Eglises d'Asie

ENTRETIEN ENTRE THICH HUYEN QUANG, PATRIARCHE DE L’EGLISE BOUDDHISTE VIETNAMIENNE UNIFIEE, ET DAVID YOUNG, PREMIER SOUS-SECRETAIRE DE L’AMBASSADE DES ETATS-UNIS A HANOI (Extraits)

Publié le 18/03/2010




Pour débuter, M. David Young a fait connaître à son hôte les raisons de sa visite :

A la lecture des journaux d’ici et d’ailleurs, nous nous sommes émus en apprenant que vos forces étaient défaillantes et que vous aviez contracté certaines maladies. C’est pourquoi aujourd’hui je viens m’enquérir de votre santé. Par la même occasion, permettezmoi de vous interroger sur un certain nombre de points

Après avoir salué, le patriarche a remercié le gouvernement des Etats-Unis de l’attention qu’il lui a manifestée à travers le voyage de son ambassadeur en ce lieu retiré et désolé. Puis il a fait part à son interlocuteur de l’évolution de sa maladie depuis la visite que lui avait rendue le vénérable Thich Quang Dô au mois de mars dernier. Pour soigner les rhumatismes et l’ulcère à l’estomac dont il souffre, il ne peut recourir à son médecin habituel et les soins qui lui ont été donnés par les officiers de santé n’ont été jusqu’ici que peu efficaces, malgré une amélioration toute récente.

David Young : Pourriezvous nous dire quelle est la différence entre “l’Eglise bouddhiste vietnamienne unifiée” et “l’Eglise bouddhiste du Vietnam” ?

Thich Huyên Quang : L’Eglise bouddhiste vietnamienne unifiée est l’Eglise de la tradition, fondée par le peuple, unifiée depuis de nombreuses époques. Elle a unifié sur un pied d’égalité les diverses branches du bouddhisme, ainsi que les religieux, les religieuses et les “oblats” dans une Eglise dont les vingt siècles d’histoire débutent avec l’entrée du bouddhisme au Vietnam. Quant à l’Eglise bouddhiste du Vietnam, c’est l’Eglise d’une époque, apparue seulement en 1981, date à laquelle elle a été fondée par l’Etat. Il suffit de lire le contenu des articles des constitutions des deux Eglises, pour constater immédiatement les immenses différences qui les séparent. Je ne citerai qu’un seul exemple, mais de première importance. D’un côté, l’Eglise bouddhiste vietnamienne unifiée est édifiée sur la base de ses infrastructures, à savoir la grande majorité de la population bouddhiste. C’est à partir de là qu’est établie la hiérarchie. Dans l’Eglise bouddhiste du Vietnam, il n’existe qu’un organe directeur au niveau supérieur. Il dispose de répondants au niveau du district et c’est tout. La masse bouddhiste est repoussée à l’extérieur, dépourvue de représentants, inorganisée. Si vous examinez le système d’organisation de l’Eglise bouddhiste du Vietnam, vous constaterez que la masse des bouddhistes en est absente, aussi bien au sommet que dans les villes et les agglomérations urbaines. La masse est abandonnée, sans que personne ne vienne la guider aussi bien dans la vie monastique que dans la mise en pratique de la voie du salut bouddhiste.

David Young : Quelle est votre aspiration actuelle ? Pouvonsnous vous être utiles ?

Thich Huyên Quang : Je souhaite que le Vietnam obtienne la liberté en tous les domaines, que les droits de l’homme soient respectés, que la démocratie soit réalisée et que l’exercice de la religion soit libre. Avec la liberté, la religion pourra contribuer à la restauration des valeurs morales gravement compromises dans une société dévastée par des fléaux sociaux contre lesquels l’Etat est impuissant. Pour le bouddhisme, il n’y aura de liberté religieuse que le jour où l’Eglise bouddhiste unifiée sera restaurée et ne sera plus l’objet d’interdiction comme c’est le cas aujourd’hui. A ce moment-là, seulement, je serai entièrement satisfait. Par ailleurs, nous et notre peuple avons besoin de l’aide étrangère. Celle-ci doit être dirigée vers nos campagnes, car c’est là que vit l’immense majorité de la population. Peu de monde se préoccupe des paysans qui vivent dans les conditions les plus difficiles et les plus pauvres. En ce qui me concerne particulièrement, je souhaite être libéré et revenir à Saigon, après 17 ans de résidence surveillée ici. Je souhaite également que le vénérable Thich Quang Dô soit aussi rendu à la liberté et que l’on mette un terme à sa résidence surveillée. Mais, peut-être, votre pays ainsi que la conscience morale de l’humanité pourront-ils aider à la réalisation des aspirations profondes de notre peuple?

