Eglises d'Asie – Timor Oriental
« IL EST TRES MOTIVANT DE COMMENCER UNE CONSTRUCTION A PARTIR DE RIEN. »
Publié le 18/03/2010
A vrai dire, j’ai eu peur moi aussi et je n’ai pas honte de le dire, mais j’avais décidé de rester quoi qu’il arrive. Disons qu’il y a eu des moments plus angoissants que d’autres. Quand le personnel de l’Unamet et les journalistes ont été obligés de partir, nous avons eu vraiment peur parce que ces événements coïncidaient avec l’arrivée de nouvelles troupes indonésiennes. Le 12 septembre, j’ai pu compter 108 camions militaires indonésiens transportant des troupes qui sont passés devant l’évêché de Baucau. A ce moment-là, nous avons pensé que, peut-être, nos jours étaient comptés et que l’armée se débarrasserait de nous sans témoins. Un peu auparavant, j’avais encouragé Mgr Belo, administrateur apostolique de Dili, à quitter le territoire. Il s’était réfugié chez moi après la destruction de Dili et des bâtiments de l’Eglise par les milices et l’armée. Il nous a semblé que quelqu’un devait parler en faveur de notre peuple à l’extérieur et que Mgr Belo serait plus écouté que d’autres.
Un autre moment d’angoisse très vive a été quand le président indonésien Habibie a annoncé qu’il acceptait de faire appel à une force armée internationale. Il y a eu un délai de quatre jours entre cette annonce et le déploiement des soldats de l’ONU. Ceux-ci sont arrivés à Dili le 22 septembre et les dernières troupes indonésiennes ont quitté le territoire le 24. Ceci dit, contrairement à ce qui a été annoncé par la télévision portugaise à ce moment-là, je n’ai jamais été blessé et je n’ai jamais quitté ma maison de Baucau pour me réfugier dans la montagne.
On a parlé de plusieurs milliers de victimes des milices pro-indonésiennes et de l’armée.
Le Conseil national de la résistance timoraise (CNRT) parle en effet de 7 000 morts au cours des semaines qui ont suivi le référendum. Il est très difficile d’avancer un chiffre quel qu’il soit dans ce domaine. Il faudra attendre que tout le monde soit rentré chez soi, et il faudra faire un décompte des absents pour arriver à un chiffre à peu près exact. En ce qui me concerne, je tendrais à une estimation de l’ordre de trois mille personnes. Dans le diocèse de Baucau, qui couvre l’est du territoire, nous avons compté très exactement 483 morts. Dans la ville même de Baucau, il y a eu 6 morts et deux blessés quand les Indonésiens sont partis et qu’ils ont détruit en partant la partie administrative de la ville . Par ailleurs, huit personnes qui travaillaient pour la Caritas diocésaine ont été tuées par des miliciens alors qu’elles revenaient de Los Palos. Dans la ville de Baucau, il n’y a pas eu d’assassinats systématiques. Les miliciens ont beaucoup tiré en l’air dans le but d’intimider la population et de pouvoir s’adonner au pillage.
Ceci étant, il est certain qu’il y a eu beaucoup plus de victimes à Dili, à Suai et le long de la frontière avec le Timor occidental. [NDLR – On vient de découvrir des fosses communes à Suai.] Par ailleurs, la ville de Dili a été complètement détruite. Il faudra encore attendre quelque temps pour avoir une idée exacte du nombre des victimes dans le diocèse de Dili.
Qu’en est-il du nombre des réfugiés et des personnes déplacées ?
Ici encore, les choses changent très vite et je ne sais pas ce qui s’est passé ces derniers jours. [NDLR. – Selon les agences de presse, près de 100 000 réfugiés seraient déjà revenus de Timor occidental.] Ce que je peux dire, c’est que les chiffres qui ont été avancés me paraissent exagérés. On a parlé de plus de deux cent mille et jusqu’à 500 000 réfugiés qui auraient quitté le territoire. Je crois qu’un chiffre plus exact serait autour de 130 000 dont la plupart se sont réfugiés à Timor occidental ou dans les îles voisines. Je ne compte pas dans ce total les fonctionnaires indonésiens qui sont rentrés chez eux après le vote pour l’indépendance.
En ce qui concerne les personnes déplacées à l’intérieur même de Timor-Oriental et qui n’auraient pas été retrouvées, je n’ai pas d’information. Je peux dire seulement que dans le diocèse de Baucau, nous savons où se trouvent les populations et ce problème n’existe pas.
Quelle est la situation du clergé et des religieux aujourd’hui tant à Baucau qu’à Dili ?
Dans mon diocèse de Baucau, il n’y a pas eu de victime parmi les prêtres, mais l’un d’entre eux a préféré partir à Darwin où il se trouve encore. Par contre, huit personnes de la Caritas, parmi lesquelles deux religieuses et deux séminaristes, ont été tuées par les milices. Deux communautés de religieuses sont parties vers Atambua au Timor occidental. Elles s’y occupent des réfugiés. Quelques-unes des membres de ces communautés ont commencé déjà à revenir.
