Eglises d'Asie – Indonésie
CHANGEONS NOTRE COUR Une lettre pastorale de la conférence épiscopale
Publié le 18/03/2010
Cette année, la session de la Conférence des Evêques d’Indonésie, alors que le nouveau gouvernement vient de prendre ses fonctions, vient de se dérouler à la veille d’un changement de siècle et d’un nouveau millénaire. Ce double changement, temporel et politique, nous invite à une réfle-xion : quels changements sont nécessaires aujourd’hui ? Après avoir regardé ensemble la situation actuelle de notre pays avec plus d’attention, il nous apparaît de notre devoir, à nous les évêques, de vous faire part de la façon dont nous comprenons cette nouvelle situation avec ce que cela implique comme attitude nouvelle.
Une crise qui n’en finit pas
Selon notre expérience et les informations que nous recueillons, rien ne laisse entrevoir une issue rapide à la crise généralisée que nous subissons. Celle-ci ne peut pas être séparée de l’héritage de l’Ordre Nouveau, et pour la surmonter, les forces de tous, à tous les niveaux de la société, doivent être mises à contribution.
L’argent-dieu
Depuis un bon moment déjà, il est manifeste que la façon dont l’argent est employé a grandement contribué à la naissance de la crise. L’argent a pris une place si déterminante qu’on lui accorde une valeur supérieure à l’homme, et même à Dieu lui-même (Ex 20, 3-4 ; Mt 6, 19-24). Pour l’argent, on pille à qui mieux mieux nos ressources naturelles, à tel point que l’environnement est massacré de façon quasi irréparable. Ce pillage se fait sans aucune contrainte : sur place, en effet, ceux qui ont la garde de ces ressources, sont réduits totalement à l’impuissance. La violence inhérente à tout système militariste leur ôte toute liberté.
En plus de cela, toute tentative pour trouver une autre voie de gouvernement – par exemple, un pouvoir régional plus fort à la place du centralisme en vigueur- est perçue comme une opposition au pouvoir central. De même, les mass media, qui devraient pouvoir dénoncer le pillage du pays, sont bâillonnés et aucune amélioration ne peut être mise en ouvre. Bref toute vie démocratique est tuée depuis longtemps et remplacée par un pouvoir centralisé aux mains d’un petit groupe de gens cupides. Ceux-ci ont mis sur pied une structure sociale qui porte préjudice à la majeure partie des gens, de sorte que se creuse un fossé de plus en plus grand entre les riches et les pauvres.
Priorité aux victimes
Le sens de l’homme et le message de l’Evangile de Jésus-Christ nous poussent à porter attention aux victimes de la violence et de l’injustice et à nous mettre de leur côté. Leur nombre ne fait que s’accroître et leurs souffrances sont de plus en plus lourdes à porter.
En ce moment, nous sommes invités à porter attention à nos frères et sours, contraints à devenir “réfugiés”, aux chômeurs encore jeunes, aux femmes qui revendiquent leurs droits, aux enfants privés de tout, aux ouvriers et aux paysans sans défense, ainsi qu’aux victimes des mensonges politiques. Pour nous chrétiens, nos frères et sours qui souffrent, de quelque groupe ou religion qu’ils soient, sont le visage du Christ dans le monde. C’est à l’aune de notre attitude à leur égard que se mesure notre fidélité à suivre le Christ (Mat 25, 36-41).
L’espoir chancelant
La réforme entreprise pour mettre en place l’Indonésie à laquelle nous aspirons commence à se mettre en place. Le nouveau gouvernement, dont on peut dire qu’il est, somme toute, démocratique, est de bonne augure pour l’avenir. Ces signes d’espérance doivent être encore concrétisés davantage, par exemple par la séparation des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif, par les efforts du gouvernement pour rompre avec le passé en privilégiant l’intérêt de tous, par l’attention plus grande portée aux critiques, comme celles qui viennent des jeunes et des étudiants.
L’espoir suprême en Dieu
Espoir et déception se succèdent sans cesse. Cependant nous vous invitons tous à toujours fonder votre espérance sur la foi au Seigneur (Rm 8, 18-30). C’est sur ce fondement que doit se développer notre esprit critique dans la construction de l’Indonésie à laquelle aspire le peuple, surtout les petites gens. Pour mettre en ouvre cette espérance, commençons par regarder en nous-mêmes. Combien de fois n’avons-nous pas trahi le Seigneur en nous laissant séduire par un pouvoir cupide, en nous laissant aveuglément dominer par le pouvoir de l’argent y compris par des moyens iniques et malhonnêtes.
Conversion et réconciliation
Changeons notre cour ! Changeons notre comportement, notre façon de faire, laissons le mal pour nous tourner vers Dieu. Le changement dans la foi est la conversion, aussi bien dans notre vie personnelle que dans la vie en société. Prenons conscience que les changements que nous souhaitons dans le pays et dans la société, nous devons y travailler aussi dans l’Eglise, par exemple en rendant celle-ci plus ouverte et en donnant aux laïcs une place plus importante.
Comme expression concrète de notre conversion, travaillons ensemble à la mise en place d’une Indonésie démocratique, en estimant à sa juste valeur la participation de chaque groupe ou individu. En effet, c’est dans sa responsabilité et sa capacité à prévoir, à organiser et à développer une vie communautaire harmonieuse que l’homme manifeste sa dignité (Gn 1, 26-27). Travaillons à ce que, dans les régions surtout, l’homme retrouve sa fierté ; ainsi sera créé un climat de paix propice au progrès. Dans ce domaine, l’éducation joue un rôle primordial, car elle permet de former des hommes adultes et de confiance. Faisons en sorte que chacun puisse faire fructifier ses talents de façon optimale.
De cette façon, l’homme, créé pour être le gardien de la nature, pourra accomplir sa tâche, de telle sorte que l’environnement contribuera à la vie. Ne faisons pas de notre très large diversité une occasion de discorde, d’inimitié et d’hostilité qui engendrerait une régression de la nation. Au contraire, recevons cette diversité comme une grâce qui nous est faite pour nous enrichir mutuellement et créer des liens de véritable fraternité dans l’unité.
Conclusion
Frères et sours, faisons monter vers Dieu notre louange et notre reconnaissance, Lui qui ouvre notre cour pour que nous puissions Le reconnaître dans nos frères souffrants. Efforçons-nous sans cesse à faire du commandement divin de l’amour mutuel (Jn 13, 34-35) notre règle de vie.
Pour cela, deux mouvements sont à mettre en ouvre simultanément. D’abord, un effort vers d’unité, qui surpasse les différences de race, religion, groupe. Ensuite, puisque ceux qui souffrent sont, non pas des objets, mais des sujets pleins de dignité – et même le visage et le représentant du Seigneur dans le monde – c’est avec eux que nous devons travailler.
Par ces deux mouvements dans notre vie de tous les jours, nous participons à l’ouvre de Dieu qui renouvelle le monde. Puissent ainsi les souffrances être atténuées et l’homme vivre dans toute sa dignité. De cette manière Dieu sera glorifié.
Que le Seigneur bénisse notre mouvement vers la conversion.
Djakarta, le 10 novembre 1999