Je profite de cette occasion pour remercier votre nation d’avoir chaleureusement accueilli les réfugiés vietnamiens qui sont venus sur son sol, de les avoir aidés à s’y établir, de leur avoir procuré emploi et subsistance, d’avoir permis à leurs enfants d’y accomplir leurs études et de devenir d’éminents spécialistes. Un million de Vietnamiens y jouissent d’une vie paisible et d’un travail agréable, à l’égal de la population américaine. Cette aide fraternelle mérite véritablement d’être exaltée.

David Young : Avezvous eu l’occasion de rencontrer les cadres supérieurs du Parti et de l’Etat du Vietnam et de parler avec eux de la question religieuse ?

Thich Huyên Quang : J’ai, de nombreuses fois, autrefois, rencontré les cadres supérieurs du Bureau des Affaires religieuses du gouvernement, du Comité d’action populaire (Agit-prop) et du ministère de l’Intérieur. Je leur ai exprimé franchement mes opinions. J’ai même consigné mes idées dans un texte de revendications, envoyé aux dirigeants du Parti et de l’Etat (1). Si l’Etat veut donner une solution à la question religieuse, il doit mettre un terme à ses soupçons, être attentif à la voix du peuple, ne pas adopter d’attitude discriminatoire à l’égard de ceux qui ne partagent pas ses opinions, ou qui ont des croyances religieuses. Ce n’est qu’à cette condition que notre pays pourra s’ouvrir et progresser. Mon opinion est que la religion n’a pas à intervenir dans les affaires du gouvernement, mais que celui-ci doit également se garder de toute intervention dans les affaires intérieures des religions. Je n’ai jamais entendu dire, jamais lu dans la presse que le président des Etats-Unis était intervenu dans les activités intérieures des religions de son pays. Même les bouddhistes vietnamiens, les adeptes de l’Eglise bouddhiste unifiée du Vietnam en ce pays, sont entièrement libres de leurs activités. Jamais le gouvernement américain n’a commis de violation ou posé des empêchements en ce domaine. Jamais il n’a posé de condition susceptible d’attenter à la dignité et au prestige de notre Eglise.

Au mois de mars dernier, le vénérable Thich Quang Dô (2), venu me rendre visite ici, a subi des brimades des autorités provinciales qui l’ont renvoyé de force à Saigon. J’ai été convoqué à une séance de travail (3) par les représentants de l’autorité. Ils m’ont demandé : Alors que votre Eglise n’existe plus, voilà que vous vous rencontrez pour discuter des moyens de la renforcer !” J’ai répondu : Montrezmoi donc le texte officiel du gouvernement prononçant la dissolution de l’Eglise bouddhiste vietnamienne unifiée ou la suspension de ses activités !” Mon interlocuteur fit semblant de ne pas avoir entendu et continua de m’interroger : Pourquoi n’adhérezvous pas à l’Eglise bouddhiste du Vietnam ?” Je lui fis alors une analyse de cette phrase absurde : Après 1975, pour montrer sa bonne volonté, le vénérable Thich Dôn Hâu, responsable de l’Institut supérieur du clergé, a pris contact avec le ministre de la Culture, Nguyên Van Hiêu, pour lui exposer le souhait de l’Eglise bouddhiste vietnamienne unifiée en ce qui concernait la réunification des bouddhistes du Nord et du Sud après une période de division du pays. Mais le ministre répondit : ‘La réunification est une bonne chose, mais seulement celle qui se fera avec les bouddhistes révolutionnaires, non pas avec les bouddhistes réactionnaires’ Le vénérable Thich Dôn Hâu demanda alors qui étaient les bouddhistes réactionnaires, question qui ne reçut pas de réponse. C’est à partir de cette époque que l’Etat commença à persécuter notre Eglise, à arrêter et éliminer la hiérarchie de notre Eglise. L’Etat et la presse officielle se mirent à nous appeler les réactionnaires bouddhistes de An QuangEn 1982, j’ai été arrêté sans raison, conduit ici en résidence surveillée, tandis que le vénérable Thich Quang Dô était amené lui aussi en résidence surveillée dans la province de Thai Binh au Nord-Vietnam. Un prisonnier innocent comme moi ne peut ni mener d’activités religieuses, ni circuler, ni correspondre officiellement par lettres ! Comment lui serait-il possible de choisir ceci ou cela ?

Je l’affirme devant vous : au Vietnam, il n’y a pas encore de liberté religieuse. A chaque fois que l’Etat fait paraître un décret concernant la religion, la religion perd une liberté élémentaire de plus. Vous comprendrez ce que je veux dire, si vous avez l’occasion de lire les décrets, les directives, les orientations grâce auxquelles l’Etat gère les affaires religieuses : il s’agit des textes 297/CP en 1997, 69/HDBT en 1991, 379//TTG et 500/HD/TGCP en 1993, et plus particulièrement du décret 26/1999/NDCP publié le 19 avril 1999, accompagné de la lettre d’application publiée par le Bureau des Affaires religieuses du gouvernement le 16 juin 1999. La religion ne peut plus être vécue en fonction de la doctrine qui est la sienne depuis des milliers d’année ; elle est gérée en fonction d’une théorie qui la rejette.