Eglises d'Asie

LES CHRÉTIENS EN INDE

Publié le 18/03/2010




Lors de son premier voyage en Inde, en 1986, le pape Jean-Paul II avait été accueilli comme un chef d’Etat avec une salve de 21 coups de canon. Reçu à l’aéroport très chaleureusement par le président de la République et le Premier ministre de l’époque, il avait passé une dizaine de jours dans le pays et avait pu se rendre dans plusieurs grandes villes. Des foules d’Indiens avaient pu le voir et l’écouter. Dans la seule ville de Madras, on avait évalué à un million le nombre des chrétiens qui avaient assisté à sa messe. Il est vrai que, déjà en 1986, on avait pu lire dans quelques journaux des articles ou des “lettres à l’éditeur” qui émettaient des réserves sur l’opportunité de cette visite et l’ampleur de cet accueil (1). Mais, il s’agissait là de quelques voix discordantes. Dans son ensemble, la presse indienne s’était réjouie de la venue en Inde de cet éminent “homme de Dieu” et les chrétiens n’étaient pas les seuls à se presser sur son passage pour recevoir sa bénédiction.

Treize ans plus tard, en 1999, l’annonce de sa nouvelle visite suscita de sérieuses controverses. A la différence des gouvernements de Chine ou du Vietnam, celui de l’Inde avait rapidement donné son accord pour que le pape vienne clôturer en Inde le Synode des évêques pour l’Asie. Mais aussitôt des voix s’étaient élevées pour protester contre cette visite. Des manifestations et des marches furent organisées. D’aucuns voulaient exiger que le pape demande pardon pour les atrocités que l’Eglise catholique aurait commises à Goa au XVIème siècle et qu’il s’engage à mettre fin aux conversions au christianisme. Bref ! pour une section non négligeable de la population indienne, le pape n’était pas le bienvenu. Ses déplacements furent limités à la seule ville de Delhi et le gouvernement dut prendre des mesures pour tenir à l’écart des manifestants hostiles à sa venue. Finalement, le pape fut reçu avec dignité, comme un “hôte d’honneur”. Il fut accueilli chaleureusement par le président et le Premier ministre. Il put célébrer la messe au stade Jawarlahal Nerhu devant environ 50 000 personnes. Il put rencontrer des représentants des autres religions. Il n’y eut pas d’incident à déplorer. L’Inde pouvait donc encore se prévaloir d’être “la plus grande démocratie du monde”. Ceux qui s’opposaient à cette visite avaient pu s’exprimer, mais le gouvernement avait su l’accueillir honorablement et assurer sa sécurité.

Pour autant, les chrétiens qui se souvenaient de l’accueil triomphal du même pape Jean-Paul II en 1986, ou de celui du pape Paul VI à Bombay en 1964, ne pouvaient que faire des comparaisons et déplorer cette évolution inquiétante dans la façon d’accueillir une éminente personnalité religieuse chrétienne. Ce changement d’attitude reflétait en fait une intolérance et une agressivité, relativement nouvelles, non seulement à l’égard de l’Eglise catholique mais à l’encontre de tous les chrétiens vivant en Inde.

I.) LES CHRÉTIENS EN GÉNÉRAL

La présence des chrétiens en Inde remonte au tout début de l’ère chrétienne

Selon une tradition chrétienne très ancienne, St Thomas l’Apôtre serait arrivé en Inde vers le milieu du Ier siècle. Il aurait diffusé le message de l’Evangile et fondé des communautés chrétiennes principalement sur la côte sud-ouest, dans la région qui est devenue aujourd’hui l’Etat du Kerala. Il serait mort martyr. Il aurait été inhumé sur la côte est, à Mylapore, tout près de Madras. Une autre tradition, moins bien établie, voudrait que l’Apôtre St Barthélemy ait, lui aussi, fait ouvre missionnaire en Inde (2).

On manque de documents historiques pour prouver la venue en Inde de ces Apôtres. Ceci n’a rien de surprenant, car tout historien qui fait de la recherche dans cette région de l’Inde à cette époque est affronté au même problème : il n’existe quasiment pas de documents qui permettent de reconstituer l’histoire. Mais l’absence de documents, scientifiquement incontestables, ne permet pas, à elle seule, de nier les données d’une solide tradition, d’autant que le voyage d’un Apôtre jusqu’en Inde vers le milieu du Ier siècle n’a rien d’invraisemblable. On sait en effet qu’il y avait alors des relations commerciales, relativement importantes, entre le bassin méditerranéen et les villes côtières de l’Inde. Quoi qu’il en soit, il existe aujourd’hui en Inde plus de cinq millions de chrétiens qui font remonter l’origine de leurs communautés à l’activité missionnaire de St Thomas l’Apôtre.

D’autres communautés tracent leur origine aux missionnaires venus en Inde au XVIème et XVIIème dans le cadre du “Padroado ». En 1494, par le Traité de Tordesillas, le pape Alexandre VI avait confié aux souverains d’Espagne et du Portugal la responsabilité de l’évangélisation des territoires d’outre-mer nouvellement découverts. Le Portugal s’était vu confier le soin d’acheminer des missionnaires vers l’Asie et de soutenir financièrement leurs activités. C’est dans ce cadre du “droit de patronage” que St François Xavier et bien d’autres missionnaires fondèrent de nouvelles communautés chrétiennes, en particulier sur la côte ouest.

Suite à la fondation de la Congrégation de la Propagande en 1622 et à l’envoi des premiers vicaires apostoliques en Asie, peu à peu le Portugal dut renoncer à son monopole sur l’organisation de l’activité missionnaire dans cette région du monde. Des territoires furent confiés directement par Rome à des congrégations religieuses ou à des instituts missionnaires. Dès la fin du XVIIIème siècle arrivèrent en Inde des membres de la Société des Missions étrangères de Paris. Mais c’est surtout dans le courant du XIXème siècle et au début du XXème qu’arrivèrent des missionnaires, relativement nombreux, appartenant à diverses organisations missionnaires, catholiques ou protestantes. Depuis le milieu du XXème siècle, la vaste majorité des protagonistes de la mission en Inde sont d’origine indienne.

Inégalement répartis sur l’ensemble du territoire, les chrétiens sont encore très minoritaires

L’Inde organise un recensement de sa population tous les dix ans. Le dernier remonte à 1991. L’en-semble des chrétiens représentaient alors 2,3 % de la population, soit un peu moins de 19 millions de personnes. En chiffres absolus, cela représentait une augmentation d’un peu plus de deux mil-lions et demi au cours des dix années précédentes. Mais leur pourcentage dans la population totale avait baissé, puisqu’il était passé de 2,4 % en 1981 à 2,3 % en 1991 ! C’est dire combien peu fon-dées sont les récriminations des militants hindous qui s’emportent contre d’imaginaires conversions de masse au christianisme. Tandis que le pourcentage des hindous a augmenté de 0,2 % et celui des musulmans de 0,3 % au cours des dix dernières années, celui des chrétiens a baissé de 0,1 % (3) !

Les chrétiens sont donc toujours très minoritaires. En 1991, 82,8 % des Indiens étaient hindous et 11,7 % musulmans. Les sikhs étaient légèrement moins nombreux que les chrétiens, soit 2 %. Les jains représentaient 0,8 %, les bouddhistes 0,4 %.

Les chrétiens sont relativement nombreux dans les Etats du sud : Kerala, Tamil Nadu, Karnataka, Andhra Pradesh, Goa. Ils sont également bien présents dans quelques Etats très peu peuplés de l’extrême nord-est de l’Inde. Ils sont même majoritaires au Mizoram et au Nagaland ! Mais ils sont très peu nombreux dans toute la partie nord du pays. Mises à part quelques poches telles que Bombay ou les régions tribales du Bihar, les communautés chrétiennes sont fort éparses et numériquement très faibles dans le centre et le nord du pays.

