Eglises d'Asie

L’armée indonésienne et les milices ont atteint leur objectif : terroriser la population, dévaster le territoire et décapiter la petite élite de Timor Oriental

Publié le 18/03/2010




Cédant à la pression internationale, l’Indonésie a finalement accepté l’envoi au Timor Oriental d’une force des Nations Unies pour le rétablissement de la paix, mais l’objectif recherché par le pouvoir indonésien, ou tout au moins par une partie de celui-ci, est atteint : la destruction de Timor.

Depuis la tenue du référendum organisé par l’ONU sur l’auto-détermination au Timor Oriental le 30 août et la publication des résultats le 4 septembre donnant une écrasante majorité pour l’indépendance (78,5 % ), avec un remarquable taux de participation de 98,6 %, les violences des milices et de l’armée indonésienne commises à l’encontre de la population timoraise et de tout ce qui représente l’Eglise dans ce territoire catholique à 85 % ont paru sans limite.

Sur les 850 000 habitants que comptait le Timor Oriental avant le référendum, on estime qu’un tiers de la population a été jeté sur les routes de l’exode. Suite à ces déplacements de population, forcés ou non, plus de 160 000 personnes se trouvent dans des camps au Timor occidental. A Atambua, à la frontière entre les deux territoires, 120 000 d’entre eux se trouvent dans des camps où les milices pro-indonésiennes font la loi. A Kupang, à l’ouest de Timor occidental, plus de 40 000 réfugiés sont aussi soumis au contrôle de l’armée et des milices. Le Jesuit Refugee Service et les autres organismes d’Eglise n’ont accès qu’à un nombre limité de camps.

A l’intérieur même du Timor Oriental, la situation est précaire : Dili, la capitale du territoire, a été littéralement vidée de ses 120 000 habitants, faisant resurgir dans les mémoires le spectre de Phnom Penh vidée par les Khmer rouges en 1975. Après avoir été pillée et mise à feu par les milices, Dili est une ville morte. A travers tout le territoire, on estime à plus de 100 000 les Timorais qui ont cherché refuge dans les collines et les montagnes; sans soin, ni nourriture et eau potable.

A l’heure actuelle, il est impossible d’avoir ne serait-ce qu’un ordre d’idée du nombre de personnes qui ont été tuées par les milices au cours des jours qui ont suivi le référendum. On sait seulement que sept prêtres et une religieuse ont été tués. A Djakarta, les Salésiens rapportent que le P. Francisco dos Santos Fatima Barreto, responsable de Caritas pour Timor Oriental, a été tué; les quarante collaborateurs de l’organisation caritative catholique qui travaillaient avec lui auraient également péri. A Suai, sur la côte méridionale du territoire, le 6 septembre, les miliciens ont attaqué l’église paroissiale, où des centaines de Timorais avaient trouvé refuge. Le curé de la paroisse, le P. Hilario Madeira et son vicaire, un jeune jésuite originaire de Java, ordonné en juillet dernier, le P. Tarcisius Dewanto, ont été assassinés alors qu’ils cherchaient à interdire aux miliciens l’accès à leur église. Des témoins oculaires rapportent qu’après avoir abattu les deux prêtres, les miliciens ont jeté des grenades à l’intérieur de l’édifice religieux, tuant plus d’une centaine de personnes.

Le P. Karl Albrecht, jésuite de nationalité allemande, responsable du Jesuit Refugee Service à Dare, à l’extérieur de Dili, a été lui aussi abattu par les miliciens parce qu’il refusait de quitter les réfugiés placés sous sa protection. Selon une dépêche de l’agence UCAN, le P. Francisco Tavares dos Reis, curé de Maliana, a également été assassiné ainsi que le P. Filomeno Jacobs, et un prêtre non identifié du séminaire Notre Dame de Fatima à Dare. Par ailleurs, Sour Margarida P. Soares, 80 ans, est la seule religieuse dont la mort ait été confirmée. Elle était dans la résidence de Mgr Belo à Dili le 6 septembre, lors de l’attaque de celle-ci par les miliciens, une attaque au cours de laquelle plus d’une centaine de personnes ont trouvé la mort.

Le 5 septembre, la milice pro-indonésienne Aitarak (“l’Epine”) contrôlée par l’armée a attaqué les bureaux du diocèse de Dili. Le lendemain, c’était le tour de la résidence épiscopale, située à un kilomètre de là, de Mgr Carlos Felipe Ximenes Belo, administrateur apostolique du diocèse et co-lauréat du prix Nobel de la paix 1996. Evacué par hélicoptère, Mgr Belo trouva refuge à Baucau, sa ville natale, à 115 km. à l’est de Dili. Puis, à bord d’un avion des forces armées australiennes, il a pu gagner l’Australie, avant de s’envoler pour l’Europe, à Lisbonne puis au Vatican.

Le 7 septembre, la résidence de Mgr Basilio Do Nascimento, administrateur apostolique du diocèse de Baucau, était elle aussi attaquée par les milices pro-indonésiennes; 100 réfugiés étaient tués dans l’assaut. Mgr Do Nascimento, lui-même blessé à la main par un milicien alors qu’il cherchait à protéger les réfugiés, a pu dans un premier temps trouver refuge dans les collines avec le reste de la population. Son sort est resté incertain plusieurs jours avant qu’il puisse préciser par téléphone au chargé d’affaires à la nonciature à Djakarta qu’il était en sécurité, sans donner plus de précisions sur les conditions et le lieu où il avait trouvé refuge dans la région de Baucau.

A Dili, les établissements de l’Eglise catholique ont été systématiquement pris pour cible, vidés des milliers de Timorais qui y avaient trouvé refuge, pillés puis incendiés : le couvent des Franciscains à Taibesi, le collège des Salésiens à Comoro où 10 000 personnes avaient fui les violences des milices, le couvent des pères du Verbe Divin et un couvent de religieuses à Kuluhun, la cathédrale, le séminaire, de nombreuses églises. Selon les informations reçues des Salésiens à Djakarta, toutes leurs écoles primaires, secondaires et techniques ont été également détruites. Tout se passe comme si, par ces attaques méthodiques, les miliciens et ceux qui les contrôlent voulaient signifier aux Timorais : “l’Eglise catholique auprès de qui vous cherchez refuge ne peut pas vous protéger”.

Le 8 septembre, le Saint Siège, par la voix de Mgr Jean-Louis Tauran, responsable des relations avec les Etats à la Secrétairie d’Etat, qualifiant la situation prévalant dans le territoire d’ “intolérable”, a appelé à l’envoi au Timor Oriental d’une force internationale de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU. Il a notamment déclaré au micro de Radio-Vatican que les résultats du référendum du 30 août – “un événement d’une importance capitale” – ne pouvaient être “effacés”. “La solution au problème dans l’ex-colonie portugaise”, a-t-il ajouté, “doit être trouvée dans le respect de l’histoire et des traditions du peuple timorais ainsi que dans le respect de l’ordre international, mais certainement pas dans la violence”.

De partout en Asie, les Timorais ont reçu des messages de soutien de la part des différentes Eglises, de la Fédération des conférences épiscopales d’Asie, de Hongkong, des Philippines, de Macao, du Japon. La Conférence épiscopale indonésienne a aussi dénoncé “les massacres systématiques” qui ont eu lieu sur le territoire, et appelé à une journée de prière nationale, le 12 septembre.