Eglises d'Asie – Indonésie
Aceh : manifestation monstre pour demander un référendum sur l’indépendance
Publié le 18/03/2010
Le président Abdurrahman Wahid a interrompu la tournée qu’il effectuait en Asie du Sud-Est et a regagné Djakarta afin de suivre l’évolution de la situation de plus près. Aux questions des journalistes qui lui demandaient lundi, à Phnom Penh, au Cambodge, si la revendication par les Acehnais d’un référendum sur l’indépendance était légitime après que Djakarta eut accepté que les Timorais de l’Est choisissent par voie de référendum le 30 août dernier entre l’indépendance ou l’intégration à l’Indonésie, le président Wahid a répondu : « Pourquoi pas ? », ajoutant qu’au cas où un référendum serait organisé, il ne pensait pas qu’« Aceh ferait sécession« .
Le président Wahid se trouve devant un choix difficile. Peu après son élection à la présidence de la République le 20 octobre dernier, Abdurrahman Wahid, figure respectée des milieux musulmans, a déclaré qu’il s’occuperait personnellement de la question d’Aceh, laissant à la vice-présidente Megawati Sukarnoputri les problèmes de l’Irian Jaya et des Moluques, deux autres foyers de tension au sein du vaste archipel indonésien. L’alternative auquelle le président Wahid fait face est la suivante : une approche répressive de la question d’Aceh – à supposer quelle soit encore possible après la manifestation pacifique et massive du 8 novembre à Banda Aceh – menacerait l’unité de son gouvernement tandis qu’autoriser la tenue d’un référendum sur l’indépendance dans la province d’Aceh donnerait une vigueur nouvelle aux mouvements séparatistes ailleurs dans l’archipel.
L’armée craint qu’un référendum à Aceh ne soit la porte ouverte à la désintégration de l’Indonésie. Le porte-parole en chef des militaires, le général Sudrajat, a déclaré lundi 8 novembre à Djakarta que la revendication des Acehnais pour l’auto-détermination était « irréaliste » et que « le séparatisme est inconstitutionnel« , allusion au rôle de gardienne de l’unité nationale dévolu à l’armée par la constitution.
Lors de déclarations antérieures à la manifestation du lundi 8 novembre, le président Wahid a dit qu’il pensait que la demande des Acehnais pour l’indépendance pouvait être satisfaite par l’offre d’une large autonomie, une plus juste distribution des richesses tirées de l’exploitation des ressources de la province, le retrait de certaines unités militaires haïes par la population et une juste réparation pour ceux qui ont été, par le passé, victimes d’atteintes aux droits de l’homme (souvent du fait de l’armée). Dès le mardi 8 novembre, Abdurrahman Wahid a rendu public trois propositions visant à calmer le jeu : premièrement, un certain degré d’autonomie pour la province afin de permettre « au peuple d’Aceh d’ordonner lui–même sa vie » ; deuxièmement, l’attribution de 75 % des revenus de la province à Aceh, le quart restant revenant à Djakarta ; et, troisièmement, la promesse que les Acehnais pourraient désormais observer les règles de vie musulmane de leur choix.
Le même jour, Hasballah M. Saad, ministre pour les Affaires des droits de l’homme, originaire lui-même d’Aceh, a déclaré que cinq cas de violations des droits de l’homme à Aceh, instruits par une commission d’enquête indépendante, forte de 27 membres et mise sur pied en juin dernier par le précédent gouvernement dirigé par B.J. Habibie, allaient être jugés sous peu. Mercredi 10 novembre, Rosita Nur, secrétaire de cette commission indépendante, a dévoilé, sans toutefois donner de noms, que des officiers supérieurs des généraux d’active ou à la retraiteétaient directement impliqués dans de nombreux cas d’atrocités commises à Aceh. Le même jour, à l’issue d’une réunion avec le président Wahid, le général Wiranto, ministre coordinateur de la Sécurité et des Affaires politiques et sociales dans le nouveau gouvernement (et ancien ministre de la Défense et chef d’état-major des armées dans le précédent gouvernement), a déclaré que ceux qui se sont rendus coupables de violations des droits de l’homme, « qu’ils soient civils ou militaires« , seraient jugés.
De son exil en Suède, le dirigeant indépendantiste Tengku Hasan di Tiro, âgé de 72 ans, héritier d’une dynastie qui a régné sur Aceh au siècle dernier et président du Front de libération national Aceh/Sumatra, a rejeté les propositions indonésiennes en bloc. « Parler de dialogue est stupide, » a-t-il déclaré, ajoutant que l’Indonésie allait bientôt éclater en au moins cinq pays différents. Selon lui, les Nations Unies auraient déjà dû envoyer des équipes d’observateurs à Aceh, au motif que les Acehnais veulent leur indépendance et que de multiples résolutions de l’ONU condamnent « le colonialisme » et interdisent l’usage de la force contre les peuples qui cherchent à obtenir leur auto-détermination. Avant de rentrer à Aceh pour diriger la campagne pour l’indépendance et où, selon lui, il trouvera autant de militants en arme qu’il « en a besoin« , Tengku Hasan di Tiro souhaite se rendre à Washington pour y rencontrer des parlementaires américains.
A Banda Aceh, le 11 novembre, alors qu’un accrochage entre l’armée indonésienne et des membres Merdeka a fait un mort, l’organisateur de la manifestation monstre du 8 novembre, Muhammad Nazar, a fermement rejeté les propositions du président Wahid, sous le prétexte qu’elles n’incluaient pas l’éventualité de l’indépendance. Invitant le président Abdurrahman Wahid, reparti à l’étranger pour une visite au Japon et aux Etats-Unis, à venir négocier à Aceh même dès son retour en Indonésie, Muhammand Nazar a fixé le 4 décembre comme date-butoir au gouvernement indonésien pour savoir si celui-ci se résout à organiser ou non un référendum à Aceh. Le 4 décembre prochain marquera le 23ème anniversaire de la fondation du mouvement Aceh Merdeka.
Depuis le milieu des années 1970, la province d’Aceh, bastion d’un islam conservateur qui inspire un mouvement séparatiste en lutte pour un Etat musulman et indépendant, est le théâtre d’affrontements sanglants entre l’armée indonésienne et le mouvement Aceh merdeka (merdeka signifiant en indonésien, à la fois, liberté et indépendance). Depuis 1988, date à laquelle la province a été déclarée zone d’opérations militaires anti-rebellion, l’armée a été accusée d’innombrables violations des droits de l’homme (8). On estime à environ 2 500 le nombre des victimes provoquées par les affrontements entre la guérilla et l’armée. Au fil des années, les combats ont provoqué le déplacement de 150 000 à 250 000 réfugiés. Outre l’opposition entre un mouvement musulman séparatiste et une armée d’inspiration laïque, chargée de la préservation de l’unité nationale, le conflit à Aceh porte sur une meilleure répartition des ressources d’Aceh entre le centre, Djakarta, et la province. Les indépendantistes réclament qu’une plus large part des ressources tirées des hydrocarbures (principalement du gaz) et des autres richesses (minerais, café, poivre) de la province bénéficie directement au développement d’Aceh.