La majorité de ces chrétiens appartient aux couches sociales les plus défavorisées, désignées depuis quelques années par le terme dalit (opprimé, écrasé). On a regroupé sous ce vocable toutes les sections de la population indienne qui sont traditionnellement exploitées, voire méprisées par les classes plus favorisées : non seulement les plus basses castes et les intouchables ou parias que Mahatma Gandhi avait appelés harijans (fils de Dieu), mais aussi les populations tribales. On estime à plus de 60 % le pourcentage des dalits parmi les chrétiens. Même si, parmi les autres, certains appartiennent à des classes élevées et même si quelques-uns ont pu accéder à des positions comportant de très haute responsabilité, dans l’ensemble, les chrétiens sont dépourvus de moyens pour jouer un rôle important dans l’évolution de la société. Ils ne disposent pas du pouvoir que donne l’argent et, numériquement faibles, ils ne constituent qu’un faible appoint électoral. S’ils exercent quelque influence dans le pays, c’est surtout grâce à leurs institutions, en particulier celles de l’Eglise catholique, dans les régions où ils sont relativement nombreux.

Jusqu’à une époque récente, la présence chrétienne en Inde était bien tolérée

L’hindouisme n’est pas une religion aux contours bien déterminés. A la différence de l’islam, du christianisme et de plusieurs autres religions, l’hindouisme n’attend pas de ses adeptes qu’ils adhèrent à des croyances précises. Il n’est donc pas aisé de déterminer ce qui est conforme à l’hindouisme et ce qui ne l’est pas. On aurait cependant du mal à trouver soit dans ses livres sacrés, soit dans les écrits et les pratiques des représentants les plus connus et les plus respectés de l’hindouisme, des encouragements à l’intolérance religieuse. Nulle part on ne trouve d’appel à une guerre sainte. Il n’y est même pas question de l’expansion de l’hindouisme. En fait, l’hindouisme n’est pas une religion à vocation universelle (4). C’est plutôt une religion liée à un terroir avec ses lieux saints (rivières et montagnes sacrées, divers lieux de pèlerinage, etc.). On naît hindou ; on ne le devient pas. Le Vishva Hindu Parishad (VHP – Conseil mondial hindou) est d’origine récente. Il s’agit d’un mouvement fondé à Bombay en 1964. Son objectif est de renforcer l’hindouisme en le dotant d’une organisation centrale, d’élaborer une espèce de “catéchisme hindou” et de codifier certains rituels diversement observés à travers la société. Il s’intéresse à une diaspora hindoue plus ou moins en quête d’identité et de références religieuses ; mais ce mouvement n’a pas pour objectif de recruter de nouveaux adeptes en dehors de l’Inde. En revanche, il s’efforce de développer chez les hindous une conscience politique en vue de l’hindouisation du pays.

Tout au long de sa très longue histoire, plusieurs fois millénaire, l’hindouisme s’est montré plutôt bienveillant, voire accueillant, vis-à-vis des autres religions, une attitude qui s’inscrit d’ailleurs dans la logique des principes même de l’hindouisme selon lesquels il y a diverses façons d’atteindre l’Absolu et plusieurs voies de salut. Bien que le Bouddha se soit très nettement démarqué de l’hindouisme en propageant une nouvelle “voie”, il ne provoqua pas l’ire des hindous. Le bouddhisme put se développer librement en Inde, avant de se répandre dans l’Asie du sud-est et de l’est, sans susciter de conflit. Il est vrai que l’implantation de l’islam en Inde fut beaucoup plus conflictuelle ; mais c’est surtout parce que des problèmes de domination politique et militaire se superposaient aux problèmes religieux (5). Quant à l’implantation du christianisme en Inde, même si, selon la tradition, St Thomas l’Apôtre fut martyrisé, on ne peut certainement pas parler de persécution systématique des chrétiens. Lorsqu’on songe aux centaines de milliers de martyrs dans d’autres pays d’Asie, force est de reconnaître que les hindous firent preuve de tolérance à l’égard des chrétiens.

La Constitution indienne

Une Assemblée constituante avait été mise en place dès décembre 1946, avant même la proclamation de l’Indépendance. La nouvelle Constitution fut adoptée en novembre 1949 et promulguée le 26 janvier 1950. Elle avait fait l’objet de multiples débats, au cours desquels il avait été parfois difficile de concilier des points de vue fort divergents, en particulier au sujet de la liberté de religion. Déjà à l’époque, les traditionalistes hindous du Congrès souhaitaient une “uniformisation culturelle du pays” qui aurait reconnu la place prédominante de l’hindouisme. Telle n’était pas la vision de Nehru, lequel “considérait que le génie de la nation indienne résidait dans sa capacité à fondre la culture hindoue et celle des vagues successives d’envahisseurs ou de migrants” (6). Grâce à son immense prestige et à son autorité morale, Nehru put faire prévaloir son point de vue. L’Inde serait une République “laïque”, mais au sens du mot anglais “secular”. Il existe en effet une différence importante entre la “laïcité” du type français et le “secularism” dont il est question en Inde. Tandis qu’en France la laïcité repose sur le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, selon le “secularism”, “toutes les religions sont reconnues par l’Etat qui doit exercer la même bienveillance envers chacune d’elles”.

La liberté de religion est déjà clairement affirmée dans le préambule de la Constitution : “Nous sommes résolus à assurer à tous les citoyens (.) la liberté de pensée, d’expression, de croyance, de foi et de culte, (.)”. Cette liberté de religion fait de nouveau l’objet de l’article 25, dans le chapitre sur les droits fondamentaux : “Sauf à porter atteinte à l’ordre public, à la moralité, à la santé (.), toute personne a droit à la liberté de conscience. Elle peut librement professer, pratiquer et propager sa religion” (7).

C’est surtout le mot “propager” qui avait fait problème. Il semble que ce mot ait été finalement accepté comme contrepartie de l’abandon, par les chrétiens et les autres minorités religieuses, de leur revendication pour une représentation séparée dans l’électorat. Le mot fut donc introduit dans la Constitution, mais il ne pouvait satisfaire les hindous qui ne comprennent pas pourquoi, à la différence des hindous, les musulmans et les chrétiens sont à la recherche de nouveaux adeptes. Mahatma Gandhi lui-même s’était plusieurs fois exprimé contre tout prosélytisme. Les hindous avaient fait une concession, selon eux majeure et injustifiée, aux musulmans et aux chrétiens. Ils redoutaient leur zèle missionnaire. Faute de pouvoir modifier la Constitution, les militants trouveraient d’autres moyens de contrecarrer la liberté des chrétiens de “propager” leur religion.

Réduction du nombre des missionnaires étrangers

Les missionnaires étrangers étaient relativement nombreux en Inde au moment de son indépendance. Ils ne furent pas expulsés. Mais dès 1953, le gouvernement décida de ne plus accorder de visas à de nouveaux missionnaires. Jawarlahal Nehru était alors Premier ministre. Du point de vue religieux, lui-même se disait agnostique, mais c’était un homme tolérant. Il n’a sans doute pas eu l’intention de brimer les chrétiens. Pourquoi donc décida-t-il de fermer la porte à de nouveaux missionnaires ? Il s’en expliqua devant trois évêques indiens venus lui demander de reconsidérer cette mesure. Il leur dit en substance : “Le christianisme est implanté en Inde, me dit-on, depuis le Ier siècle. Pourquoi faudrait-il que les chrétiens aient encore besoin de missionnaires étrangers ? Aujourd’hui, le pays s’efforce de se débrouiller par lui-même. Tout au plus fait-on appel quelquefois à des spécialistes étrangers, pour des tâches particulières, lorsqu’il n’y a pas sur place des gens compétents. De même, on peut à la rigueur autoriser l’entrée de quelques missionnaires étrangers, s’il s’agit de tâches spécifiques, étant entendu que la communauté chrétienne prendra les mesures nécessaires pour former, le plus rapidement possible, le personnel indien dont elle a besoin”. Il n’y a pas de raison de soupçonner la sincérité et la bonne foi de Nehru, comme il est difficile de contester la cohérence de sa réponse aux trois évêques. Avec le recul du temps, on devine cependant que les militants hindous n’étaient pas étrangers à cette mesure. Sans doute avaient-ils fait pression sur le Premier ministre, lequel avait dû convenir qu’il y avait en effet de bonnes raisons pour ne plus permettre l’entrée de l’Inde à de nouveaux missionnaires.