A Dili, quatre prêtres ont été tués au cours des événements et plusieurs ont dû quitter le diocèse. Aujourd’hui, la plupart sont revenus, mais les destructions ont été considérables à travers tout le diocèse.
Quelles sont selon vous les priorités à mettre en ouvre dans le pays ?
Je crois que la première des priorités c’est d’éviter que des conflits apparaissent dans l’immédiat. Par exemple, dans un avenir proche, l’absence d’alimentation et la famine pourraient constituer des sources de violence. Il faut, à mon sens, tout faire pour constituer des stocks alimentaires suffisants au moins jusqu’au mois de mars où il y aura une récolte de maïs. L’idéal serait que l’on puisse constituer des stocks pour les trois années à venir. C’est le temps nécessaire pour que le cycle des récoltes normales puisse se mettre en place.
Par ailleurs, il me paraît essentiel que priorité soit donnée aussi aux routes et aux voies de communication dans le territoire. Les choses seront plus faciles si la population peut devenir plus mobile. Dans le même ordre d’idées, il faudrait pouvoir fournir des matériaux de construction individuels comme du ciment, du zinc, du fer pour que chacun puisse se mettre à reconstruire lui-même.
A moyen terme, il faudra sérieusement penser les questions de l’école, de la santé, de la formation des cadres moyens qui permettront de structurer et d’encadrer la population. Il faut savoir que jusqu’à aujourd’hui, 97 % du corps enseignant de Timor-Oriental était originaire d’Indonésie et a donc quitté le pays.
Justement, à propos de l’école, des décisions semblent avoir été prises par le Conseil national de la résistance concernant la langue à employer.
Oui, la langue officielle sera le portugais et les langues de communication seront l’indonésien et l’anglais. Le tetum est la langue de la liturgie mais il faudra encore beaucoup d’années de travail pour l’élever au rang d’une langue de culture.
Et les priorités de l’Eglise catholique ?
Il me semble que notre rôle va rapidement changer. Jusqu’à présent nous avons joué un rôle important dans la réconciliation entre les factions, dans la défense des victimes. Demain, nous serons appelés à construire spirituellement le citoyen de ce nouvel Etat de Timor-Oriental. Je dois dire que, de manière générale, je trouve cette tâche de construction à partir de rien dans tous les domaines particulièrement motivante. Nous devons donc donner la priorité aux infrastructures qui nous permettront de nous adonner à cette tâche : écoles, séminaires, formation des cadres. Dans mon diocèse de Baucau, 83 séminaristes ont dû arrêter leurs études pendant cette année. Ceux qui se trouvent encore en Indonésie demandent aussi la permission de revenir parce qu’ils ne se sentent guère à l’aise psychologiquement en Indonésie pour le moment. Il faudra bien songer à organiser rapidement un grand séminaire. C’est une des raisons pour lesquelles je me trouvais à Rome cette semaine.
Comment imaginez-vous les rapports avec l’Indonésie dans l’avenir ?
Pour l’instant, ils sont ce qu’ils sont, mais je n’imagine pas un instant que Timor-Oriental puisse ignorer l’existence de l’Indonésie. Il faudra bien trouver un modus vivendi et définir les termes d’un « vivre ensemble ». Il me semble par ailleurs que le changement de régime qui a eu lieu en Indonésie est de bon augure pour nos relations futures. Le peuple de Timor n’a jamais été l’ennemi du peuple d’Indonésie. Ce qui était en cause à Timor c’était la présence et les activités de certains secteurs de l’armée indonésienne.
Dans le même ordre d’idées, la présence massive de l’Australie à Timor ne vous inspire-t-elle pas un peu de crainte ?
Un petit peu en effet. Là aussi, il faudra être attentif. Nous ne voulons pas d’un ami dont la sollicitude étouffante nous empêcherait de marcher par nous-mêmes. Je crois que le Conseil national de la résistance a eu raison de manifester récemment quelques réticences quant à l’action de l’Australie dans notre pays.
Qu’aimeriez-vous dire à l’Eglise de France et aux catholiques de ce pays ?
J’ai été très sensible personnellement à la solidarité qui s’est manifestée en France et dans le monde entier pour Timor-Oriental. Je dois dire qu’elle a pris beaucoup d’entre nous par surprise car nous n’y étions pas habitués. Elle a permis pour la première fois dans l’histoire une prise de décision et une action rapides au niveau de l’ONU qui ont sans doute empêché des malheurs plus grands encore de s’abattre sur mon peuple. On sait en effet aujourd’hui que si certains secteurs de l’armée indonésienne et des milices avaient eu le temps de mettre leurs plans en ouvre, les résultats auraient été terrifiants