Eglises d'Asie

LETTRE D’UN RELIGIEUX BOUDDHISTE AUX AMBASSADEURS EUROPEENS

Publié le 18/03/2010




Eglise bouddhiste unifiée

Institut pour la propagation du Dharma

A messieurs les ambassadeurs de l’Union européenne

en République socialiste du Vietnam

(Aux bons soins du Comité Vietnam des droits de l’homme)

Messieurs les ambassadeurs,

J’ai été informé que vous alliez participer à une rencontre réunissant les ambassadeurs de l’Union européenne et le gouvernement vietnamien pour y discuter de questions concernant les droits de l’homme et la liberté religieuse au Vietnam. J’aimerais profiter de l’occasion pour vous présenter, ainsi qu’à vos peuples et à vos nations, les sentiments les plus chaleureux des bouddhistes du Vietnam, qui, parce qu’ils s’expriment au nom de leur conscience et pour la dignité humaine, sont impitoyablement réduits au silence par un régime politique intolérant.

Nous apprécions l’attachement que vous portez au caractère universel des droits de l’homme, droits fondamentaux et inaliénables qui, malheureusement, ne sont toujours pas reconnus ici. Nous avons accueilli avec enthousiasme les efforts que, en tant qu’ambassadeurs en notre pays, vous avez accomplis en chaque occasion pour souligner cette universalité. En dépit des restrictions qui nous sont imposées, nous autres, fidèles bouddhistes, faisons notre possible – nous ne cesserons jamais de le faire – pour que ces droits universels deviennent le fondement reconnu de toutes les relations internationales et la base de tous les échanges entre les communautés, les peuples et les nations. La société civilisée ne permettra jamais à aucun gouvernement, quels que soient l’idéologie ou le régime politique dont il se réclame, de transgresser les droits universels de l’homme et d’isoler son peuple derrière un rideau de fer sous prétexte de non-intervention dans les affaires intérieures de son pays.

Nous nous permettons d’attirer votre attention sur une question qui nous inquiète au plus haut point, et que, sans doute, vous n’ignorez pas, à savoir l’utilisation de la religion à des fins politiques. Lorsqu’une religion devient un élément constituant de l’appareil politique d’un Etat, celui-ci bénéficie d’un pouvoir absolu, plus particulièrement lorsque cette religion bénéficie de l’adhésion de la majorité de la population et exerce une influence vaste et profonde sur la vie spirituelle de la nation. Tout au long de l’histoire humaine, aussi bien en Occident qu’en Orient, abondent les exemples tragiques de souffrances provoquées par un tel despotisme. C’est pour ces raisons que les bouddhistes vietnamiens ont toujours refusé d’accepter que leur communauté devienne membre du Front patriotique, une organisation politique des masses contrôlée par le Parti Communiste vietnamien. L’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam s’oppose résolument à la politique du Parti communiste consistant à mobiliser de force les religieux et religieuses bouddhistes pour qu’ils se joignent aux organisations politiques, à les obliger à occuper un siège aussi bien à l’Assemblée nationale que dans les Conseils populaires à tous les échelons. La séparation du politique et du religieux a été un principe constant dans la vie du bouddhisme vietnamien depuis ses origines. Il reste un principe qui doit guider les activités du bouddhisme unifié actuel. Cette orientation a été affirmée dans la résolution adoptée à l’unanimité par le huitième congrès du bouddhisme unifié, organisé aux Etats-Unis les 14, 15 et 16 mai 1999, selon les directives de la direction suprême de l’Eglise à l’intérieur du pays.

Messieurs les ambassadeurs,

Vous êtes les représentants de pays appartenant à l’Union européenne où le développement industriel atteint le plus haut niveau mondial. Vous êtes en poste dans un des pays les plus pauvres du monde, le Vietnam. Ainsi, vous avez une expérience de première main concernant les difficultés de notre peuple, une connaissance précise des causes de cette pauvreté et de ses conséquences sur la population. Les pays pauvres ont besoin de l’aide et de la coopération économique des nations développées pour subsister et élever leur niveau moyen de vie. Mais, aujourd’hui, la question de l’aide et la collaboration pose un dilemme à la conscience humaine. Il y a une absence de proportions entre le misérable degré de développement de la grande majorité de la population et celui d’une minorité de privilégiés, l’élite politique. Au Vietnam, le gouffre entre riches et pauvres ne cesse de se creuser d’une manière effrayante. Une telle situation ne peut être combattue que si l’aide économique et technique ainsi que la coopération se fondent sur la garantie des droits de l’homme universellement reconnus, de la démocratie et de la liberté. Cette exigence ne peut être considérée comme un intervention dans les affaires intérieures du pays. Sans l’existence de ces garanties, les régimes utiliseront l’aide économique pour étayer leur autoritarisme, renforcer leur politique d’intolérance et de discrimination, réprimer la liberté de pensée, de conscience et d’expression. Je suis tout à fait d’accord avec les déclarations au « Monde » du secrétaire général des Nations-Unies : “Il n’est pas possible d’accepter que les gouvernements prennent prétexte de la défense de la souveraineté nationale pour circonvenir leurs citoyens au sujet de leurs droits fondamentaux ».