Quoi qu’il en soit, la politique officielle du gouvernement indien sur ce point est restée inchangée depuis. Elle a été appliquée avec plus ou moins de souplesse selon les époques. Il est arrivé, dans les années 1960 et 1970, que plusieurs dizaines de visas soient accordés la même année sur simple recommandation des évêques, sans que soit vraiment vérifiée la nécessité de faire appel à des “spécialistes” étrangers faute de pouvoir en trouver en Inde. Mais il est arrivé aussi que des missionnaires résidant en Inde depuis des dizaines d’années se voient refuser le renouvellement de leur carte de séjour et soient expulsés, sans qu’on puisse démontrer qu’ils avaient de quelque façon enfreint les lois du pays.

Cette politique s’est durcie au cours des dernières années. Tout récemment, un éminent professeur d’écriture sainte, originaire des Etats-Unis, a été mis en demeure de quitter le territoire indien dans les quinze jours. Il était pourtant entré en Inde très légalement et ne s’était jamais adonné à une activité pastorale ou missionnaire, mais avait simplement assuré l’enseignement à la faculté de théologie du séminaire St Pierre de Bangalore tout en continuant son travail de recherche.

Les lois anti-conversion (8)

Déjà en 1954, dans l’Etat du Gujarat, un projet de loi fut déposé pour demander que toute conversion soit dûment soumise à une procédure d’enregistrement. Il fut repoussé avec l’appui du Premier ministre Nehru. En 1958, dans le Madhya Pradesh, un projet de loi destiné à interdire la conversion des mineurs fut également repoussé. Entre temps, une commission d’enquête avait été mandatée par le gouvernement de cet Etat pour étudier le problème des activités missionnaires. Elle était dirigée par un certain M. B. Niyogi, un juge en retraite. Selon son rapport, il y avait effectivement un grand nombre de missionnaires étrangers, notamment des missionnaires américains disposant de fonds considérables, si bien qu’il semblait nécessaire de contrôler plus rigoureusement leurs activités, voire de les expulser, et de veiller à ce que l’argent qu’ils recevaient ne soit pas utilisé à des fins de propagande religieuse. Ce rapport fut l’objet de vives controverses. Catholiques et protestants réagirent d’un commun accord pour défendre leurs droits constitutionnels. Il n’y eut pas d’expulsion massives de missionnaires, mais, peu à peu, le contrôle de l’usage de l’argent devint plus rigoureux et, par la suite, ce rapport fut fréquemment évoqué pour justifier la méfiance à l’égard des activités missionnaires des chrétiens.

En 1967 et 1968, deux projets de loi furent adoptés dans les Etats de l’Orissa et du Madhya Pradesh, qui donnaient au gouvernement le pouvoir de contrôler les conversions. En principe, il s’agissait simplement de vérifier la liberté de ceux qui changeaient de religion, mais la formulation était telle que tous les abus étaient possibles.

Le texte de la loi adoptée dans l’Orissa disait : “Personne ne convertira ou n’essaiera de convertir tout autre personne par la force ou par des moyens frauduleux ou en lui offrant des avantages, ni n’encouragera de telles conversions, sous peine d’une année de prison et/ou d’une amende de 5 000 Rs”. Dans les paragraphes suivants, le sens des mots était spécifié. Le mot “fraude” s’appliquait à “toute présentation fausse des données”, y compris, comme devait le préciser un juge, en faisant croire à de pauvres gens que Dieu leur demandait de changer de religion ! Le mot “avantage” s’appliquait à toutes sortes de biens, les “avantages matériels ou autres”, sans exclure les biens spirituels. Aux termes de cette loi, grâce à l’imprécision des mots, on pouvait interdire toute conversion. La constitutionalité de cette loi fut attaquée devant la Haute Cour de l’Orissa qui la déclara “ultra vires” en 1972.

La loi adoptée dans le Madhya Pradesh abordait le problème différemment. Elle exigeait simplement que toute conversion soit rapportée aux autorités civiles. Mais le seul fait de devoir leur signaler les conversions donnait aux autorités civiles bien des moyens de les décourager.

Ces deux lois aboutirent finalement devant la Cour suprême qui les déclara constitutionnelles au prix d’une curieuse argutie : selon ce jugement, l’article 25 de la Constitution ne donne pas le droit fondamental de convertir quelqu’un à sa propre religion, mais simplement de “transmettre et de diffuser sa religion en exposant son enseignement. Il faut tenir compte du fait que l’article 25 garantit la liberté de conscience à tous les citoyens et pas seulement aux adhérents de telle religion. Il s’ensuit donc qu’il n’existe pas de droit fondamental de convertir quelqu’un à sa propre religion car, si une personne entreprenait délibérément d’en convertir une autre, ce qui est distinct de l’effort de transmettre et de diffuser les enseignements de sa religion, elle ne respecterait pas la liberté de conscience garantie à tout citoyen”.

En 1978, une loi sur la liberté de religion est votée dans l’Arunachal Pradesh, un Etat frontière, situé à l’extrême nord-est de l’Inde, limitrophe du Tibet, de la Chine et de la Birmanie. C’est une région montagneuse, peu peuplée (852 392 habitants, selon le recensement de 1991). Les habitants se répartissent en de nombreuses tribus. Non seulement les étrangers ne sont pas autorisés à pénétrer dans cet Etat, mais les Indiens eux-mêmes ont besoin d’un permis spécial pour s’y rendre. Outre que cet Etat frontière est considéré comme une “zone sensible”, le gouvernement avait pris prétexte de la nécessité de préserver les traditions, les cultures et les croyances locales, pour interdire l’accès de ce territoire à tout missionnaire chrétien. De plus, pour décourager le changement de religion, il fut précisé que ceux qui abandonneraient leur religion ancestrale seraient privés des nombreux avantages prévus pour les populations tribales.

Dans l’ensemble de l’Inde, les chrétiens protestèrent. Ils ne contestaient pas la nécessité de sauvegarder la culture de ces peuples et le droit des indigènes à rester fidèles à leurs croyances, mais c’était à eux d’en décider, faute de quoi, non seulement la liberté de religion mais les droits de l’homme étaient violés ! En dépit de ces protestations, le 25 octobre 1978, le président de la République apposait sa signature à un texte qui entérinait une discrimination de fait contre les chrétiens en Arunachal Pradesh.

Il n’est pas sans intérêt d’ajouter cependant que les législateurs avaient sous-estimé la capacité de ces populations tribales à décider par elles-mêmes ce qui leur convenait. L’accès de l’Arunachal Pradesh était interdit aux missionnaires chrétiens, mais les résidents de cet Etat avaient la possibilité d’aller chercher dans l’Etat voisin de l’Assam une éducation à laquelle ils n’avaient pas accès chez eux. Certains furent admis dans des écoles dirigées par des chrétiens. Ils découvrirent la foi chrétienne et se firent baptiser. Repartis chez eux, ils devinrent eux-mêmes des messagers de l’Evangile. Assez rapidement se formèrent de nouvelles communautés chrétiennes qui, en dépit des risques que cela comportait, surent faire prévaloir leurs droits, si bien qu’aujourd’hui le gouvernement ne peut que constater l’existence dans cette région de l’Inde de chrétiens relativement nombreux.

Le 22 décembre 1978, sous le régime du Janata Party, un certain O. P. Tyagi déposa sur les bureaux de l’Assemblée de New Delhi un projet de loi qui reprenait en substance les clauses de la loi adoptée dans l’Orissa et qui était cette fois destinée à l’ensemble de la nation ! Ce fut une levée de boucliers dans tout le pays. Les chrétiens (toutes dénominations confondues) et les autres minorités religieuses organisèrent des manifestations, envoyèrent à Delhi lettres, télégrammes et mémorandums. Mère Teresa intervint. Finalement, le projet de loi fut retiré.

Discrimination contre les chrétiens de basse caste

Bien que le gouvernement indien ne reconnaisse pas la hiérarchie des castes, des mesures spéciales sont prises en faveur des citoyens les plus défavorisés, qui se trouvent être principalement des Indiens de basse caste ou des populations tribales. Dans les textes législatifs, ils sont désignés par diverses expressions : “scheduled castes » et “scheduled tribes » (respectivement castes et tribus classées, répertoriées), “backward classes” (classes arriérées) et “denotified communities » (en fait, surtout des nomades). Comme cela a été dit plus haut, depuis quelques temps toutes ces classes, castes ou ethnies sont regroupées sous le nom de “dalits ».

