Eglises d'Asie

Rencontre d’un diplomate américain avec le patriarche du Bouddhisme unifié, en résidence surveillée dans le Centre-Vietnam depuis 17 ans

Publié le 18/03/2010




Depuis 1982, date à laquelle il a été condamné à l’isolement en résidence surveillée dans la province du Quang Ngai, aucune personne ou association n’avait encore été autorisée à rendre visite au patriarche de l’Eglise bouddhiste unifiée, le vénérable Thich Huyên Quang, pas plus les journalistes étrangers que les associations internationales, comme la Croix-Rouge ou d’autres organismes humanitaires. Cet isolement a été rompu le 2 décembre dernier par la visite du premier sous-secrétaire à l’ambassade des Etats-Unis à Hanoi, David Young, qui, en compagnie d’un interprète, est venu rencontrer le religieux bouddhiste dans sa résidence surveillée du Quang Nam. La conversation entre le dignitaire bouddhiste et son hôte a été, semble-t-il, franche et ouverte, malgré la présence d’un cadre de la police en poste devant la maison pendant presque tout l’entretien. Des extraits du texte de l’entretien, envoyé en France par les soins du vénérable Thich Huyên Quang, ont été publiés et diffusés en Europe (25).

Des observateurs proches se sont demandés si cette entrevue avec le diplomate américain était le signe avant-coureur d’un revirement d’attitude des autorités civiles à l’égard du patriarche du Bouddhisme unifié. Toujours est-il que deux jours après cette rencontre, les eaux ayant atteint le toit de la maison où réside le religieux à la suite des fortes pluies qui, pour la deuxième fois cette saison, sont tombées sur le Centre-Vietnam, la police lui a envoyé un canot et l’a hébergé dans une maison d’hôtes lui appartenant. Une équipe de télévision est même venu l’interroger sur les inondations. Dans cette interview diffusée trois fois sur la chaîne nationale, il a été présenté par son nom de religieux, Thich Huyên Quangalors que jusqu’ici les médias officiels s’obstinaient à l’appeler par son nom profane, M. Dinh Nhan

Pourtant, les propos tenus par le religieux lors de son entretien avec le diplomate américain, tels qu’ils sont parvenus à notre connaissance, n’ont pas ménagé la politique religieuse du gouvernement. En effet, après quelques questions concernant la santé du religieux qui souffre de rhumatismes et d’un ulcère à l’estomac et ne peut consulter un médecin et se soigner qu’avec difficulté, le sous-secrétaire d’ambassade a aiguillé la conversation sur la situation du Bouddhisme unifié au Vietnam et sur ses rapports avec l’Etat.

Dans sa réponse, le religieux s’est appliqué d’abord à souligner la différence entre l’Eglise bouddhiste unifiée et l’Eglise bouddhiste du Vietnam, Eglise créée et administrée sous le patronage du Front patriotique. Selon lui, la première s’appuie sur une tradition de vingt siècles de bouddhisme et a unifié en elle toutes les branches du bouddhisme vietnamien. Elle est fondée et fonctionne à partir de la base, à savoir la majorité de la population du Vietnam. Sa hiérarchie s’appuie sur cette base. C’est tout le contraire pour l’Eglise bouddhiste du Vietnam récemment fondée, en 1981, à l’initiative de l’Etat. Elle est dénuée de légitimité aussi bien historique que populaire. Composée essentiellement d’une superstructure hiérar-chique, la population n’y a aucun représentant et en est absente.

Soulignant que le premier vou qu’il formulait pour son pays était d’y voir advenir la liberté en tous les domaines, le vénérable Thich Huyên Quang a précisé sa conception des rapports de l’Eglise et de l’Etat. Mon opinion, a précisé le religieux, est que la religion n’a pas à intervenir dans les affaires du gouvernement, mais que celuici doit également se garder de toute intervention dans les affaires intérieures des religions“. Ce n’est pas le cas au Vietnam, selon le religieux qui affirme qu’il n’y a pas aujourd’hui de liberté religieuse dans le pays et que chaque nouveau décret sur les activités religieuses fait perdre aux religions une de leurs libertés élémentaires.

Ce n’est pas la première fois que le religieux élève la voix contre la politique religieuse du gouvernement. Dès le mois de mars 1977, dans une lettre de protestation adressée à Pham Van Dông, Thich Huyên Quang, alors vice-président du Conseil exécutif de l’Eglise bouddhiste unifiée, s’était élevé contre ce que la lettre appelait une politique de répression du Bouddhismemise en ouvre par l’Etat. Elle mentionnait 85 cas de répression exercée contre l’Eglise bouddhiste unifiée vietnamienne durant les deux années précédentes. Le mois suivant, le religieux était arrêté une première fois, en compagnie du président du conseil exécutif, le vénérable Thich Quang Dô, et de quatre autres dirigeants, à la pagode An Quang, siège de l’Eglise bouddhiste unifiée. Ils furent relâchés en décembre 1978.

En novembre 1981, l’Eglise bouddhiste unifiée fut, sur l’initiative du gouvernement, supplantée par l’Eglise bouddhiste du Vietnam qui, selon les termes mêmes de sa charte, était seule habilitée à représenter le bouddhisme vietnamien. Thich Huyên Quang protesta aussitôt contre cette création. Au mois de février 1982, il fut arrêté et “une mesure administrative” prise par la municipalité de Hô Chi Minh-Ville lui signifia son exil. Thich Huyên Quang était relégué dans la province du Quang Ngai au Centre-Vietnam, et Thich Quang Dô, conduit au Nord-Vietnam dans la province de Quang Binh. Le 3 mai 1992, malgré le refus du gouvernement de lui accorder le droit de quitter le lieu de son exil, il vint assister à Huê aux obsèques de son confrère Thich Dôn Hâu, à qui il devait succéder. De retour dans sa résidence surveillée dont il devait changer en décembre 1994 (26), il n’a cessé de diffuser dans le monde entier ses protestations contre la répression exercée contre son Eglise (27).