendantistes est d’autant plus incompréhensible à mes yeux que des chrétiens figurent parmi eux, probablement recrutés parmi les supplétifs locaux de l’administration et de l’armée indonésienne. Or, après avoir semé la peur au Timor-est pendant des années à force de répression et d’intimidations, l’une et l’autre semblent avoir fait le choix terrible de laisser la haine tout emporter sur son passage.

Tout le monde s’interroge sur le rôle de l’armée indonésienne au Timor Oriental et, plus généralement, sur son attitude actuelle vis-à-vis du pouvoir. Qu’en pensez vous ?

Comme tous les Indonésiens, je m’interroge. L’une des théories les plus fréquemment avancées par les observateurs affirme ainsi qu’il existerait, à l’échelle du pays, une sorte d’armée “verte’` parallèle, chargée de semer le chaos pour défendre ça et là des intérêts privés, et maintenir de ce fait la pression sur les autorités civiles. Certains affirment que des officiers liés au clan de l’ancien président Suharto exerceraient des responsabilités au sein de ce groupe. Tout cela est plausible, si l’on tient compte du caractère très organisés des massacres et de la volonté manifeste d’épuration au Timor-Oriental. Mais comment savoir la vérité ? Nous en restons tous au stade des questions.

Ne craignez-vous pas que ces violences au Timor ne débouchent, en Indonésie, sur d’autres conflits à caractère ethnique ou religieux ?

Je n’en suis pas sûr. D’abord parce que le cas du Timor Oriental est très spécifique, vu le rattachement très récent de ce territoire à notre république et les pressions internationales qui n’ont jamais cessé. Ensuite parce que les revendications autonomistes ne recoupent pas toujours, au sein des régions les plus turbulentes de l’archipel (NDLR : le sultanat d’Aceh, au nord de Sumatra, les îles Moluques…) des lignes de fracture religieuses. A Aceh où sont commis des violences effroyables, le conflit oppose des musulmans à d’autres musulmans, sans interférence ou présence significative d’une autre composante religieuse. Le vrai danger est en revanche que cette nouvelle flambée d’émeutes et de massacres à Timor Est ne rende le dialogue entre les confessions encore plus difficile au niveau national. Le fait qu’aucun dirigeant musulman indonésien n’ait pris la parole pour dénoncer ces exactions me laisse perplexe. Comment éviter que les gens s’entretuent si leurs responsables restent muets devant des actes aussi abjects que le meurtre d’un prêtre ou d’une religieuse venus porter secours aux victimes ?

Les responsables politiques de l’opposition démocratique, victorieuse aux dernières élections, sont également restés muets. Pourquoi ?

Parce que la plupart d’entre eux, comme Megawati Sukarno (l’égérie de l’opposition, dont le parti démocratique PDI-P est arrivé en tête lors du dernier scrutin législatif organisé le 7 juin) ne veulent pas de l’indépendance du Timor-Oriental et auraient préféré voir le territoire opter pour un statut de large autonomie au sein de l’Indonésie. Tout le monde ici redoute de voir l’Indonésie se désagréger dans le chaos. D’où la position très difficile de l’Eglise au Timor-est et de notre Eglise indonésienne : nous savions qu’une majorité écrasante de Timorais voulaient l’indépendance. Mais nous savions aussi que ce choix comportait d’énormes risques.

Comment réagissent les catholiques Indonésiens ? Sont-ils solidaires du Timor-Oriental ?

Toutes nos prières et nos actions vont dans ce sens. A la demande des évêques de l’archipel, toutes les églises d’Indonésie ont ainsi célébré samedi une messe de requiem pour le Timor tandis que notre Caritas fait de son côté tout ce qu’elle peut pour venir en aide aux réfugiés et aux victimes, notamment dans le diocèse d’Atambua, au Timor Occidental, où affluent les réfugiés venus de Dili et des environs. Nous espérons bien, enfin, que Mgr Belo et Mgr Nascimento (NDLR : les deux évêques du Timor-Oriental), continueront de participer, comme observateurs, à notre conférence épiscopale dont la prochaine assemblée plénière se tient en Novembre.

L’intervention d’une force multinationale approuvée par le président Indonésien Habibie devrait permettre progressivement le retour de la paix civile sur le territoire. Ne craignez-vous pas qu’à nouveau, le désir de revanche l’emporte chez les chrétiens victimes d’attaques et de sévices ?

Après ce qui s’est passé, la paix sera de toute évidence un énorme défi pour l’Eglise. Des dizaines de milliers de fidèles et des centaines de prêtres ou de religieuses du Timor-Oriental sont aujourd’hui blessés dans leur cour et dans leur chair. Mais rien ne peut être bâti sur la peur et sur la revanche. Le prochain combat de l’Eglise devra donc être celui de la justice et de la réconciliation. Une commission chargée de faire avancer cette cause avait d’ailleurs été créée avant le référendum à l’initiative des deux évêques du territoire. Nous espérons qu’elle pourra très vite reprendre ses travaux.