Les avantages consentis à ces populations défavorisées sont loin d’être négligeables : sièges réservés au Parlement, emplois dans les administrations, facilités pour l’admission dans les collèges et universités avec bourses d’études, subventions aux agriculteurs, aux artisans, etc. Même si l’octroi de ces privilèges n’est pas automatique et dépend, dans une large mesure, du bon vouloir des autorités locales, il est très important pour un dalit de pouvoir les revendiquer. Or, les dalits de religion chrétienne ne peuvent pas les revendiquer. Tout simplement parce qu’ils sont chrétiens.

En effet, la question s’étant posée de savoir qui devait être inclus dans les “scheduled castes”, l’article de la Constitution 341-1 donna au président de la République le droit de spécifier quels sont les castes, tribus, groupes, races, etc. qui méritent d’être inclus dans les “scheduled castes”. Or, en 1950, le président décida que “personne en dehors des hindous ne peut être considéré comme appartenant aux ‘scheduled castes'” (9). Par la suite, le texte fut amendé pour y inclure aussi les sikhs et les bouddhistes. Les chrétiens, même pauvres et défavorisés, ne sont pas habilités à bénéficier des avantages prévus pour les autres dalits.

Il est vrai qu’à la différence de l’hindouisme, le christianisme ne reconnaît pas la caste – même si, comme on le verra plus loin, les sentiments de caste subsistent encore chez les chrétiens. Mais, que la caste soit explicitement reconnue ou non par ses coreligionnaires, ce n’est pas parce qu’un dalit devient chrétien qu’il cessera d’être considéré comme un dalit par ses voisins hindous et que ses conditions de vie seront automatiquement améliorées. En fait, les dalits chrétiens ne sont pas mieux lotis que les dalits hindous. Même si les institutions chrétiennes font des efforts pour les aider quelque peu, le statut social des chrétiens de basse extraction reste habituellement misérable. C’est si vrai que le gouvernement le reconnaît implicitement puisque, en cas de reconversion à l’hindouisme, ils récupèrent leurs droits à des avantages spéciaux ! On peut difficilement nier qu’il y a là une discrimination manifeste à l’encontre des chrétiens.

Depuis 50 ans, les responsables des communautés chrétiennes et diverses organisations ont multi-plié les démarches auprès du gouvernement central et des gouvernements locaux. On a organisé de multiples manifestations, intenté des procès aux autorités, etc. En vain. En 1985, le tribunal suprême de l’Inde débouta l’appel d’un intouchable devenu chrétien qui plaidait pour conserver ses droits à des avantages spéciaux, en dépit de sa conversion au christianisme. Dans les attendus du jugement, on trouvait des considérations pour le moins curieuses : le tribunal n’avait pas de doute sur le fait que les intouchables hindous ou sikhs étaient dans le besoin, mais le plaignant n’avait pas réussi à prouver que les intouchables chrétiens étaient pareillement dans le besoin !

Tout récemment encore, une délégation des responsables nationaux des communautés chrétiennes, ayant demandé à rencontrer le Premier ministre actuel, lui présentèrent un mémorandum dans lequel ils demandaient, entre autres choses, que soit mis fin à cette discrimination gravement injuste à l’encontre des dalits chrétiens (10). On ne connaît pas la réponse du Premier ministre ; mais on peut difficilement espérer qu’elle soit positive. En effet, il a été porté au pouvoir par des mouvements qui n’ont jamais caché leur opposition à la présence chrétienne en Inde. On devine même que c’est en raison des pressions exercées par ces mouvements que de telles mesures discriminatoires furent instaurées et maintenues.

Le mouvement fondamentaliste hindou (11)

Le RSS (Rashtriya Swayamsewak Sangh : Corps national des volontaires) fut fondé par le Dr Keshav Bali Ram Hedgewar à Nagpur en 1925. A l’origine, cette organisation était l’une des composantes des mouvements de libération de l’Inde. Elle s’inspirait d’une part de (Société des Aryens) de Dayananda Saravasti (1824-1883) et d’autre part du Hindu Mahasabha (Grande assemblée hindoue), deux mouvements qui avaient en commun le souci de restaurer une Inde aussi hindouiste que possible.

Au moment de l’indépendance, le RSS était devenu un mouvement relativement puissant dans le nord de l’Inde. L’assassinat de Mahatma Gandhi par Vinayak Nathuram Godse à Delhi le 30 janvier 1948 lui fut imputé. Le mois suivant, cette organisation fut déclarée illégale et interdite, mais l’interdiction fut levée en juillet 1949. Le RSS fut de nouveau interdit par India Gandhi en 1976 durant “l’état d’urgence”. Pendant plusieurs décennies, ce mouvement était beaucoup moins présent dans le sud que dans le nord ; mais, peu à peu, il a réussi à bien s’implanter également dans le sud où le parti qu’il soutient, le BJP (Bharatiya Janata Party : Parti du peuple indien), a remporté quelques beaux succès aux élections.

C’est un mouvement discipliné, fortement organisé, avec de multiples programmes de formation pour ses membres dans divers domaines (depuis la formation “idéologique” jusqu’à la formation physique). Le RSS se méfie particulièrement des religions sémitiques (islam et christianisme) qu’il considère comme des religions étrangères dont l’expansion pourrait ruiner tout espoir de rendre à l’hindouisme la place qui lui est due en Inde. Son objectif est non seulement de défendre l’hindouisme et d’améliorer sa cohésion mais aussi de faire de l’Inde peu à peu un “hindu rashtra” (Etat hindou). Diverses formules ont été utilisées pour décrire l’objectif final de cette organisation. Y aurait-il une place pour d’autres religions ? Oui, peut-être, dans la mesure où elles se rangeraient sous “l’ombrelle” de l’hindouisme, dans la mesure où elles adopteraient la culture hindoue ? Mais lorsqu’on sait qu’en Inde, culture et religion sont profondément imbriquées, on ne peut qu’éprouver une profonde inquiétude face aux implications possibles de telles formules si elles étaient mises en pratique. Il arrive aussi que tel ou tel représentant de ce mouvement soit plus catégorique et dise que la place des chrétiens est en Europe ou en Amérique.

Ce mouvement n’est jamais devenu un parti politique, mais il contribua puissamment à la fondation du parti Jan Sangh, avec lequel s’établirent des relations d’interdépendance. Le RSS soutenait le Jang Sangh, tandis que celui-ci favorisait les objectifs du RSS De semblables relations s’établirent avec le BJP lorsque, suite à diverses alliances et scissions successives, le Jang Sangh disparut au profit de ce nouveau parti actuellement au pouvoir.

Au cours des dernières décennies, d’autres mouvements fondamentalistes hindous ont vu le jour. La plupart sont des émanations plus ou moins directes du RSS Ils partagent ses objectifs et certains sont particulièrement virulents : le VHP dont il a été question plus haut, le Banjrang Dal qui rassemble surtout des jeunes, le Gayatri Parivar qui rassemble les dévots de la mantra (une formule de prière très utilisée par les hindous), le Sangh Pariwar qui à l’origine était une association de sadhus (moines, ascètes, souvent itinérants) mais qui aujourd’hui semble centraliser les diverses activités de tous ces mouvements. Il y a aussi des organisations plus locales telles que le Hindu Munnani (Front hindou) dans le Tamil Nadu ou le Hindu Jagram Manch dans le Gujarat.

Déjà, avant les dernières élections, le BJP était devenu le parti le plus nombreux à l’Assemblée et avait pu former un gouvernement de coalition dirigé par Atal Bihari Vajpayee. En 1999, Sonia Gandhi, à la tête du parti du Congrès, avait réussi à le renverser. Mais le BJP est sorti renforcé des nouvelles élections provoquées par le parti du Congrès. Il ne jouit pas encore d’une majorité absolue, mais son nouveau gouvernement de coalition semble être solidement installé au pouvoir.