Les bouddhistes vietnamiens, dans le pays comme à l’extérieur, applaudissent aux précieuses aides que vos pays consacrent à la population du Vietnam. Cependant nous vous conjurons, vous et toute la communauté des nations, de renforcer votre vigilance sur les violations des droits de l’homme au Vietnam. Des mesures plus sévères sont nécessaires afin que soit garantie l’application de ces droits universels de l’homme et que soient condamnées sans équivoque toutes les tentatives de les violer ou réprimer.

Dans un domaine plus particulier, étant donné l’attitude du gouvernement vietnamien à l’égard du rapporteur spécial des Nations Unies, M. Abdelfattah Amor, lors de son récent voyage au Vietnam, nous appelons les gouvernements de l’Union européenne à faire en sorte que le Vietnam remplisse les devoirs auxquels il est soumis, qu’il observe les procédures et les règlements des Nations-Unies, notamment à l’égard de ses rapporteurs spéciaux. Dans le rapport de la 55ème session du Comité des droits de l’homme des Nations unies à Genève, M. Abdelfattah Amor a demandé au gouvernement vietnamien de mettre un terme à toutes les restrictions inacceptables de la liberté religieuse et à libérer tous les prisonniers religieux. L’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam souscrit absolument aux recommandations de M. Amor et appelle les gouvernements de l’Union européenne à faire pression sur le gouvernement vietnamien pour qu’il se soumette entièrement à elles.

Ci-joint, nous vous faisons parvenir, pour information, la résolution adoptée par le 8ème Congrès de l’Eglise bouddhique unifiée du Vietnam, qui s’est réuni du 14 au 16 mai 1999, et approuvée par l’Institut supérieur du clergé (Sangha) (Viên Tang Thông). Elle résume le but, les attentes et les objectifs de l’Eglise du bouddhisme unifié et précise à nouveau son engagement en faveur des droits de l’homme, de la tolérance et de la liberté, valeurs que nous ne cessons de soutenir depuis de nombreuses décennies.

Un des points principaux de cette résolution est celui qui exige le rétablissement du droit d’existence de l’Eglise bouddhique unifié du Vietnam. Bien que le gouvernement vietnamien n’ait jusqu’à présent publié aucun document légal interdisant les activités de cette Eglise, dans les faits, elle est interdite d’activités depuis 1982. Nous sommes convaincus que cette Eglise, avec sa tradition de plus de vingt siècles, son nombre de fidèles qui représente 80 % de la population, sa doctrine basée sur la compassion, la tolérance et la compréhension des autres, est susceptible de contribuer grandement à la guérison des blessures et des fléaux sociaux du Vietnam actuel. Si elle est autorisée à rétablir le vaste réseau de ses hôpitaux, de ses écoles, de ses universités, de ses orphelinats et de ses centres sociaux et culturels, dont le gouvernement s’est emparé après 1975, elle s’engagera dans l’élimination des malheurs causés par la pauvreté, l’analphabétisme, la drogue, la prostitution, l’abus des enfants et les autres fléaux qui assaillent la société vietnamienne.

Nous joignons aussi à cette lettre une liste sommaire de prisonniers de conscience, comprenant des religieux et des fidèles de diverses religions, détenus aujourd’hui par les autorités vietnamiennes pour le seul motif qu’ils ont agi selon la voix pacifique de leur conscience ou selon les exigences de leur mission spirituelle de religieux. Cette liste a été établie par le service d’information de notre Eglise à l’étranger, le bureau d’information bouddhiste international, complétée, revue et approuvée par l’Institut de la propagation du Dharma. Nous espérons que vous la transmettrez au gouvernement vietnamien au cours de la prochaine réunion et exigerez de lui la libération des prisonniers qui y sont inscrits.

Nous sommes particulièrement alarmés par l’état de santé de notre patriarche, le vénérable Thich Huyên Quang, dont le nom figure sur la liste. Il a cette année 82 ans et est détenu en exil intérieur, dans la province du Quang Ngai, depuis 1982, sans procès. Gravement atteint, la Sécurité le garde en quarantaine sans lui permettre de rencontrer son médecin personnel ou de recevoir des médicaments de ses disciples. Au mois de mars de cette année, alors que je rendais visite au patriarche pour discuter de la préparation du huitième congrès du bouddhisme unifié, la Sûreté nous a arrêtés et nous a détenus pour interrogatoire de nombreuses heures. Je suis maintenant informé que, depuis ma visite et spécialement après le huitième congrès, la Sûreté a soumis le patriarche à un régime encore plus dur. Ses forces ont gravement décliné à cause de ces mauvais traitements et il est absolument nécessaire qu’il bénéficie de soins et de médicaments. Nous vous demandons instamment de soumettre d’urgence ce problème aux autorités du Vietnam et, en même temps, d’exiger de lui qu’il rende la liberté au patriarche afin qu’il revienne à son domicile officiel à Saigon.

Veuillez accepter, messieurs les ambassadeurs, les sentiments les plus chaleureux et les plus sincères des bouddhistes du Vietnam pour les peuples et les gouvernements de vos pays.

Sincèrement vôtre

Le Chef de l’Institut pour la propagation du Dharma

Sramana Thich Quang