Aussi longtemps que les partis soutenus par le RSS et les autres mouvements apparentés étaient très minoritaires, leur influence se faisait sentir surtout par des groupes de pression ou dans les rouages de l’administration. Mais à mesure qu’augmentait le poids politique du BJP, ces mouvements devinrent plus audacieux. C’est ainsi que le 5 décembre 1992, des militants hindous démolirent la mosquée Babri Masjid à Ayodhya. Il s’ensuivit des émeutes qui firent environ 1 200 victimes.

Depuis que le BJP est au pouvoir, tout se passe comme si les militants fondamentalistes estimaient pouvoir passer à l’action, sans avoir à redouter la répression des autorités gouvernementales. Il peut être risqué de s’en prendre aux musulmans, nombreux et susceptibles de réagir rapidement avec violence ; mais on prend moins de risques en s’en prenant aux minorités chrétiennes.

Les attaques contre les chrétiens se multiplient

Dans le passé, il arrivait certes que des hindous manifestent leur opposition aux chrétiens, en particulier dans les régions du nord ; mais le recours à la violence était rare. Depuis l’arrivée au pouvoir du BJP, non seulement les attaques verbales se sont multipliées et les menaces devenues plus précises, mais de nombreuses communautés chrétiennes ont été victimes d’agressions physiques, parfois très graves. Eglises d’Asie a régulièrement rapporté ces actes de violence à l’encontre des chrétiens.

Déjà en 1997, dans l’Etat du Bihar, un prêtre avait été promené nu sur la place publique pour l’humilier (12). Tout au long de 1998, les attaques contre les catholiques se sont multipliées surtout dans les régions du nord du pays (13). En septembre 1998, en l’espace d’une semaine, quatre missions catholiques ont été attaquées : le 23 septembre, dans le Madhya Pradesh, un couvent des sours des Missions étrangères a été attaqué et quatre religieuses ont été violées ; le 24, près de Calcutta, des malfaiteurs ont pillé un couvent des sours salésiennes et violé une servante ; le 25, dans l’Uttar Pradesh, des agresseurs s’en sont pris à un couvent de religieuses clarisses, ont sévèrement battu six d’entre elles, profané la chapelle et arraché la croix du mur ; le 26, un centre missionnaire a été attaqué dans le Madhya Pradesh (14).

Dans le Gujarat, on a dénombré trente attaques pour la période du 24 au 31 décembre 1998. Toutes ces “atrocités” furent consignées dans un dossier qu’une délégation chrétienne présenta au Premier ministre le 4 janvier 1999.

Quelques semaines plus tard, dans la nuit du 23 au 24 janvier, dans l’Etat de l’Orissa, un missionnaire australien, Graham Stewart Staines, responsable d’une section régionale de la Société missionnaire évangélique, était brûlé vif dans sa voiture avec ses deux jeunes fils âgés respectivement de 7 et 10 ans. Il vivait en Inde depuis 34 ans et travaillait auprès des pensionnaires d’une léproserie (15).

Le Forum chrétien uni pour les droits de l’homme (FCUDH) ayant préparé un rapport dans lequel étaient mentionnés 116 cas d’agression violentes parmi lesquels cinq meurtres, le 24 février, le ministre de l’Intérieur, Lal Kishenchand Advani, a lui-même présenté ce rapport au Parlement, authentifiant par le fait même l’exactitude de ces données. Lors de son intervention devant les députés, il a d’ailleurs donné l’assurance aux chrétiens que les auteurs de ces attaques seraient punis (16).

Malheureusement, ces attaques devaient continuer. L’une des plus dramatiques fut l’attaque d’une petite communauté chrétienne dans l’Orissa, le 1er septembre. L’église fut incendiée et un prêtre, le P. Arul Doss, qui avait voulu fuir, fut transpercé par une flèche. On le retrouva mort deux jours plus tard au pied d’un cocotier. Quelques jours plus tôt, dans ce même district, un commerçant musulman, Sheikh Rehman, avait été également tué. Ces deux meurtres, comme celui du missionnaire australien G. S. Staines, furent attribués à un certain Dara Singh, un hindou qui avait certainement des liens avec l’organisation fondamentaliste Bajrang Dal, même si celle-ci a toujours nié être impliquée dans ces crimes particulièrement odieux, expliquant que si Dara Singh les avait effectivement perpétrés, c’était à sa propre initiative (17). Le 20 septembre, dans le Bihar, une religieuse fut enlevée. Après avoir été brutalisée et déshabillée par trois hommes, elle ne fut pas violée, mais forcée à boire leur urine (18) !

Même si ces attaques contre les chrétiens ont lieu surtout dans le nord, dans des régions où les chrétiens sont peu nombreux et appartiennent souvent à des tribus, on a déploré aussi de violentes manifestations, voire des agressions physiques, contre les chrétiens dans le sud du pays. Au mois de mars 1998, du côté de Madurai, dans le Tamil Nadu, un tabernacle était fracturé, les hosties étaient piétinées et le prêtre sérieusement blessé. Du 17 au 19 février 1999, à Mangalore, où se trouve une importante communauté chrétienne composée principalement de chrétiens de haute caste, des mouvements fondamentalistes hindous ont rassemblé environ 100 000 personnes pour célébrer ce qu’eux-mêmes avaient appelé des journées (hindouisation du pays). Ce fut l’occasion pour eux de s’emporter contre les conversions au christianisme et de dénoncer les méfaits des missionnaires chrétiens. Au mois de mars, à Mysore, toujours dans le Karnataka, ces mêmes mouvements avaient mis sur pied une campagne anti-chrétienne d’affichage. On y voyait, par exemple, un prêtre en soutane avec une tête de chacal, et comme légende : “Les prêtres pillent nos ressources et nous dégradent culturellement” (19). Même dans l’Etat du Kerala, où les chrétiens représentent plus de 20 % de la population, cinquante hindous, membres du RSS, furent arrêtés pour avoir brutalisé trois séminaristes, blessant sérieusement l’un d’eux (20).

Les réactions des chrétiens

Les chrétiens ont tout d’abord recours aux moyens légaux. Chaque fois qu’ils sont victimes d’une agression ils font appel à la police et portent plainte. De plus, les responsables des communautés en appellent aux autorités de l’Etat ainsi qu’au gouvernement central de New Delhi. Comme on l’a vu plus haut, les diverses dénominations chrétiennes se sont regroupées dans un “forum le FCUDH, lequel a mis sur pied un comité de vigilance et entrepris de multiples démarches au plus haut niveau. Ils en ont aussi appelé plusieurs fois à la Commission nationale des minorités.

De multiples manifestations ont été organisées, certains regroupant parfois des centaines de milliers de personnes, parmi lesquelles on trouvait non seulement des chrétiens mais aussi des musulmans et parfois des hindous. Certains des crimes perpétrés contre les chrétiens ont en effet soulevé une indignation quasi générale, en particulier le viol des religieuses et le meurtre du missionnaire australien et de ses deux enfants. Au cours de ces manifestations, les chrétiens demandent que justice soit faite, que les coupables soient identifiés et punis et que des mesures soient prises pour mettre fin à ce harcèlement des chrétiens. Soucieux d’éviter tout dérapage, les évêques ont demandé que les réactions “restent profondément chrétiennes”. Ils ont rappelé les valeurs chrétiennes du pardon et de la réconciliation (21). Il s’agit en effet non seulement de ne pas répondre à la violence par la violence, mais aussi de veiller à ce que les appels pour que les coupables soient arrêtés et punis ne véhiculent pas un relent de vengeance ou de haine qui n’aurait rien d’évangélique. Du côté chrétien, on s’efforce aussi d’éviter toute provocation. C’est ainsi qu’un très important rassemblement qui avait été prévu dans l’Etat d’Orissa pour le 1er décembre 1999 fut annulé. On avait espéré réunir 500 000 chrétiens, venant de plusieurs Etats, pour des journées de prière. Mais le VHP ayant fait circuler des tracts pour protester contre ce rassemblement, les organisateurs décidèrent d’y renoncer (22).

Les responsables des communautés chrétiennes ont aussi essayé d’entrer en dialogue avec les mouvements fondamentalistes hindous. A leur initiative, le 18 décembre 1998, eut lieu une rencontre entre, d’une part, les principaux dirigeants du RSS et du BJP et, d’autre part, une délégation chrétienne dirigée par Mgr Alan de Lastic, président de la Conférence épiscopale catholique et du Forum des chrétiens. Selon les participants, elle s’avéra utile. Il y eut des discussions très franches autour des “perceptions et appréhensions” des uns et des autres. Du côté chrétien, on comprit un peu mieux comment la présence chrétienne en Inde était perçue par les militants hindous. Les hindous, quant à eux, apprécièrent, semble-t-il, d’entendre les chrétiens les assurer de leur profond attachement au pays et à sa culture. “Une initiative de paix”, “un pas significatif” déclarait à la fin de la rencontre le secrétaire général du BJP, Narendra Modi. On formula aussi le souhait qu’il y ait d’autres rencontres avec des “discussions plus approfondies”. En définitive cependant, cette tentative de dialogue n’aboutit à aucun engagement concret et n’apporta guère d’amélioration dans les relations entre chrétiens militants et hindous, puisqu’il y eut de nouveau une longue série d’attaques contre les communautés chrétiennes tout au long de l’année 1999.

L’attitude du gouvernement

Le gouvernement est manifestement gêné par toutes ces agressions violentes à l’encontre des chrétiens. Plusieurs fois le Premier ministre les a publiquement déplorées et condamnées. Il est vrai que ce dernier avait toujours fait figure de modéré dans son parti. D’aucuns, qui n’avaient guère de sympathie pour le BJP, avaient même dit de lui qu’il était “the right man in the wrong party” (l’homme de la situation dans le mauvais parti). Le cas du ministre de l’Intérieur, L. K. Advani, est différent. En tant que président du BJP, dans le passé, il avait souvent fait preuve de beaucoup de virulence lorsqu’il essayait de rallier le plus grand nombre possible d’hindous à la cause de . Néanmoins, lui aussi a clairement manifesté son désaccord avec de telles pratiques -même s’il a aussi essayé parfois d’en minimiser l’ampleur. Avant la visite du pape, il avait qualifié d’“inappropriées” les initiatives prises par des militants hindous pour manifester leur opposition à la venue du pape en Inde et était intervenu auprès des dirigeants du VHP pour qu’ils modèrent leur agressivité (23). En tant que ministre de l’Intérieur, il a d’ailleurs pris diverses mesures efficaces pour assurer le bon déroulement de cette visite.

Le gouvernement s’est maintes fois engagé, lors de rencontres avec les responsables des communautés chrétiennes mais aussi devant la presse et face à l’opposition au Parlement, à faire le nécessaire pour que ceux qui se rendaient coupables de telles attaques soient arrêtés et jugés. Dans certains cas, les auteurs de ces atrocités ont été effectivement arrêtés et déférés devant les tribunaux. Les assaillants des quatre religieuses violées dans le Maddhya Pradesh ont été retrouvés et emprisonnés. Leur procès n’est pas encore terminé. Même Dara Singh, le responsable présumé du meurtre, dans l’Orissa, du missionnaire australien et de ses deux fils, ainsi que du prêtre catholique Arul Doss et du musulman Sheik Rehman, a finalement été arrêté le 31 janvier 2000. La police le recherchait depuis plus d’un an. On s’était longtemps demandé si les “échecs” de la police jusqu’alors n’étaient pas dû à quelque protection que lui auraient valu ses liens avec le Bajrang Dal, soupçon étayé par l’existence d’un rapport de 250 pages remis aux autorités gouvernementales par une commission chargée officiellement de l’enquête et curieusement classé “confidentiel” (24). En fait, il semble que Dara Singh jouissait de la protection de quelques tribus pour lesquelles il était devenu une figure mythique doué de pouvoirs surnaturels qui lui permettaient de courir plus vite qu’un tigre, de dormir dans les airs, etc. (25). On ne peut cependant pas oublier que dans bien d’autres cas, les responsables des attaques contre les communautés chrétiennes n’ont jamais été arrêtés.

A l’occasion du Conseil national du BJP, qui s’est tenu à Chennai (Madras) à la fin du mois de décembre, l’intervention du ministre de l’Intérieur, L. K. Advani, a créé la surprise et suscité bien des commentaires. Celui-ci a en effet déclaré que “chaque militant du parti devait bien comprendre que celui-ci n’avait pas de programme autre que celui de la coalition actuellement au pouvoir”. Il a insisté sur la nécessité pour le BJP de savoir évoluer. Désormais, “les efforts du parti devraient porter sur deux points : le patriotisme et la formation du caractère”. Le mot hindutva (hindouisation) ne fut pas prononcé, et les commentateurs en ont conclu qu’en fait de tels propos revenaient à déclarer un moratoire sur les programmes d’hindouisation. Analyse confirmée par le fait que d’autres membres du Conseil abondèrent dans le même sens. “Notre objectif est le développement ; notre approche sur tous les problèmes doit être consensuelle et le besoin du moment est un nouvel état d’esprit et une nouvelle culture du travail”, a déclaré un certain M. Venkaiah Naidu. Dans la déclaration finale du Conseil national, il est dit que “même si l’idéal ne change pas, l’idéologie et son interprétation doivent être périodiquement renouvelées en fonction des nouvelles situations et des nouveaux défis”. Il y est aussi question de la nécessité pour le Parti de “développer sa base au sein des minorités religieuses” (26).

Comme on pouvait s’y attendre, ceux qui avaient porté ce parti au pouvoir dans l’espoir qu’il allait rapidement promouvoir l’hindouisation furent déçus et le firent savoir, si bien que certaines phrases clefs de la déclaration furent supprimées dans une seconde édition (27). Des journalistes se demandèrent si le BJP renonçait à son idéologie, ce qui fut aussitôt démenti à l’aide d’arguments plus ou moins convaincants ! D’autres estimèrent qu’il s’agissait simplement d’une stratégie destinée à rassurer les membres de la coalition qui ne partagent pas l’idéologie du BJP.

Quoi qu’il en soit, il semble bien qu’il y ait actuellement un certain écart entre la rhétorique des partis fondamentalistes – qui était aussi à peu de choses près celle du BJP lorsqu’il était dans l’opposition – et celle du gouvernement. On sait qu’il n’est pas rare que les partis d’opposition fassent preuve de davantage de réalisme lorsqu’ils accèdent au pouvoir et que la prise de conscience de leurs nouvelles responsabilités les amènent à tempérer leurs ambitions idéologiques. Dans le cas présent, l’analyse d’un éditorialiste de India Today est particulièrement intéressante (28). Selon lui, il faut voir dans le Premier ministre A. B. Vajpayee un pragmatiste qui sait que la politique est l’art du possible. Bien conscient de tout ce que comporte la réalité complexe de l’Inde aujourd’hui, il tient à éviter tout ce qui pourrait entraîner de trop graves conflits. Quant au ministre de l’Intérieur, L. K. Advani, ce serait un “missionnaire”, un idéologue, source d’inspiration pour tous les militants hindous ; mais depuis qu’il est au gouvernement, le missionnaire serait devenu un stratège qui se rend compte de la nécessité de remettre à plus tard la promotion d’une idéologie à laquelle il n’a cependant pas renoncé.

Le problème des conversions

A en croire les diatribes des militants, on pourrait se demander si la survie de l’hindouisme ne serait pas en danger en raison du nombre des conversions au christianisme. Or, on a déjà vu que, selon les dernières statistiques, le pourcentage des chrétiens en Inde est en diminution. Il est assez probable que cette diminution continuera parce que, d’une part, le taux de natalité est plus faible chez les chrétiens que chez les hindous et les musulmans et, d’autre part, depuis déjà pas mal d’années, il y a peu de conversions au christianisme. Il y a eu aussi, semble-t-il, quelques rares cas de chrétiens qui revenaient à l’hindouisme – ce qui, selon les militants hindous, ne peut être appelé “conversion” parce qu’il s’agit d’un simple retour à la religion ancestrale !

Ces mêmes hindous parlent souvent de “conversions forcées” – ce qui pour un chrétien n’a aucun sens, puisqu’on ne peut devenir disciple du Christ que par une adhésion libre et personnelle à sa personne et à son enseignement. D’ailleurs, comme l’écrivait récemment un journaliste, on n’a jamais pu déceler un seul cas de “conversion forcée” au christianisme en Inde depuis l’indépendance. Reste ce que des hindous considèrent comme des conversions “frauduleuses” parce que les missionnaires feraient miroiter à des populations ignorantes les avantages que leur vaudrait un changement de religion.

En fait, il est arrivé, et il arrive encore, que des hindous, ou plus souvent des populations tribales qui n’ont jamais vraiment adhéré à l’hindouisme, perçoivent dans l’intérêt que leur manifestent des chrétiens et dans l’aide qu’ils leur apportent un espoir, un moyen d’échapper à leur misère, et que, par la suite, ils demandent à devenir chrétiens. C’est ainsi qu’au mois de février 1999, dans l’Etat du Gujarat, alors que la campagne anti-chrétienne battait son plein, 600 dalits du village d’Undhai ont demandé à devenir chrétiens pour “en finir avec le boycott social et économique” que leur imposait la haute caste des patels et pour “protester contre l’impuissance du gouvernement à les protéger” (29). Bien sûr, il appartient alors aux responsables des communautés chrétiennes de veiller à ce que les considérations d’ordre économique ou social ne soient pas les seules à motiver leur démarche d’ordre religieux ! Mais, face à de telles démarches de la part de groupes de dalits opprimés par des hindous mieux placés dans l’échelle sociale, on est en droit de se demander si l’opposition farouche de ces derniers à toute conversion est motivée principalement par des considérations d’ordre religieux ! Leur préoccupation principale ne serait-elle pas de sauvegarder leur position dominante qui leur permet d’exploiter sans problème une main-d’ouvre bon marché ?

L’aide proposée par des chrétiens peut affectivement amorcer un processus de réflexion chez des personnes qui ont toujours connu des conditions de vie particulièrement difficiles dans la société hindoue, et cette réflexion peut éventuellement aboutir à un changement de religion. Ce fut le cas, semble-t-il, pour les dalits de la région de Ranchi, dans le Bihar, que le P. Lievens et d’autres jésuites aidèrent dans leurs luttes pour faire prévaloir leurs droits vers la fin du XIXème et le début du XXème siècle. Ils forment aujourd’hui des communautés chrétiennes relativement nombreuses et florissantes. Certains dirigeants hindous sont d’ailleurs tout à fait conscients de la nécessité d’améliorer l’image de marque de l’hindouisme sur ce point pour que puisse être promue la cause de . Au mois de février 1999, à Mangalore, lors de grandes manifestations anti-chrétiennes, une haute personnalité de l’hindouisme a demandé aux manifestants de “lutter contre les inégalités qui prévalent dans l’hindouisme” (30).

Est-ce en raison de telles considérations que le Premier ministre proposa récemment que soit organisé un grand débat, au niveau national, au sujet des conversions ? Les dirigeants chrétiens n’apprécièrent pas cette initiative, parce qu’ils ne voulaient pas que soit remis en jeu le droit que la Constitution donne à tout citoyen de l’Inde de “propager” sa religion. C’est malheureusement un objectif auquel des militants hindous n’ont toujours pas renoncé, même s’ils essaient de l’obtenir par des moyens détournés. Tout récemment encore, le BJP, qui est au pouvoir dans le Gujarat, a introduit devant l’Assemblée de l’Etat un nouveau projet de loi qui limiterait considérablement le droit des chrétiens à propager leur foi (31).

Tout compte fait, comme l’a écrit récemment un ancien collaborateur du Times of India, le Dr Olav Albuquerque, dans un article intitulé “The big lie » (le gros mensonge), il n’est pas difficile de déceler derrière toutes ces croisades pour une défense de l’hindouisme et un arrêt des conversions des affirmations mensongères (32). Il n’est pas vrai que l’hindouisme soit en danger à cause du nombre des conversions ; il n’est pas vrai qu’il y ait des “conversions forcées” ; il n’est pas vrai que toute action humanitaire de la part des chrétiens soit entreprise dans le seul but de faire des conversions ; il n’est pas vrai que les chrétiens soient moins patriotiques que les hindous.

Les chrétiens envisagent l’avenir avec inquiétude

Ces derniers temps, de nombreuses communautés chrétiennes ont été victimes de l’agressivité de groupes de militants hindous, surtout depuis l’arrivée au pouvoir du BJP. Jusqu’à présent cependant, la Constitution reste inchangée et la loi continue de garantir la liberté de religion. Les chrétiens peuvent se rassembler, manifester, publier des journaux et des livres, se déplacer librement. Ils peuvent acquérir des biens et les gérer, diriger des institutions, etc. Lorsqu’ils sont victimes d’agressions, ils peuvent demander que justice soit faite au nom de la loi. Il avait même été question de faire de l’an 2000 en Inde l’année du Christ ! Sous la pression des militants hindous, ce projet fut abandonné. Mais, au début de l’année, le Premier ministre a solennellement mis en circulation un timbre dessiné par un artiste chrétien pour commémorer le 2000ème anniversaire de la naissance du Christ. Il en a profité pour dire que “l’enseignement du Christ était pertinent pour notre monde et notre époque” et que “les valeurs indiennes traditionnelles s’opposaient à toute discrimination à l’encontre des minorités religieuses” (33). Bref ! les chrétiens ont encore droit de cité en Inde. Mais que leur réserve l’avenir ?

Certains estiment pouvoir faire confiance au Premier ministre actuel qui s’est engagé à faire respecter les droits des minorités. Mais que se passerait-il si le BJP devenait assez puissant pour gouverner seul, sans l’appui des divers partis qui, aujourd’hui, font partie de la coalition gouvernementale ? Les éléments les plus extrémistes des mouvements qui soutiennent le BJP n’en profiteraient-ils pas pour exiger des mesures plus draconiennes à l’encontre des chrétiens ?

Dans l’immédiat, ils n’ont certainement pas renoncé à leur idéologie. Suite aux propos du pape qui, loin de déclarer un moratoire sur les conversions, a exprimé l’espoir que le troisième millénaire soit celui de l’évangélisation de l’Asie, des militants hindous ont estimé que le moment était venu d’intensifier leur action pour empêcher la progression du christianisme. Le gouvernement, quant à lui, a encore tout récemment cédé à leurs exigences. Dans l’Etat du Gujarat, le gouvernement local, avec l’accord du gouvernement central, a levé l’interdiction qui était faite aux fonctionnaires de participer aux activités du RSS (34). Il s’ensuit, par exemple, que désormais les agents de police peuvent participer aux activités des groupes activistes, que les enseignants peuvent diffuser cette idéologie dans les écoles, etc.

Fort heureusement cependant, ce ne sont pas tous les hindous qui partagent le point de vue des mouvements extrémistes. Il existe une vaste majorité que l’on pourrait qualifier de “silencieuse” qui manifeste toujours une attitude tolérante, voire appréciative, à l’égard du christianisme. Tout récemment, à Mysore, de nombreux hindous ont participé à la cérémonie d’ouverture de l’année jubilaire organisée par les chrétiens. Des responsables hindous ont pris la parole. L’un d’eux, Sri Deshinkendre Swamy, a déclaré que “le christianisme n’était pas une menace pour la culture indienne mais un atout”, qu’il croyait que “les enseignements d’amour du christianisme peuvent freiner la violence dans le monde”. Un autre, Balangadhara Swamy, a dit être “ému par la philosophie de pardon du Maître chrétien” et que, grâce à lui, «l’humanité coupable pouvait encore espérer” (35).

II.) L’ÉGLISE EN INDE

Avec 14 908 000 fidèles (36), l’Eglise catholique constitue, de loin, la composante la plus importan-te de la “chrétienté” en Inde. Comme l’ensemble des chrétiens, les catholiques sont beaucoup plus présents dans le sud du pays que dans le nord. Un peu plus de quatre millions et demi se trouvent dans le petit Etat du Kerala et un peu plus de trois millions dans le Tamil Nadu, si bien que légèrement plus de la moitié des catholiques résident dans l’extrémité sud de la péninsule. Toujours au sud, les catholiques sont encore relativement nombreux dans les deux autres Etats dravidiens (920 667 dans le Karnataka et 980 544 dans l’Andhra Pradesh) et à Goa (432 000). Mais à mesure qu’on monte dans le nord, le pourcentage des catholiques devient infime si on exclut quelques poches comme Bombay (615 296) ou la région de Ranchi et quelques-uns des petits Etats de l’extrême nord-est.

Le pourcentage des catholiques varie donc considérablement d’une région à l’autre. Dans le diocèse de Palai, au Kerala, un peu plus de la moitié de la population est catholique (334 000 catholiques pour 663 000 habitants). Dans le diocèse de Goa, presque un tiers de la population est catholique (432 421 pour 1 409 856 habitants). En revanche, dans le diocèse d’Agra, il y a à peine onze mille catholiques pour plus de 24 millions d’habitants.

En outre, dans les régions du nord, il arrive assez souvent que les catholiques soient des personnes venues d’ailleurs (du Kerala, du Tamil Nadu, de Goa, etc.) ou appartiennent à des groupes ethniques qui n’ont jamais été pleinement intégrés dans la société environnante. Ils se trouvent donc en quelque sorte en marge de la société non seulement en raison de leur appartenance religieuse mais aussi pour des raisons ethniques, linguistiques et sociales. C’est le cas des membres de diverses tribus aborigènes. Dans ces régions là, même s’il y a une présence catholique, on peut donc hésiter à parler d’une “implantation” réelle de l’Eglise ?

On estime à plus de 60 % le pourcentage des dalits parmi les chrétiens. Il est également élevé chez les catholiques. Cependant, il y a aussi un pourcentage relativement important de catholiques appartenant à de hautes castes. C’est le cas des catholiques de rite oriental du Kerala et de ceux des régions de Mangalore et Goa. On trouve aussi un bon nombre de catholiques appartenant aux castes moyennes dans le Tamil Nadu et dans l’Andhra Pradesh.

La caste, à elle seule, ne suffit pas à déterminer le statut social. Un Indien peut appartenir à une haute caste et vivre dans la précarité. Inversement, un Indien de basse caste peut parfois disposer de revenus importants ou, pour diverses raisons, exercer une grande influence dans la société. Néanmoins, en général, les Indiens de caste élevée ont plus facilement accès à l’éducation et aux positions bien rémunérées. C’est ainsi que les catholiques de la côte ouest sont habituellement bien éduqués et disposent de moyens de vivre satisfaisants. Dans les autres Etats dravidiens du sud, un certain nombre de catholiques jouissent également de conditions de vie fort convenables. Certains sont propriétaires d’une petite exploitation, d’autres sont commerçants, d’autres encore sont devenus instituteurs, fonctionnaires, gagnent bien leur vie comme artisans, etc. On trouve aussi des catholiques relativement aisés dans toutes les grandes villes du pays où ils travaillent dans la fonction publique, exercent des professions libérales ou occupent des positions importantes dans de grandes entreprises.

Mais il y a aussi beaucoup de catholiques qui vivent dans la pauvreté, voire dans la misère. Il y en a dans les campagnes où ils sont ouvriers agricoles, souvent sous-employés et mal payés. Certains quittent leur village pour aller grossir la population des bidonvilles dans les grandes métropoles, où ils se retrouvent souvent sans emploi. Tout compte fait, la majorité des catholiques de l’Inde sont pauvres ou de condition modeste et il n’y en a quasiment pas qui possèdent de grandes fortunes.

Un personnel d’Eglise nombreux et qualifié

On compte en Inde 143 diocèses ou archidiocèses. Mais ce chiffre, à lui seul, n’est pas très significatif. Il existe en effet une très grande diversité dans l’étendue du territoire et le nombre des catholiques dans chaque diocèse. Il y a 615 296 catholiques dans le diocèse de Bombay, mais seulement 2 493 dans celui de Satna ! Le diocèse d’Ajmer-Jaipur, avec une population catholique de 13 054 s’étend sur 345 715 km² (environ les 2/3 de la superficie de la France !). Celui de Jammu-Srinagar, avec une population catholique d’environ 12 000 s’étend sur 222 236 km². En revanche, on compte 432 000 catholiques dans le diocèse de Goa pour une superficie de 489 km² seulement.

D’après le dernier annuaire de l’Eglise catholique en Inde, il y avait en Inde, en 1998, 22 974 prêtres (8 621 prêtres diocésains et 14 353 religieux) et 6 310 grands séminaristes, 1 972 religieux frères et 76 150 religieuses.

Les religieux prêtres sont répartis en 58 congrégations ou instituts. On retrouve en Inde tous les grands ordres internationaux : franciscains, capucins, dominicains, salésiens, Verbe divin, etc., mais aussi une bonne quinzaine d’instituts d’origine indienne. En additionnant prêtres, frères et scolastiques ayant déjà fait leurs voux, il y avait en Inde, en 1998, 3 937 jésuites profès répartis dans 18 provinces ou vice provinces. Les religieux frères se répartissent dans 19 congrégations ou instituts, et les religieuses dans 230 ! Dans les deux cas, la majorité appartient à des congrégations internationales, mais il y aussi, surtout chez les religieuses, un nombre important d’instituts d’origine indienne.

Il s’ensuit que les maisons de formation sont nécessairement nombreuses. La majorité des candidats au sacerdoce sont regroupés dans de grands centres où les séminaristes diocésains et ceux qui se destinent à la vie religieuse reçoivent la même formation intellectuelle. C’est ainsi qu’on trouve une très grande concentration de jeunes qui se préparent à la prêtrise dans des villes comme Bangalore, Pune, Alwaye, Nagpur, Ranchi, etc. De plus en plus, d’ailleurs, on accueille aussi, dans ces séminaires ou facultés, des religieuses qui suivent les mêmes cours que les séminaristes, si bien que certains de ces centres regroupent jusqu’à 500 étudiants en sciences ecclésiastiques ou même davantage. D’autres centres de formation pour prêtres sont moins importants. Les “visiteurs apostoliques” désignés par Rome pour faire la visite des séminaires ou facultés du pays, en 1998 et 1999, avaient sur leurs listes 90 maisons de formation à visiter.

Plusieurs de ces centres sont habilités à donner des diplômes en théologie ou philosophie, soit parce qu’ils sont affiliés à quelque université, soit parce qu’ils ont été élevés au rang de facultés. C’est ainsi qu’il y a actuellement en Inde sept facultés de théologie, plusieurs facultés de philosophie et de droit canon, une faculté de missiologie. L’un des visiteurs apostoliques disait même qu’elles sont manifestement trop nombreuses, n’ayant pas un nombre d’élèves suffisant pour justifier l’investissement nécessaire en professeurs, personnel, bibliothèques, etc.

Compte tenu du nombre des catholiques, l’Eglise en Inde est manifestement riche en prêtres, religieux et religieuses. Certains parmi eux sont hautement qualifiés. Les facultés, séminaires et scolasticats sont dirigés par des professeurs dûment diplômés. Il y a certainement davantage de docteurs en théologie et en écriture sainte en Inde qu’en France ! De même, un bon nombre de religieuses ont obtenu des diplômes universitaires ou des qualifications professionnelles du plus haut niveau.

Certains religieux et religieuses sont engagés dans l’apostolat paroissial ou missionnaire. Quelques-uns vivent très simplement dans des résidences très modestes ; mais d’autres dirigent des institutions qui s’ajoutent à celles des paroisses et des diocèses. On arrive ainsi à un nombre considérable d’institutions, parfois très importantes.

Une Eglise riche en institutions

En 1998, l’Eglise dirigeait en Inde 704 hôpitaux et 1 792 dispensaires. Certains dispensaires ou hôpitaux ruraux sont très modestes, mais, dans les grandes villes, certains de ces hôpitaux comptent plus de 600 lits ! Elle dirigeait également 1 765 pensionnats ou foyers, 1 085 orphelinat, 111 léproseries, 102 centres de réhabilitation et 455 centres d’accueil pour personnes abandonnées, âgées ou handicapées.

Dans le domaine de l’éducation, l’Eglise est très présente à tous les niveaux. Elle dispose de 228 crèches, de 3 785 écoles maternelles et de 7 319 écoles primaires ; mais elle dirige aussi 3 765 écoles secondaires et 240 collèges universitaires (facul